Indécente amante royale
Lola Montez, avant de devenir une des plus célèbres courtisanes de son temps, est née en 1821 à Limerick, à une époque où l’Irlande étant intégralement rattachée au Royaume-Uni.
Les origines de Marie Dolores Eliza Rosanna Gilbert, son véritable patronyme, sont donc bien éloignées de tous les fantasmes sur sa filiation espagnole, qui ont pourtant été entretenus pendant toute sa carrière.
Son père étant un membre haut gradé d’un régiment d’infanterie, l’enfant passe la majeure partie de son enfance en Inde, dans les colonies britanniques, pour la plupart riches et opulentes. Malheureusement, ce ne sera pas le cas de la province où la famille Gilbert est envoyée : à cause de l’humidité, du paludisme, et des conditions de vie, il ne faut que quelques mois après leur installation pour que le capitaine trépasse, laissant derrière lui une veuve et une petite orpheline, Marie Dolores. Le choléra l’emporte ainsi en un rien de temps ; seul son dernier souhait sur son lit de mort subsiste : Mme Gilbert épousera le lieutenant Craigie, meilleur ami du couple, qui deviendra par la même occasion un père de substitution pour sa progéniture.
Mais, au grand dam de Craigie, la petite Dolores, qu’on affuble désormais de son diminutif, Lola, est un véritable petit enfant sauvage, l’éducation à l’indienne étant bien loin de l’enseignement strict des internats anglais ! De toute façon, le militaire n’arrive pas à maîtriser sa belle-fille et l’ex-Mme Gilbert miroite de grands projets de vie pour Lola, qui n’a pourtant même pas dix ans ! La petite fille doit devenir une jeune femme belle et distinguée, comme sa mère, pour faire un mariage plaisant qui saura profiter à toute sa famille : voilà donc que Lola est envoyée en Écosse puis en Angleterre, afin de faire sa scolarité dans les meilleurs pensionnats britanniques…
Les années passent, et, finalement, la jeune femme finit par se ranger et par devenir la plus agréable et docile des adolescentes, pour le plus grand plaisir de sa famille… du moins, en apparence.
À seize ans, Lola est appelée par sa mère, qui lui annonce qu’elle est désormais fiancée à un riche prince indien, juge de la Cour Suprême de Calcutta, milliardaire et, accessoirement, âgé de soixante-deux ans, et qu’il est temps pour elle de faire son retour dans les colonies britanniques ; mais la jeune femme a gardé au fond d’elle ce caractère indomptable d’enfant sauvage : n’ayant que faire des désirs de sa mère, elle part donc vivre une idylle tumultueuse avec un certain lieutenant Thomas James, rencontré sur le bateau qui la ramenait aux Indes. Mais le couple se sépare cinq ans après à Calcutta, sans que la raison précise nous soit aujourd’hui parvenue : néanmoins, il ne fait aucun doute que le tempérament de feu de la jeune femme et les aventures qu’elle cultive pendant les absences de son époux militaire y sont pour quelque chose.
Quoi qu’il en soit, Lola Gilbert n’est nullement attirée par la vie indienne que mènent sa mère et son beau-père, Craigie. C’est pourquoi la jeune femme, en 1843, alors qu’elle a vingt-deux ans, retourne s’installer en Angleterre, et plus précisément à Londres, où elle fait ses débuts en tant que danseuse grâce à un certain Charles Lennox, dandy des plus en vue à l’époque, qui devient son amant et use de son influence et de son vaste carnet d’adresses pour lui ouvrir les portes du grand monde. L’Irlandaise devient alors Lola Montez, une danseuse espagnole… Aux yeux de tous, ses origines latines ne sont l’objet d’aucune discussion, avec un tel pseudonyme ! Sa naissance dans le comté grisâtre et froid de Limerick est très vite oubliée… Elle se donne complètement dans ce nouveau rôle, allant jusqu’à faire un séjour de plusieurs mois à Séville pour y apprendre les danses locales et peaufiner son personnage de danseuse exotique.
