Chacune des îles de l’Archipel fonctionnera comme un îlot de résistance à la barbarie dans laquelle sombreront inévitablement de grandes parties de la planète.
On peut les voir comme une armada d’arches de Noé qui assurera la survie de l’humanité sur la mer tumultueuse que deviendra la planète pendant la rationalisation de l’espèce humaine.
Guru Gizmo Gaïa, L’Humanité émergente, 4- L’Exode.
Jour - 7
Lévis, 1h32
Il y avait quarante-trois minuscules taches au plafond. Couchée dans son lit, Dominique les avait comptées méthodiquement. À plusieurs reprises. Il n’y avait rien à faire, elle ne parvenait pas à dormir. Son esprit revenait sans cesse à F.
Elle n’arrivait pas à croire qu’elle ait pu trahir l’Institut. Pas après tant d’années… À moins qu’elle ait été une taupe. Que sa mission ait été d’utiliser l’Institut pour exécuter le travail du Consortium, comme le croyait Hurt.
Par contre, ça pouvait expliquer qu’elle l’ait choisie comme successeure plutôt que de confier la tâche à quelqu’un de plus expérimenté. Blunt, par exemple… Avait-elle préféré quelqu’un de plus manipulable ? de moins susceptible de découvrir son double jeu ?
Ça ne tenait pas debout. Après tout, c’était elle qui avait fondé l’Institut ! Elle ne l’avait quand même pas fondé avec l’intention, dès le départ, d’en faire un instrument du Consortium !… Et si elle n’avait pas trahi l’Institut, la situation était tout aussi incompréhensible. Comment pouvait-elle travailler à un projet commun avec Fogg ? Comment pouvait-elle poursuivre seule un projet élaboré avec lui ?… Une fois Fogg mort et les liens du Consortium avec ses commanditaires tranchés, que pouvait-il bien lui rester à faire ? Et, surtout, comment pouvait-elle espérer se maintenir à la tête du Consortium sans provoquer une fronde des filiales ? Ce n’était sûrement pas en faisant arrêter deux ou trois directeurs qu’elle allait régler le problème…
Un cognement discret à sa porte la tira de ses réflexions. Jutras, un des membres de l’escouade fantôme, venait la prévenir. Les détecteurs de mouvement avaient perçu la présence de deux intrus sur le terrain de la résidence. Il lui demandait de se retirer dans les pièces de sécurité, au sous-sol.
— Ce sera plus facile de travailler si on vous sait en sécurité, fit Jutras.
Dominique accepta de mauvaise grâce. Elle détestait le rôle de spectatrice auquel on la confinait.
BBC, 7h03
… à l’initiative de l’Église de l’Émergence. Une réunion de plus de mille personnes a eu lieu à Hyde Park, hier soir. Cette célébration de la planète, qui a commencé par l’écoute d’un discours de Guru Gizmo Gaïa…
Lévis, 3h17
Une équipe du SPVQ était venue chercher les deux agresseurs. Les policiers s’assureraient qu’on prodigue les premiers soins à celui qui était blessé et ils garderaient les deux hommes en cellule jusqu’à ce que des agents du SCRS aillent les récupérer. Ce serait tout au plus une question d’heures, avait dit Trammel.
Dans la cuisine, les trois membres de l’escouade fantôme prenaient un café. Tous les systèmes de surveillance étaient demeurés activés. Rien ne garantissait qu’il n’y aurait pas une deuxième attaque. Même si c’était improbable. Du moins dans les prochaines heures.
— Ce n’était même pas du sport, dit Jutras en s’adressant à Dominique. Ils n’avaient aucune chance.
— C’est le but de l’existence des systèmes de sécurité, non ?
— C’est quand même dingue, tout le matériel de sécurité que vous avez, reprit Jutras. Et les corridors protégés à l’intérieur des murs ! Je pensais que ça existait seulement dans les films !
Dominique sourit. Elle se rappelait leur incrédulité quand ils avaient ouvert la porte de la remise, au sous-sol, et qu’ils avaient réalisé la quantité d’armes et de matériel de sécurité qui y était entreposée.
— Au SPVM, pour avoir la moitié de ce matériel-là, poursuivit Jutras, il faudrait remplir des papiers pendant six mois. Et encore, on n’aurait même pas le dixième de ce qu’on demande.
Dominique devait faire des efforts pour maintenir son attention sur la conversation. Jusqu’à maintenant, elle avait réussi à garder sa contenance. Mais elle commençait à encaisser le choc.
Quand elle avait accepté de travailler pour F, elle savait que ce n’était pas sans danger. Mais elle avait préféré croire qu’il s’agissait d’un danger théorique. Elle serait cantonnée à du travail d’analyse et de planification, dans un lieu secret et retiré. Rien de vraiment inquiétant… Bien sûr, il y avait eu Massawippi. Mais l’attaque avait d’abord eu des motifs personnels. Xaviera Heldreth voulait venger la mort de Ute Breytenbach. Aujourd’hui, la plupart des protagonistes de l’époque n’existaient plus. Alors, un peu naïvement sans doute, elle avait cru que la situation avait peu de chances de se reproduire.
— Ça va ? demanda Jutras.
— Ça va, répondit Dominique en lui adressant un sourire presque convaincant.
Jutras hésita quelques secondes. Impossible que les événements ne l’aient pas affectée. C’était elle qu’on était venu assassiner. Mais il était inutile de précipiter les choses : si elle n’était pas prête à en parler, mieux valait ne pas insister.
— Vous croyez vraiment qu’ils peuvent remettre ça ?
— Je ne pense pas. Mais pourquoi courir le risque ? Si vous restez dans la chambre de sécurité, au sous-sol, ça m’étonnerait qu’ils puissent vous atteindre.
— Vous pensez sérieusement que je vais m’encabaner au sous-sol ? répliqua Dominique avec plus de vigueur qu’elle l’aurait voulu. Si vous êtes là, c’est précisément pour que je n’aie pas à vivre enfermée et que je puisse poursuivre mes activités !
Les trois hommes la regardaient sans répondre, surpris par l’éclat de cette réaction à retardement.
— Désolée, fit Dominique après un moment.
Puis elle ajouta, sur un ton calme mais déterminé :
— Pas question que je me laisse enfermer.
Fort Meade, 4h23
Tate analysait les rapports en compagnie de Spaulding. Partout, les opérations se déroulaient comme prévu. Les mécanismes de surveillance et de sécurité obéissaient aux nouveaux codes implantés à minuit. Les groupes d’assaut avaient pu en prendre le contrôle en quelques secondes et les désamorcer.
Au même moment, toutes les portes des sites de l’Archipel s’étaient verrouillées. Seules les équipes d’assaut avaient les codes permettant de les ouvrir. Les sites étaient brusquement devenus des prisons. Plus de quatre mille personnes étaient piégées à l’endroit même qu’elles avaient cru le plus sûr.
Tate se tourna vers Spaulding.
— Qu’est-ce que disent les avocats ?
— Que c’est compliqué, que le travail va être long et que leurs honoraires n’en finiront pas de grimper !
L’allergie de Spaulding aux avocats était connue.
— D’accord. Et plus précisément ?
— Ça va dépendre de ce qu’on va trouver sur place.
