NOTES DU TRAITÉ 49

1. Porphyre, qui a donné leur titre aux traités plotiniens, emploie le terme hupóstasis (« hypostase ») afin de désigner les trois réalités véritables. Le terme est en revanche employé par Plotin en un sens moins strict : il nomme l’existence ou la subsistance d’une réalité indépendante. Voir les explications de H. Dörrie, « HUPOSTASIS. Wort-und Bedeutungsgeschichte », et le volume Traités 1-6, p. 27-28, ainsi que la n. 101 à la traduction du traité 2 (IV, 7), p. 136.

2. L’introduction pose très clairement le problème qui occupe Plotin dans ce traité, qui est celui de la nature de la connaissance de soi et du sujet qui peut l’exercer : faut-il que ce qui se pense soi-même soit un être composé de plusieurs parties ou fonctions ou un être absolument simple ? Ce qui est simple n’aura pas une partie ou une fonction qui puisse jouer le rôle du sujet pensant et une partie ou une fonction qui puisse jouer le rôle de l’objet pensé (lignes 3-4) ; mais ce qui est composé, s’il se pense soi-même par une partie ou une fonction de lui-même, ne se pensera pas soi-même entièrement, car la partie ou la fonction qui pense, en tant que sujet pensant, restera elle-même non pensée (lignes 9-12). Il est possible qu’en se référant à la partie de soi qui pense les autres parties (hení tini tō̂n en autō̂i tà álla), aux lignes 1-2 et dans la suite, Plotin fasse allusion à l’opposition qui est mise en place dans la deuxième partie du Parménide de Platon, dans laquelle, au cours de chaque série de déductions, il faut examiner les conséquences de l’hypothèse de départ sur l’un, pour l’un lui-même (hautō̂i, pròs hautó) et pour les autres choses (pròs tà álla). Sur l’emploi polémique, par Plotin, de l’argument des « parties » du sujet pensant, voir J. Pépin, « Porphyre et Plotin. Sur le tout et les parties dans la connaissance de l’Intellect par lui-même », p. 270-272. Le terme poikílon (« varié », ligne 1), appliqué à la pensée, désigne l’un des concepts « clés » de la noétique d’Alexandre d’Aphrodise : voir par exemple De l’âme 85, 23. Ce terme se trouve assez fréquemment, dans les traités plotiniens, pour caractériser la réalité de l’Intellect en tant qu’unité organique, et en ce sens « variée », de toutes les formes : voir par exemple le traité 38 (VI, 7) 13, 1-2 et 37-40, et 39, 15. Il est employé ici comme synonyme de súnthetos (« composé », ligne 6), même si, comme le signale H. Oosthout, Modes of knowledge and the transcendental, ad loc., il exprime une forme d’unification majeure et plus homogène. Voir aussi infra, chap. 10, ligne 30.

3. On rend le verbe katalambánō, à la ligne 7, le verbe antilambánō, à la ligne 21, et le terme antílēpsis, à la ligne 5 du chap. 2, par le verbe « appréhender » et le substantif « appréhension », car il s’agit d’une perception immédiate, par la faculté sensible ou par la faculté intellectuelle, d’un objet, sensible ou intelligible, dont on saisit la forme (morphḗ ou eîdos). À la ligne 12, on comprend les expressions tò autò heautó et állo állo avec un verbe sous-entendu (qui peut être, selon le contexte, noéō, gignṓskō ou horáō) : « ce qui se pense (ou se connaît ou se voit) soi-même », « ce qui pense (ou connaît ou voit) autre chose » (voir, pour un parallèle, Aristote, De l’âme III 6, 430b25 : autò heautò gignṓskei, « le sujet se connaît lui-même » ; mais le passage est disputé et un certain nombre de commentateurs semblent lire : autò autò gignṓskei, « le sujet lui-même connaît l’objet lui-même »). Bréhier rappelle que Sextus Empiricus, Contre les savants VII 310-312, utilisait un argument similaire pour montrer que les hommes ne peuvent pas se connaître eux-mêmes, car, comme dans le cas du corps et de la sensation, soit on connaît la totalité de ses parties, et il n’y aurait pas alors une partie qui serait le sujet (ou l’objet) de cette connaissance, soit il y a une partie de cette totalité qui joue le rôle du sujet de la connaissance et qui connaît toutes les autres parties à l’exception d’elle-même : Sextus tirait donc de cet argument une conclusion sceptique. Sur ce point voir T. A. Szlezák, Platon und Aristoteles in der Nuslehre Plotins, p. 129, n. 405, qui pense que le parallèle avec le passage de Sextus Empiricus est assez faible et qui suggère en revanche une allusion au commentaire du Pseudo-Alexandre à la Métaphysique d’Aristote Λ 9, 1074b18-19 (voir, contra, W. Beierwaltes, Selbsterkenntnis und Erfahrung der Einheit, p. 101-102, et « Le vrai soi », p. 15-19, qui voit en revanche ici une polémique directe de Plotin contre Sextus) ; H. Oosthout, Modes of Knowledge and the Transcendental, p. 76 ; et B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 47-48, n. 2. Sur la question plus générale du rapport entre Plotin et le scepticisme, voir D. O’Meara, « Scepticisme et ineffabilité chez Plotin ».

