Le juge d’instruction n’avait pu se résoudre à prononcer un non-lieu, malgré les efforts de maître Wouters, trop d’éléments restant dans l’ombre ; il avait inculpé François Ribeyrol de meurtre sur la personne d’Arnaud Fabre d’Estival. L’assassinat, avec préméditation, n’était pas envisageable, la légitime défense n’était pas formellement établie ; il laissa à la cour le soin d’en décider. C’était, en fait, un compromis : s’il avait retenu le scénario le plus défavorable à François, il aurait dû, en toute logique, l’inculper aussi pour le meurtre de Juliana, et inculper son fils Hugues pour faux témoignage ; mais cela aurait été déjà une manière de se prononcer sur les faits, et ce n’était pas de son ressort.

Un élément supplémentaire, survenu au cours de l’instruction, l’y avait poussé. Une actrice, dont le public et les metteurs en scène avaient un peu oublié le nom, était présente à la réception à Versailles, et elle y vit une occasion de renouer des contacts avec la presse. Elle raconta notamment, à un premier journaliste, qu’elle avait été surprise de voir Hugues presser son père de rentrer tôt à la maison, alors que François semblait s’y plaire. Devant l’intérêt que ce premier journaliste puis un second manifestèrent, elle comprit qu’elle tenait là quelque chose, et elle insista sur ce détail à chaque nouvelle interview ; cela faisait des années qu’elle n’en avait plus donné autant.

– Pour quelle raison l’a-t-il fait, d’après vous ? lui demandait-on.

– Ah, mais je ne sais pas, ça m’a étonnée, c’est tout…, susurrait-elle, jouant toujours parfaitement les ingénues.

Les lecteurs pouvaient imaginer une réponse à cette question, à moins que le journal ne la leur suggère : Hugues avait peut-être une idée sur ce que son père risquait de trouver en arrivant chez lui plus tôt que prévu ; et cette idée lui plaisait peut-être beaucoup. Il exigea et obtint un droit de réponse, sec et méprisant, dans un magazine à sensation qui avait écrit quatre pages, pleines d’insinuations fielleuses, sur l’affaire ; le résultat fut que des journaux plus sérieux, qui n’y avaient pas prêté attention jusque-là, relatèrent et le droit de réponse et les insinuations.

C’était décidément un homme qui semblait cumuler les bourdes. Dès le premier jour, il s’était aliéné le procureur, alors que celui-ci aurait pu influer, discrètement, sur le cours de l’instruction et éviter le renvoi devant la cour d’assises. L’indépendance du juge d’instruction, notion souvent fluctuante, était plutôt en phase de reflux, depuis que la Constitution de la Ve République avait renforcé le rôle du Président, aux dépens du Conseil supérieur de la magistrature ; François Ribeyrol avait des amis haut placés, capables d’intervenir auprès du ministère, et donc auprès du parquet dont le procureur dépendait ; enfin, le contexte politique s’y prêtait, l’appartenance d’Arnaud Fabre d’Estival à l’OAS n’incitant pas le pouvoir à voir en lui une malheureuse victime. L’attentat du Petit-Clamart, fomenté par l’OAS, était dans toutes les mémoires ; son organisateur, Jean Bastien-Thiry, avait été fusillé l’année précédente.

Le juge d’instruction ne convoqua pas l’actrice, estimant qu’elle avait déjà dit tout ce qu’elle savait, et même un peu plus, dans les journaux. Mais, ses déclarations s’ajoutant au reste, rendre une ordonnance de non-lieu lui aurait paru faillir à sa mission ; de plus, cela aurait été mal perçu par le public. Les journalistes qui se pressèrent à Versailles, dès la première audience de la cour, lui donnèrent raison sur ce point.

