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Lisa se pencha au-dessus du seau et vomit une troisième fois, ne régurgitant que de la bile qui lui brûla l’œsophage au passage. Elle tremblait de tous ses membres et la tête lui tournait, provoquant des élancements douloureux dans les tempes.

C’était ce foutu poisson en boîte. Lorsque les symptômes d’une intoxication étaient apparus, elle avait regardé les dates de péremption, et s’était aperçue avec une pointe d’angoisse que toutes avaient dépassé la leur depuis plus d’un an. S’il avait espéré pouvoir se planquer dans cette cave et manger ces saloperies le temps qu’on l’oublie, il s’était fourré le doigt dans l’œil jusqu’à l’os !

Une contraction plus forte la plia en deux dans un gémissement. Elle attrapa le seau à deux mains et resta prostrée, attendant que les spasmes s’atténuent un peu. Le local était imprégné d’une odeur écœurante, accentuant encore sa nausée.

Au bout d’un laps de temps qui lui sembla une éternité, elle essuya sa bouche d’une main poisseuse, puis elle se leva en chancelant pour récupérer la bouteille d’eau afin de se rincer la bouche. Blotti entre les pieds de l’établi, le chaton s’était endormi sur un morceau de tissu. Lui, en tout cas, ne semblait pas malade.

Lisa tenait à peine debout. Elle se coucha sur son matelas de chiffons, complètement épuisée. Elle se recroquevilla et ferma les yeux pour tenter d’oublier les protestations de son ventre. Réveillé, le chaton se dirigea en trottant vers elle et vint lui renifler la main, mais la jeune femme le repoussa doucement. Elle n’avait vraiment aucune envie de jouer avec lui, dans l’état où elle se trouvait.

L’animal insista un peu, puis il s’éloigna devant son manque de réaction. Lisa l’entendit farfouiller dans la cave, à la recherche d’un jeu. Elle tourna la tête vers lui et vit qu’il avait jeté son dévolu sur le vieux bout de sac en toile abandonné devant le buffet. Il se mit à le traîner dans tous les coins en lui donnant des coups de patte rageurs. Le tissu ne résista pas longtemps aux petites griffes, et un brin effiloché finit par se détacher. Le chaton s’énerva dessus comme un beau diable, et il cracha d’excitation lorsque Lisa le lui reprit, les yeux fiévreux. Elle était bien réveillée, à présent, et un fol espoir faisait trembler ses mains. L’idée qui venait de la traverser faisait violemment battre son cœur.

Les doigts tremblants, serrant les dents pour éviter de penser à la douleur, elle découpa dedans une petite ouverture de la taille de la tête du chat, puis elle sépara quelques fibres du sac pour fabriquer un petit harnais sommaire. Elle saisit alors l’animal par la peau du dos et lui glissa son vêtement improvisé autour du corps avant qu’il ne se mette à se débattre furieusement. Elle ôta alors sa petite gourmette en or, cadeau de son père pour ses 10 ans, qui était le bien le plus précieux qu’elle possédait. Sur la plaque, il avait fait graver son prénom en lettres anglaises. Elle passa ensuite le fermoir de la gourmette dans le tissu du harnais et le referma.

Lorsqu’il réalisa qu’il était attaché à un objet inconnu qui lui pesait sur le dos, le chaton miaula de colère et essaya de s’en débarrasser, mais n’y parvint pas. Il fit alors ce que Lisa espérait. Il courut vers le trou du mur et prit la fuite à l’extérieur. Le plan de Lisa n’avait qu’une limite. Il ne fallait pas que le chat s’accroche à la moindre branche qui puisse le bloquer. Sinon, il resterait ligoté à son harnais jusqu’à ce que la mort vienne le délivrer des affres de la soif, ou serait la proie d’un renard en maraude.

Si Magne trouvait la gourmette, peut-être aurait-il une idée pour remonter jusqu’à elle.

Sinon, elle n’en aurait bientôt plus besoin.