5. Tout ce qui se trouve à l’extérieur d’un sujet pensant, le monde sensible, est l’objet de la sensation, de la pensée discursive et de l’opinion (aísthēsis, diánoia, dóxa), qui sont des facultés de l’âme, alors que l’Intellect n’exerce que la pensée intuitive ou intellection (nóēsis), qui ne porte pas sur des objets extérieurs et sensibles, mais sur les intelligibles qu’il a en lui-même et dont il se compose. Il s’agit d’une nouvelle preuve de la connaissance de soi que doit avoir l’Intellect, car autrement, s’il ne se connaissait pas lui-même en connaissant les intelligibles qui sont en lui, il devrait diriger sa nóēsis vers des objets sensibles, ce qui est impossible. Sur cette hiérarchie des facultés cognitives et sur leurs objets respectifs, voir Aristote, Métaphysique Λ 9, 1074b35. À la ligne 21, on suit l’editio minor de H.-S. qui impriment, suivant une suggestion d’Igal, ei dè noûs, alors que les manuscrits ont ho dè noûs, que l’editio maior corrigeait en ho dè noûs, <ei>. Mais le texte que l’on a choisi de traduire est évidemment beaucoup plus simple et linéaire.

6. La question est claire : l’Intellect qui se connaît soi-même en connaissant les intelligibles qui sont en lui, peut-il ne connaître que les intelligibles, sans se connaître soi-même ? Comment pourrait-on distinguer entre l’Intellect en tant qu’unité des intelligibles et l’Intellect en lui-même, comme s’il s’agissait de deux choses différentes ?

7. Voir infra, chap. 5.

8. Voici le problème qui sera examiné dans ce chapitre : peut-on admettre que l’âme a une connaissance de soi, et le cas échéant, à quelle fonction ou partie de l’âme doit-on attribuer cette connaissance et selon quels modes ?

9. On rend ainsi le terme sunaísthēsis, qui désigne la conscience de soi que peut avoir un sujet quand il parvient à se connaître. Le terme est d’origine aristotélicienne : dans l’Éthique à Eudème VII 12, 1244b26, puis 1245b24, il désigne la perfection d’une vie en acte, qui consiste à avoir conscience de soi-même ; dans ce traité, dans les chapitres 5-6 et 13, il désigne de nouveau la conscience de soi qu’a l’Intellect. Voir sur ce point H. J. Blumenthal, Plotinus’ Psychology, p. 126-137, et, dans le volume Traités 7-21, la note 35, p. 31.

10. Plotin répond d’abord à la question de savoir si l’âme, ou l’une de ses fonctions ou parties, peut avoir une connaissance de soi. Au moyen de sa faculté sensible, l’âme ne perçoit que des objets extérieurs, car qu’il s’agisse d’objets situés en dehors du corps qu’elle perçoit par les organes de sens, ou qu’il s’agisse d’affections internes dont elle peut avoir « conscience », cette connaissance de l’âme ne porte pas sur elle-même, mais sur quelque chose d’autre qu’elle. C’est ce qui est confirmé par le rôle actif de l’âme dans l’exercice de la sensation (« c’est par elle-même que l’âme perçoit… », voir aussi, infra, notes 12 et 18), qui fait que, au moyen de sa faculté sensible, elle reste bien distincte de toute affection (passive) provenant du corps ou par l’intermédiaire du corps.

