Cet été-là, je suis retourné régulièrement chez elle. En fin de matinée comme les deux premières fois, mais aussi plus longuement, dans l’après-midi. J’ai fait la connaissance de sa mère, qui était telle que je m’y attendais, plaintive et dolente. Mais rien que pour l’avoir prénommée Ariane, je l’aimais déjà. Je me suis rendu compte qu’à quatorze ans (elle m’a dit son âge, un an de plus que moi), elle s’occupait de beaucoup de tâches dans la maison, cuisine, ménage ou lessive. Mais ça ne l’empêchait pas d’être une bohème dans l’âme, que l’ordre et les emplois du temps ennuyaient. J’avais l’intention de l’emmener à La Varenne ; elle se serait peut-être bien entendue avec mes cousins, malgré ses socquettes blanches et ses chaussures vernies. Mais j’ai trop attendu (comme ça m’arrive souvent) et, pour finir, le sort en a décidé autrement.

Je ne croisais jamais son père ; il passait la journée au-dehors, à Albi, croyait-elle.

– Pourquoi, il travaille ? Il n’est pas en vacances ?

– Si, mais… je crois qu’il voit d’autres gens, a-t-elle murmuré, avec ce geste du pouce sur le dos de la main que je commençais à connaître, qu’elle avait quand elle était préoccupée. Il ne faut pas en parler quand maman est là, a-t-elle ajouté en me lançant un regard inquiet, et j’ai hoché la tête.

Sans doute ses parents ne s’entendaient-ils pas aussi bien que monsieur et madame Bouvreuil.

Surtout, j’ai fait la connaissance de son frère. Il lui ressemblait, avec quelque chose de féminin dans le visage, des cils longs pour un garçon, des yeux vifs, une frange brune sur le front. Il avait douze ans, j’étais juste entre les deux pour l’âge. Tous les deux me regardaient attentivement quand je leur parlais, de maman, de la mort accidentelle (ce que j’en savais alors) de mon père, des chevaux de La Varenne, et j’en étais très touché. D’habitude, c’était moi qui admirais les autres ; pour une fois, deux personnes semblaient m’admirer. Deux personnes avec qui je me sentais naturellement en confiance.

Un jour, comme nous parlions du collège et des différentes matières, je leur ai dit que j’aimais les mathématiques ; que pour moi, elles étaient parfois de l’art ou presque. Comme avec les fractales, ou les rosaces compliquées que je traçais avec mon compas. Ou les pyramides dont je calculais les angles, puis que je dessinais en perspective avec mon rapporteur. Mais aussi la jupe écossaise qu’Ariane portait ce jour-là, dont je connaissais le motif. Je me suis levé et j’ai marché jusqu’à elle, puis j’ai dû me mettre à genoux devant sa petite chaise, et ça a fait sourire Julien.

– C’est le tartan de la Black Watch, la Garde noire écossaise. La famille de ma grand-mère est d’origine écossaise et elle aime les tartans, elle m’a appris à les reconnaître. Pas tous bien sûr, mais certains. Celui-là est spécial, on dirait qu’il est symétrique, en fait il ne l’est pas.

J’ai soulevé un coin de la jupe.

– Regardez : dans ce carré bleu, il y a deux traits noirs en hauteur et deux en longueur, au milieu du carré, qui font une croix. Mais dans le carré d’à côté, en longueur il y a deux traits noirs au milieu, mais en hauteur il y a deux fois deux traits noirs, et ils sont sur le côté.

– Ah oui, je n’avais pas remarqué, a dit Julien qui s’était penché.

– Et c’est vrai dans les deux sens, pour la chaîne, les fils verticaux, et pour la trame, les fils horizontaux. Donc, ça fait quatre carrés différents en tout. S’ils étaient tous les mêmes, il y aurait une seule séquence pour le nombre de fils qui se croisent (j’ai suivi les bandes de couleur avec le doigt, l’une après l’autre), vert 24 noir 6 vert 24 noir 20 bleu 22 noir 4 bleu 4 noir 4 bleu 22 noir 20. Mais en fait, il y a une autre séquence, soit à côté de la première dans un sens, soit en dessous d’elle dans l’autre sens, vert 24 noir 6 vert 24 noir 20 bleu 4 noir 4 bleu 4 noir 4 bleu 24 noir 4 bleu 4 noir 4 bleu 4 noir 20. La séquence totale est l’addition des deux. C’est parce qu’il y a quatre carrés différents que ce tartan est si joli. Quand on le regarde de loin, on a l’impression qu’il est symétrique ; mais si on le regarde bien, il change tout le temps, il est presque vivant.

