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Marie se préparait. Elle avait une réunion à la mairie. Elle s’était proposée comme conseillère municipale quelques années auparavant, après la disparition de Michel. Cela lui avait permis de rester en contact avec le monde des vivants, alors qu’elle sombrait peu à peu vers des abîmes profonds. Elle avait aussi accepté ce rôle pour le petit complément de revenu qu’il lui apportait, minime certes, mais indispensable à sa survie.
Elle n’avait pas très envie ce soir de se rendre à la réunion du conseil ; aussi, elle se fit violence pour se préparer et révisa les dernières actualités du village. La salle des fêtes allait être rénovée. Des citoyens s’étaient mobilisés contre un nouveau projet de construction de logements sociaux. Enfin, il fallait investir dans l’achat d’un nouveau tracteur-tondeuse. Rien de bien épanouissant, mais cela faisait partie de la gestion d’un village.
Marie se dirigea vers sa voiture et se rendit sans grand enthousiasme à la mairie.

Lorsqu’elle sortit, deux heures plus tard, elle avait le cœur plus léger. Tout le monde avait été d’accord, pour une fois, et la réunion s’était déroulée dans une ambiance studieuse et respectueuse. Cela était suffisamment rare pour que Marie l’apprécie.
Sur le chemin du retour, elle repensa à Aurélie qui lui avait parlé des deux téléphones et du rôle probable de Xavier dans la mort de son ami Fabrice. Il n’était certainement pas innocent non plus dans la disparition de Michel. Elle devait donc pouvoir faire confiance à Aurélie et s’entendre avec elle. C’était sa seule alliée, elle n’avait pas le choix. Lorsqu’elle rentra, elle prit la décision de l’appeler dès le lendemain matin.
Toute la maisonnée était endormie. Marie regagna sa chambre sur la pointe des pieds. Elle resta assise un moment sur son lit, perdue dans ses pensées. Xavier avait-il tué Paul également ? Et José ? Ces hypothèses lui glacèrent le sang. Et que venait faire l’écharpe de Paula sur les lieux d’un crime ? Elle fut soudain submergée par une vive émotion. Toutes ces questions la tiraillaient tant. Elle avait l’impression que sa tête allait exploser. Elle glissa la main derrière le lit et attrapa une bouteille de vin qu’elle vida d’un trait. Un peu plus tard, ivre, elle s’allongea et s’endormit rapidement.

Le matin, lorsqu’elle émergea d’une nuit de cauchemars, la maison était plongée dans le calme. Paula avait dû s’occuper de son frère et de sa sœur. Vu l’heure, les enfants étaient tous à l’école.
Marie descendit à la cuisine, se prépara un café et décida d’appeler Aurélie. Elle tomba sur le répondeur, ne laissa aucun message et raccrocha aussitôt. Elle réessaierait plus tard. Elle n’en eut pas l’occasion. Quelques minutes après, le téléphone sonna.
— Bonjour, Marie. Tu as essayé de me joindre ?
— Oui. Je n’arrête pas de penser aux téléphones que tu as retrouvés, à la mort de ton ami, à la disparition de Michel, à la mort de mes deux collègues de travail. Quand je me dis que Xavier est peut-être responsable de tout ça, j’ai peur pour nous ; il est capable de s’en prendre à nous deux, sans aucun scrupule. Tu dois rester très prudente.
— Oui, je sais. Je n’arrête pas d’y penser également. Je suis probablement mariée à un tueur en série et je n’ai rien vu. Cela m’effraie, c’est même terrifiant…
— Nous devons rester soudées et nous tenir informées. Il faut le démasquer coûte que coûte.
— Et si nous allions trouver les gendarmes ? On irait ensemble. On leur raconterait tout ce que l’on sait.
— Je pense que c’est encore trop tôt. Il nous faut des preuves. Des preuves tangibles. Attendons encore un peu et, si rien ne bouge, alors nous irons… ensemble.
— Oui, tu as raison. Je veux qu’il paie pour tout ce qu’il a pu faire. Donc, patientons…
— N’hésite pas à m’appeler si tu as besoin.
— Merci, Marie. Idem de ton côté. Et restons sur nos gardes !
Les deux femmes raccrochèrent.
Marie s’habilla à la hâte et partit travailler. Elle s’arrêta chez son épicier préféré et acheta quelques bouteilles de vin. Les temps étaient difficiles, il valait mieux prévoir.
Arrivée à l’usine, elle constata qu’une nouvelle personne se tenait dans l’ancien bureau de José. La secrétaire lui expliqua qu’il s’agissait d’un intérimaire. Il remplaçait José. Marie décida d’aller le saluer. Après tout, il valait mieux être en bons termes avec son nouveau responsable.
— Bonjour. Je me présente, Marie. Si j’ai bien compris, nous allons travailler ensemble.
— Bonjour. Éric Racine. Effectivement, je vais remplacer votre responsable. Vous tombez bien. J’ai de nombreuses questions à vous poser concernant le fonctionnement du service.
Marie se mit à trembler imperceptiblement.
— Pas de problème. Je reste à votre disposition. Je suis juste à côté.
Elle regagna son bureau, très contrariée, presque paniquée. « Cet homme arrive au plus mauvais moment. Il ne faut surtout pas qu’il mette son nez dans les comptes. Et pourtant, c’est justement son job. Oh ! mon Dieu ! Comment vais-je m’en sortir ? »
Toute la journée, Marie appréhenda la venue de son nouveau supérieur. Elle enregistrait ses factures comme un automate, en surveillant l’encadrement de la porte. Elle redoutait l’instant où il viendrait consulter les différents documents comptables. « Comment vais-je justifier cette somme pour un fournisseur qui n’existe pas ? Il va forcément se rendre compte de la supercherie et de mes malversations. »
Marie ferma la porte et déboucha une bouteille qu’elle ingurgita à moitié. Il lui fallait trouver le courage d’affronter cette nouvelle épreuve. Si le pot aux roses était découvert, elle devrait de nouveau faire face aux gendarmes. Elle se retrouverait en prison… pour de longues années sûrement. Elle vida le reste de la bouteille. « Ma vie est fichue, pensa-t-elle. Tout ceci pour rien. J’y étais presque. »
Elle entendit des pas se rapprocher. On frappa. Elle cacha la bouteille vide dans un tiroir et se rafraîchit l’haleine avec un spray mentholé. Elle se leva et ouvrit. Éric se tenait devant elle, un gros dossier sous le bras.
— Enfin, je suis à vous ! s’exclama-t-il.
Marie lui fit signe de s’installer à son bureau. Il lui demanda de s’asseoir à ses côtés.
— J’ai consulté les comptes fournisseurs tout à l’heure et une anomalie m’est apparue.
Marie sentit son pouls s’accélérer.
— Une anomalie, vous dites ?
— Oui, regardez vous-même !
Il tapota sur le clavier et tourna vers elle l’écran du PC. Elle devint blême. Le nom du fournisseur qui s’affichait en haut de l’écran était le compte factice qu’elle avait créé.
— Je vais tout vous expliquer, dit-elle d’une petite voix à peine audible.
— J’espère bien. Pourquoi donc ce compte est ouvert, alors qu’il n’y a pas un euro dessus ?
Marie avait cru mal comprendre. Elle avait l’impression d’entendre une voix lointaine. Au bord de l’évanouissement, elle vit le solde du compte. Il était à zéro. Rien. Plus un seul euro. Comment cela était-il possible ? Le compte avait été vidé. En un éclair, elle entrevit le désastre : Xavier avait réussi à récupérer tout l’argent !