Néanmoins, sa carrière ne commence pas sans heurts : ainsi, à Londres, en juin, alors qu’elle se produit sur scène et qu’elle danse de la manière sensuelle, si caractéristique de l’Espagne du XIXe siècle, un scandale explose. Lola Montez est reconnue comme Mme James… Son divorce n’ayant pas été prononcé, quelle honte pour elle de s’agiter ainsi, voluptueuse et érotique, devant un public ! Mais contre toute attente, ce tapage ne met pas fin à sa carrière, loin de là, car la danseuse est splendide, mais surtout déterminée ; après avoir vadrouillé dans différentes cours d’Europe et connu un certain succès en Pologne, la vie de Lola Montez est lancée : elle est propulsée sur le devant de la scène des plus célèbres établissements du continent, et, belle comme elle est, la demoiselle en profite pour s’attirer les faveurs d’hommes puissants du monde artistique de l’époque. C’est ainsi qu’à Paris, elle devient l’amie d’Alexandre Dumas et l’amante de Franz List, un compositeur autrichien et pianiste virtuose, cette liaison restant cependant éphémère en raison du caractère épouvantable de Lola qui a tôt fait de faire fuir le musicien, dont les nerfs fragiles s’accommodent mal du manque de délicatesse de la demoiselle. Est-ce pour son talent ou pour sa beauté qu’elle devient si célèbre ? Ses multiples liaisons ne laissent que peu de doute quant à la réponse…
Toujours est-il qu’en 1844, un an après le scandale londonien, Lola est à Paris ; mais, en dehors de ses relations amicales, artistiques ou amoureuses (souvent les trois à la fois), le succès n’est pas au rendez-vous. Sans doute la capitale française est moins sensible aux charmes pourtant délicieux de la prétendue danseuse espagnole… ou simplement plus conservatrice, car les théâtres sont peu enclins à la laisser se dénuder et lever sa jambe. Les théâtres lui ferment même leurs portes après un nouveau scandale, la jeune femme ayant décidé de danser sans maillot au Théâtre Saint-Martin suite à une crise de jalousie de son amant de l’époque, le journaliste Alexandre Dujarier, à qui elle entend bien donner une leçon. Cela n’empêche pas Lola, toujours audacieuse, à persister pendant un temps ; mais c’est seulement à la mort d’Alexandre Dujarier, lors d’un duel, qu’elle décide de quitter à Paris. Et, étonnamment, le duel n’a aucun lien avec elle ; si la scandaleuse jeune femme a bien des défauts, elle n’a au moins pas celui de conduire un homme à sa mort par amour.
Lola Montez, qui a goûté à la vie luxueuse de courtisane et s’imagine volontiers en Pompadour des temps modernes, s’en va donc pour Munich, où, en 1846, elle se produit sur scène devant Louis Ier de Bavière : une des plus indécentes histoires d’amour et de pouvoir du siècle peut débuter. Le souverain est immédiatement frappé, non par ses talents de danseuse, mais par la beauté de cette si fraîche et si somptueuse femme ; le mythe veut même que, lors de leur première rencontre officielle, en dehors du théâtre où elle danse, le roi aurait été jusqu’à lui demander, fasciné, si sa poitrine était authentique ! L’artiste espagnole aurait alors répondu qu’il n’avait qu’à déchirer ses vêtements pour le vérifier par lui-même. Une légende pas si invraisemblable que ça, quand on connaît la personnalité ardente de la jeune femme.
Malgré leur différence d’âge de 37 ans, Louis Ier et Lola commencent à entretenir une liaison : fou amoureux, le souverain, sourd à l’opposition de son peuple qui siffle chacune des apparitions de la danseuse et de son gouvernement, la couvre de cadeaux et lui offre un château ; voilà que Lola, l’Irlandaise issue d’un pauvre comté, devient Baronne Rosenthal et Comtesse de Lansfeld, un présent du roi qui se veut également un avertissement contre les détracteurs de sa favorite, prouvant qu’il ne cèdera pas devant les pressions. Mais le temps qu’elle passe près de Louis ne lui sert pas seulement à être couverte de présents et de richesses ; la danseuse est libérale, a des principes nouveaux bien arrêtés, loin de la monarchie conservatrice et des Jésuites. La Montez n’a pas l’intention d’être une courtisane de bas étage, mais bel et bien d’user et d’abuser de son influence pour remanier politiquement l’intégralité du pays. C’est ainsi que, pendant plus d’un an, aux côtés du roi de Bavière, elle exerce un véritable pouvoir politique dans l’ombre de son amant.