L’affaire passionnait le public par la personnalité des parties en cause, vivantes ou mortes, et aussi par sa complexité ; beaucoup d’éléments pouvaient être interprétés aussi bien dans un sens que dans le sens opposé, les journaux brodaient dessus, et chacun se faisait son opinion propre. Ainsi, Guillaume Fabre d’Estival, le père d’Arnaud, s’était constitué partie civile contre François Ribeyrol, pour laver la mémoire de son fils – il avait des défauts mais ce n’était sûrement pas un assassin, déclara son avocat ; les parents de Juliana, eux, ne le firent pas. Certains estimaient qu’ils croyaient au récit de leur gendre (gendre qui se trouvait être plus âgé qu’eux) ; d’autres qu’ils n’y croyaient pas et pensaient qu’il avait tué Juliana, mais qu’ils ne voulaient pas se brouiller avec lui pour préserver leurs relations avec leur petite-fille ; d’autres enfin qu’ils n’y croyaient pas, mais qu’ils ne voulaient pas que la justice aille trop fouiller dans la vie de Juliana, craignant, voire sachant, ce qu’elle y découvrirait. Victime, amant, intrigante, voyou, épouse fidèle, héros, mari jaloux, fils gaffeur ou machiavélique : c’était comme un vaste jeu de cartes où l’on pouvait piocher à sa guise et composer une famille ou une autre.

L’une des plus grandes surprises que l’affaire réserva fut l’avocat, maître Ozanne, que Guillaume Fabre d’Estival choisit pour le défendre, ou plutôt pour défendre la mémoire de son fils. Cet avocat était non seulement de gauche, anticolonialiste, mais il avait défendu des « porteurs de valises » du réseau Jeanson : ces intellectuels qui avaient aidé des membres du FLN algérien en transportant pour eux de l’argent et des faux papiers. Donc, les bêtes noires des partisans de l’Algérie française, les ennemis jurés de l’OAS ; et pourtant, il avait demandé à l’un de leurs partisans de défendre son fils. Maître Ozanne avait été difficile à convaincre. L’année suivante, il se trouva qu’André Mandouze, universitaire et latiniste lui aussi, mais également proche du FLN pendant la guerre d’Algérie, et encore chrétien convaincu, avait rejoint Fabre d’Estival à la Sorbonne. Certains en déduisirent qu’ils se connaissaient déjà, que Mandouze était intervenu à sa demande ; qu’il avait peut-être fait valoir à Ozanne l’occasion qui s’offrait, par son intermédiaire, de tendre la main à leurs adversaires, d’ouvrir la voie du pardon, de panser des plaies encore béantes dans la société – mais ce n’étaient que des spéculations, basées sur les circonstances. En tout cas, Ozanne avait fini par accepter ; comme souvent, quand on ne comprend pas un choix, beaucoup estimèrent que c’était « très habile » de la part de Fabre d’Estival – sans savoir au juste en quoi c’était très habile.

On débattit beaucoup des deux questions principales, l’effraction et le revolver. Les gendarmes vinrent témoigner, à la barre, qu’Hugues Ribeyrol les avait rapidement conduits vers une fenêtre située à l’arrière de la maison, qu’ils avaient trouvée, de fait, ouverte. C’était une baie coulissante, allant avec le style de la villa moderne, et Hugues leur avait montré qu’on pouvait la forcer facilement. Un simple pêne-crochet la fermait ; son bord biseauté le soulevait quand il entrait dans la gâche, puis il retombait sur un cylindre et bloquait la baie ; de l’intérieur, une poignée permettait de soulever le pêne, puis de faire coulisser la baie sur son rail. Elle n’était pas munie d’une cornière anti-effraction dans le bas, et le châssis, de bois, avait joué avec les années ; on pouvait donc glisser la main directement sous le châssis et le soulever (la fenêtre était petite et légère), suffisamment pour dégager le pêne du cylindre puis entrouvrir la baie, au risque de se pincer un peu les doigts ; ensuite, il suffisait de la pousser pour pouvoir entrer. Comme le châssis était rugueux et crevassé par les années, les enquêteurs n’avaient pas pu y relever d’empreintes qu’Arnaud Fabre aurait laissées et qui auraient confirmé les dires d’Hugues. Certes, en vingt-trois minutes, Hugues aurait eu le temps de descendre et de l’ouvrir pour faire croire à une effraction ; mais ce n’était qu’une hypothèse, sans rien pour venir l’étayer.