— Et le fait qu’ils aient tous décidé de se retirer en même temps dans des lieux protégés ? que ça coïncide avec l’intensification des attaques ?…
— Ça reste des preuves circonstancielles. Il faudrait pouvoir prouver que c’est un réseau. Vous avez une idée où on pourrait trouver ce genre de preuves ?
— Logiquement, ce serait dans l’Arche…
— Si cet endroit existe.
Tate poussa un soupir.
— Au moins, dit-il, on a deux cent cinquante-huit personnes dont on peut démontrer l’appartenance aux Dégustateurs d’agonies.
Paris, 11h35
Le fauteuil bulle occupait la plus grande partie de l’écran. Au centre du fauteuil, un visage dont les yeux transperçaient l’écran. Ses mains étaient posées sur le clavier. Une n’avait que trois doigts. L’autre en avait quatre en incluant le pouce.
— Tout s’est passé comme je l’avais demandé, fit la voix de Norm/A. Ils ont récupéré les deux hommes et ils sont partis sans rien examiner.
— Je te l’ai dit, répondit Chamane : on peut faire confiance à mes amis.
— Tu as de drôles d’amis pour un hacker !
— Leur spécialité à eux, c’est tout ce qui est à l’extérieur des ordinateurs. On se complète.
— Tu sais ce qui va leur arriver ?
— Les deux hommes qui étaient chez toi ? Ils vont sûrement être interrogés. Après…
— Il n’est pas question que j’aille témoigner en Cour.
— Je suis certain que ce ne sera pas nécessaire, dit Chamane.
Puis il se dépêcha d’amener la conversation sur un autre sujet.
— L’opération est un succès complet ! À six heures précises, tous les mécanismes de défense ont été éteints et toutes les portes des quarante-huit complexes se sont verrouillées.
— C’est normal, c’est ce qui était prévu.
La jeune femme semblait ne pas comprendre qu’il puisse s’étonner qu’un programme informatique ait fait exactement ce pour quoi il était construit.
— Je sais. Tu as découvert quelque chose sur l’Arche ?
— Non.
— Tu penses toujours que c’est à partir de l’Arche qu’il va déclencher Zéro-bit ?
— Ça serait logique.
Guernesey, 10h38
Norm/A sentait le malaise de Chamane. Comme la plupart des gens, il ne savait probablement pas comment réagir à son infirmité. C’était à elle d’aborder le sujet.
— Comment va Geneviève ? demanda-t-elle.
La question sembla prendre Chamane de court.
— Bien… bien… Pourquoi ?
— Elle n’a pas de problèmes avec sa grossesse ?
— Non. Pourquoi elle aurait des problèmes ?
— Il n’y a pas de raison. Je voulais seulement savoir.
Puis elle ajouta sur un ton convaincu :
— Dis-lui de faire attention à elle et au bébé… Tu promets de lui dire ?
— Oui, bien sûr. Mais…
— Je suis un exemple de ce qui peut arriver quand on ne fait pas attention.
— Ce n’est pas parce qu’il te manque deux ou trois doigts…
— Je n’ai pas de jambes non plus. Il y a des parties de mon corps où je ne sens rien. Il faut que je surveille tout le temps ce que je mange… Dis-lui de faire attention.
Tout cela avait été énuméré sur un ton neutre. Sans récriminations, sans aucune trace de tristesse ou de rancœur. Un simple constat.
Puis elle ajouta avec une gaieté un peu forcée :
— Heureusement, mon cerveau n’a subi aucun dommage.
— Promis, je vais lui dire, répondit la voix de Chamane.
Norm/A se demandait jusqu’où elle devait aller. Elle craignait par-dessus tout de paraître s’apitoyer sur elle-même. En même temps, c’était rare que ça lui arrivait de pouvoir être ouverte et honnête avec quelqu’un. De pouvoir tout dire… Autant aller jusqu’au bout.
— Les enfants avariés ne sont pas très populaires, dit-elle. À ma naissance, j’ai été confiée à une entreprise. Pour mon bien. Des gens qui faisaient des recherches pour améliorer les conditions de vie des infirmes. Par chance, ils se sont aperçus que j’avais des possibilités. Je veux dire que mon cerveau avait des possibilités. À cinq ans, j’ai été prise en charge par Killmore. Il m’a adoptée. Il a tout payé pour moi. Il m’a procuré les meilleurs médecins, les meilleurs traitements… Les meilleurs professeurs… Plus tard, les meilleurs équipements…
— Tu t’es sentie utilisée ?
— Être utilisée n’est pas un problème. Les gens n’adoptent jamais des enfants par grandeur d’âme. Ils le font toujours pour satisfaire un besoin. Ce qui est logique. Parfois, ce sont des besoins qui les honorent. Parfois, c’est pour des besoins morbides.
— Est-ce que tu veux dire que tu te sens moche parce que tu es en train de le remercier en démolissant tout ce qu’il a construit ?
Norm/A sourit. Il n’était pas si bête, finalement. Seulement un peu constipé malgré ses extravagances de surface. Avec le temps, ça finirait par s’arranger. Geneviève avait de la chance.
— Je sais ce qu’il a fait pour moi. Et même si je sais que ses projets sont pires que criminels, j’éprouve un sentiment de dette.
— Pour lui, tu étais seulement un investissement !
— Toutes les relations sont des investissements. Mais mon sentiment de dette ne change rien à la décision que j’ai prise de vous aider, toi et tes amis. Je sais que c’est la seule chose à faire.
Puis, après une pause, elle ajouta sur un ton plus doux, à peine ironique :
— Au fond, toute cette conversation, c’est pour t’offrir d’investir en moi… Un investissement réciproque, évidemment.
Agence France Presse, 12h03
… refuse de commenter l’information selon laquelle le gouvernement du Danemark aurait été prévenu de la menace terroriste visant le Groenland et qu’il aurait négligé d’agir pour des raisons d’économies budgétaires. Dans sa dénonciation, le député de l’opposition demande une évaluation internationale des conséquences de la catastrophe. Disant craindre que…
Paris, 15h47
Blunt avait pris place à bord du train en direction de Londres. Pour passer le temps pendant le voyage, en plus de son jeu de go, il avait apporté de la lecture. Le curieux livre que Moh et Sam avaient trouvé dans la résidence de Brecqhou.
C’était un petit livre au titre énigmatique : L’Humanité émergente. L’auteur était Guru Gizmo Gaïa.
Blunt en était à sa deuxième lecture.
Dans un monde sans repères, l’Arche sera une île de stabilité au milieu du chaos. Le point nodal du cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. La nouvelle île de Pâques. Une île de Pâques ultra-moderne. Autosuffisante. Le centre qui arpente le monde pour lui donner sens et structure. Qui éclaire de sa présence le chaos environnant. Une île qui montre à la planète la voie de l’autosuffisance.
« Une île », songea Blunt en relevant les yeux du livre. Une île qui régit et structure le monde autour d’elle…
Il se souvint alors du nom du yacht qui avait été aperçu quittant l’île de Brecqhou : le Rapa Nui… L’Arche était-elle vraiment un bateau ? Si c’était le cas, c’était nécessairement un bateau immense ! Une nouvelle île de Pâques flottante.
Rien de tel n’avait été décelé par les satellites.
Hampstead, 13h24
Monky les avait accueillis à tour de rôle en les remerciant d’être venus. D’abord Moh et Sam. Puis Blunt.
Ce dernier le reconnut immédiatement. Le fameux adjoint de Horcoff.