– Comment tu peux les compter aussi vite ? a murmuré Ariane. Je n’arrive pas à le croire.

– Je n’ai pas besoin de les compter, je les connais par cœur. Ce tartan est connu, ses séquences sont connues, justement parce qu’il n’est pas symétrique, je crois que c’est un des seuls. De toute façon, dès qu’on les connaît un peu, on repère vite le nombre de fils d’après la largeur des bandes, 2, 4, 6, 8, 20, 24, etc. C’est pour ça que les mathématiques sont de l’art pour moi, des nombres qui dessinent des choses. Parfois, rien qu’en pensant à des nombres, j’ai l’impression de voir des tissus, des couleurs. Ou encore des oiseaux, on pourrait faire la même chose avec les mésanges, bleu 24 noir 16 jaune 20, sauf que ce seraient des plumes et pas du tissu.

Julien ne quittait pas le tissu des yeux, absorbé par ses dessins. Ariane a parcouru de l’index mes doigts, qui tenaient toujours le coin de la jupe.

– Rose 1, 2, 3, 4, 5. Mais moi, je compte seulement ce que je vois, je ne sais pas imaginer.

– Toi ? Tu ne sais pas imaginer, toi ?

– Non…

Je suis retourné m’asseoir sur ma chaise pour être de nouveau en face d’elle.

– Et les invités avec qui tu parlais le premier jour ? Je te regardais derrière la grille et c’était si étrange, je me disais : « Elle est comme moi, elle imagine ce qu’il y a devant elle… »

– Ah oui ?

Ça a paru lui faire plaisir.

– Tu t’es dit : « Elle est comme moi » ?

– Oui.

– Mais moi, j’imagine bêtement, je ne vois pas des nombres comme toi.

J’ai secoué la tête.

– Non, tu te trompes. Moi, j’ai besoin des nombres, c’est plutôt ça qui est bête. Je compte mes pas quand je marche le long du trottoir, parfois même quand je suis énervé et que je tourne en rond dans ma chambre. Ça oui, c’est bête.

– Comme un fou dans un asile, a commenté Julien.

Je l’ai regardé, puis je me suis approché et je me suis penché vers lui, un rictus sur le visage, je lui ai mis mes mains autour du cou comme si je voulais l’étrangler. Il me fixait sans sourire, sans ciller, de son petit visage impassible. Il était tantôt enfantin et sentimental, avec sa sœur, tantôt adulte et pince-sans-rire, complexe. On comprenait qu’il ait du mal à s’intégrer dans une colonie de vacances ou ailleurs.

Quand je me suis rassis, il m’a expliqué d’un air mi-ironique, mi-désabusé :

– Les invités, c’est sa « famille ».

– Une famille comment ? Grande, petite ?

– Oh, je ne sais pas, a répondu Ariane. Le père, la mère, je ne sais pas combien ils ont d’enfants. Mais ils s’entendent toujours bien, ils sont toujours contents d’être ensemble. Je les invite ici dans le jardin, ou dans ma chambre quand je suis à Paris.

J’ai regardé Julien, qui a eu de nouveau une moue évasive. Soit pour dire qu’il ne savait pas combien lui non plus, soit qu’il était tenu à l’écart et qu’il le regrettait. Les rapports du frère et de la sœur étaient un monde inconnu pour moi. Avoir une égale à qui on se confiait et qui se confiait à vous, ou un égal, pas seulement des adultes à admirer ou à craindre, ce devait être un grand avantage dans la vie.

Un jour où nous parlions de leur mère, ils m’ont dit qu’elle aussi était musicienne, qu’elle jouait du piano.

