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Marie était encore sous le coup de l’émotion lorsqu’elle rentra chez elle. Pouvait-elle faire confiance à Aurélie ? Après tout, il s’agissait de la femme de Xavier. Aurait-elle suffisamment de cran pour faire
alliance avec son ancienne rivale ? De toute façon, Marie n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle se sorte de ce pétrin, et, sans le soutien d’Aurélie, elle n’y arriverait pas.
C’était la période des vacances de Pâques. Elle en profita pour proposer à ses enfants d’aller chez ses parents. Ceux-ci se feraient une joie de les accueillir. Elle
pourrait ainsi régler cette affaire sans mettre en péril sa famille. Une fois de plus, elle s’éloignait d’eux. Elle s’en voulait encore lorsqu’elle vit le sourire sur le visage de ses trois chérubins. Elle comprit alors qu’elle avait pris la bonne décision.
— N’oubliez rien, les enfants, leur cria-t-elle du bas des escaliers. Même si vous n’êtes pas loin, je ne voudrais pas que vous fatiguiez vos grands-parents en leur
faisant faire des allers-retours incessants !
— Ne t’inquiète pas, maman, répondit Paula. Je veille au grain !
Sa fille aînée ne cesserait donc jamais de l’étonner. Elle avait une telle maturité.
Les valises furent rapidement préparées et tout le monde s’engouffra dans la voiture, dans une bonne humeur qui fit chaud au cœur de Marie. Elle aimait tellement voir ses enfants heureux. Et ils le seraient
bientôt encore plus. Mais il fallait qu’elle aille jusqu’au bout de son projet. Après les avoir déposés chez ses parents, elle n’avait qu’une idée en tête : brûler les photos.
De retour chez elle, elle se dirigea vers le fond du jardin où trônait un vieux bidon rouillé. Elle jeta les clichés et les arrosa d’alcool à brûler, puis elle craqua une allumette et la lança à l’intérieur. Tout s’embrasa rapidement. Elle observait ce brasier. Les photos du chantage se
consumaient. Elle en éprouvait un immense soulagement. Tout allait bientôt prendre fin. Xavier ne pourrait plus lui faire de mal.
Elle regagna ensuite la maison et se mit en quête d’une bouteille de vin blanc. Heureusement, elle avait encore du stock. Elle dévissa le bouchon de l’une d’elles à la va-vite et s’empressa de la vider. Elle ressentit de la honte en même temps qu’un bien-être se déversait dans tout son corps et jusqu’au plus profond de son âme. Quand tout serait réglé, elle arrêterait, c’est sûr, mais elle en avait tant besoin en ce moment.
Marie avait appelé son patron de bonne heure afin de lui demander quelques jours de congé. Elle avait prétexté se remettre difficilement de la mort de José. Le directeur lui avait recommandé de se reposer le temps qui lui serait nécessaire. En fait, elle avait décidé de prendre en filature Paul à la sortie du bureau. Elle avait fait part de son plan à Aurélie, laquelle surveillait de son côté Xavier.
À dix-sept heures, elle se dirigea vers son entreprise et se gara discrètement derrière un bosquet. Elle attendit patiemment. Son collègue ne tarda pas à apparaître. Elle le vit, le téléphone à l’oreille, s’approcher de son véhicule. Sa conversation terminée, il s’installa au volant et, lorsqu’il passa devant elle, Marie le suivit à peu de distance. Elle sourit, se sentant soudain dans la peau d’un détective privé. Elle avait, au préalable, revêtu un jean et un sweat à capuche, ce qui la rendait méconnaissable.
Paul se dirigea vers le centre du village le plus proche et se gara devant un
bar. Marie se glissa jusqu’à une rue adjacente et, en descendant de voiture, elle eut juste le temps de le
voir entrer dans l’établissement. Elle s’approcha discrètement et observa à travers la vitre. Elle reconnut tout à coup Xavier. Paul s’installa sur la banquette face à lui. Ils allaient certainement se rendre compte mutuellement des dernières nouvelles. Quelle idiote ! Et dire qu’elle n’avait rien vu venir !
Elle se faufila par une deuxième porte et s’assit sur la banquette à côté de Paul et Xavier. Ils ne pouvaient pas la voir, car un paravent les séparait. Elle commanda un café en prenant une voix différente afin de ne pas être reconnue. Elle se concentra pour tenter d’entendre leur conversation. Elle reconnut la voix de Paul.
— Je t’avais pourtant dit de trouver une bonne planque pour les photos. Qu’est-ce qu’on a maintenant comme monnaie d’échange ?
— Y a plus de monnaie d’échange, répondit Xavier. Il faut se débarrasser d’elle. Tu feras ensuite la transaction sur le compte que je te donnerai. Il ne
faut plus perdre de temps. Elle possède d’autres documents importants.
Marie prit soudain un air effrayé. Des clients la regardèrent avec insistance. Elle paya son café et sortit, les jambes flageolantes. Ils avaient donc décidé de l’éliminer, certainement comme ils avaient fait avec son mari. Xavier avait donc découvert le vol des photos et du document. Qu’avait bien pu lui dire Aurélie ? Était-elle toujours de son côté ?
De retour à son véhicule, Marie l’appela et l’informa des évènements. Il avait vu Marie sortir de leur maison. Sa femme avait joué l’innocente. Ainsi, il ne pouvait soupçonner le pacte entre Marie et Aurélie.