Monky sourit.
— Quand nous aurons un moment, j’aurai des choses intéressantes à vous raconter, dit-il.
Puis il s’adressa à l’ensemble du groupe.
— Dominique sera en communication télé avec nous. Ce que j’ai à vous montrer est ma dernière tâche. F m’avait demandé de m’en occuper le plus rapidement possible si elle venait à mourir, mais au moment où cela perturberait le moins les opérations en cours. Je pense que le moment est opportun.
Sans paraître remarquer leurs regards étonnés, il les emmena dans une salle où il y avait un écran au mur. Devant l’écran, Hurt était attaché sur une chaise fixée au sol.
Quand il aperçut Blunt et les deux autres, il se mit à hurler.
— Je le savais ! Vous êtes tous complices !… Je vais vous tuer ! Tous !… Je vais vous écraser !
Il se tordait sur la chaise pour tenter d’échapper à ses liens.
Monky s’accroupit devant lui.
— Je m’adresse à Steel, dit-il sur un ton très calme. Est-ce que Steel m’entend ?
Les autres surveillaient la scène avec un certain étonnement. Après une dizaine de secondes, Hurt se calma.
— Je vous écoute, fit la voix froide de Steel. Mais je ne pourrai pas garder le contrôle très longtemps.
— Si vous écoutez calmement le film que je veux vous montrer, ensuite je vous laisserai aller. Sans condition. C’est une promesse.
— Et eux ?
Hurt avait tourné la tête en direction de Moh et de Sam. Et de Blunt.
— Personne ne m’a jamais empêché de tenir une promesse, répondit Monky sans même regarder les autres.
Le visage de Moh se durcit. Sam souleva légèrement les sourcils. Seul Blunt ne manifesta aucune réaction.
— C’est un message qui vous est d’abord destiné, reprit Monky. F l’a enregistré à votre intention pour le cas où elle mourrait. Elle voulait que vous sachiez la vérité.
— Elle veut manipuler les autres même après sa mort, ironisa Sharp.
Monky sourit.
— F avait raison, dit-il sur un ton très doux. Vous êtes vraiment un imbécile… Mais ça ne fait rien. Vous avez toutes les excuses.
Hurt semblait avoir été touché par la voix, par le calme de Monky. Celui-ci se releva, prit une télécommande et démarra l’enregistrement.
Le visage de F apparut à l’écran. Elle regardait fixement la caméra et semblait un peu nerveuse.
Hurt, cet enregistrement est d’abord pour vous. Si vous l’écoutez, c’est que je suis morte…
Un sourire affleura sur le visage de la femme.
… ou que vous avez cambriolé mes appartements !… Il ne faut pas me regretter. C’est déjà beau que j’aie vécu aussi longtemps.
Elle parlait de sa vie et de sa mort sur un ton serein. Comme s’il s’agissait simplement d’un détail technique à expliquer.
Mon histoire a commencé il y a plus de trente ans. À l’époque, j’étais comme vous : je n’avais aucune idée dans quoi je mettais les pieds. J’étais l’assistante d’un vieux rabbin formé à l’école du Mossad. Il avait pris ses distances avec son pays parce qu’il avait découvert un ennemi qui, loin de menacer seulement Israël, représentait un danger pour l’ensemble de l’humanité. Une organisation qui traversait les frontières… Il a mené avec succès une attaque contre la partie la plus visible de cette organisation : un groupe de gens qui voulait contrôler le commerce mondial du diamant.
Hurt semblait moins sur la défensive, comme s’il se laissait prendre par l’histoire. Le haut de son corps s’avançait maintenant vers l’écran.
Même à l’intérieur de ce groupe, plusieurs ignoraient qu’il y avait derrière eux un groupe plus puissant encore. Qui exerçait le véritable pouvoir dans l’ombre. Un groupe dont il aurait été illusoire de prétendre venir à bout par des méthodes traditionnelles… Et puis, à l’époque, le Rabbin était mourant. C’est pourquoi il a mis sur pied deux projets. Deux projets qui allaient poursuivre son œuvre après sa mort. Deux projets qui devaient se développer indépendamment l’un de l’autre, puis concerter leurs efforts dans la phase finale : l’Institut et le Consortium.
Dans la salle, le silence était maintenant absolu. Tout le monde avait les yeux rivés à l’écran.
J’ai été choisie pour créer et diriger l’Institut ; Fogg, le Consortium. Je devais m’occuper de monter une organisation chargée de mener la lutte extérieure ; il avait pour tâche de monter une structure d’infiltration… L’Institut avait également comme fonction secondaire de valoriser l’existence du Consortium en l’attaquant sans relâche, de sorte que ça faisait un pare-feu commode pour les gens qui détenaient le vrai pouvoir… Évidemment, j’ignorais tout de ce plan et je n’en ai été informée que bien des années plus tard. Par Fogg… Lui, il avait été choisi avant moi. Parce qu’il avait une tâche de plus longue haleine.
Moh regarda Sam. C’était quoi, cette histoire ? Sam sourit et murmura :
— C’est le Rabbin.
Moh hésita puis sourit. Sûr ! Il n’y avait que le Rabbin pour inventer une histoire aussi tordue. Une histoire qui s’étendait sur des décennies et où tout le monde était manipulé tout en ayant l’impression d’être libre.
Vous savez maintenant que ces gens que le Rabbin avait identifiés sont le Cénacle. Le Cénacle est le nouveau nom de ceux qui s’appelaient autrefois le Grand Conseil des Cullinans… Le nom a changé, les personnes ont changé, mais l’objectif est demeuré le même : contrôler la planète. Et, avec l’arrivée de Killmore, ce délire a pris une nouvelle forme : recréer l’humanité sur des bases qu’il juge plus écologiques… Au sens strict, ces gens se prennent pour des dieux. Ils veulent recréer l’humanité selon leurs désirs. Et ils veulent régner sur cette nouvelle humanité.
Hurt était maintenant tendu. Il avait des tics nerveux. Le contrôle de Steel semblait tout de même se maintenir.
S’il s’agissait d’un film, on pourrait écarter ce scénario comme une fabulation grotesque, comme un simple délire paranoïaque. Malheureusement, la paranoïa existe également dans la réalité. Et elle peut frapper les groupes autant que les individus. En l’occurrence, elle a frappé un groupe qui dispose probablement du plus important capital financier de la planète. D’où la difficulté de le contrer.
Ma tâche, malgré toutes ses difficultés, a été la plus facile. Je devais monter une organisation conçue selon une structure en réseau, qui établirait des contacts privilégiés, au niveau intermédiaire, avec les principaux services de renseignements et qui interviendrait de façon décisive dans un certain nombre de secteurs de l’activité criminelle. C’est ce que nous appelions, par commodité, « les excès ».
Fogg, lui, devait mettre sur pied une organisation criminelle qui en vienne à servir de bras armé aux dirigeants du Cénacle. Cela impliquait d’abord qu’il réussisse à se faire remarquer d’eux. Qu’il se fasse accepter. Puis qu’il se rende indispensable. D’où son travail dans les organisations internationales ; puis, une fois leur confiance acquise, son projet de Consortium. Il l’a établi pour les séduire en exploitant leur principale vulnérabilité : leur besoin de tout contrôler. Sur papier, l’idée d’une organisation qui contrôlerait les marges de la société – autrement dit, tout ce qui échappe à l’emprise des lois et des institutions – ne pouvait que leur plaire.