11. Sunágon kaì diairoûn : ce sont les verbes qui désignent les deux procédures de « réunion » (sunagōgḗ) et de « division » (diaíresis) que Platon, dans le Phèdre (265c-266b), prescrit au philosophe dialecticien, et dont il donne des exemples dans le Sophiste, dans le Politique et dans le Philèbe : c’est par cette méthode dialectique qu’il faudra examiner la nature de toutes choses, leurs relations reciproques et leurs rapports avec le reste du réel.

12. La question se pose de savoir comment opère cette faculté rationnelle de l’âme (tò logizómenon, qui renvoie à l’exercice de la diánoia, de la pensée discursive, supra, chap. 1, ligne 21, qui est appelée tò dianoētikón, infra, ligne 23) : (1) elle peut réunir ou diviser les images (phantásmata) des objets sensibles perçus par la sensation, en émettant un jugement ou un choix (epíkrisis) à leur propos (voir, sur cette même opération, le traité 53 (I, 1) 9, 11 et 18) ; ou bien (2) elle peut se servir des empreintes (túpoi) des formes intelligibles qu’elle reçoit de l’Intellect, en les associant ou en les dissociant, et c’est ce qu’on appelle, dans un contexte platonicien, la « réminiscence », dans la mesure où cette activité consiste dans la remémoration de ce que l’âme possède en elle depuis toujours sans le savoir, en l’ayant reçu de l’Intellect qui l’a engendrée, à partir de la perception des objets sensibles (sur le procès de l’anámnēsis, voir infra, chap. 4, lignes 10-15, note 29 ; et le traité 33 (II, 9) 16, 45-47). Ces deux opérations de la faculté rationnelle de l’âme ne sont pas réellement différentes l’une de l’autre, car, même si Plotin ne s’exprime pas ici d’une manière explicite (voir toutefois, par exemple, le traité 20 (I, 3) 4, qui est consacré au rôle de la dialectique comme méthode capable de produire une remontée du sensible à l’intelligible), il semble bien que la « compréhension » (súnesis, ligne 11) consiste précisément dans l’application des archétypes intelligibles dérivés de l’Intellect et présents dans l’âme aux contenus sensibles que l’âme tire, sous la forme d’images, des objets perçus (voir sur ce point le traité 28 (IV, 4) 23 ; puis E.K. Emilsson, Plotinus on Sense-Perception, p. 121-125, et B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 107-110). Il s’ensuit donc que, même par sa faculté rationnelle, l’âme connaît des objets différents d’elle-même, qu’ils viennent de la réalité sensible ou de l’Intellect, ce qui fait que, dans ce cas non plus, on ne peut attribuer à l’âme une connaissance de soi.

13. Une fois décrite la fonction de la faculté rationnelle de l’âme (voir la note précédente), il faut se demander si elle a ainsi épuisé son pouvoir et son rôle, ou bien si cette faculté, qui peut être définie comme « l’intellect de l’âme » (noûs ho tē̂s psukhē̂s, ligne 14) dans la mesure où elle correspond à une partie de l’Intellect « de là-haut » (l’Intellect hypostatique qui comprend en lui-même tous les intelligibles) descendue dans l’âme, peut aussi se connaître elle-même, en se prenant elle-même comme objet de connaissance. Une première réponse, négative, à cette question vient du constat que, si l’on attribuait cette capacité d’autoconnaissance à l’intellect de l’âme, on ne pourrait plus expliquer en quoi celui-ci diffère de l’Intellect « de là-haut », et il n’y aurait plus de sens à affirmer que c’est de l’Intellect « de là-haut » que vient la faculté intellective que chaque âme peut, d’une manière partielle et imparfaite, exercer.

