La cour est vide, dit Irina en déposant les deux bières sur la petite table. Sale, noire et vide, comme toujours. Juste un gros rat qui semblait attendre quelque chose
Il devait s’ennuyer, dit sombrement Zuo Luo.
Il avala une solide lampée de bière. Il se sentit soudain vieux et triste. Le fait de se remémorer la figure de Sesuko l’avait profondément troublé. Tout cela était du passé, un passé à la fois lumineux et douloureux, qu’il ne fallait pas trop remuer. Mieux valait se concentrer sur la nouvelle affaire. Il cligna fortement des yeux.
Comment s’appelle-t-elle ? demanda-t-il à Bec-de-canard.
Qui ça ?
Qui ça ? répéta Zuo Luo sur le même ton. La fille récupérée par son mari, de qui veux-tu que je parle ?
J’en sais rien, moi, bougonna Bec-de-canard. Tu es difficile à suivre parfois. Tout est là, regarde.
Il désigna l’enveloppe.
Voilà, tu vois : Li Xuechen. Un joli prénom, en plus, Matin-de-neige. Tu as même la photo.
Il s’agissait d’un photomaton tout simple, avec le visage d’une jeune femme aux longs cheveux noirs : un assez beau visage, régulier, au nez légèrement épaté. La jeune femme souriait légèrement, cela lui donnait un air enfantin. Mais rien de notable, un visage lisse et neutre.
Et puis tu as la cassette, avec sa voix le soir où elle m’a appelé pour me dire qu’elle était séquestrée pas loin d’ici. La police est de mèche avec le mari, faudra te méfier. Il trafique un peu dans les paris clandestins, et fait de temps en temps office d’indic. Il a acheté Xuechen voici cinq ans, au début tout allait bien mais il s’est mis à boire et à la maltraiter, à la cogner parfois violemment. Alors elle s’est enfuie dans sa famille, qui avait des remords. Mais il l’a retrouvée, et enlevée de force. À présent elle est cloîtrée chez elle. Enfin, chez lui. Le week-end il rentre tard le soir, largement après minuit en tout cas. C’est là qu’il doit être possible de faire quelque chose. Je crois qu’un voisin la surveille. Enfin, c’est ce que me dit la fille, tu verras.
Ouais, je verrai, fit Wenguang en terminant sa bière.