Nos deux projets ont réussi. Mais, dans les deux cas, le succès a été partiel. L’Institut a connu des hauts et des bas. Quant à Fogg, il est toujours resté une partie du Cénacle qui se méfiait de lui. Par ailleurs, notre contrôle sur nos organisations respectives était loin d’être parfait. Fogg n’a pas réussi à contrer certaines initiatives de ses collègues qui visaient l’Institut. C’est ce qui explique le drame de Bangkok, où vous avez perdu vos enfants… l’attaque de Massawippi, où Gunther a été tué…
LCN, 8h44
… de la foule en colère. Le premier ministre a promis des mesures rapides pour régler le problème que constitue la hausse du prix des aliments pour les classes moyennes et populaires…
Hampstead, 13h46
Maintenant, Hurt pleurait. Des larmes coulaient sur ses joues sans qu’il paraisse s’en apercevoir.
Je sais qu’aucune perte ne peut se comparer à aucune autre. Et qu’aucune explication ne peut les compenser. Mais je veux que vous sachiez maintenant qu’ils ne sont pas morts pour rien. Ni eux, ni les autres membres de l’Institut qui ont payé de leur vie le travail que nous faisons.
Quant à moi, je n’ai pas toujours réussi à vous contrôler autant que je l’aurais voulu. Si vous vous souvenez bien, même au début, je n’étais pas très favorable à l’idée de vous confier la mission de Bangkok. J’aurais préféré utiliser des intervenants locaux. Mais je me suis laissée convaincre. Vous vouliez achever ce que vous aviez commencé. Avoir su ce qui allait se produire… De toute façon, c’était une faiblesse de ma part de modifier des plans pour accommoder un agent. La personne qui est responsable de la mort de vos enfants, ce n’est pas vous, c’est moi. De la même manière que je suis responsable de ne pas avoir trouvé un moyen de vous éloigner de Londres, ce qui vous a donné l’occasion de tuer Fogg… Heureusement, je devrais réussir à mener l’opération à terme sans son aide.
Hurt pleurait maintenant à chaudes larmes. Son corps tremblait comme s’il était en proie à une tension intérieure trop forte. Monky s’approcha et lui mit doucement la main sur une épaule.
— C’est presque fini, dit-il.
Ce manque de contrôle sur nos organisations respectives inquiétait Fogg, surtout quand il est devenu évident que l’étape finale approchait. C’est pourquoi il m’a contactée plus tôt que prévu. Collaborer plus étroitement était le seul moyen d’accélérer le processus et d’être prêts à intervenir à temps. C’est aussi pourquoi, il y a quelque temps, je suis partie de Lévis pour aller travailler directement avec lui. Sa santé était vacillante et plusieurs directeurs de filiales commençaient à manœuvrer pour prendre sa place… Je n’avais pas le choix de l’aider.
J’en reviens à vous… Après Bangkok, il était devenu clair que vous aviez à l’intérieur de vous des secrets qui sortaient au compte-gouttes. Probablement parce qu’ils étaient liés à des souvenirs extrêmement pénibles…
Votre ami Chamane vous a beaucoup aidé. Nul doute qu’il puisse continuer à le faire. Ce que je crois, c’est qu’il y a encore, enfermées dans votre inconscient, des informations susceptibles d’être utile dans notre lutte contre le Cénacle. C’est la raison pour laquelle ils vous ont poursuivi de façon aussi impitoyable. Votre existence leur posait un dilemme : d’un côté, ils n’osaient pas vous éliminer, parce qu’ils ne savaient pas ce que vous aviez appris et qu’ils espéraient découvrir d’où venaient les fuites ; mais, en même temps, ils avaient peur de ce qui était emprisonné à l’intérieur de votre esprit et que vous pouviez révéler…
www.lemonde.fr, 13h51
… a fait trois morts et plusieurs dizaines de blessés quand des manifestants ont envahi les locaux où sont conservées les réserves alimentaires d’urgence. La police a procédé à plusieurs arrestations et un couvre-feu a été décrété pour le reste de la semaine.
Hampstead, 13h52
Hurt sentit qu’un phénomène étrange se passait en lui. Ses personnalités devenaient transparentes les unes aux autres. Comme si chacune avait une vue panoramique du groupe. On aurait dit un ballet de miroirs dans lesquels flottaient des personnages.
Hurt lui-même se percevait comme l’ensemble de cette mosaïque de points de vue. Il n’était qu’un regard. Un point de vue qui se déplaçait parmi les plaques de verre. Elles s’illuminaient légèrement lorsqu’il y attardait son regard : il pouvait alors savoir de quelle personnalité il s’agissait ; il pouvait voir les autres comme elle les voyait. Puis, aussitôt qu’il en détachait son attention, elle redevenait transparente.
Au centre, il y avait un espace sombre qui faisait office de cimetière. Des plaques de verre opaques étaient alignées comme des pierres tombales… Ses personnalités endormies. Il savait qu’elles n’étaient pas vraiment mortes. Qu’elles ne disparaîtraient jamais. Elles étaient seulement endormies. Profondément endormies. Il faudrait un cataclysme pour les réveiller. Et, avec le temps, elles deviendraient plus lourdes. De plus en plus lourdes.
Les autres personnalités gravitaient autour d’elles. Avec les années, sans doute, d’autres iraient les rejoindre. Le centre s’alourdirait de ces nouvelles plaques de verre devenues opaques. Les personnalités restantes ressentiraient plus fortement l’attraction du centre. Leurs évolutions se limiteraient à un espace plus restreint.
Hurt avait l’impression de voir à la fois ce qu’il avait été, ce qu’il était et ce qu’il allait devenir. Le tout réuni dans un seul processus.
Seul le Vieux manquait à l’appel. Justement celui qu’il avait toujours ressenti comme une présence extérieure. Même s’il savait que c’était impossible.
— Cessez de vous apitoyer sur vous-même, fit brusquement la voix du Vieux. Vous n’avez absolument plus besoin de moi.
— Mais vous êtes venu ?
— Il faut se dire au revoir convenablement.
— Qu’est-ce qui me dit que vous n’êtes pas le rêve d’un de mes avatars ? d’une de mes personnalités ?… Est-ce pour ça que j’entends seulement votre voix ?
Subitement, Hurt se retrouva sur le banc du jardin, derrière la maison de Massawippi. Cet endroit, qu’il avait d’abord vu en rêve et qu’il avait par la suite découvert dans la réalité, était le lieu où il avait rencontré le plus souvent le Vieux.
— C’est impossible, dit Hurt. Cet endroit n’existe plus.
Le Vieux le regardait en souriant.
— Il va exister aussi longtemps que vous pourrez le recréer dans votre esprit.
Hurt regardait le jardin et la maison. Les deux avaient été détruits dans l’attaque qui avait coûté la vie à Gunther, le mari de F.
— Comme cadeau de départ, reprit le Vieux en souriant, je vais vous révéler une dernière chose.
Hurt était de retour dans l’espace sombre, au milieu de ses personnalités. Au centre, il y avait maintenant une plaque de verre de plus.
— C’est votre douleur, dit le Vieux.
La voix semblait maintenant venir de l’intérieur de lui.