– Ah oui, du piano ?

– En vrai, a rectifié Ariane, elle en jouait, mais elle a été obligée d’arrêter, à cause de nous.

– À cause de vous ? Pourquoi ?

– Si on n’était pas nés, elle aurait pu retourner chez ses parents, où elle était si heureuse. C’est là-bas qu’elle jouait du piano, elle donnait même des concerts. Mais mon père ne veut pas qu’elle en joue, et comme elle est obligée de rester avec lui, à cause de nous…

– Votre père ne veut pas qu’elle joue du piano ? Pourquoi ?

– Je ne sais pas pourquoi, a-t-elle dit tristement.

Elle a ouvert son petit sac à main blanc, qui était posé sur la table, et en a sorti une feuille de papier pliée en quatre qu’elle m’a tendue.

– On doit toujours avoir ça avec nous. Maman m’a donné mon sac pour que je l’aie dedans.

J’ai déplié la feuille et j’ai lu :

« Maman chérie,

Je sais que tu te sacrifies pour nous, et voilà ma récompense.

Ta petite Ariane. »

J’ai jeté un coup d’œil à Julien qui avait repris son air impassible. Il avait peut-être la même lettre dans sa poche, mais il n’en a pas parlé. Ariane a repris la feuille et l’a repliée pour la remettre dans son sac à main. J’ai pensé à maman et à ce qu’elle aurait fait, si mon père avait vécu et qu’il n’avait pas voulu qu’elle chante. Peut-être parce qu’il aurait été jaloux de son succès. Elle n’aurait sûrement pas cédé. Ou plutôt, il ne le lui aurait pas demandé parce qu’il aurait su à l’avance qu’elle ne céderait pas. Leur mère à eux était très différente, avec ses airs plaintifs. Mais plus j’en apprenais sur leur père et plus je les plaignais. Pourtant, ils parlaient rarement de lui.

Il y a eu un moment de silence, pénible, autour de la table. Pour le dissiper, je leur ai raconté ce que j’avais fait un jour, longtemps avant. Je ne m’en souvenais pas, ou à peine, mais maman me l’avait raconté, et ça la faisait rire. Thérèse aussi me l’avait raconté, même elle, ça la faisait sourire.

– Un jour, j’avais deux ans, un ami de ma tante est venu déjeuner à la maison. Ma tante qui est bonne sœur. Un jésuite, en soutane noire. Quand on a apporté le café, j’ai pris une tasse et je l’ai jetée sur lui.

Ils ont ouvert de grands yeux.

– Tu as fait ça ? m’a demandé Ariane. Pourquoi ?

– Je ne m’en souviens pas vraiment, maman et ma tante me l’ont raconté, mais j’ai une sorte d’image dans la tête. Je pense que c’était à cause de sa soutane noire et du noir du café. J’ai dû penser que les deux noirs devaient aller ensemble, que je devais le faire.

– Il a été fâché ?

– Oui quand même, au début… Mais comme j’avais deux ans, ma tante m’a dit qu’après, il ne m’en a pas voulu.

– Ou peut-être que la soutane était usée, a commenté Julien. À un endroit, il y avait des fils gris, ou même des fils blancs, et tu as voulu les reteindre en noir.

J’y ai réfléchi.

– Peut-être. Des fils blancs, et hop (j’ai mimé le geste), plus de fils blancs.

Je l’ai mimé de nouveau, comme pour recréer la scène devant moi.

– Non, je pense que c’était plutôt le noir sur le noir.

– Je ne sais pas, a dit Julien.

Quand je repense à cet été-là, c’est souvent cette scène qui me revient à l’esprit. Et cette réplique de Julien : « Je ne sais pas. » Si bizarre sur le moment, mais si frappante quand je pense à tout ce qui a suivi. Il a toujours su mieux que moi ce que je pensais. En tout cas, analysé mieux que moi ce que je faisais.

– Et ta mère, elle dit quoi ? m’a demandé Ariane.

– Ça la fait rire quand elle en parle.

