12


Les vacances étaient désormais terminées. Marie avait récupéré ses trois enfants l’avant-veille au soir. Elle aurait aimé rester seule un peu plus de temps. Tout n’était pas réglé. Elle-même avait encore deux jours de repos avant la reprise. Cela serait-il suffisant ?
La nuit avait été rude. Elle avait de nouveau abusé de sa boisson fétiche et les effets se faisaient toujours sentir. Elle avait un affreux mal de crâne et elle se dirigea vers l’armoire à pharmacie.
— Tout va bien, maman ? demanda Paula.
— Oui, ma chérie. J’ai juste très mal à la tête. Je vais prendre du paracétamol.
— Maman…
— Oui, Paula…
Cette dernière hésita.
— Non, rien, maman.
Puis elle alla dans la cuisine rejoindre son frère et sa sœur, déjà attablés pour le petit-déjeuner. Marie la regarda s’éloigner. Avait-elle découvert son penchant pour la boisson ? Elle lui trouvait un air soucieux depuis quelque temps, plus encore aujourd’hui. Il faudrait qu’elle lui parle, qu’elle ait une discussion d’adulte avec elle. Mais ce n’était pas encore le moment. Elle rejoignit son petit monde à la cuisine et s’attabla, tout en affichant un sourire rassurant.
— Allez, les enfants ! C’est la reprise, la dernière ligne droite avant l’été. Il faut continuer de bien travailler.
Paula, Lucie et Vincent tournèrent la tête vers leur mère, puis acquiescèrent en souriant. Le petit-déjeuner se passa dans la joie et la bonne humeur. Marie reprenait espoir quant à des jours meilleurs. Ses yeux pétillaient malgré une petite ride au milieu du front, laquelle trahissait ses nombreux soucis du moment.
Elle déposa les plus jeunes à l’école et Paula au lycée. Ce midi, seul Vincent serait ramené à la maison par Aurélie. Paula et Lucie resteraient à la cantine, ayant souvent mille choses à raconter à leurs amis.
Pour éviter Aurélie, Marie préféra flâner à Neuville-sur-Saône. Toutes ces vitrines la faisaient rêver et elle était persuadée qu’un jour elle pourrait se faire plaisir, sans limite… Oui, sans aucune limite. Elle poussa finalement la porte d’une boutique pour passer un manteau magnifique qu’elle avait déjà repéré. La vendeuse, charmante, lui fit essayer le modèle dans différentes couleurs et lui conseilla finalement le rouge qui illuminait son visage, selon ses dires. Marie promit de réfléchir et de revenir vite. Elle était aux anges. Elle reviendrait. Elle n’en doutait plus.
Elle s’aventura également dans plusieurs magasins de chaussures. Enfin, épuisée, elle s’engouffra dans un café, s’affala sur une banquette et commanda un chocolat chaud. Elle se reprocha intérieurement d’avoir pris du bon temps au lieu de se focaliser sur ses affaires. Puis, rapidement, elle se félicita de cette petite parenthèse bienvenue. Cela lui avait fait tant de bien ! Elle regarda sa montre. Il était temps de rentrer. Vincent devait être à la maison.
De retour chez elle, elle eut la bonne surprise de voir Vincent en train de mettre la table. Elle l’aida et prépara le repas en chantonnant. Elle avait fait des spaghettis bolognaise, plat préféré de son fils. Celui-ci saliva en voyant sa mère poser le saladier au milieu de la table.
— Et voici votre menu préféré, monsieur !
Vincent rit de bon cœur.
— Tu es la meilleure des mamans !
Marie se troubla devant tant de spontanéité. Vincent semblait un petit garçon heureux et elle ne voulut pas gâcher ce moment lorsqu’elle vit de la sauce bolognaise dégouliner sur son pantalon.
— Tu te changeras vite après manger, que je lave de suite ton pantalon, dit-elle très calmement.
Vincent se régala, puis gagna sa chambre pour se changer avant de repartir à l’école. C’est Aurélie qui le ramenait. D’ailleurs, Marie entendit un coup de klaxon.
— Dépêche-toi, Vincent. Ton taxi est là ! dit-elle en riant.
Le petit garçon descendit les escaliers quatre à quatre, embrassa sa mère et courut rejoindre sa copine Mancia.
Marie débarrassa la cuisine et repensa soudain au pantalon taché de sauce. Elle monta le récupérer dans la chambre de Vincent. C’est alors que, comme elle faisait demi-tour, le pantalon dans la main, son regard s’arrêta sur un portable, posé sur le bureau de son fils. C’était un Nokia, le même que son mari possédait au moment de sa disparition. Elle le reconnut aussitôt malgré les années. Que faisait-il là ? Troublée, elle eut un mauvais pressentiment. Elle attrapa le téléphone et appuya sur le bouton de mise en route. L’écran s’éclaira instantanément et quatre petits points apparurent. Elle hésita, puis tapa instinctivement les quatre chiffres du code PIN de son mari, qu’elle connaissait encore par cœur. L’appareil s’ouvrit alors sur une nouvelle page.
Marie, sous le coup de l’émotion, s’assit sur le lit. Il s’agissait donc du téléphone de Michel. Elle n’en revenait pas. Elle regarda le dernier message envoyé, un SMS adressé à M. Morillon le lundi 8 avril à sept heures : désolé, je ne peux plus accepter ce contrat. Michel Davau. Abasourdie, elle sentit des larmes lui venir aux yeux. Elle se posait de nouveau mille questions et elle attendit toute l’après-midi le retour de son fils.

Quand Vincent rentra, Marie faisait les cent pas dans sa chambre. Elle l’invita à monter. Lorsqu’il vit sa mère le portable à la main, il se mit à pleurer. Marie se porta à sa hauteur et le regarda droit dans les yeux :
— Vincent, où as-tu trouvé ce téléphone ?
Le jeune garçon continuait de sangloter.
— Vincent, c’est très important.
— Je l’ai trouvé dans la rue.
Présumant le mensonge, Marie entreprit de le rassurer :
— Tu ne risques pas d’être puni. Je dois juste savoir d’où il vient.
Vincent regarda sa mère avec insistance, puis lâcha :
— Il était dans la voiture de la maman de Mancia. Il était par terre. J’ai juste voulu jouer avec. J’ai rien fait de mal.
Il sortit de la chambre en courant. Marie en avait le souffle coupé. Que faisait le téléphone de son mari dans la voiture d’Aurélie ? Après tant d’années… Elle n’arrivait pas à reprendre ses esprits. Elle savait ce dont elle avait besoin. Elle se dirigea vers sa chambre, ferma la porte à clé et attrapa une bouteille dissimulée derrière son lit.