— La douleur d’avoir perdu vos enfants, d’avoir vu mourir Gabrielle, d’avoir tué F par aveuglement… Cette douleur ne vous quittera pas. Elle ne peut pas vous quitter. Mais elle demeurera désormais au cœur de vous-même sous cette forme. Engourdie dans le souvenir. Vous pourrez la visiter à votre gré. Pour l’apprivoiser sans qu’elle vous blesse.
— C’est ça, votre cadeau ?
Le Vieux éclata de rire.
— Non. Ça, c’était un extra pour cultiver mon personnage de vieux sage.
Puis sa voix redevint sérieuse.
— Approchez-vous du centre et regardez les plaques de verre sans vous laisser arrêter par la surface.
— Je ne peux pas faire ça.
— Pourquoi pas ? En rêve, on peut faire tout ce qu’on veut.
Hurt s’approcha et fixa les plaques de verre opaques.
— Concentrez-vous sur la quatrième, insista la voix.
C’était la plus sombre. La plus ancienne, aussi. Hurt en était sûr. Sans savoir pourquoi.
— Ce n’est pas un concours, fit le Vieux. Vous pouvez vous détendre.
Hurt continua de fixer la plaque de verre. Puis, subitement, des signes se mirent à apparaître à sa surface. On aurait dit une ancienne tablette couverte d’hiéroglyphes. Sauf que le texte était parfaitement lisible.
CNN, 9h40
… une émeute s’est produite cette nuit à Washington, dans un quartier populaire. Un édifice à logements a été incendié par la foule quand la rumeur a circulé que certains des résidents étaient atteints de la peste grise. Plusieurs personnes, soupçonnées à tort d’être contaminées par le champignon porteur de la maladie, ont été grièvement blessées…
Hampstead, 14h43
Quand Hurt reprit conscience, il était étendu sur un lit. Au-dessus de lui, les visages perplexes de Blunt et de Monky le regardaient.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Hurt sur un ton très calme.
— C’est ce que nous aimerions savoir, répondit Blunt.
— Vous avez perdu connaissance, ajouta Monky. Vous êtes inconscient depuis près d’une heure.
— Elle a raison, dit brusquement Hurt. F a raison. Il y a en moi des choses que j’ignorais.
Il se redressa dans le lit.
— Je peux avoir de quoi écrire ?
Radio France Internationale, 9h46
… manifestation monstre prévue ce soir à Paris devant l’Élysée. La récente augmentation du prix des carburants pétroliers…
Hampstead, 14h48
Sous le regard intrigué de Blunt et des autres, Hurt alternait entre des périodes pendant lesquelles il gardait les yeux fermés pour retrouver l’espace intérieur où reposaient les plaques de verre, et des périodes où, réveillé, il écrivait les phrases qu’il avait lues.
Après un peu plus d’une demi-heure, il tendit à Blunt ce qu’il avait écrit.
Paris, 16h34
Chamane relisait le texte affiché à l’écran mural.
L’Arche sera à la fois le signe de la Nouvelle Alliance avec la vie et le protecteur des nouvelles sources de la vie. L’Arche sera le lieu où se décide ce qui vit et ce qui meurt. L’Arche sera l’ADN de la nouvelle cellule qui régulera la vie de la planète.
Autour de l’Arche évoluera la constellation des instruments de la cellule : les lieux qui entreposent de l’énergie, les lieux qui contrôlent les interactions avec l’Extérieur, les lieux où sont élaborés et réparés les dispositifs de l’Arche… les lieux responsables des communications…
L’Arche flottera sur l’Océan de la vie, centre mobile, informant l’Archipel, contrôlant son évolution, guidant ses interventions dans le monde extérieur comme le cerveau guide l’organisme.
Le texte s’achevait par un paragraphe totalement incompréhensible. Une sorte de dessin suivait le texte : un carré blanc couvert de traits horizontaux de différentes longueurs et de différentes épaisseurs. Les traits étaient un peu plus épais au centre et ils étaient disposés pour former un ensemble plus ou moins équilibré géométriquement.
Il décida d’appeler Blunt.
— Si tu veux mon avis, dit-il d’emblée, il en a fumé du bon.
— À l’exception du dessin, ça reproduit des pages d’un livre qu’on a trouvé chez Killmore, à Brecqhou, répondit Blunt.
— Alors, ils sont deux à en avoir fumé du bon.
— D’autres commentaires constructifs ?
— À mon avis, il faut chercher un bateau.
— Tu as une idée du nombre de bateaux qu’il y a sur la planète ?
— Tu peux éliminer les bateaux isolés, c’est un groupe de bateaux : l’Arche et sa constellation d’instruments.
— À part les navires militaires, il y a seulement les pétroliers qui voyagent en convois.
— Disposer de deux ou trois pétroliers peut avoir des avantages.
— Tu resterais, toi, sur un pétrolier ?
— Ça peut être un pétrolier aménagé…
— On y a pensé. Mais il faudrait des semaines pour tout vérifier. On n’a pas des semaines. Chaque jour qui passe, ils provoquent de nouveaux désastres. Les manifestations se multiplient et les politiciens sont de plus en plus nerveux.
— Donne-moi une heure.
— Tu penses à quelque chose ?
— Je vais regarder le dernier paragraphe.
— Celui qui est incompréhensible ?
— Oui… Ça me dit quelque chose.
Le texte que Hurt avait découvert en lui était en langage clair, à l’exception du dernier paragraphe, qui semblait codé.
Hurt lui-même ne savait pas ce que c’était. Il se rappelait seulement être tombé sur le livre, au cours de la mission à Bangkok. Il avait rapidement tourné les pages, à la recherche d’un indice. Il ne savait pas comment il avait pu retenir le texte. Et encore moins ce que pouvait vouloir dire le dernier paragraphe.
RDI, 11h03
… l’arrestation de trois journalistes, en plein milieu d’une conférence de presse, continue de faire des vagues. Alors que certains y voient du harcèlement à l’endroit des journalistes qui sont critiques du travail des policiers, d’autres soulèvent des questions sur la grande vulnérabilité des journalistes à la corruption, dans un contexte où leurs conditions de travail se dégradent avec régularité.
Le ministre de la Justice a par ailleurs confirmé que des accusations seraient portées contre les trois journalistes arrêtés et que d’autres cas étaient présentement à l’étude…
Hampstead, 16h11
Blunt était assis dans le petit salon du sous-sol avec Hurt. Monky, Moh et Sam montaient la garde à l’étage supérieur. Compte tenu des attaques contre Dominique et l’amie hacker de Chamane, il y avait toutes les raisons d’être prudent. Jessyca Hunter n’était manifestement pas la seule à vouloir liquider les gens du Consortium.
Hurt était assis dans un fauteuil et il commençait à avoir les yeux cernés. Pourtant, Blunt ne l’avait jamais vu aussi paisible. L’expérience qu’il venait de vivre semblait lui avoir redonné le plein contrôle de lui-même.
Depuis une dizaine de minutes, ils échangeaient, sur un rythme lent, de brèves phrases sur le mode « question-réponse ».
— Les autres personnalités sont encore là ? demanda Blunt.
— Oui. La plupart sont désactivées, mais elles sont encore là.
— Désactivées ?
— Endormies.
— Elles pourraient se réveiller ?
— Oui. Mais ça prendrait quelque chose d’extrêmement dramatique pour qu’elles le fassent.
— Et celles qui ne dorment pas ?