À la question posée par maître Ozanne – comment Arnaud, s’il s’était agi d’une tentative de cambriolage, aurait-il trouvé cette fenêtre qu’on pouvait ouvrir à l’arrière de la maison ? –, maître Wouters ne se priva pas de rappeler l’histoire de la pharmacie. Il n’en était pas à son coup d’essai, affirma-t-il, et les cambrioleurs trouvent souvent des fenêtres qu’on peut ouvrir à l’arrière des boutiques ou des maisons. Le jury parut sensible à cet argument, et maître Wouters en profita pour pousser son avantage :

– « S’il s’était agi d’un cambriolage », nous dites-vous. Mais de quoi d’autre pourrait-il bien s’agir ? J’ai lu moi aussi les élucubrations de certains journaux : les deux victimes se seraient connues, madame Ribeyrol aurait fait entrer le fils de votre client dans la maison, je passe sur le reste. Sauf que rien ne les relie l’un à l’autre, vous l’avez lu comme moi dans le dossier ! Personne ne les a jamais vus ensemble, ils n’avaient aucune relation en commun, on n’a retrouvé aucun courrier qu’ils auraient échangé, et les enquêteurs n’ont pas ménagé leur peine, croyez-moi. Rien, absolument rien, n’appuie l’hypothèse de liens qu’il y aurait eu entre eux ; alors que deux indices concrets, solides, le cambriolage de la pharmacie et cette fenêtre ouverte, plaident en faveur de l’entrée dans la maison par effraction. Tenons-nous-en aux…

Le président de la cour l’interrompit et le pria de réserver ces considérations d’ordre général à sa plaidoirie. Mais il avait atteint son but : rappeler dès que possible aux jurés que dans un tribunal, on doit s’en tenir aux faits concrets, même s’ils n’expliquent pas grand-chose. Ne cherchez pas, ici, à rien comprendre à cette affaire, même si elle vous passionne par ailleurs ; vous n’êtes là que pour vous intéresser à des histoires de pênes-crochets et de cornières anti-effraction. Aux yeux de la justice, le reste n’est qu’élucubrations, ne l’oubliez jamais pendant les débats.

Maître Ozanne crut marquer un point malgré tout en demandant à Hugues Ribeyrol comment il avait pu diriger aussi vite les gendarmes vers cet accès-là en particulier ; il aurait donc deviné tout de suite par où Arnaud était entré, ou soi-disant entré ? Hugues parut d’abord gêné, et l’avocat pensa avoir trouvé une faille ; mais sa gêne était sans doute une mise en scène, destinée à s’attirer la sympathie des jurés.

– C’est bien connu dans la famille, expliqua-t-il. Je m’en servais pour faire le mur quand j’étais adolescent et rentrer discrètement dans la maison. Oui, j’y ai pensé tout de suite. Je ne suis pas certain que mes fils n’en font pas autant, mais bon, il faut bien fermer les yeux sur certaines traditions dans les familles…

De fait, le jury parut apprécier, et même sympathiser, surtout les hommes qui y siégeaient. De même qu’ils sourirent à la mimique, faussement réprobatrice, de François Ribeyrol depuis son banc. Mimique qui, en réalité, prouvait surtout que le père et le fils avaient dû prévoir cette séquence à l’avance, puisqu’il n’avait pas eu l’air surpris. Mais il est vrai que la question de maître Ozanne était prévisible ; maître Wouters avait dû le leur dire, et ils s’étaient concertés sur la réponse qu’Hugues ferait.

Sur le deuxième point crucial, le revolver, on en était réduit, là aussi, aux hypothèses ; mais, là aussi, les éléments plaidaient en défaveur de Fabre d’Estival. François Ribeyrol nia qu’il lui ait appartenu ; la première fois qu’il l’avait vu, affirma-t-il, c’était entre les mains de son agresseur. Les empreintes que les enquêteurs y relevèrent appuyaient cette thèse : ils en trouvèrent d’Arnaud sur les parties métalliques de la crosse (les plaquettes qui la recouvraient étaient en bois, strié de surcroît), et sur la queue de détente, ils en trouvèrent de François sur le canon ; cela s’accordait avec son récit, selon lequel il avait saisi le revolver par le canon pour dévier les tirs d’Arnaud qui l’avait en main. À moins d’imaginer qu’avec l’aide d’Hugues, pendant les fameuses vingt-trois minutes, il ait soigneusement essuyé l’arme, puis apposé ses empreintes, et celles du mort, aux endroits voulus ; avant, ou après, qu’Hugues ait ouvert exprès la baie vitrée pour simuler une effraction ; cela faisait beaucoup d’hypothèses, sans aucun début de confirmation, en face d’indices concrets.

