LES HEURES CLAIRES

I

O notre joie

Qui s’illumine et flotte au vent dans l’air de soie!

Voici la maison douce et son pignon léger,

Et le jardin et le verger.

Voici le banc, sous les pommiers

D’où s’effeuille le printemps blanc

A pétales frôlants et lents.

Voici des vols de lumineux ramiers

Planant, ainsi que des présages,

Dans le ciel clair du paysage.

Voici, pareils à des baisers tombés sur terre

De la bouche du frêle azur,

Deux bleus étangs simples et purs,

Bordés naïvement de fleurs involontaires.

O la splendeur de notre joie et de nous-mêmes,

En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes.


III

Ce chapiteau barbare où des monstres se tordent,

Soudés entre eux à coups de griffes et de dents,

En un tumulte fou de sang, de cris ardents,

De blessures et de gueules qui s’entre-mordent,

C’était moi-même, avant que tu fusses la mienne

O toi la neuve, ô toi l’ancienne!

Qui vins à moi, du fond de ton éternité

Avec, entre les mains, l’ardeur et la bonté.

Je sens en toi les mêmes choses très profondes

Qu’en moi-même dormir,

Et notre soif de souvenir

Boire l’écho, où nos passés se correspondent.

Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures

Sans le savoir, pendant l’enfance;

Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs,

Mêmes éclairs de confiance;

Car je te suis lié par l’inconnu

Qui me fixait, jadis, au fond des avenues

Par où passait ma vie aventurière;

Et, certes, si j’avais regardé mieux,

J’aurais pu voir s’ouvrir tes yeux

Depuis longtemps, en ses paupières.


XVIII

Au clos de notre amour, l’été se continue:

Un paon d’or suit l’avenue

Et traverse le gazon vert;

Nos étangs bleus luisent, couverts

Du baiser blanc des nénuphars de neige;

Aux quinconces nos groseilliers font des cortèges;

Un insecte de prisme irrite un cœur de fleur;

De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs;

Et, comme des bulles légères, mille abeilles,

Sur des grappes d’argent, vibrent au long des treilles.

L’air est si beau qu’il paraît chatoyant;

Sous les midis profonds et radiants,

On dirait qu’il remue en rosés de lumière;

Tandis qu’au loin, les routes coutumières

Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,

A l’horizon nacré, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel été

Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté,

Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,

Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.