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Soucieuse, Marie pensait encore à la lettre de menace envoyée par Xavier et au bracelet de Michel retrouvé le matin même. Les évènements de ces derniers jours faisaient prendre une tournure inquiétante à cette affaire. Tout se passait bien depuis des mois. Elle faisait progresser régulièrement son futur pactole grâce à ses malversations. Et puis, il y avait eu un tel enchaînement depuis la mort de José. Cela semblait bien étrange et Marie était résolue à percer le mystère de cette histoire.
Elle avait décidé de se rendre sur le site de la société de maintenance qui devait embaucher son mari. M. Malard lui avait fourni le nom du directeur de l’époque. Elle espérait qu’il serait toujours à son poste. Elle prit donc la direction de Neuville-sur-Saône. L’entreprise portait le nom de Gobert et Marie eut quelques difficultés à la repérer. Elle se situait à la périphérie de Neuville, isolée dans la campagne.
Marie se gara devant l’entrée du site. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et se trouva une mine horrible. Elle réajusta sa coiffure et se remit une touche de rouge à lèvres.
Deux minutes plus tard, elle se présentait à l’accueil et demandait d’un ton très assuré à parler à M. Morillon, le directeur. Elle ajouta que c’était urgent. La secrétaire, décontenancée devant tant d’assurance, bafouilla et lui demanda de patienter quelques instants en lui indiquant d’une main les fauteuils de l’entrée. Marie remercia, s’éloigna, attrapa un magazine sur une petite table et s’installa. Elle avait pris machinalement la première revue qui s’était présentée à elle et elle constata qu’il s’agissait d’un magazine consacré à l’automobile. « Si seulement je pouvais changer de voiture », pensa-t-elle. Elle reposait la revue lorsqu’un homme s’avança vers elle, la main tendue.
— Bonjour, madame. Ma secrétaire m’a fait savoir que vous souhaitiez me parler de toute urgence. Je ne vous connais pas, j’espère seulement que ce n’est pas une plaisanterie.
Après avoir salué M. Morillon, Marie le suivit jusqu’à son bureau situé au premier étage.
— Alors… Je vous écoute, madame… Madame comment d’ailleurs ?
— Madame Davau, Marie Davau. Je suis désolée de venir vous importuner ainsi. Mon mari a disparu il y a six ans. J’ai appris hier qu’il venait d’être embauché chez vous, mais qu’il ne s’est jamais présenté. Je cherche à comprendre pourquoi. Il était sans emploi à l’époque.
— Quel était son prénom ?
— Michel, Michel Davau.
M. Morillon lui demanda quelques instants et se mit à consulter son ordinateur.
— Si un contrat a été établi, je devrais le retrouver, dit-il tout en passant en revue une série de fichiers. Il y a six ans, vous dites…
— Oui. Il a disparu le 7 avril 2013. C’était un dimanche. Je m’en souviens comme si c’était hier.
— J’ai trouvé ! fit soudain le directeur avec enthousiasme. Effectivement, il avait un contrat comme technicien de maintenance, qui débutait le lundi 8 avril 2013. Celui-ci lui a été proposé le vendredi 5 et a été accepté de suite. Il aurait dû le signer à sa prise de poste.
M. Morillon allait refermer le fichier lorsqu’il vit une mention.
— Il est indiqué : avisé par SMS du désistement de M. Davau le 8 avril au matin.
Il releva la tête.
— Voilà ! C’est tout ce que je peux vous dire.
Marie était bouleversée. Michel avait donc disparu la veille de son embauche. Elle repensa au vendredi 5 avril 2013. Elle s’en souvenait très bien. Le jeudi, ils s’étaient disputés une fois de plus à cause de son inactivité, une dispute assez violente d’ailleurs. Le lendemain, vendredi 5 avril, et même le surlendemain, le samedi, il avait complètement changé. Il lui avait offert des fleurs avec un petit sourire au coin des lèvres. Marie avait souvent repensé à ces journées et s’était mis dans la tête qu’il avait prémédité sa disparition et que cela le réjouissait. En fait, il lui préparait probablement cette belle surprise d’un retour au travail. Elle se souvint soudain d’une phrase qu’il lui avait dite le samedi : « Tu seras bientôt de nouveau fière de moi. » Là encore, après sa disparition, elle avait pris cela comme une forme de menace, sans en comprendre la portée. Mais aujourd’hui, sa lecture des faits était différente. Michel avait retrouvé du travail. Il voulait lui faire la surprise, la reconquérir. Elle en était désormais certaine. Sa disparition n’était en rien volontaire !
Elle remercia vivement M. Morillon et retourna vers son véhicule avec cette question dans la tête : pourquoi son mari avait-il disparu du jour au lendemain sans une explication, sans une trace ?
Elle rentra chez elle et se servit un verre de vin blanc. Elle alla chercher le bracelet de Michel et le mit à son poignet. Qui l’avait déposé chez elle ? Pour faire passer quel message ? Est-ce que Xavier avait quelque chose à voir dans cette affaire ? C’était bien étrange et mystérieux, mais ce bracelet lui redonnait de l’espoir, l’envie de se battre pour ses enfants. Et elle en avait bien besoin.
Soudain, elle se leva, prit un torchon à vaisselle propre ainsi qu’un sac congélation. Elle retira délicatement le bracelet à l’aide du torchon et le plaça dans le sachet.
Michel avait un ami d’enfance qui travaillait au laboratoire de la police scientifique d’Écully. Il habitait à deux rues de chez elle. Elle l’appela, lui expliqua avoir retrouvé le bracelet de Michel dans son entrée et l’implora d’analyser l’ADN qu’il pourrait prélever dessus. Daniel avait tellement été affecté par la disparition de son ami qu’il avait promis à Marie d’être toujours là pour elle en cas de besoin. Il accepta donc, mais précisa que cela prendrait du temps, car ce n’était pas fait dans un cadre légal. Il lui spécifia également de joindre un cheveu d’elle-même et de ses enfants afin d’éliminer les ADN de ses proches. Elle n’avait qu’à déposer l’ensemble dans sa boîte aux lettres. Il la tiendrait au courant. Marie le remercia chaleureusement et raccrocha.
Elle se servit un deuxième verre de vin, alla récupérer les cheveux sur les brosses de chacun des membres de la famille. Elle colla une étiquette sur chaque sachet et mit le tout dans une enveloppe. Elle sortit déposer le paquet chez Daniel.
Elle allait appeler Aurélie pour la tenir informée des derniers évènements lorsqu’elle se ravisa. Pouvait-elle lui faire confiance ? Elle était quand même l’épouse de Xavier, suspect désormais de la disparition de son époux. Il fallait qu’elle se méfie. Elle lui en avait même déjà dit trop. Dorénavant, elle ferait plus attention. Après tout, jouer la cruche, elle savait faire.
De retour chez elle, elle appela ses parents et prit des nouvelles des enfants. Lucie et Vincent se disputèrent pour parler à leur mère et lui expliquer dans les moindres détails leur journée. Marie apprit que Paula avait insisté pour aller dormir chez une amie. Elle enguirlanda gentiment sa mère.
— Paula aurait dû me prévenir, ajouta Marie. D’ailleurs, qui est cette amie ?
— Une nommée Julie. Ne t’inquiète pas. Elle m’a promis d’être de retour demain matin.
Marie raccrocha, non sans une certaine contrariété. Sa fille de dix-sept ans prenait de plus en plus d’initiatives et devenait autonome. Elle sortait souvent. Marie en était à la fois soulagée et inquiète. Paula grandissait sans elle.