14. On pourrait soutenir que, même si les deux intellects, l’intellect « de l’âme » ou « inférieur » et l’Intellect « de là-haut », peuvent tous les deux se connaître eux-mêmes, il y a une différence entre leurs deux manières de se penser et de se connaître eux-mêmes ; mais si tel n’est pas le cas, il faudra en conclure que l’intellect « de l’âme » est la même chose que l’Intellect « de là-haut », ce qui est par définition impossible (voir la note précédente). L’intellect est dit « sans mélange » (ákratos), selon Plutarque, Vie de Periclès 4, 6, par Anaxagore (= DK 59 A 15) ; mais c’est Aristote, De l’âme I 2, 405a16-17, qui lui attribue la thèse selon laquelle l’intellect est « simple, sans mélange et pur » (aploûn kaì amigē̂ te kaì katharón).

15. La faculté rationnelle de l’âme (appelée ici tò dianoētikón, et supra, ligne 7, tò logizómenon, les deux termes renvoyant à la diánoia, qui exerce une fonction dianoétique dans la mesure où elle raisonne en produisant des lógoi, voir à ce propos H.J. Blumenthal, Plotinus’ Psychology, p. 100-103) n’a donc pas la capacité de s’assumer elle-même comme objet de sa propre connaissance et donc de se connaître elle-même, car elle se contente d’associer ou de dissocier les empreintes qu’elle forme à partir de l’exercice de la faculté sensible ou qu’elle reçoit de l’Intellect (« d’un côté comme de l’autre »), comme Plotin l’a expliqué supra, lignes 7-14, voir n. 10 et 12. C’est par l’examen de cette fonction qu’il faudra donc reprendre la recherche dans le chapitre suivant.

16. Pour ce « dialogue » de l’âme avec elle-même, voir Platon, Théétète 189e6-7 et Sophiste 263e4, qui définit ainsi la diánoia, la pensée discursive.

17. C’est ainsi que l’on rend le terme phantasía, qui renvoie à la faculté qui forme et réunit les images des objets perçus par la sensation, cfr. supra, chap. 2, ligne 8 (voir aussi les traités 27 (IV, 3), 29, 23-26, et 28 (IV, 4), 28, 40-43 ; et les explications données, dans le volume Traités 27-29, p. 52-55). C’est Aristote, dans son traité De l’âme III 3, qui désigne la phantasía comme une faculté intermédiaire entre la sensation et l’intellect et qui offre à cet examen son point de départ.

18. Le problème introduit dans ce chapitre est celui de la nature et de la fonction de la faculté discursive, d’abord dans ses relations avec la sensation. La sensation (aísthēsis), qui est activée par la perception des objets extérieurs, transmet une empreinte (túpos) de ces objets à l’âme, cette empreinte n’étant pas simplement une copie ou une reproduction de ces objets, mais plutôt une image formée par la phantasía (voir la note précédente) à partir de ce que la sensation perçoit de ces objets. À ce niveau déjà, l’âme exerce donc une activité de connaissance, au moyen de sa faculté sensible, qui consiste dans la représentation, par des images (phantásmata), des objets extérieurs. Mais la faculté discursive de l’âme va au-delà de ce degré de connaissance, en ayant recours à (1) la mémoire (mnḗmē) et en parvenant à reconnaître une certaine image par une comparaison avec les images qu’elle possède en elle-même ; elle peut ensuite (2) analyser cette image, en examinant sa « figure », ce qui lui permet (2a) de l’associer à d’autres images formées par la phantasía ou de l’en dissocier, ou bien (2b) de l’associer à des empreintes qui viennent de l’Intellect ou de l’en dissocier (voir, supra, chap. 2, lignes 7-14, et note 12), en parvenant ainsi à affirmer que « cet homme » dont elle a une image par la représentation (qui traduit en image le contenu sensible qui vient de l’activité de la sensation), (1) c’est « Socrate » (par la mémoire), que Socrate (2a) « a le nez camus » (par l’association de l’image de l’homme qu’est « Socrate » avec l’image d’une certaine conformation physique qu’est « le nez camus »), et que Socrate (2b) « est bon » (par l’association de l’image de l’homme qu’est « Socrate » avec l’empreinte du « bien » dans l’âme qui correspond à la forme intelligible du bien et qu’elle a reçue de l’Intellect). Voir notamment les explications et les précisions de P.-M. Morel, « La sensation, messagère de l’âme. Plotin, V, 3 [49], 3 », p. 215-226 ; voir en outre E.K. Emilsson, Plotinus on Sense-Perception, p. 107-112, et, du même auteur, « Cognition and its object » ; enfin, la mise au point de B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 113-114.