Surtout, l’historique du revolver retint l’attention du jury, de la cour – et également de maître Ozanne. Le Mle 1892, fabriqué de 1892 à 1927, était un revolver d’ordonnance, produit par la Manufacture d’armes de Saint-Étienne, et qui connut une longévité remarquable : il débuta sa carrière dans l’Afrique coloniale, fit les deux guerres mondiales, la guerre du Rif, et même celles d’Indochine et d’Algérie ; ses derniers exemplaires réglementaires équipèrent des officiers jusqu’en 1965, presque quarante ans après la fin de sa fabrication, restrictions budgétaires obligent. (Détail amusant, leur barillet basculait encore vers la droite, à la différence de la plupart des revolvers, qu’on dégaine de la main droite, et dont on recharge le barillet de la main gauche ; mais il avait été conçu pour équiper aussi des cavaliers, dont la main droite est occupée par un sabre…) Le numéro de série de l’exemplaire retrouvé sur les lieux datait sa fabrication de 1895 (belle preuve de sa robustesse), en pleine expansion de l’Afrique-Occidentale française ; d’après son marquage et ses poinçons, il avait servi dans « la Coloniale » ; ces deux détails aidèrent à l’acquittement de François Ribeyrol.

Les enquêteurs passèrent du temps à éplucher les registres des armureries, suivant la trace du revolver jusqu’au milieu des années 1950, mais ensuite ils la perdaient. Soit il était resté entre les mains des militaires, et il aurait ainsi pu arriver entre celles d’Arnaud ; il l’aurait discrètement emporté quand il avait quitté l’armée, par exemple après qu’on l’eut déclaré perdu. Cela soulevait des objections dans la pratique, mais le lien avoir été dans l’armée – posséder un revolver militaire – avait quelque chose de crédible, quand on voulait trouver un coupable. Soit il avait atterri dans le commerce, comme beaucoup d’autres, à mesure que de nouveaux modèles le remplaçaient dans l’armée, et les Ribeyrol l’auraient acheté, même s’ils le niaient aujourd’hui.

Les enquêteurs allèrent interroger son capitaine, Hornung, à la prison de Clairvaux où il purgeait sa peine. (Seuls les plus haut gradés avaient été transférés à Tulle.) Il les reçut avec un mélange de dédain et d’amertume ; comme les autres putschistes, il estimait avoir été trahi par de Gaulle et ses premières déclarations de 1958, les fameux « Je vous ai compris ! » adressé aux Français d’Algérie, et « Vive l’Algérie française ! », avant qu’il n’engage une politique d’autodétermination du pays.

– Vol de revolver, maintenant ? Qu’est-ce que vous allez chercher d’autre encore pour nous salir ?

Ils lui expliquèrent qu’il n’était nullement mis en cause : ils avaient un double meurtre à élucider, et ils avaient besoin de son témoignage. Mais il haussa les épaules :

– C’est n’importe quoi ! Ce revolver vient de la marine, comment voulez-vous qu’il soit passé dans l’armée de terre ? Je suis sûr que je ne l’ai jamais vu, et que ni moi ni personne ne l’a donné à Fabre d’Estival…

Il ajouta qu’il était sûr qu’Arnaud, pour lequel il avait de l’estime et même de l’affection, n’avait rien d’un cambrioleur, encore moins d’un assassin ; mais les enquêteurs n’étaient pas venus pour cela.

