VIII
Lorsque ta main confie, un soir des mois torpides,
Au cellier odorant les fruits de ton verger,
Il me semble te voir avec calme ranger
Nos anciens souvenirs parfumés et sapides.
Et le goût m’en revient tel qu’il passa jadis
Dans l’or et le soleil et le vent – sur mes lèvres;
Et je revis alors mille instants abolis
Et leur joie et leur rire et leurs cris et leurs fièvres.
Le passé ressuscite avec un tel désir
D’être encor le présent et sa vie et sa force,
Que les feux mal éteints brûlent soudain mon torse,
Et que mon cœur exulte au point d’en défaillir.
O beaux fruits lumineux en ces ombres d’automne,
Joyaux tombés du collier lourd des étés roux,
Splendeurs illuminant nos heures monotones,
Quel ample et rouge éveil vous suscitez en nous.
Lorsque tu fermeras mes yeux à la lumière,
Baise-les longuement, car ils t’auront donné
Tout ce qui peut tenir d’amour passionné
Dans le dernier regard de leur ferveur dernière.
Sous l’immobile éclat du funèbre flambeau,
Penche vers leur adieu ton triste et beau visage
Pour que s’imprime et dure en eux la seule image
Qu’ils garderont dans le tombeau.
Et que je sente, avant que le cercueil se cloue,
Sur le lit pur et blanc se rejoindre nos mains
Et que près de mon front sur les pâles coussins,
Une suprême fois se repose ta joue.
Et qu’après je m’en aille au loin avec mon cœur
Qui te conservera une flamme si forte
Que même à travers la terre compacte et morte
Les autres morts en sentiront l’ardeur!