Chapitre 22 : 6e jour

 

 

Lauryn

 

Les ruines de ce qui avait été leur refuge fumaient tristement, exhalant une odeur âcre de défaite. Au matin, les flammes s’étaient tues, étouffées naturellement ou avec un coup de pouce d’énergie élémentaire. Lorsque tout risque fut écarté, Julien, Trystan et Skandar se portèrent volontaires pour s’introduire dans les décombres noircis de la maison incendiée. Regroupés à l’écart, les autres attendirent leur retour dans une angoisse muette. Amélie faisait les cent pas, ses cheveux voletant furieusement autour de sa tête dans des envolées flamboyantes avant de retomber sur ses épaules.

Les trois garçons revinrent au bout de longues minutes, l’air sombre et les épaules voutées. Les yeux noirs de Trystan fuirent ceux de Kim lorsqu’elle l’implora du regard. Julien tenait quelque chose dans la main, qu’ils n’identifièrent qu’après coup. Le cristal de Quentin. Auparavant vibrant d’énergie, d’un rouge-orangé éclatant, il paraissait maintenant terne et vide comme une ampoule usagée.

En avisant le pendentif sans vie, Lauryn porta une main à sa bouche pour masquer son effroi.

— Est-ce qu’il en reste… quelque chose ? demanda Amélie, d’une voix si tendue qu’on l’aurait dite près de se briser.

Si le moindre soupçon de panique l’avait gagnée, elle le dissimulait avec habileté. Son visage n’était rien d’autre qu’un faciès de marbre, impossible à pénétrer. Julien se chargea de lui répondre.

— Presque rien. Quelques restes carbonisés et son sweat qu’il avait laissé dehors. Il n’a pas pu crier pour appeler à l’aide, la fumée l’asphyxiait.

— Il va falloir l’enterrer.

Un silence de plomb accueillit la déclaration de la rousse, tandis que toutes les têtes se tournaient vers elle.

— Ce n’est pas à nous de l’enterrer, lâcha enfin Lauryn. Ses restes doivent être transmis à sa famille pour que ses cendres puissent être dispersées. Comme les deux autres adolescents morts au cours des Vitaltest précédents.

 

La cérémonie des funérailles suivait un rite bien précis, depuis la Guerre Quaternaire, et se reproduisait dans la quasi-totalité des pays. Le corps du défunt était incinéré et ses cendres rendues à sa famille afin d’être dispersées dans un lieu qu’il avait préalablement choisi. Une façon d’être au plus près de la nature, même dans la mort.

Un pli soucieux vint rider le front d’Amélie Debord.

— Je crois que ça ne va pas être si simple.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Amélie observa un nouveau silence qui ne fit que renforcer les inquiétudes des autres.

— Il faut que je vous dise quelque chose que je n’ai compris qu’avec la mort de Quentin.

— Je l’ai compris aussi.

Des murmures étonnés succédèrent à la déclaration d’Amélie et la confirmation de Julien. Ce dernier contemplait la pointe de ses chaussures, morose, le visage fermé.

— Dis-leur, Am’, marmonna-t-il sans lever la tête.

— Qu’est-ce qu’il y a, à la fin ? s’exclama Trystan, refrénant mal l’impatience qui le gagnait.

— Il y a que les jeunes qui passent leur Vitaltest sont surveillés nuit et jour par les unités du Conseil, expliqua Amélie avec réticence. Ils ont mis au point des technologies extrêmement performantes pour s’assurer que nous ne courions pas le moindre risque. Par exemple, si quelqu’un tombe de la falaise, ils déclenchent dans la seconde un vent qui le fait léviter hors de danger. Si malgré toutes ces mesures, un décès se produit, le Test s’interrompt immédiatement. C’est la règle. La Nouvelle Constitution de Tairfeau est claire à ce sujet.

 

Tairfeau. L’île sur laquelle se rassemblaient tous les dirigeants des pays depuis la Guerre Quaternaire. Une puissance qu’il était impossible de braver. Un frisson glacé glissa sur la peau de Lauryn.

— Tu es en train de nous dire que Quentin n’est pas mort dans cet incendie ? demanda Théo, incrédule.

— Impossible qu’il ait survécu, affirma Trystan en passant une main dans ses boucles blondes. Je suis peut-être le dernier à souhaiter sa résurrection, mais je suis formel. Le corps de Quentin est bien à l’intérieur de la maison.

— Ce que ça implique est bien plus grave que ça.

La voix sentencieuse d’Amélie instaura une atmosphère encore plus pesante. Le soleil avait beau briller, haut dans le ciel, et darder ses rayons chauds sur leur peau exposée, ils se sentaient plus que jamais glacés jusqu’à la moelle. Lauryn raffermit sa prise sur le bras de Milly.

— Ça implique qu’il y a un problème dans le système de surveillance du Conseil, ou encore dans son système de transport. Si ça se trouve, quelque chose les empêche d’accéder à cet endroit.

— Ce qui signifie ? demanda Lauryn, sans être sûre de vouloir connaitre la réponse.

Amélie la dévisagea, impassible. Un oiseau sifflota, non loin, perché dans un arbre.

— Ce qui signifie que nous sommes seuls. La récréation est terminée.

 

 

 

À suivre…

 

VITALTEST T2 - SANS LIMITES