Malheureusement, Lola semble avoir oublié qu’elle est loin de plaire à tout le monde… La population munichoise, qui la déteste à cause de ses éclats de colère, de ses manières et de ses origines, et le gouvernement, qui n’apprécie pas de voir son pouvoir remis en cause, n’ont qu’une envie : la voir déchue de ses titres, et loin de leur pays. Le peuple gronde souvent jusque sous les fenêtres de la favorite, et le gouvernement tente même d’acheter son départ, ce qu’elle refuse, persuadée que son pouvoir sur le roi est trop grand pour qu’elle songe à abandonner une place si avantageuse. En 1848, de nombreuses révolutions estudiantines éclatent et en mars de la même année, le souverain est contraint d’abdiquer tandis que Lola est littéralement jetée hors du royaume. Il ne fait aucun doute que les décisions prises par la danseuse à l’ombre du trône et la relation amoureuse qu’elle a entretenue avec le roi Louis Ier, pourtant si populaire avant sa venue, sont à l’origine de l’abdication du pouvoir bavarois…
Les conséquences sont d’un tel événement sont nombreuses pour l’impérieuse femme : elle perd ses titres de noblesse, la naturalisation bavaroise que lui avait octroyé son royal amant, et surtout, elle se voit contraire de fuir le pays, tant ses détracteurs la poursuivent et sont avides de vengeance. À la fin de l’année 1848, c’est donc un nouveau tour de l’Europe qu’entame Lola, mais cette fois, ce n’est pas pour son succès, mais pour sa survie. Seule sa terre natale britannique l’accueil à bras ouvert, ou presque.
Très vite, sans doute pour se remettre de son échec sentimental et de l’humiliation que lui a fait connaître Louis Ier, elle se marie avec un certain George Trafford Heald, un jeune officier de cavalerie britannique. Décidément, la Montez a un faible pour les militaires ; et c’est d’ailleurs le souvenir de son premier époux, lieutenant, qui ressurgit lorsqu’elle s’unit à Heald. Ainsi, les termes de son premier divorce sont clairs : aucun des deux époux ne pourra se remarier tant que l’autre sera en vie. Et aucune exception n’est possible… Voilà donc que Lola, pour échapper à un procès pour bigamie, est obligée de fuir son propre pays, accompagnée de son nouveau presque époux. Mais deux ans plus tard, son tempérament de feu a raison de son idylle : le couple se sépare et, George meurt noyé dans des conditions mystérieuses. Si Lola Montez a une quelconque responsabilité dans cette mort, nous ne le saurons malheureusement jamais.
L’Europe n’a décidément rien offrir à l’artiste déchue : ce sont donc les États-Unis qui deviendront sa terre d’asile et qui lui serviront à réhabiliter son image. Pour débuter, c’est d’ailleurs sa propre histoire qu’elle joue et qu’elle danse de 1851 à 1853, dans une pièce intitulée Lola Montez in Bavaria. Les Américains, bien plus friands de scandales que les Européens, et bien moins conservateurs, se réjouissent de la venue de cette prétendue espagnole qui vient leur importer la mode, la politique et la danse à l’européenne. Mais, une nouvelle fois, c’est un échec amoureux qui la pousse à changer de continent : en 1855, c’est l’Australie qui accueille la tumultueuse femme, maintenant âgée de trente-deux ans.
C’est ainsi que la Montez décide de poursuivre sa carrière : en dansant pour les mineurs, épuisés par la Ruée vers l’or des années 1850. Mais, lorsqu’elle se rend à Sydney, la capitale, ses levers de jambe ne plaisent plus à personne : on la juge scandaleuse, outrageante, sans aucun respect pour la morale et l’ordre publics. Suite à l’une de ses danses les plus impudiques, la fameuse « Danse de l’Araignée », pendant laquelle elle remonte ses jupons de manière extrême, on va même jusqu’à dire qu’elle ne porte pas de sous-vêtements sous ses tenues de danseuse… Une simple rumeur, dit-on désormais. Toujours est-il qu’en 1856, Lola reprend la route de San Francisco, pour finir ses jours en Amérique.
Dans ses dernières années, Lola abandonne la danse et le théâtre : elle désire désormais se consacrer à l’écriture, celle de l’histoire de sa vie et de ses aventures. Reconnue aux États-Unis comme la « première femme politique européenne », ses romans et conférences sont très bien accueillis. Pourtant, alors qu’elle n’a que trente-sept ans, l’ancienne artiste est de plus en plus malade : l’abus de tabac et la syphilis entament peu à peu sa santé.
Au milieu de l’année 1860, un accident vasculo-cérébral la paralyse en partie, et, en décembre, c’est une pneumonie qui la terrasse.
Lola Montez finit sa vie, dans l’anonymat de l’immensité de New York ; l’aventurière, qui a été tour à tour danseuse, courtisane, femme politique, actrice et écrivaine, meurt le
17 janvier 1861, à Brooklyn, dans une maison triste et sombre.
La célèbre et indécente redevient, comme quarante ans auparavant, Marie Dolores Eliza Rosanna Gilbert, une petite Irlandaise.