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Depuis la découverte du téléphone, Marie n’avait plus qu’une idée en tête : demander des explications à Xavier et à Aurélie.
Lucie et Vincent étaient, comme presque chaque mercredi, chez leurs grands-parents. Seule Paula
avait souhaité rester à la maison, prétextant avoir beaucoup de travail en retard. Marie avait fait promettre à Vincent de ne parler du téléphone à personne, surtout pas à Mancia ni à sa mère. D’après elle, c’était un vieux truc sans valeur. Inutile donc d’en faire toute une histoire.
Indécise, Marie tourna en rond dans sa chambre, ferma la porte à clé et récupéra le pistolet 9 mm sous son matelas. Elle avait regardé sur Internet son fonctionnement, car les explications du truand avaient été sommaires. Elle vérifia pour la énième fois qu’il était chargé et elle entendit le plancher craquer devant sa porte. Elle rangea vite l’arme dans son sac, sortit de la chambre et eut juste le temps de voir son aînée entrer dans la sienne.
— Tout va bien, Paula ?
— Oui, je suis allée me chercher un verre d’eau à la cuisine. Et toi, que fais-tu ?
Marie hésita.
— Je sors faire une course. Je serai avec toi ce midi. Je ramènerai une pizza si ça te tente, dit-elle sur un ton qui se voulait plus léger qu’il n’y paraissait.
— Oui, super ! répondit Paula.
Marie descendit les escaliers, enfila son manteau et ses bottes et se dirigea
vers le garage tout en attrapant ses clés au passage. Elle était déterminée et se sentait forte avec le pistolet dans son sac. Elle prit la direction de
chez Xavier et Aurélie.
Alors qu’elle arrivait devant leur maison, son portable se mit à sonner. « Mince ! Qui me téléphone au moment où je dois être tranquille ? » Elle allait ignorer cet appel quand celui-ci se renouvela. Elle regarda l’écran et vit le prénom de sa fille. Elle décrocha, agacée.
— Allô !
— Maman, c’est Paula. Il faut que tu rentres tout de suite. Je ne me sens pas bien. J’ai trop mal au ventre.
— J’arrive tout de suite ! cria Marie.
Elle fit demi-tour et repartit en trombe. Sa fille ne se plaignait jamais. C’était donc sérieux. Elle grimpa les escaliers quatre à quatre et pénétra dans la chambre de Paula, s’attendant au pire. Celle-ci était allongée sur son lit. Elle avait le visage bien rose et elle sourit en voyant sa mère.
— Merci, maman, d’être venue si vite. J’ai eu si peur. J’ai cru mourir.
— Mais que t’est-il donc arrivé ?
— Cela m’a pris d’un coup. J’ai eu très mal au ventre. J’ai pris peur et je t’ai appelée. Ça va déjà mieux. Je suis désolée. Reste avec moi, dit Paula d’une petite voix. J’ai peur que les spasmes reprennent.
Marie, soulagée de voir que sa fille ne semblait pas si souffrante que cela, préféra effectivement rester auprès d’elle. Xavier et Aurélie attendraient pour lui rendre des comptes. Ses enfants demeuraient sa priorité.
Une fois définitivement rassurée sur l’état de santé de Paula, Marie se mit à faire du rangement dans la maison. Elle entreprit un grand nettoyage et s’apaisa, son esprit occupé à autre chose.
Paula ayant terminé son travail, Marie lui proposa d’aller prendre un thé entre filles. Paula accepta avec enthousiasme. Les tête-à-tête avec sa mère étaient si rares ! Vers seize heures, elles partirent toutes les deux en direction de
Neuville-sur-Saône. Marie connaissait un petit salon de thé situé dans une rue piétonne. Elles y arrivèrent bras dessous, bras dessus, comme deux copines. Elles s’installèrent dans un coin tranquille. La responsable vint leur présenter la carte et leur détailla avec moult détails les pâtisseries du jour.
