UNE HEURE DU SOIR

Mon cœur? – Il est tombé dans le puits de la mort.

Et moi du bord de la margelle,

Du bord de la vie et de la margelle,

J’entends mon cœur lutter, dans le puits de la mort.

– Le silence est effrayant –

Comme un morceau de gel

La lune aussi, au fond du puits

Laisse tomber sa pâleur éternelle.

Mon cœur est un quartier de chair,

Un bloc de viande saignante,

Mon cœur bat, seul, au fond du puits,

Contre un morceau de lune ardente.

– Le silence et le grand froid;

Et, par la nuit, le vague effroi

D’un ciel plein d’astres en voyage –

Au fond des citernes de mort,

Mon cœur s’acharne et bat encor

A coups de fièvre, sur la lune.

La lune, à lui, parmi les eaux s’allie;

La lune est un visage étincelant;

La lune est un visage aux regards blancs;

La lune est un bloc de folie;

La lune est une bouche de gel

Qui mord mon cœur essentiel.

Les tenailles des minuits clairs

Serrent ce cœur entre leurs fers;

La patience des aiguilles du givre

Criblent ce cœur ardent de vivre;

Déjà les eaux, couleur de son cadavre,

Roulent ce cœur, avec de lents remous

Et des hoquets, vers de grands trous.

Et certes, un soir, la lune enfermera

Ce cœur, malgré ses battements de haine,

Comme une pierre en une gaine.