Sur la route du retour, Marie décida de se rendre chez M. Malard, le directeur de l’ancienne entreprise de son mari. Après tout, elle pourrait peut-être apprendre des choses. Il ne fallait négliger aucune piste. Elle appela la société, prétextant un rendez-vous urgent. La standardiste l’informa que M. Malard était désormais retraité. Non sans difficulté, Marie réussit à obtenir son adresse, et elle se rendit sans tarder à son domicile.
L’adresse obtenue était en fait une maison de retraite située non loin de là. Marie en fut surprise, mais demanda à l’accueil à voir M. Malard. Une jeune femme la conduisit à travers un dédale de couloirs jusqu’à la chambre de ce dernier. C’est un homme en fauteuil roulant qui l’accueillit. Lorsque Marie se présenta à lui, il blêmit.
— Je me doutais qu’un jour vous viendriez, dit-il d’une voix chevrotante.
Elle lui présenta la lettre l’incriminant dans le licenciement de son mari. M. Malard, toujours aussi livide, reprit :
— Je ne voulais pas. J’y ai été contraint par M. Monfreidi. Si je n’avais pas obtenu ce chantier, je perdais mon entreprise. Cela m’a miné pendant des années. Je ne suis pas une mauvaise personne. D’ailleurs, qu’est devenu votre mari ?
— Il a disparu, répondit-elle d’une voix sèche…, depuis six ans. Cela fait six longues années qu’il nous a laissés, mes trois enfants et moi.
M. Malard sembla hésiter, puis se lança :
— Il n’a jamais retravaillé dans la société dont je lui avais donné le nom ?
Marie le regarda d’un air interrogatif.
— Eh bien oui, reprit l’ancien directeur, je ne pouvais pas licencier un employé modèle sans lui proposer en toute discrétion un autre emploi !
— Quelle était cette société ?
— Une société de maintenance sur Neuville. Votre mari semblait pourtant intéressé à l’époque.
Marie était déstabilisée. Pourquoi Michel ne lui avait-il jamais parlé de cette proposition ? Pourquoi avait-il sombré dans l’oisiveté alors qu’un emploi l’attendait ailleurs ? Décidément, rien n’était clair dans cette histoire.
Marie était encore toute chamboulée lorsqu’elle rentra chez elle. Elle ramassa son courrier. Une feuille de papier bleu pliée en deux attira son attention. Elle l’ouvrit. Il était inscrit : Tu vas me le payer. Xavier.
Marie, tremblante, se mit à courir vers la maison et s’enferma à double tour. Il fallait qu’elle se protège à tout prix. Elle ouvrit son ordinateur et tapa, sur la page d’accueil : se procurer une arme. Elle resta longtemps sur le web, mais ses recherches demeurèrent vaines. Elle repensa soudain à une connaissance, une amie d’enfance, Barbara. Cette dernière avait eu de mauvaises fréquentations très jeune. Elle habitait avec un ancien braqueur. Elle pourrait certainement lui
procurer ce qu’elle cherchait. Elle n’avait pas vu cette femme depuis des mois, mais il fallait tenter de la
contacter.
Elle chercha ses coordonnées sur les pages blanches du web et les obtint sans difficulté. Elle composa le numéro dans la foulée, les mains tremblantes. À la première sonnerie, quelqu’un décrocha. C’était Barbara. Marie, hésitante, se lança. Elle expliqua qu’elle se sentait menacée depuis quelque temps et qu’elle cherchait à se procurer une arme. Elle espérait que le compagnon de son amie pourrait l’aider. D’abord surprise par cet appel, Barbara prit les renseignements et promit de la
rappeler au plus vite.
Effectivement, dans le quart d’heure qui suivit, elle rappela Marie et lui donna un rendez-vous sur les bords
de Saône, à Rochetaillée, dans la soirée. Elle lui précisa d’apporter 1 500 euros en espèces dans une enveloppe.
Marie passa à sa banque et se rendit sur le lieu de la transaction à l’heure convenue. Elle avait utilisé le peu d’économie qu’elle avait pu mettre de côté pour une future voiture. Mais elle n’avait pas le choix. Sa vie était en jeu.
Un homme était présent, impressionnant par sa taille et par son visage émacié. Il s’agissait probablement du compagnon de Barbara.
— Vous êtes Marie ? demanda-t-il d’une voix grave.
Celle-ci acquiesça timidement.
Après l’avoir questionnée, constatant son inexpérience, l’homme lui montra en soufflant comment approvisionner l’arme. Marie lui remit l’argent. Il s’éloigna sans un mot. Tremblante, elle courut jusqu’à sa voiture.
Une demi-heure plus tard, elle était de retour chez elle avec un pistolet 9 mm. Elle s’empressa de le cacher sous son matelas. Elle avait à nouveau un besoin irrépressible de boire. Elle s’empara d’un litre de vin blanc qu’elle avala d’une traite. Elle se sentait mieux soudain. Une deuxième bouteille lui permit de s’endormir, ivre, sur le canapé.
Elle se réveilla en sursaut au petit matin. Sa bouche était pâteuse et elle avait une affreuse migraine. Elle se leva péniblement et se dirigea vers l’armoire à pharmacie. Sur le sol, devant la porte d’entrée à moitié ouverte, elle vit quelque chose qui attira son attention. Il s’agissait d’un bracelet brésilien, du même type que celui qu’elle avait offert à Michel lors de leur voyage de noces. Il ne le quittait jamais. Elle le ramassa
en tremblant, très émue. Sur le dessus était inscrit le prénom de son mari. Elle reconnut un petit cœur qu’elle avait à l’époque maladroitement dessiné au stylo. Il s’agissait donc bien de son bracelet.