Je n’existe pas, pensa Yôko en saisissant entre ses doigts la boule de plumes ensanglantées. Du fond de la cuisine on entendait se soulever le couvercle de la casserole d’eau bouillante. Elle descendit du tabouret, laissant la porte de la cage ouverte. Ses doigts repliés étaient doux autour du petit cadavre. Elle rangea le marteau dans le tiroir du buffet. Puis elle se dirigea vers la cuisine, qui était vide. Elle ouvrit la porte sous l’évier, y jeta le magma de plumes rougies. Quelques-unes, poisseuses, restèrent collées à sa paume. Un morceau d’aile se détacha.

Lorsque sa belle-mère revint du jardinet, Yôko était en train de se laver les mains. Le filet rouge dans le bac de l’évier avait disparu. Où est le chat ? demanda la belle-mère.

Parti, répondit Yôko. Dans les herbes, sans doute.

C’est bien, dit sa belle-mère en versant le riz dans la casserole. Au moins il ne nous cassera plus les oreilles avec ses miaulements à la con.

C’est qu’il avait faim, dit Yôko.

Il a mangé ce matin, répondit sa belle-mère. Ces putains de bêtes, si tu les laisses faire, elles mangent sans arrêt. Et ça devient des bibendums, comme celui de madame Yoshida. Tu te souviens du chat de madame Yoshida ? Celui qui a disparu un jour, et qu’on n’a plus retrouvé. Le mois dernier, je crois.

Yôko hocha la tête. Elle s’en souvenait très bien.

Eh bien c’était un bibendum, dit sa belle-mère. Il ne pouvait plus se traîner.

Oui, dit Yôko : un bibendum.

Un putain de bibendum, répéta la belle-mère. Moi, mes chats ne sont pas des bibendums. Ni mes chiens.

On n’en a qu’un, dit Yôko. Un seul chat, et un seul chien.

C’est pareil, répondit sa belle-mère. Et d’ailleurs, enchaîna-t-elle, où il est, le chien ?

Dans la cour, dit Yôko, je crois qu’il dort.

Bon, dit la belle-mère. Allez, mets un peu la table. Ton père doit avoir faim, c’est bientôt prêt. Ni mes enfants, d’ailleurs.

Quels enfants ? fit Yôko.

La femme haussa les épaules.

Non, dit-elle en tournant la cuillère de bois dans le riz et l’eau. Non non, rien.

Une radio posée sur l’étagère diffusait un programme de chansons enfantines. Le Blaireau du mont Genkotsu venait de se terminer, on entendait à présent Les Montagnes Hakone.

Les montagnes Hakone sont difficiles à franchir,

La puissante forteresse est juste là,

Tout là-haut sur la chaîne, au plus profond des vallées,

Se dressant devant, pointant à l’arrière,

Ô, nuages autour des sommets,

Ô, vallées remplies de brume