27
Sitôt Xavier sorti de la pièce où il l’avait laissée, Paula s’était mise à tirer de toutes ses forces sur ses liens, sans succès. Elle était solidement ligotée. Déçue, elle avait mobilisé son énergie pour écouter les bruits autour d’elle, mais rien n’avait marqué son esprit, jusqu’au départ de la voiture.
Certaine d’être seule, elle avait redoublé d’efforts pour se libérer. En vain. Mais elle n’était pas d’une trempe à accepter son sort passivement. En se frottant la tête contre l’horrible matelas puant, elle avait réussi à faire glisser le bandeau. Elle était dans une grange. Malgré la pénombre, elle distingua des bottes de paille et un tracteur. Il n’y avait pourtant aucune bonne odeur de ferme. Par contre, celles du bandeau et
du matelas finirent par lui donner la nausée. Elle réussit à se mettre à genoux et vomit de la bile et le peu qu’elle avait mangé. Elle n’avait pas froid, mais elle fut prise de tremblements. Elle tenta de se lever et
retomba sur le matelas. Xavier l’avait solidement entravée et un lien reliait ses pieds à une poutre de bois.
Pour la première fois depuis son enlèvement, elle pensa à la puce GPS que Julien avait glissée dans le col de sa veste. Elle en eut la chair de poule. Dans sa situation, son
salut tenait dans ce concentré de technologies, indétectable. Elle souffla en espérant qu’elle n’était pas tombée, ni chez Xavier, ni dans le coffre de sa voiture, ni ailleurs.
Aux aguets, elle observa autour d’elle cette grange abandonnée. Il y avait plusieurs portes dont une très grande. Dans un coin, elle crut apercevoir de vieux outils. Une fourche ! Elle tenta d’incruster ces détails dans sa mémoire.
Quand le moteur d’une voiture la sortit d’une sorte de prostration, son cœur s’emballa dans sa poitrine. Elle entendit des pas à l’extérieur, puis de nouveau le silence, inquiétant. Elle demeura sur le qui-vive un bon moment, sans rien entendre, si ce n’est les battements affolés dans sa poitrine. Il se passa encore des minutes interminables avant que l’une des petites portes de la grange s’ouvre. Elle distingua une silhouette d’homme, mais tourna la tête pour cacher sa peur. Xavier s’approcha, posa quelque chose au sol, s’accroupit à son niveau et lui donna une violente gifle.
— Salope, tu as réussi à enlever le bandeau, dit-il dans un rugissement monstrueux.
Paula en eut le souffle coupé et hoqueta sous le bâillon, le corps soudain couvert d’une transpiration désagréable. Sans hésiter, Xavier posa un genou sur un bras de la jeune fille et appuya de tout son
poids. Il fronça les sourcils, puis sourit en voyant les yeux de Paula se remplir de larmes. La
douleur muette de sa prisonnière lui procurait un plaisir malsain.
— Tu comprends ce dont je suis capable, dit-il d’une voix presque enjouée. Je vais enlever ton bâillon, pour que nous puissions discuter tranquillement. J’espère que tu comprends. J’ai dit discuter. Si jamais l’idée te venait de te mettre à hurler, tu devines déjà ce qui t’attend. Alors, es-tu prête à répondre à mes petites questions ?
Paula avait senti sa détermination se liquéfier sous l’effet de la terreur. Elle fit « oui » de la tête. Xavier arrêta d’appuyer. Il la laissa se mettre en position assise et ôta son bâillon en lui faisant mal exprès. Elle en profita pour respirer un peu mieux.
— Je peux avoir un verre d’eau, s’il vous plaît ?
Xavier l’observa avec insistance, comme si elle était une bête curieuse. Puis il attrapa un vieux fauteuil de jardin bancal et s’assit face à elle.
— D’abord, je vais te poser une ou deux questions ; ensuite, nous verrons pour le verre d’eau.
Paula acquiesça d’un geste lent et douloureux.
— C’est le début de la sagesse, ricana son geôlier. Ta mère sait-elle que tu me suis et que tu étais dans le bois quand j’ai tué par accident un pauvre bougre ?
Un flot acide brûla à nouveau la trachée de la jeune fille. Le visage gris, elle sentit ses lèvres blêmes trembler, mais aucun son ne sortit. Xavier prit lentement le pistolet qu’il avait mis à la ceinture et joua avec la culasse. Le bruit métallique se répercuta dans toute la grange, fracassant les oreilles de Paula.
— Tu connais ce petit jeu… alors ! Qu’as-tu à me dire ?
Le cœur de Paula sembla se calmer, pour battre au ralenti. Épuisée, elle fit un effort pour parler.
— Ma mère ne sait pas que je vous ai suivi…
Elle s’interrompit. Pour gagner du temps, elle devait soit mentir, soit jouer le jeu de
ce salopard. En critiquant Marie, juste ce qu’il fallait, elle réussirait sans doute à le calmer légèrement. Elle toussa.
— Elle est alcoolique depuis des années. Je m’occupe presque seule de mon frère et de ma sœur, poursuivit-elle d’une voix plus posée. J’ai cru que vous vouliez vous en prendre à nous pour atteindre ma mère. Je voulais juste protéger mon frère et ma sœur et connaître vos agissements.
— Étais-tu dans le bois ?
Paula fit « oui » de la tête. Xavier afficha une mine perplexe.
