LES HEURES DU SOIR

VIII

Lorsque ta main confie, un soir des mois torpides,

Au cellier odorant les fruits de ton verger,

Il me semble te voir avec calme ranger

Nos anciens souvenirs parfumés et sapides.

Et le goût m’en revient tel qu’il passa jadis

Dans l’or et le soleil et le vent – sur mes lèvres;

Et je revis alors mille instants abolis

Et leur joie et leur rire et leurs cris et leurs fièvres.

Le passé ressuscite avec un tel désir

D’être encor le présent et sa vie et sa force,

Que les feux mal éteints brûlent soudain mon torse,

Et que mon cœur exulte au point d’en défaillir.

O beaux fruits lumineux en ces ombres d’automne,

Joyaux tombés du collier lourd des étés roux,

Splendeurs illuminant nos heures monotones,

Quel ample et rouge éveil vous suscitez en nous.


XXVI

Lorsque tu fermeras mes yeux à la lumière,

Baise-les longuement, car ils t’auront donné

Tout ce qui peut tenir d’amour passionné

Dans le dernier regard de leur ferveur dernière.

Sous l’immobile éclat du funèbre flambeau,

Penche vers leur adieu ton triste et beau visage

Pour que s’imprime et dure en eux la seule image

Qu’ils garderont dans le tombeau.

Et que je sente, avant que le cercueil se cloue,

Sur le lit pur et blanc se rejoindre nos mains

Et que près de mon front sur les pâles coussins,

Une suprême fois se repose ta joue.

Et qu’après je m’en aille au loin avec mon cœur

Qui te conservera une flamme si forte

Que même à travers la terre compacte et morte

Les autres morts en sentiront l’ardeur!