Maître Ozanne aurait pu creuser le point qu’Hornung avait soulevé, et qu’ils avaient consigné dans leur rapport, sur la différence entre les deux armées ; Arnaud, comme Hornung, et comme l’essentiel des effectifs en Algérie, appartenaient à l’armée de terre. S’il l’avait fait, il aurait compris qu’il ne fallait pas s’arrêter à l’appellation « la Coloniale », dans laquelle le revolver avait servi, qu’elle cachait une ambiguïté. Mais il voulait justement s’y arrêter, c’est sans doute pour cela qu’il avait accepté le dossier. Colonial en 1895, colonial en 1960 : l’histoire de ce revolver en rejoignait pour lui une autre, bien plus vaste et politique. C’était celle-là qui l’intéressait, et il ne se soucia guère de creuser celle du revolver, d’y chercher des failles pouvant être utiles à son client. Ou plutôt au fils de son client, ce qui n’était pas tout à fait la même chose.

Quand il prit la parole, après maître Wouters et l’avocat général, il apparut vite que sa plaidoirie était davantage une tribune politique qu’une tentative de défendre l’innocence d’Arnaud ; il n’y aurait eu qu’un moyen pour cela, démolir le récit des Ribeyrol, et il ne s’y essaya même pas. Il avait assuré un service minimum, au cours des interrogatoires qui avaient précédé, c’est seulement maintenant qu’il entrait vraiment en scène. Il parla de l’Algérie, des soldats qui s’y étaient perdus, de l’attachement à la patrie qu’on pouvait néanmoins leur reconnaître, et qu’il fallait prendre comme base pour rebâtir l’unité de celle-ci ; de leur difficile réinsertion dans la vie civile, après la tragique aventure dans laquelle les avaient plongés des décennies d’une politique brutale et corrompue, des déboires qu’ils pouvaient connaître, de la main qu’il fallait leur tendre. « Maître Ozanne a abandonné le cambrioleur à la Justice, en échange de l’amnistie pour le sergent-chef, et de l’auréole pour lui-même », commenta un article. Le père d’Arnaud, on ne pouvait guère en douter, avait connu et approuvé cette stratégie à l’avance ; ceux qui avaient trouvé « très habile » son choix de maître Ozanne restèrent perplexes. Pourtant, il serra chaleureusement la main de l’avocat et se laissa longuement photographier à côté de lui.

Avant sa plaidoirie, l’avocat général ne s’était pas risqué, lui non plus, à démonter le récit des Ribeyrol ; il est vrai qu’il n’avait, au bout du compte, pas grand-chose de solide pour le faire. Il avait dirigé son réquisitoire contre les limites de la légitime défense, « le droit de se défendre n’est pas le droit de faire justice soi-même », et avait requis une peine de principe, pour la balle qui avait tué Arnaud. François Ribeyrol fut acquitté, comme on s’y attendait ; et l’on put penser, rétrospectivement, que des frais inutiles de procès auraient été évités si le juge d’instruction avait prononcé un non-lieu dès le départ. Mais les journalistes avaient attendu ce procès, le public l’avait attendu ; et, si François Ribeyrol quitta aussitôt le tribunal, visiblement pressé d’oublier l’épisode, Hugues s’attarda devant les photographes aux côtés de maître Wouters, et tous les deux paraissaient très satisfaits. Personne n’en savait guère plus qu’avant, ni sur le déroulé des événements, ni sur l’arrière-plan qu’il recouvrait ; le jeu des sept familles gardait une bonne part de ses mystères. Avec deux morts – on les en aurait presque oubliés.

Ce que les journaux ne dirent pas, par pudeur et décence, ou plus vraisemblablement parce qu’ils l’ignoraient, c’est qu’un fils posthume d’Arnaud Fabre d’Estival était né quelques jours plus tôt, le 19 novembre. Il avait été conçu en février 1964, quelques semaines avant les événements des Mesnuls, et Arnaud n’avait pas eu le temps de l’apprendre. Sa mère, Sylvia Guède, le prénomma Bruno et lui transmit son nom. Arnaud ne sut jamais qu’il allait avoir un fils, Bruno ignora longtemps qu’il l’avait pour père ; mais la mort, violente, sanglante, éclaboussa leurs vies à tous les deux.