— Je ne suis pas très convaincu par ton histoire… M’en prendre à vous ! Pourquoi pas ? Une idée d’adolescente !
— J’ai soif, s’il vous plaît, osa-t-elle.
— Je vais respecter ma promesse.
Xavier se leva et, à pas lents, quitta la grange. Paula souffla. Un peu de répit. Elle cracha. Un goût métallique et désagréable avait envahi sa bouche. Elle s’essuya d’un revers de manche.
— Je dois gagner du temps… Je suis plus maligne que ce type… Je dois profiter de la moindre occasion…
Elle avait parlé à voix basse, pour s’encourager à résister. Elle s’interrompit en voyant la porte de la grange s’ouvrir. Xavier s’approcha, un verre d’eau à la main. Il s’accroupit et la fit boire. Après deux gorgées, elle voulut s’arrêter, mais il la força à tout avaler en tirant ses cheveux en arrière avec sa main libre. Les larmes aux yeux, elle mit du temps pour reprendre son
souffle.
— C’est pas bon, votre truc… Il n’y avait pas que de l’eau.
Xavier lui fit un sourire de bourreau.
— J’ai ajouté quelques vitamines. C’est mon côté scout, toujours prêt à aider les autres.
Paula lui lança un regard noir.
— Tu sembles tenir à ton petit frère. Sais-tu que ce merdeux a mis un micro dans mon bureau ?
Cette fois, elle pâlit affreusement, incapable de masquer son désarroi. Xavier avait repris sa place face à elle, sur le vieux fauteuil de jardin en plastique. Il pointa sur elle un doigt
accusateur.
— C’est peut-être toi qui lui as demandé de poser ce micro, mais baste, ce n’est pas le problème !
D’un geste rapide, il bondit sur sa prisonnière et la fit basculer sur le côté en position fœtale. Il avait fouillé ses poches avant de la mettre dans son coffre pour la transporter jusque-là, mais il n’avait pas eu l’idée de palper ses vêtements et ses sous-vêtements. Visiblement agacé et presque fébrile, il refit les poches du pantalon et de la veste de Paula sans rien trouver
de particulier. Il passa une main dans son soutien-gorge.
Paula remua, mais réussit à ne pas protester. Pourtant, quand il fit la même chose dans sa culotte, son corps se cabra.
— Faut pas vous gêner ! s’insurgea-t-elle.
Xavier lui décocha une nouvelle gifle, plus brutale que la première. Paula sentit son crâne craquer. La douleur lui coupa la respiration.
— Tu vas la fermer !
Il pesa une fois encore de tout son poids sur le corps de sa victime, puis lui
remit son bâillon. Quand Paula le vit palper sa veste, les manches, le col, elle se sut
perdue et ferma les yeux, anéantie. Pourtant, rien ne se passa. Il ne trouva rien de nouveau. La jeune fille
allait s’en réjouir, mais son esprit sombra peu à peu dans un brouillard cotonneux, comme si on avait plongé sa tête sous l’eau. Les sons se brouillèrent et les images devinrent floues. Paula revint à elle en recevant un seau d’eau sur la tête.
— Alors, on tourne de l’œil !
Xavier s’était penché sur la jeune fille. Il lui prit un bras. Il était à quelques centimètres de son visage et pouvait sentir sa mauvaise odeur et sa peur.
— Ne me touchez pas, articula faiblement Paula malgré sa résolution d’être plus conciliante, tout en se pelotonnant pour se protéger de nouveaux coups.
Sans un mot, Xavier prit le pistolet à sa ceinture et enfonça le canon dans la bouche de sa prisonnière. Certaine que sa dernière heure était arrivée, Paula laissa son organisme capituler. Aussitôt, une urine brûlante inonda son bas-ventre. La chaleur fut comme un électrochoc. Malgré la situation périlleuse dans laquelle elle se trouvait, Paula ne devait pas renoncer.
« S’il avait voulu me tuer, il l’aurait fait depuis longtemps ! S’il n’a pas trouvé la puce GPS dans mon col, c’est que je l’ai mal cousue, qu’elle est tombée et se trouve ici ou dans le coffre de la voiture. Son signal fonctionne.
Julien est forcément à ma recherche. »
Par le creux d’une planche de bois défoncée du mur de la grange, Paula voyait la nuit tomber. Julien avait certainement
tenté de l’appeler. Il devait être inquiet de son silence. Il avait actionné le traceur du GPS pour la retrouver. Peut-être était-il derrière la porte, prêt à bondir par surprise sur Xavier et à la délivrer ?
— Oh ! Tu rêves, ma cocotte !
Xavier venait de lui enlever ses entraves aux pieds, mais Paula ne réagissait pas. Elle demeurait au sol, hébétée. Il lui donna une bourrade sur l’épaule, sans ménagement.
— Il s’agit de se lever, princesse. Nous allons gagner vos appartements privés pour la nuit.
Paula ne releva pas l’ironie. Elle fit un effort pour se mettre debout et marcha comme un automate
jusqu’au bâtiment d’habitation de la ferme. Julien n’était pas là. Il n’était pas intervenu. Le système GPS avait peut-être été détruit. Paula sentit une nouvelle vague de désespoir déferler sur elle. La nuit allait être longue, très longue.
La pièce où ils entrèrent sentait le vieux. Xavier posa son arme sur un guéridon et vérifia les liens de sa prisonnière. Il serra plus fort avec dans le regard quelque chose de méchant.