I
O notre joie
Qui s’illumine et flotte au vent dans l’air de soie!
Voici la maison douce et son pignon léger,
Et le jardin et le verger.
Voici le banc, sous les pommiers
D’où s’effeuille le printemps blanc
A pétales frôlants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Planant, ainsi que des présages,
Dans le ciel clair du paysage.
Voici, pareils à des baisers tombés sur terre
De la bouche du frêle azur,
Deux bleus étangs simples et purs,
Bordés naïvement de fleurs involontaires.
O la splendeur de notre joie et de nous-mêmes,
En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes.
Ce chapiteau barbare où des monstres se tordent,
Soudés entre eux à coups de griffes et de dents,
En un tumulte fou de sang, de cris ardents,
De blessures et de gueules qui s’entre-mordent,
C’était moi-même, avant que tu fusses la mienne
O toi la neuve, ô toi l’ancienne!
Qui vins à moi, du fond de ton éternité
Avec, entre les mains, l’ardeur et la bonté.
Je sens en toi les mêmes choses très profondes
Qu’en moi-même dormir,
Et notre soif de souvenir
Boire l’écho, où nos passés se correspondent.
Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures
Sans le savoir, pendant l’enfance;
Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs,
Mêmes éclairs de confiance;
Car je te suis lié par l’inconnu
Qui me fixait, jadis, au fond des avenues
Par où passait ma vie aventurière;
Et, certes, si j’avais regardé mieux,
J’aurais pu voir s’ouvrir tes yeux
Depuis longtemps, en ses paupières.
Au clos de notre amour, l’été se continue:
Un paon d’or suit l’avenue
Et traverse le gazon vert;
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige;
Aux quinconces nos groseilliers font des cortèges;
Un insecte de prisme irrite un cœur de fleur;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles,
Sur des grappes d’argent, vibrent au long des treilles.
L’air est si beau qu’il paraît chatoyant;
Sous les midis profonds et radiants,
On dirait qu’il remue en rosés de lumière;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacré, montent vers le soleil.
Certes, la robe en diamants du bel été
Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté,
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.