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Marie était accoudée à la table du petit-déjeuner, le regard dans le vague. Elle avait sans cesse cette écharpe en tête. Il n’y avait aucun doute possible. Ce ne pouvait être que celle de Paula. Les plus jeunes étant partis à l’école, elle décida d’affronter sa fille aînée lorsque celle-ci descendit prendre son petit-déjeuner.
— Paula, il faut que je te parle. C’est très important.
L’adolescente se raidit, sentant que sa mère ne plaisantait pas.
— Je t’écoute, fit-elle d’une petite voix.
— Sais-tu où se trouve la belle écharpe que je t’avais offerte pour Noël l’an dernier ?
Paula soupira presque de soulagement. Elle pensait que Marie allait de nouveau lui parler de Julien et de sa voiture.
— Justement, je ne la trouve plus dans mes affaires. Je me demande si je l’ai perdue ou oubliée quelque part.
Gênée, Paula savait que sa mère avait dépensé une forte somme d’argent pour lui offrir cette écharpe. Elle avait promis de la conserver toute sa vie. Comme elle devait être déçue !
— Je suis désolée, maman. Je vais tout faire pour la retrouver.
— Ce n’est pas la peine. Ton écharpe, je sais où elle est. Je l’ai vue hier chez les gendarmes.
— Ouf ! Alors, ne t’inquiète pas. J’irai la récupérer.
— Non, Paula. Tu ne comprends pas. Elle était sous scellé. C’est une pièce à conviction trouvée sur les lieux d’un meurtre.
— Quoi ! Qu’est-ce que tu racontes ?
Paula devint blême. Marie lui raconta la scène qui s’était déroulée à la gendarmerie.
— As-tu une explication ? demanda Marie.
— Non, aucune. Quelqu’un a dû me la voler… Un meurtre, tu dis ? Mais où ? Et qui ?
— Je ne sais pas de qui il s’agit. Les gendarmes ont simplement expliqué avoir trouvé un corps dans les bois au-dessus de Villefranche-sur-Saône. Et ils avaient cette écharpe sous plastique. Promets-moi que tu n’as rien à voir avec cette histoire, reprit Marie après un moment de malaise.
Paula s’avança vers sa mère.
— Maman, je te promets que je n’ai rien à voir avec ce meurtre. Mais que va-t-il m’arriver ?
— Rien. Ils ne pourront jamais remonter jusqu’à toi. Donc, on ne parle de cela à personne, O. K. ?
— C’est d’accord.
Paula se mit à sangloter.
— J’ai tellement peur.
Marie la prit dans ses bras et la consola un long moment. Elle la déposa ensuite au lycée et partit travailler.

Marie chercha Paul dans l’entreprise, mais la secrétaire lui indiqua, avec un peu d’anxiété, qu’elle n’avait eu aucune nouvelle. Elle s’enferma dans son bureau. Elle ne put s’empêcher de boire quelques gorgées de vin. Elle s’en voulut aussitôt, reboucha la bouteille et la cacha dans un placard. Elle se rendit compte que, pour la première fois, elle ne la vidait pas. Elle s’en félicita et cela lui donna la force de travailler d’arrache-pied toute l’après-midi. Elle entendit soudain du remue-ménage à l’étage. Il lui sembla même distinguer des pleurs. Des pas se rapprochèrent dans le couloir. On frappa à la porte.
— Entrez, cria Marie.
Il s’agissait du directeur. Il était affreusement pâle. Il s’affala sur la chaise en face du bureau de Marie, s’épongea le front, puis réussit à articuler quelques mots presque inaudibles.
— Les gendarmes viennent de me prévenir… Paul est mort… Il a été assassiné… On l’a retrouvé dans les bois au-dessus de Villefranche-sur-Saône. C’est affreux…
Marie poussa un cri et s’écroula sur la moquette, inconsciente.
Elle reprit connaissance à même le sol, en position latérale de sécurité, deux pompiers penchés vers elle.
— Tout va bien, madame. Vous avez fait un malaise, dit l’un d’eux.
Elle se souvint alors de l’annonce de la mort de Paul. Elle repensa à l’écharpe de sa fille retrouvée sur les lieux. Comment une telle coïncidence était-elle possible ? Qu’avait donc à voir Paula dans toute cette histoire ? Elle s’en voulut de penser que la mort de Paul l’arrangeait quelque peu. Elle n’aurait plus à partager. Elle ne pouvait le nier, cela la soulageait. Elle sentit un sourire se former à la commissure de ses lèvres. Elle se reprit aussitôt et se releva doucement en affichant une mine plus triste.
— Sait-on comment Paul est mort ? demanda-t-elle.
— On lui a tiré dessus, répondit le directeur complètement ébranlé. Les gendarmes mènent leur enquête et n’ont rien dit de plus. Oh ! la la ! Deux morts en si peu de temps dans mon entreprise !

Avant de quitter les lieux, les pompiers proposèrent à Marie de l’emmener à l’hôpital pour des examens. Celle-ci refusa et promit d’aller voir son médecin traitant rapidement.
L’entreprise se vida petit à petit dans une ambiance lugubre. Les morts étaient dans toutes les conversations. Celle de José apparaissait d’ailleurs de plus en plus suspecte.
Marie fut la dernière à partir. Cette fois, elle ne put résister et elle s’arrêta chez l’épicier acheter une bouteille de vin. Les habitudes revenaient vite. Elle la vida d’un trait et la jeta par la vitre de sa voiture.
Son portable sonna alors qu’elle entrait dans le garage. C’était son ami Daniel de la PTS d’Écully.
— Bonsoir, Marie. J’ai les résultats ADN du bracelet.
— Et alors ? fit-elle, soudain angoissée.
— Alors, on a retrouvé uniquement ton ADN et celui de Michel.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
— Cela veut dire que la personne qui te perturbe porte des gants, qu’elle fait très attention. Sois prudente, Marie. C’est sans doute quelqu’un de dangereux et de calculateur. À moins que Michel soit toujours vivant !