LES MORTS

En ces heures de soir où sous la brume épaisse

Le ciel voilé s’efface et lentement s’endort,

Je marche recueilli, mais sans vaine tristesse,

Sur la terre pleine de morts.

Je fais sonner mon pas pour qu’encore ils l’entendent

Et qu’ils songent, en leur sommeil morne et secret,

A ceux dont la ferveur et la force plus grandes

Refont le monde qu’ils ont fait.

Ils ne demandent pas qu’une douleur oisive

Se traîne avec des pleurs autour de leurs cercueils.

Ils comprennent la part que l’œuvre successive

Fait à la joie et à l’orgueil.

Leur esprit est en nous, mais non pas pour nous nuire

Et nous pousser, à contre-jour, comme à tâtons.

Leur voix est douce encor alors qu’on l’entend bruire

Mais que c’est nous, nous qui chantons.

Car l’heure est nôtre enfin; et la belle lumière

Et le sol et les flots et les ronflants essaims

Des forces qu’on entend vibrer dans la matière

Sont asservis à nos desseins.

Autres sont pour nos coeurs et les dieux et les hommes,

Autres pour nos esprits le pouvoir et ses lois.

Un nouvel infini nous fait ce que nous sommes

Et met sa force en notre foi.

Bondissez donc, désir humain, puissance humaine,

Aussi loin que vous porte ou la lutte ou l’accord.

Que votre amour soit neuf et neuve votre haine

Sur la terre pleine de morts.