— Elles veillent.
— Elles pourraient intervenir ?
— Elles le pourraient.
— Est-ce qu’elles pourraient prendre le contrôle ?
— Si les circonstances l’exigeaient.
— C’est censé me rassurer ?
— Si elles prennent le contrôle, ce sera avec mon accord. Du moins, ce ne sera pas malgré moi.
Blunt méditait encore la dernière réponse lorsque le logiciel téléphonique de son ordinateur de poche se manifesta.
— J’ai trouvé ! fit la voix de Chamane.
— Tu as trouvé où est l’Arche ?
Blunt mit l’appareil en mode haut-parleur pour que Hurt puisse entendre.
— Je suis le Champollion des temps modernes, reprit Chamane. J’ai trouvé la pierre de Rosette.
— Tu connais Champollion ?
— Man, Champollion est le précurseur des hackers !… Ce que j’ai trouvé, c’est vraiment comme la pierre de Rosette. Le dernier paragraphe reprend le texte du début. En comparant les deux, on obtient une clé de décodage.
— C’est logique, intervint Hurt. J’avais arrêté de feuilleter quand je suis tombé sur du texte que je ne comprenais pas.
— Devine ce que j’ai réussi à traduire en utilisant le code ? demanda Chamane.
— Je te l’ai déjà dit, c’est inefficace de jouer aux devinettes.
— Moi, je fais ça pour t’aider à entretenir ton cerveau. À ton âge…
— D’accord, d’accord… qu’est-ce que tu as traduit ?
— La partie de la murale que je n’arrivais pas à traduire.
— Et… ?
— Il y a quelques phrases et une série de noms de bateaux… Enfin, je pense que ce sont des noms de bateaux. Mais ce n’est pas tout. L’espèce de dessin, à la fin, c’est le plan d’une escadre de bateaux !… L’Arche est une escadre de bateaux !
Fort Meade, 13h46
Tate avait convoqué Kyle et Spaulding pour une réunion d’urgence. Il leur tendit une feuille dès leur arrivée.
— Lisez d’abord ça.
Rapa Nui est l’Arche, au centre de l’Archipel. Il est lui-même un archipel.
Le cœur de l’Arche est le Maké-Maké. Il peut s’autosuffire pendant sept cents nuits et sept cents jours. Il permet aux Tangala Manu de prendre leur envol.
De chaque côté du cœur sont les porteurs du feu qui alimente le cœur. Ils sont au nombre de quatre : Moaï 1, Moaï 2, Moaï 3 et Moaï 4. En cercle autour des Moaïs sont les rongorongo, qui transportent au loin les messages et les foudres de Maké-Maké.
Le Hango Roa se tient juste derrière le Maké-Maké. S’y regroupent les Halu Matu’a de l’Archipel pour rencontrer le Maké-Maké.
Kyle releva le premier les yeux du texte.
— C’est censé nous dire quelque chose ?
— Ce sont des termes de la langue rapanui. La langue des habitants de l’île de Pâques.
Spaulding savait que son patron prenait plaisir à les faire languir.
— D’accord, dit-il. C’est en rapanui… Ça veut dire quoi ?
— Ça décrit ce qu’est l’Arche. Regardez la traduction des termes au bas du texte.
Paris, 22h31
Prose, Blunt, Moh et Sam étaient réunis dans la pièce pour la présentation. Monky était resté en Angleterre avec Hurt. Dominique assistait à la réunion par téléconférence. Chamane avait fait apparaître une liste sur l’écran mural.
— Voici ce que ça donne, dit-il.
Rapanui nom du peuple et de la langue des habitants de l’île de Pâques. Pourrait vouloir dire : « la grande lointaine ».
Maké-Maké principal dieu de la mythologie rapanui.
Moaï nom des géants sculptés dans la pierre.
Rongorongo écriture que l’on a retrouvée sur des tablettes dans l’île de Pâques. Vingt-six tablettes ont été retrouvées.
Hango Roa chef-lieu de l’île de Pâques.
Rano Ranaku carrière d’où est tirée la pierre servant à sculpter les Moaïs.
Halu Matu’a premier roi de l’île de Pâques.
— Si vous remplacez les noms par leurs significations, fit Chamane, et que vous interprétez dans un sens imagé, vous avez là une description d’une escadre de bateaux. Au centre, un porte-avions, d’où s’envolent des hommes-oiseaux. Juste derrière lui, le navire de luxe où les dirigeants de l’Archipel rencontrent le maître de l’Arche. Autour du porte-avions, quatre superpétroliers. À la périphérie, vingt-six bâtiments équipés d’armements et de moyens de communication variés.
— Ça existe, ce genre de flotte ? demanda Prose.
— Il y en a une qui vient de dépasser la pointe de l’Afrique, répondit Blunt. Tate l’a repérée par satellite.
— Il y a combien de navires ? demanda Prose.
— Exactement ce que dit le texte dont parle Chamane. Un porte-avions, quatre superpétroliers, vingt-six petits navires de guerre et de transport…
— J’aurais dû y penser…
Tous les regards se tournèrent vers Prose.
— Son lancement a été annoncé par HomniFuel, dit-il. Une flotte de pétroliers accompagnée de navires armés. Pour se protéger contre les pirates… C’est le déguisement parfait.
— Parfait, acquiesça Blunt.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Sam.
— On attend, répondit Blunt. Pour l’instant, tout est dans les mains de Tate, de Finnegan et des Français.
— Et s’ils résistent ? fit Sam. Avec les moyens qu’ils ont…
— Je sais…
Blunt pensait au projet Zéro-bit, dont Chamane lui avait parlé. Il n’y avait toujours aucune preuve que le projet avait été implanté. Mais, s’il l’avait été, et si c’était ce que l’amie de Chamane croyait…
— Pourquoi on ne communique pas avec eux ? demanda brusquement Chamane. Peut-être qu’il y a moyen de discuter.
Tous les regards se tournèrent vers lui.
— Tu connais un moyen de communiquer avec eux ? demanda Blunt.
— Peut-être.
Il fit apparaître une ligne de symboles à l’écran.
27°09s109°26w
— C’était à la fin du texte, dit-il. Comme si c’était une sorte de signature.
— On dirait des coordonnées de longitude et de latitude, fit Blunt.
— Ce sont celles de l’île de Pâques.
Il fit ensuite apparaître une adresse Internet à l’écran.
www.27d09s109d26w.org
Le site consistait en une page blanche au milieu de laquelle il y avait une icône de téléphone. Chamane cliqua sur l’icône. Une boîte de dialogue apparut. Il y inscrivit les coordonnées de longitude et de latitude.
— Comme il n’y a pas d’autre indication pour le mot de passe, dit-il, ça devrait fonctionner.
UPI, 16h49
… se sont regroupés de façon apparemment spontanée devant la porte de Brandebourg pour manifester leur soutien aux thèses de Guru Gizmo Gaïa. Ils demandent au gouvernement de décréter une réduction immédiate de soixante-quinze pour cent de l’émission des gaz à effet de serre. Le groupe s’est ensuite ébranlé en direction de…
L’Arche, 23h54
Hadrian Killmore se préparait à regagner sa chambre pour la nuit quand la demande de communication s’afficha à l’écran. Après avoir vérifié le mot de passe, il activa le logiciel de communication téléphonique.