19. On rend ainsi le terme agathoeidḗs (pour lequel voir Platon, République VI 509a3), qui désigne communément la nature de l’Intellect, qui a justement « la forme du Bien » dont il est le produit, voir aussi les traités 19 (I, 2) 4, 12, et 38 (VI, 7), 15-18, et le volume Traités 7-21, note 91, p. 456, puis le volume Traités 38-41, notes 119, 123 et 139, p. 138-139 et 143. Voir également D. Montet, « Sur la notion d’agathoeidès ».

20. La pureté est l’un des caractères attribués à l’intellect par Anaxagore (voir le fr. DK 59 B 12), voir aussi, supra, chap. 2, ligne 22, et note 14. Si l’âme, ou plutôt sa faculté discursive, possède « un critère du bien » (lignes 8-9), c’est parce qu’elle est, d’une certaine manière, agathoeidḗs, c’est-à-dire qu’elle « a la forme du Bien » (voir la note précédente), et cela en ayant reçu de l’Intellect une trace du Bien qui, en étant comme imprimée dans la partie ou la fonction de l’âme qui est supérieure et plus pure que la faculté discursive, permet à cette dernière d’en garder une empreinte. Car, comme Plotin l’explique (lignes 12-15), l’âme consiste essentiellement dans sa faculté discursive ou de raisonnemmnt, en étant cependant en contact, au moyen d’une faculté supérieure et plus pure, avec l’Intellect, en recevant de celui-ci les empreintes des formes intelligibles, et, par sa faculté sensible, avec les objets sensibles extérieurs, dont elle reçoit les empreintes ou les images formées par la représentation. S’il en est ansi, il est clair que la faculté discursive de l’âme ne peut pas exercer la connaissance de soi, car elle s’adresse dans tous les cas envisagés à des objets qui lui sont extérieurs (parce qu’ils viennent de l’Intellect ou de la faculté sensible), et non pas à elle-même ; à moins de soutenir que cette faculté se connaît elle-même par une faculté différente et supérieure, mais alors, comme Plotin le précise immédiatement, on se trouve déjà au niveau de l’Intellect.

21. Alexandre d’Aphrodise, De l’âme 112, 18.

22. L’âme possède donc une faculté supérieure à la pensée discursive, qui s’apparente par sa pureté à l’Intellect. Mais Plotin explique que cette faculté ne coïncide pas à proprement parler avec l’âme comme l’une de ses parties ou fonctions, même si l’âme peut l’exercer en y ayant recours partiellement et ponctuellement. La fonction propre de l’âme est donc, comme Plotin l’a déjà souligné, la pensée discursive, qu’elle exerce toujours et par nature, mais elle peut avoir accès à la pensée pure, même si ce n’est que dans la discontinuité et en raison de sa parenté avec l’Intellect dont elle provient. On suit, à la ligne 28, l’editio minor de H.-S., qui impriment dianoíāi, au datif, au lieu de diánoiai, au nominatif, que l’on trouve dans les manuscrits et dans l’editio maior.

23. Nous suivons, à la ligne 33, H.-S. qui impriment dans l’editio minor, selon une correction d’Igal, kàn <mḕ>, alors que l’editio maior, suivant les manuscrits, avait kaì (« et c’est nous qui percevons ») ; dans ce cas, il faudrait en conclure que le vrai « nous » qu’est la faculté discursive de l’âme est aussi le sujet propre de la sensation, alors que Plotin semble vouloir dire le contraire, c’est-à-dire que la sensation comme l’intellection, auxquelles la faculté discursive a accès, ne coïncident cependant pas avec elle, qui est, seule, le vrai « nous » (voir, contra, B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 53, n. 26, et p. 120-121). À la ligne 34, nous suivons encore l’editio minor de H.-S., qui corrigent le texte transmis par les manuscrits, et imprimé dans l’editio maior, kaì dianooûmen en kaì dià <noû> nooûmen, selon une suggestion d’Igal, qui se fonde sur un passage parallèle infra, chap. 6, lignes 20-21, et note 45 (voir aussi, sur ce parallèle, W. Beierwaltes, Selbsterkenntnis und Erfahrung der Einheit, p. 104, et n. 13). Le texte des manuscrits serait en revanche répétitif et rédondant : âr’oûn kaì dianooúmetha kaì dianooûmen hoútōs (« est-ce donc ainsi que nous raisonnons, c’est-à-dire que nous raisonnons de cette manière ? »).