Je devinais que ça la faisait rire en partie parce qu’elle n’aimait pas beaucoup les jésuites. Qu’elle regrettait d’avoir cédé à Thérèse et mon grand-père (elle me l’avait dit) et de m’avoir inscrit à Franklin, à cause de l’ambiance stressante qui y régnait. Dont elle voyait les conséquences sur moi, anxiété et maux de ventre. Les années suivantes, elle a dû regretter que je n’aie pas jeté toute la cafetière sur lui.

Comme l’histoire les avait amusés, je leur ai raconté un de mes autres exploits d’enfant.

– Une autre fois, j’avais aussi deux ans, ou trois ans, on a été invités à la montagne à Noël, par le président de l’université où mon grand-père est professeur. À un moment, je suis entré dans la cuisine du chalet, sa femme était juste devant moi, elle portait un fuseau de ski et je lui ai dit : « Vous avez des belles fesses. »

De nouveau, ils ont ouvert de grands yeux, puis ils ont éclaté de rire.

– Tu lui as dit ça ?

– Oui… Je m’en souviens un peu, de quand j’ai ouvert la porte et que j’étais juste à la hauteur de ses fesses. En plus, elle était penchée en avant et elle portait ce fuseau moulant, ça m’a fait penser aux statues du jardin des Tuileries, où je vais me promener avec maman. Des statues de Maillol, des femmes qui ont des belles fesses rondes, je les aime beaucoup.

– Elle a dit quoi ?

– Je ne sais pas. Mais mon grand-père a dû être très fâché, en plus, c’était la femme de son président… Maman, ça la fait rire quand elle me le raconte. Elle dit que ça prouve que je suis un artiste, que j’ai le goût des belles formes.

– Tu as le goût des belles fesses, a dit Ariane.

Julien, redevenu enfantin, riait à en avoir les yeux humides.

Le 13 août de cette année-là, 1978 – je n’oublierai jamais la date –, je leur ai raconté l’histoire des pinsons ébouriffés, que je tenais de mon grand-père Guède. Aux mines de Carmaux, voisines d’Albi – comme dans beaucoup de mines de charbon –, les mineurs ont longtemps descendu des pinsons ou des canaris avec eux, dans des cages. Quand ils arrêtaient de chanter, ou juste s’ils baissaient la tête et que leurs plumes s’ébouriffaient, ça voulait dire que du gaz carbonique s’échappait, eux le sentaient tout de suite. Les mineurs risquaient d’être intoxiqués, ou alors il allait y avoir une explosion, un coup de grisou, qui pouvait tuer des dizaines d’hommes. Il fallait évacuer la mine tout de suite.

– Ébouriffés comment ? a demandé Julien.

– Comme ça, a dit Ariane en lui passant la main dans les cheveux à l’envers, et il a penché la tête en arrière pour s’appuyer contre sa main.

Nous nous sommes dit qu’il valait mieux garder un œil sur les pinsons, pour le cas où du gaz s’échapperait encore de là-bas et viendrait jusqu’à Chantenac.

– On fera quoi, s’ils sont ébouriffés ? a demandé Ariane.

– Le mieux, lui ai-je dit, ce serait d’aller au bord de la mer. De l’océan, il y a beaucoup de vent là-bas, on prendrait le train jusqu’à Bordeaux.

– Il faudra peut-être qu’on se retienne de respirer jusqu’à ce qu’on soit loin du gaz.

– Oui.

– On pourrait emmener un pinson, a dit Julien, pour voir quand il ne sera plus ébouriffé.

– Il faudra trouver une famille qui accepte de l’héberger.

De là, nous sommes passés à une famille qui accepterait de nous héberger nous, puis à « Qu’est-ce que nous serions, si nous étions nés dans une autre famille ? ». J’ai dit que malgré tout, malgré les problèmes avec mon grand-père, je ne voudrais pas être né ailleurs, à cause de maman ; Ariane a dit qu’elle non plus ne voudrait pas être née dans une autre famille, pour la même raison, à cause de sa mère. Je me suis empressé d’ajouter que je la comprenais, pour ne pas avoir l’air de penser que maman aurait eu une supériorité sur sa mère à elle, d’être célèbre. Mais alors Julien est intervenu pour dire que ces discussions ne rimaient à rien, qu’on ne pouvait pas rester soi-même en changeant seulement un de ses parents, comme on changerait un nez ou des oreilles. Si on changeait, d’un parent, ou d’un grand-parent, on devenait entièrement quelqu’un d’autre. C’était soi en dedans et toute l’histoire autour de soi qui changeaient.