Il était anxieux de savoir lequel des deux cavaliers manquants avait survécu. Eux seuls avaient le mot de passe pour le contacter par ce moyen.
— J’aimerais parler à Hadrian Killmore, fit une voix qu’il ne connaissait pas.
Killmore resta quelques secondes bouche bée. C’était quoi, cette mauvaise blague ?
Puis il se ressaisit.
— Je peux savoir qui demande monsieur Killmore ? dit-il.
— Horace Blunt. Est-ce que vous êtes Hadrian Killmore ? Lord Hadrian Killmore ?
Killmore songea à interrompre la communication, mais il brûlait de savoir comment Blunt avait pu découvrir le site Internet qui servait de relais avec l’Arche.
— Monsieur Blunt, fit-il sur un ton cordial. On m’a dit que vous étiez une personne remarquable. Que me vaut cette surprise ?
— J’ai un marché à vous proposer : vous annulez les actes de terrorisme que vous avez ordonnés et votre arrestation se fera sans violence.
— Je suppose qu’il y a un bâton derrière cette carotte… qui est pourtant bien rachitique, soit dit entre nous.
— Si vous refusez, l’Arche sera détruite.
Ainsi, Blunt savait qu’il se trouvait sur l’Arche. Ou, du moins, il le présumait. Il décida de le faire parler pour gagner du temps pendant qu’il affichait une série de documents sur l’écran de quarante-deux pouces auquel était relié son portable.
— Il faut d’abord s’entendre sur qui sont les terroristes, dit-il. Ceux qui détruisent la planète et terrorisent par anticipation les générations futures ? Ou ceux qui veulent empêcher le massacre ?
Il ouvrit un premier document pour vérifier. Il contenait des milliers de lignes d’instructions.
— Empêcher un massacre par un massacre plus grand, répondit Blunt. J’ai de la difficulté à voir la logique.
— Les structures sociales actuelles sont des dinosaures : lourdes, brutales et incapables de s’adapter. Nous avons besoin d’un événement qui soit l’équivalent de la comète qui a fait disparaître leurs prédécesseurs. Il faut libérer de l’espace. Permettre à l’équivalent social des mammifères de prospérer… L’humanité doit réduire sa taille. Les espèces atteintes de gigantisme sont vouées à la disparition. Il faut qu’elle se dote d’un système de coordination global qui soit l’équivalent du cerveau pour l’individu.
À l’écran, l’ensemble des documents avaient été décryptés. Killmore lança le programme de reconstruction. Chacune des parties de chacun des documents serait intégrée à l’intérieur d’un immense programme.
— Je suppose que l’Arche et l’Archipel sont ce cerveau, fit la voix de Blunt sur un ton ironique.
— Seulement son amorce. Ses premiers neurones, si on peut dire… Vous pourriez vous joindre à moi. Il m’est avis que nous aurions des conversations stimulantes.
Paris, 23h09
— Discuter en regardant l’humanité être décimée, répondit Blunt, ce n’est pas l’image que je me fais d’une occupation stimulante.
Il interrogea Chamane du regard. Celui-ci fit non de la tête. Il n’avait pas encore réussi à remonter à l’origine du signal.
Sur l’écran, Chamane tapa quelques mots pour Blunt.
Il change continuellement de relais.
— Pas décimée, reprit la voix de Killmore. Régénérée. Autrement, on s’en va à la catastrophe.
— Je connais votre théorie sur l’île de Pâques, répondit Blunt.
— Vraiment ?
— L’Humanité émergente… Un petit livre écrit par ce qui doit être un de vos auteurs préférés.
— Très beau livre. Un peu bref, mais il va à l’essentiel. Je l’aurais écrit moi-même que je n’en serais pas plus fier !… Ce n’est pas comme ces best-sellers qui déciment nos forêts !
— Il a un seul défaut : les faits sur lesquels il repose sont faux.
— Là, vous m’étonnez.
— Le dépeuplement de l’île n’a pas résulté uniquement de la nature prédatrice de ses habitants. Ils ont eu l’aide de deux des pires excès du capitalisme : la déportation de la moitié de la population vers le Pérou pour effectuer des travaux forcés, et l’élevage industriel du mouton par le Chili, ce qui exigeait le confinement des habitants dans une petite partie de l’île… Évidemment, c’est moins romantique. Et ça supporte moins bien votre thèse !
— L’absence de prédateurs, pour une espèce, se traduit toujours par une prolifération incontrôlée qui est néfaste à l’ensemble du biotope.
— C’est parce qu’ils ont affronté des prédateurs contre lesquels ils ne pouvaient pas se défendre que les Pascuans ont presque disparu. Pas parce qu’ils manquaient de prédateurs ! Et vous, vous voulez reproduire l’expérience à l’échelle de l’humanité !
— Vous soulevez là une question académique intéressante. Mais il est malheureusement trop tard pour en discuter.
Blunt jeta un regard à Chamane, qui secoua de nouveau la tête. Il avait l’air furieux.
— Il me reste quelques instructions à donner, fit Killmore, et la victoire de Gaïa sera irréversible.
— Nous savons où vous êtes, lança abruptement Blunt.
— Vraiment ? Et vous vous contentez de discuter ?… À mon avis, vous voulez surtout gagner du temps.
Blunt jeta un regard à la carte qui se modifiait en continu à l’écran. On y voyait trois triangles approcher d’un regroupement de bâtonnets légèrement renflés dans leur milieu. Au bas de l’écran, un chronomètre énumérait les secondes : -145, -144, -143…
— Nous avons décodé la murale, reprit Blunt. C’est de cette façon que nous avons découvert le site Internet et le code d’accès.
— Astucieux. Mais je ne vois pas ce que cela va vous donner.
— Tous les sites de l’Archipel sont maintenant sous notre contrôle.
— Vous bluffez.
— Vérifiez par vous-même.
Reuters, 18h15
… un projet de loi qui a imposé un gel du prix de l’essence et des céréales. Dénonçant les mesures protectionnistes de ses voisins, qui ont interrompu leurs exportations de blé et de riz…
L’Arche, 0h16
Killmore dut se rendre à l’évidence : il avait perdu le contact avec l’Archipel. Il regarda ensuite sur l’écran, où le programme achevait de se reconstituer.
Puis il éclata de rire.
— Finalement, dit-il, vous allez être un plus grand terroriste que moi ! En neutralisant l’Archipel, vous privez l’humanité de la seule transition plus ou moins ordonnée qu’il lui restait. Grâce à vous, on va avoir la comète, mais sans les abris pour les petits mammifères… Ironique, n’est-ce pas ?
— Vous pouvez encore tout arrêter.
— Au contraire, vous me montrez la voie. J’étais trop timide. Il faut être radical… Si j’arrête, ce sont les autres qui vont continuer. Tous ces petits inconscients qui brûlent le bois de leur maison pour se chauffer en se disant que, quand il n’y aura plus de bois, eux ne seront plus là. So, what’s the problem ?
— Nous savons que vous êtes sur le Maké-Maké. Que vous êtes entouré des quatre Moaïs.
— Vous êtes décidément rempli de surprises ! Mais je vais quand même devoir interrompre notre conversation.
À l’écran, un cercle rouge apparut. À l’intérieur, il était écrit : Program completed.
Paris, 23h18
Blunt avait les yeux rivés à l’écran. Les trois triangles venaient d’entrer dans le cercle où évoluait le regroupement de bâtonnets.
