SUR LES GRÈVES

Sur ces plages de sel amer

Et d’âpre immensité marine,

Je déguste, par les narines,

L’odeur d’iode de la mer.

Quels échanges de forces nues

S’entre-croisent et s’insinuent,

Avec des heurts, avec des bonds,

A cette heure de vie énorme,

Où tout s’étreint et se transforme,

Les vents, les cieux, les flots, les monts!

Et c’est fête dans tout mon être;

L’ardeur de l’univers

Me rajeunit et me pénètre.

Que m’importe d’avoir souffert,

D’avoir raclé mon cœur avec la chaîne

– Qui vient et va – de la douleur humaine,

Que m’importe! – je sens

Mon corps renouvelé vibrer de joie entière

Et se tremper vivant et saint

Dans ce brassin

De formidable et sauvage matière.

Le roc casse le flot, le flot ronge le roc.

Un silence se fait: le choc

Des gros tonnerres d’eau ébranlent les falaises;

Une île au loin se nourrit de la mer

Et monte d’autant plus que les grèves s’affaissent.

Le sable boit le soleil clair

– Oh revenir aux aurores du monde! –

Tout se confond, tout se détruit, tout se féconde.

On vit un siècle en un instant.

Et qu’importe ce deuil du temps:

La mort!

Sans elle

Jamais l’éternité n’apparaîtrait nouvelle;

Homme qui tue et qui engendre,

II faut apprendre

A jouir de la mort.

La mort, la vie – et leur ivresse!

Oh toutes les vagues de la mer!

Cercueils fermés, berceaux ouverts,

Gestes d’espoir ou de détresse,

Les membres nus, le torse au clair,

Je m’enfonce soudain, sous vos caresses rudes,

Avec le désir fou

De m’en aller, un jour, jusqu’au bout,

Là-bas, me fondre en votre multitude!