Marie opta pour un thé à la bergamote accompagné d’un cookie. Quant à Paula, elle choisit un chocolat chaud et un rocher à la noix de coco. Les deux femmes rirent de bon cœur, complices, heureuses de cette parenthèse, jusqu’à ce que Paula parle de son père.
— Maman, que crois-tu qu’il est arrivé à papa ?
Après un moment d’hésitation, elle poursuivit :
— Vas-tu te contenter toute ta vie d’une simple disparition ? Qu’as-tu fait depuis six ans pour savoir ce qui lui est arrivé ?
Marie, surprise par ces questions soudaines posées sur le ton du reproche, regarda sa fille d’un air étrange. Pourquoi l’interrogeait-elle aujourd’hui ? Marie ne se sentit pas le courage de refuser de lui répondre.
— Tu es suffisamment grande maintenant pour que je te parle en adulte. À l’époque où ton père a disparu, nous ne nous entendions plus. La perte de son travail l’avait complètement changé. Je ne supportais plus de le voir oisif, ayant renoncé à tout. Il ne se battait pas. Enfin…
Elle se tut.
— Enfin quoi ? cria presque Paula.
— J’ai appris dernièrement qu’il avait retrouvé du travail. Il n’a pas eu le temps de commencer ce nouvel emploi. Il a disparu la veille.
— Et tu ne trouves pas ça bizarre ?
— Bien sûr que si, mais que veux-tu que je fasse ?
Marie ne souhaitait pas dévoiler à sa fille la découverte du bracelet et du portable de Michel. Paula devait rester en dehors de
toute cette affaire.
— Peut-être pourrais-tu aller trouver la police et tout expliquer ? reprit Paula, plus conciliante.
— Oui, je vais y penser, ajouta Marie sans grande conviction. C’était il y a si longtemps…
Paula se mit alors à pleurer. Marie se pencha vers elle et l’entoura de ses bras.
— Tu ne dois plus penser à tout ça, ma chérie. Il y aura bientôt des jours meilleurs, je te le promets. Pour le moment, tu dois rester concentrée sur tes études. D’ailleurs, qu’as-tu prévu de faire après ton bac ?
— J’ai encore une année, maman, dit Paula en souriant.
— Le temps passe tellement vite que tu dois commencer à y penser.
Marie crut soudain discerner des étincelles dans les yeux de sa fille. Elle souhaitait vraiment parler d’autre chose que de la disparition de son mari.
— As-tu pensé à quelque chose ?
Paula hésita.
— Eh bien… Je ne sais pas encore quelle formation je devrais poursuivre, mais je crois que
j’aimerais devenir profileuse ! dit-elle avec enthousiasme.
— Profileuse… Pourquoi pas… Il va falloir d’abord décrocher ce bac l’année prochaine.
Les deux femmes restèrent un moment silencieuses, puis Marie se dirigea vers le comptoir pour régler. Elles rejoignirent la voiture et prirent le chemin du retour sans un mot.
Lorsqu’elles arrivèrent dans la rue, Marie crut distinguer deux silhouettes à l’entrée de la maison. Elle approcha lentement et se gara devant le portail. Deux
gendarmes se tenaient sur le perron. Marie descendit de voiture et s’avança, les jambes flageolantes. Le plus gradé la salua et prit la parole :
— Bonsoir, madame Davau Marie ?
— Oui, c’est bien moi.
— Nous enquêtons sur le décès de José Rivoli et nous aurions quelques questions à vous poser. Voici une convocation pour demain à neuf heures.
Marie n’eut pas le temps de répondre. Les gendarmes repartaient déjà. Elle ne pensa alors qu’à une chose. Elle se dirigea dans l’entrée, monta vers sa chambre comme un automate, sous le regard inquiet de sa fille.
Elle s’enferma à double tour et sortit une bouteille de vin blanc, cachée derrière sa table de chevet. Elle tremblait de tous ses membres. Dans son sac, elle
avait gardé le pistolet.