24. Avec cette citation d’Aristote, De l’âme III 5, 430a17, à laquelle a déjà eu recours le traité 10 (V, 1), 9, 7 et 10, 13-18, Plotin veut signaler la différence et la distinction entre l’âme et l’Intellect, qui en est justement « séparé ». L’expression « la partie dominante en l’âme » (tò kúrion tē̂s psukhē̂s), à la ligne 38, est probablement un rappel d’Aristote, Éthique à Nicomaque X 7, 1178a2.

25. Plotin précise encore la différence entre la pensée discursive et l’Intellect. Si l’âme coïncide avec sa faculté discursive, elle peut cependant également exercer une faculté supérieure qui l’apparente à l’Intellect (voir supra, note 22), et cela implique qu’elle est capable de « se conformer » à l’Intellect et d’en imiter l’activité pure. Le vrai « nous » que nous sommes c’est donc la diánoia, la pensée discursive, qui est en quelque sorte intermédiaire entre l’intellection, l’activité de l’Intellect pur à laquelle nous ne participons que partiellement et imparfaitement, et la sensation, qui est une faculté inférieure de l’âme dont nous ne sommes pas le sujet propre. On peut donc en conclure que « nous » sommes la faculté discursive de notre âme, alors que nous exerçons l’intellection (partiellement et imparfaitement) et la sensation comme des facultés qui sont « nôtres », mais qui ne coïncident pas proprement avec « nous » (voir sur ce point supra, note 23). Cette médiété de la pensée discursive ne va cependant pas de soi, car Plotin ajoute que, si la sensation appartient à l’âme comme étant une faculté qu’elle exerce sans cesse, et cela par l’intermédiaire du corps, la faculté discursive nous révèle l’origine « intellectuelle » de notre âme, dans la mesure où, « s’inclinant vers le haut », elle essaie de se conformer à l’Intellect d’où elle vient : le « nous » que nous sommes n’est donc pas véritablement intermédiaire entre l’intellection et la sensation, car il se penche plutôt du côté de l’Intellect. Voir aussi les traités 10 (V, 1), 12, et surtout 53 (I, 1), 7-8, qui reprend, en ces mêmes termes, la distinction entre ce que « nous » sommes et ce qui est « nôtre » ; et, sur ce sujet, B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 111-112 et 114-115, et L. Lavaud, « Structure et thèmes du Traité 49 », surtout p. 187-191. Pour les différents sens que donne Plotin au « moi » et à la subjectivité dans ses traités, on se reportera encore une fois aux éclaircissements donnés par B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 16-17 et 116-117, qui fait en outre remarquer la relation entre ces développements plotiniens et la conception de la subjectivité qui émerge dans l’Alcibiade (surtout 129b-133c), où Platon parvient à soutenir que le vrai « nous » c’est l’âme, alors que le corps n’est que ce qui est « nôtre », c’est-à-dire un instrument dont l’âme se sert.

26. Platon, Philèbe 28c7, mais voir aussi le fr. DK 59 B 12 d’Anaxagore. La conclusion du chapitre reprend ce que Plotin vient de préciser (voir la note précédente) : pour « nous », c’est-à-dire pour la pensée discursive, la sensation n’est qu’un « messager » qui lui fournit le matériel à partir duquel opérer, alors que l’Intellect est un « roi », dans la mesure où il est l’origine et la source de toute forme de pensée et de raisonnement de l’âme. Sur la conception de la sensation comme « messagère » de l’âme, et sur l’origine de cette expression, voir P.-M. Morel, « La sensation, messagère de l’âme. Plotin, V, 3 [49], 3 », surtout p. 209-215, qui en relève les sources, platoniciennes, aristotéliciennes et ou encore stoïciennes. Sur l’Intellect comme « roi », dans un contexte platonicien, voir l’article de H. Dörrie, « Der König. Ein platonisches Schlüsselwort, von Plotin mit neuem Sinn erfüllt ».