– Mais on peut changer toute l’histoire depuis l’intérieur de soi, ai-je dit, et je leur ai cité la phrase de Rimbaud : « Je est un autre. »

Ils ne la connaissaient pas et elle a paru leur plaire, surtout à Julien.

– Et « Je est une autre », c’est possible ?

– Oui, lui ai-je dit, je crois… C’est peut-être même plus facile, parce que l’extérieur entraîne l’intérieur…

– Facile…, a-t-il répété d’un air sceptique.

Ariane lui a posé la main à l’arrière du crâne comme tout à l’heure, et il s’est de nouveau appuyé contre elle.

À ce moment-là, le portail s’est ouvert et nous nous sommes tournés pour voir un homme entrer dans le jardin. Leur père sûrement, parce qu’ils se sont levés tous les deux. Il les a regardés, a esquissé un sourire, jeté un œil distrait sur moi, puis il a remonté l’allée vers la maison. Ils sont allés à sa rencontre, et je les ai suivis. Il était assez grand, la mine renfrognée, et il portait davantage un habit de ville qu’un costume de vacances.

– Bonjour les enfants, a-t-il marmonné quand ils sont arrivés à sa hauteur.

Il a pris brièvement Ariane dans ses bras et l’a embrassée sur le front. Julien s’est approché ensuite, mais il lui a juste posé la main sur la tête, d’un air agacé. Plus pour le tenir à distance qu’autre chose, aurait-on dit. Puis je me suis présenté, et il a hoché la tête.

– Les Guède de La Varenne ?

– Oui… Vous connaissez La Varenne ?

– Si je connais La Varenne ? Tu crois qu’on est où ici, à New York ? Et tu es le fils de qui dans la smala ?

– De Sylvia.

Il m’a regardé plus attentivement en fronçant les sourcils.

– Sylvia, celle qui chante ?

– Oui, lui ai-je dit, étonné de sa réaction – peut-être qu’il n’aimait décidément pas la musique, ni le piano, ni le chant.

– Alors, c’est toi le fils du Pan… Pan… de La Bastide ? a-t-il dit en faisant mine de tirer au revolver.

D’un ton blagueur, comme si j’allais m’en amuser moi aussi.

Devant mon air interdit, il m’a contemplé quelques instants, puis il a haussé les épaules et s’est éloigné vers la maison.

Instinctivement, Julien et moi nous sommes tournés vers Ariane. Elle s’est frotté longuement le dos de la main avec le pouce, son délicat visage rempli d’anxiété, ne sachant pas quoi dire.

 

Ça a été un moment douloureux à La Bastide quand ils ont dû tout me raconter. Mon grand-père s’est d’abord montré furieux contre le père d’Ariane (qu’il connaissait à peine, qu’il avait croisé dans le village), mais maman lui a dit aussitôt que non, il n’y était pour rien.

– Nous sommes les seuls responsables, je suis la seule responsable. Bien sûr qu’il aurait fallu te le dire plus tôt, mon chéri. Mais…

Ensuite, je suis allé droit à La Varenne ; à mon arrivée, en voyant leurs visages, j’ai compris que maman les avait appelés. J’ai demandé à mon grand-père si je pouvais monter à cheval, et il m’a approuvé en me pétrissant affectueusement l’épaule.

– Oui, mon garçon, c’est ce que tu as de mieux à faire. Prends celui que tu veux.

J’en ai pris un que j’aimais, Vasko, et je suis parti au hasard dans la propriété. Mais je n’ai pas tardé à bifurquer vers le pré avec les obstacles de cross. J’en ai d’abord sauté deux ou trois, puis j’ai dirigé Vasko, impulsivement, vers la grosse table de terre et de rondins – il fallait que je le fasse.