ÈVE

Tentatrice

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul, donnons-lui une aide semblable à lui (…) Alors il fit tomber sur l’homme un sommeil profond et il s’endormit ; il prit une de ses côtes, ferma l’emplacement avec de la chair. Et tous deux, l’homme et sa femme étaient nus, mais ils n’en avaient pas honte »

(Genèse, chapitre 2)

Si Henri Jeanson a fait dire à un de ses personnages
qu’« À partir du jour où Dieu a mis l’homme en présence de la femme, le paradis est devenu un enfer », on peut affirmer qu’il était mauvaise langue. Rien dans la Bible ne nous permet de tirer cette conclusion si pessimiste. Si lors de la campagne d’Égypte, Napoléon Bonaparte était allé jusqu’à penser cela, peut-être que l’insouciante Joséphine ne serait pas devenue plus que reine d’Italie et que la France n’aurait pas connu sa plus célèbre impératrice.

Selon la Genèse, Ève une femme admirable, la plus belle et la plus aimante. Surtout, elle fut la première d’entre elles.
Elle était seule, et sa solitude lui donnait des airs d’ingénue
aspirant à être protégée.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : la Genèse nous raconte alors la venue d’un terrible serpent qui va tenter la femme et l’inciter à manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Elle croit ce fruit bon à manger, agréable aux yeux et désirable. Surtout, le serpent lui promet qu’elle et Adam seront comme des dieux : intelligents et lucides.

Elle en mange donc et en offre à Adam… Par cet acte, Ève provoque le premier (mais pas le dernier) scandale de l’Humanité et vient de rompre à jamais le calme du jardin d’Éden et de provoquer la colère de Dieu.

Il paraît que les deux premiers êtres humains acquièrent ainsi la conscience de leurs actes, voient qu’ils sont nus et se font alors des ceintures de feuilles de figuier cousues entre elles. La pudeur est née. Il n’en suffit pas plus pour que le Créateur appelle Adam et l’interroge sur ce qui va devenir le premier péché de l’Histoire.

« C’est la femme qui m’a donné le fruit que j’ai mangé » répond Adam, et Ève, qui est devenue plus franche depuis que son corps est couvert : « Le serpent m’a séduite et j’ai mangé ». Chacun rejette la faute sur un autre, mais le mal est fait.
Dieu les maudit un à un, qu’ils soient serpent, homme ou femme, et les renvoie tous du Jardin d’Éden. Alors tombe sur eux une pluie de malédictions qui se transmettront de génération en génération.

Le travail de l’historien est de s’interroger sur la chronologie de la Genèse. On nous dit plus loin : « L’homme connut Ève, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn. Elle enfanta encore Abel, son frère ; et Abel fut pasteur de troupeaux tandis que Caïn cultiva la terre ». Toute l’humanité descendrait donc de ces deux hommes, Caïn et Abel, qui n’eurent point de sœur.

La Genèse aurait-elle omis de citer cette sœur providentielle qui nous vaudrait d’être issus de ce rapprochement, certes nécessaire, mais incestueux ? Ou s’il n’a rien omis, doit-on conclure que l’un des frères aurait abusé de sa mère ? Le voilà bien, le péché originel. Peut-être que la jalousie entre Abel et Caïn ne vient pas véritablement de ce que la Genèse nous raconte, à savoir que Caïn aurait sacrifié « des fruits de la terre » à Dieu, et Abel « un des premiers-nés de son troupeau », et que le Créateur n’aurait porté un regard favorable que sur l’offrande d’Abel.

Se pourrait-il que les raisons qui ont poussé Caïn à tuer Abel soient la jalousie, le désir de posséder seul sa mère pour donner une descendance aux premiers hommes ? La Bible nous dit que « Caïn connut sa femme » et qu’il eut une descendance. Mais d’où vient cette femme ? Si l’on s’accorde sur le fait que l’Humanité biblique descend d’Adam et Ève et que seule cette descendance peut recevoir le salut divin, l’historien comprend alors à quel point la réponse à cette question est fondamentale.

Si la femme de Caïn n’est pas de la descendance d’Ève,
l’intégralité des croyances chrétiennes est ébranlée. Que la femme de Caïn soit en réalité Ève ou que la descendance de Caïn vienne effectivement d’une sœur providentielle qui n’est pas mentionnée dans les écrits, il s’agit là du premier inceste de l’Histoire, et du deuxième scandale de la descendance d’Ève,
la tentatrice.