27. Plotin reprend dans ce chapitre le raisonnement sur lequel il avait conclu le chapitre précédent : s’il est vrai que l’Intellect est « pour nous un roi » (chap. 3, ligne 45), nous pouvons l’être nous aussi dans la mesure où il nous est possible de nous conformer à lui (hótan kat’ekeînon), en élévant notre âme au niveau de l’Intellect. Il faut maintenant expliquer comment cela peut se faire, ce qui introduit une double alternative. Il faut d’abord examiner la manière dont nous nous conformons à l’Intellect (lignes 2-4), puis la manière dont, une fois atteint l’Intellect, nous pouvons le connaître (lignes 5-7). L’âme peut se conformer à l’Intellect ou bien (1) dans la mesure où elle reconnaît les « traces » intelligibles que l’Intellect a « dessinées » en elle (ce qui permet de comparer l’âme à une sorte de tablette sur laquelle l’Intellect « écrit » ou « dessine », voir aussi infra, lignes 21-23, et note 30, et Aristote, De l’âme III 4, 430a1) et qui sont comme des « lois » qui gouvernent l’activité de l’âme ; ou bien (2) dans la mesure où elle est « comme remplie » par l’Intellect, c’est-à-dire en percevant que l’Intellect lui-même est présent dans l’âme en l’ayant engendrée. Dans le cas (1), c’est la faculté discursive de l’âme qui connaît l’Intellect, en utilisant les « traces » intelligibles en elle, par son activité propre qui consiste dans les raisonnements et les discours ; dans le cas (2), la connaissance de l’Intellect se réalise plutôt par une identification avec lui, car, en percevant qu’il est présent en elle, l’âme le connaît comme coïncidant avec elle-même et « en devenant cet être ». Voilà pourquoi la vision de l’Intellect, qui prend comme point de départ la connaissance des réalités intelligibles qui viennent de lui, devient une forme de connaissance de soi, une fois que l’âme comprend qu’elle est elle-même Intellect. Chaque âme est donc en quelque sorte double, car, lorsqu’elle exerce la faculté discursive qui lui est propre, elle reste distincte de l’Intellect dont elle dépend et elle ne se connaît que comme un sujet qui raisonne, mais quand elle se reconnaît comme apparentée à l’Intellect, elle s’élève au-delà de sa condition pour retrouver son origine et se connaître ainsi dans sa nature purement intellectuelle. Voir, sur la structure de ce passage, W. Beierwaltes, Selbsterkenntnis und Erfahrung der Einheit, p. 106-107, et L. Lavaud, « Structure et thèmes du Traité 49 », p. 191-193. Aux lignes 5 et 6, nous suivons H.-S., qui conjecturent tō̂i <tō̂i> toioútōi (en effaçant, avec Steinhart, le tō̂i toioútōi qui vient juste après) et qui corrigent le ḕ kaì des manuscrits en ḕ katà. Ces deux modifications étaient absentes de l’editio maior.

28. Platon, Phèdre 246c1.

29. La forme la plus élevée de connaissance de soi, qui consiste pour l’âme dans l’identification avec l’Intellect, implique donc un dépassement de soi qui fait que l’âme ne se considère plus en relation avec le corps qu’elle anime, comme un sujet particulier qui opère discursivement à partir de la connaissance des objets qui lui sont extérieurs, car elle se voit elle-même comme étant devenue une réalité différente, c’est-à-dire comme l’Intellect dont elle perçoit la présence en elle et avec lequel, pour cette raison, elle coïncide. Cette expérience peut être comparée à ce que Platon appelle réminiscence, déjà évoquée par Plotin supra, chap. 2, lignes 13-14, qui comporte une remontée vers l’intelligible que l’âme a pu contempler en s’élevant au niveau de l’Intellect et dont elle garde les traces quand elle exerce ses facultés ordinaires dans le corps.