— Vous refusez la discussion ? demanda-t-il sur un ton qui paraissait à la fois surpris et offusqué.
— Il ne faut pas le prendre personnel. Ce n’est pas la discussion avec vous que je refuse : c’est l’existence même de la planète sur laquelle elle se tient. Dans sa forme actuelle, évidemment. Pas en soi.
Puis il ajouta en riant :
— Il faut vous faire à l’idée. Dans quelques instants, nous n’aurons plus aucun moyen de communiquer.
Pendant qu’il écoutait Killmore, Blunt appuya sur un carré bleu dans l’écran tactile.
— Une dernière question, je vous prie, dit-il.
— D’accord, une dernière question… Et c’est parce que je vous aime bien ! J’apprécie les gens qui me désennuient.
L’Arche, 0h19
— Pourquoi le Grand Conseil des Cullinans a-t-il évolué de cette façon ? demanda Blunt.
Killmore éclata de rire.
— Là, vous m’impressionnez vraiment !
Il jeta un regard à l’écran. Au centre du cercle rouge, le mot Zéro-bit avait remplacé « Program completed ».
— Vous allez devoir vous contenter d’une explication sommaire, fit Killmore… Disons que le Grand Conseil était un regroupement de gens riches, imbus de leur supériorité et désireux d’exercer le plus grand pouvoir. Des sortes de Bush ou de Cheney, mais avec une dimension planétaire.
Tout en l’écoutant, Blunt avait les yeux rivés sur le diagramme vidéo. Les trois triangles étaient maintenant presque au cœur du cercle.
— Puis Whisper est venu. Lui, il avait une vraie vision : utiliser le pouvoir à une fin plus noble que son simple exercice. Une fin plus noble que le simple plaisir d’amasser de l’argent et de contrôler les autres : faire émerger le cerveau collectif de l’humanité ! J’ai traduit cette vision dans un projet opérationnel.
Killmore appuya sur l’écran, au centre du cercle rouge, où le mot « Zéro-bit » avait commencé à clignoter.
— Maintenant, il faut vraiment que je vous quitte.
À l’écran, le mot « Confirmation » avait remplacé « Zéro-bit ». Il cliqua sur le mot.
Paris, 17h20
Chamane était en communication simultanée avec Norma/A et plusieurs des U-Bots. Ils surveillaient le trafic sur les autoroutes du Net. L’ensemble des données recueillies par le groupe était compilé par Chamane et représenté sur une mappemonde couverte de lignes représentant les principales artères du Net. L’épaisseur des lignes indiquait la densité du trafic.
Leur tâche était également de repérer les cibles qui seraient attaquées. Ce seraient des sites cruciaux pour les échanges internationaux. En tête de liste venaient la Bourse de New York et de Londres, celle de Chicago pour les denrées, les principales agences d’information, les banques de données de certains ministères des pays du G8, plusieurs grands médias… La liste n’était pas exhaustive, mais Norm/A n’avait pas pu faire mieux. Sa discussion avec Killmore remontait à plus de quatre ans et elle n’avait jeté qu’un œil rapide sur le tableau des points d’attaque qu’il lui avait montré. Par ailleurs, Killmore pouvait très bien avoir modifié la liste depuis. Ou même avoir abandonné le projet. Même si ça cadrait parfaitement avec sa volonté de désorganiser la planète pour la plonger dans le chaos.
Au début, Blunt ne croyait pas que cette partie du plan, l’attaque contre des sites particuliers, constituait un danger important. Il avait fallu que Chamane lui rappelle la quantité de hackers qui travaillaient maintenant pour le crime organisé ou pour des États qui s’adonnaient à la guerre informatique. Avec un tel réservoir de main-d’œuvre, il n’était pas impensable que Killmore ait pu se recruter une armée personnelle. Et il n’était pas non plus impensable que cette armée dispose d’une force de frappe suffisante pour réaliser un tel plan. Au moins en partie.
Sur la mappemonde, différents points se mirent à gonfler, dont celui qui était situé sur la pointe de l’Afrique. Puis les lignes qui en partaient se mirent à épaissir.
— Ça y est, dit Chamane en regardant Blunt.
Fort Meade, 17h20
Tate regardait la progression des trois appareils sur l’écran. Il écoutait depuis le début la conversation de Blunt avec Killmore.
Quand il entendit Chamane dire « Ça y est », il ouvrit un micro et dit simplement : « Go ». Même si les trois avions n’étaient pas encore tout à fait à la distance idéale. Il n’y avait plus un instant à perdre.
— Premier colis livré, fit brusquement une voix.
— Deuxième colis livré, fit presque simultanément une autre voix.
Tate tourna les yeux vers un autre écran qui montrait une image satellite de la flotte de Killmore.
— Troisième colis livré, fit une autre voix.
L’instant d’après, la lumière d’une série d’explosions masquait l’image de la flotte.
Lorsque les explosions cessèrent et que la flotte redevint visible, elle semblait intacte.
L’Arche, 0h21
Tous les écrans et tout le matériel informatique de la pièce s’éteignirent.
Les génératrices d’urgence prirent la relève. Les lumières se rallumèrent, mais les écrans restèrent noirs. La plupart des programmes avaient été effacés par la forte décharge magnétique à laquelle les ordinateurs avaient été soumis.
Dans son fauteuil, Killmore n’avait pas perdu son sourire. Zéro-bit n’avait pas seulement une composante informatique. Il avait eu le temps d’envoyer les messages pour activer la deuxième composante.
Paris, 23h21
Chamane se tourna vers Blunt. Il souriait.
— Ça fonctionne, dit-il.
Sur l’écran devant lui, les points et les lignes qui avaient gonflé étaient en voie de retrouver une épaisseur normale.
— À quelle sorte de dégâts faut-il s’attendre ?
— Probablement pas grand-chose. L’attaque n’a duré que quelques secondes. Les explosions ont probablement bousillé l’ordinateur qui la commandait.
Fort Meade, 17h21
Tate avait suivi la discussion entre Blunt et Chamane. Ça voulait dire que les bombes à fort rayonnement magnétique avaient fait le travail. Les navires de l’Arche étaient maintenant sans moyens de communication. Tout au plus pouvaient-ils disposer de transmetteurs traditionnels. Ça voulait également dire que toutes leurs armes reposant sur un contrôle par ordinateur étaient devenues inopérantes.
Restait à les arraisonner. Et à voir ce qu’il leur restait d’armes pour se défendre.
La voix de Blunt l’arracha à l’écran.
— Tate ?
— Oui ?
— On en est où, sur le deuxième front ?
— Tous les endroits les plus névralgiques sont protégés.
C’était le deuxième volet du plan Zéro-bit : la destruction des infrastructures physiques du Net. Une attaque contre les principaux nœuds et les principales lignes à très haut débit du réseau.
Personne ne savait si Killmore avait donné suite ou non à cette partie du plan. Et, si c’était le cas, s’il avait eu le temps d’envoyer le signal de le mettre en action. D’ici quelques heures, on devrait savoir à quoi s’en tenir.
www.cyberpresse.ca, 19h15
Le Manitoba ne répond plus !… À 19 heures 04, ce soir, presque toutes les communications Internet avec le Manitoba ont été coupées. Une explosion a détruit un nœud central de l’autoroute informatique situé à Winnipeg et…