Le coup partit de la droite, mais Zhu Wenguang, en vieux guerrier des milices urbaines rompu à ce genre d’exercice, et toujours sur ses gardes lorsqu’il franchissait une porte donnant sur un extérieur obscur, fût-elle celle des toilettes de l’arrière-cour du Bembo café, le para de son avant-bras raidi puis, vif comme une ablette entre deux rochers, saisit de la main gauche le pied de son assaillant tendu vers son visage, le lui tordit et le déséquilibra, tandis qu’un balayage de son pied gauche eut pour effet de propulser l’inconnu au sol, jambe droite tendue vers le ciel nocturne, toujours prisonnière de l’étau formé par la main gauche et l’avant-bras droit de Wenguang. Il y eut un bruit désagréable et sec, comme un petit coup de marteau sur la tête d’une momie. Wenguang laissa choir la jambe et s’assit brutalement sur la poitrine du type, lui coinçant les deux bras de ses genoux. Cela fit un bruit de ventouse. Le tout avait duré environ trois secondes quatre dixièmes.

Sur le sol noir, carrelé et poisseux de la cour intérieure, le visage grimaçant se tournait de gauche à droite. Un rat dissimulé derrière une poubelle observait la scène. Quelques morceaux de verre, résidus d’un bref combat trois jours auparavant entre deux ivrognes, jonchaient le sol et s’incrustaient dans les tempes de l’assaillant malheureux lorsque celui-ci, apparemment indifférent à la douleur qui en résultait, ou trop préoccupé par celle de sa jambe, tournait et retournait inutilement la tête de part et d’autre de l’axe de symétrie formé par son corps prisonnier de l’étau des genoux, et aussi du poids, considérable, de Wenguang.

Je crois que je t’ai cassé la cheville, dit Zuo Luo en allumant une cigarette.

L’autre ne répondit rien, se contentant de grimacer en tournant le visage.

Attention, il y a une petite flaque de vieille urine juste là, tu trempes tes cheveux dedans.

Mais l’autre ne comprenait rien, et continuait de gigoter sous Wenguang, qui rangea son briquet dans sa poche.

Tu ne parles pas cantonais, c’est ça ?

Il aspira une bouffée et la souffla au visage du type.

Le mandarin, alors ?

Il répéta, mais l’autre n’eut pas l’air de comprendre davantage.

Je ne suis pas très bon en anglais, mais je vais essayer. I broke your foot, understand ?

Toujours rien.

Tu pourrais faire un effort, putain ! I speak no japanese, you fucking bastard !

Devant l’évidente mauvaise volonté du type, Wenguang décida d’abandonner ses tentatives de conciliation linguistique et se mit à le gifler à toute volée, alternativement, joue droite puis joue gauche, et retour. Le rat ne perdait pas une miette du spectacle. Il n’avait pas souvent l’occasion de s’amuser autant. Il grignotait une pelure de chou, dans la position d’un vieux sage accroupi et voûté.

Cela dura approximativement trente secondes, ce qui est un laps de temps assez long lorsqu’on se trouve dans la position du giflé.

Sesuko ? Yatsunari Sesuko ? Ça te dit quelque chose ? C’est elle que tu cherches ? souffla Wenguang à l’oreille du type qui, les cheveux souillés de vieille urine, les tempes incrustées de verre, les joues écarlates et la cheville brisée, pleurnichait à présent comme une vieille fille, la bouche déformée, hoquetant des sanglots longs comme des violons de deuil.