30. Dans la mesure où la faculté discursive de l’âme ne peut qu’être consciente de sa nature, c’est-à-dire qu’elle est discursive, qu’elle s’adresse à la connaissance d’objets extérieurs et qu’elle peut remplir cette fonction en ayant recours à la réalité supérieure qu’est l’Intellect qui possède en lui-même ses objets de pensée et qui les « dessine » et les « a dessinées » en elle (ce qui fait qu’elle est comme une « image » de lui, voir supra, lignes 2-3, et note 27), elle ne pourra que s’arrêter à ce niveau de connaissance. C’est en effet au moyen d’une faculté supérieure, qui révèle la nature authentique de l’âme, que l’on peut aller au-delà de ce niveau, en parvenant à l’Intellect, qui possède la vraie connaissance de soi. De la sorte, on parvient en même temps à la connaissance de soi, dans la mesure où l’on « reçoit » (c’est ainsi que l’on rend le verbe metalambánō, qui ne signifie pas ici « participer », voir sur ce point B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 55, n. 41) l’Intellect en s’identifiant avec lui. C’est alors comme si l’on appartenait à l’Intellect et comme si l’Intellect nous appartenait. Voir aussi, pour cette description des facultés de l’âme, les explications données dans la Notice au volume Traités 27-29, p. 35-44 et 48-57. À la ligne 15, on suit H.-S. qui corrigent eîde des manuscrits en oîde, tout comme à la ligne 18 on accepte la conjecture de H.-S. <> ou zēteî, au lieu de hoû des manuscrits, qui n’a pas de sens, et on efface, suivant Theiler, le [] ouk oîden de la ligne suivante. À la ligne 19, on comprend le autò comme étant référé au tò dianoētikòn de la ligne 15, ce qui donne la traduction et l’interprétation que nous proposons ; on pourrait en revanche le référer au ti béltion de la ligne 18, c’est-à-dire à l’Intellect, en comprenant que c’est en connaissant ce qu’est l’Intellect que la faculté discursive de l’âme peut y parvenir.

31. Cette conclusion suit logiquement ce qui précède : la seule forme de connaissance véritable consiste dans l’identification du sujet connaissant et de l’objet connu, et c’est ainsi que l’âme peut connaître l’Intellect en ne faisant qu’un avec lui. Une fois éliminé tout ce qui fait obstacle, l’âme devient elle-même Intellect, et elle se connaît donc elle-même comme Intellect, tout comme elle connaît l’Intellect comme elle-même. À ce niveau, on ne peut plus même parler de l’« âme » et de l’« Intellect », d’un sujet et d’un objet, car il n’y a plus que l’Intellect qui comprend en lui-même tous les intelligibles et toutes les intellections, tous les intellects individuels et tous leurs objets. Cela n’autorise toutefois pas à conclure, comme le fait B. Ham, Plotin, Traité 49 (V, 3), p. 124-125, qu’il s’agit d’une expérience mystique, car Plotin semble s’en tenir à un principe de caractère onto-épistémologique selon lequel la forme de connaissance la plus haute et parfaite ne peut qu’être celle qui implique une coïncidence entre le sujet et l’objet.

32. Le problème de la connaissance de soi est maintenant posé au niveau de l’Intellect, auquel Plotin est parvenu à la fin du chapitre précédent : peut-on dire que l’Intellect se connaît lui-même en connaissant par l’une de ses parties ses autres parties ? Cette question avait été déjà évoquée supra, chap. 1, lignes 1-4, avec une conclusion négative : se connaître par une partie de soi ce n’est pas se connaître soi-même, car la partie de soi qui connaît les autres restera exclue de la connaissance de soi. On revient donc ainsi au parallèle déjà signalé supra, note 3, avec les arguments développés par Sextus Empiricus, Contre les savants VII 310-312.

33. L’argument est clair : on pourrait penser que l’Intellect qui se connaît lui-même par l’une de ses parties se compose de parties qui sont toutes identiques entre elles (homoiomerés, ligne 4 ; par ce terme, Aristote désigne, par exemple en Métaphysique A 3, 984a11-16, les particules infinies qui, selon Anaxagore qui les aurait appelées spérmata, composent toutes choses), ce qui implique que la partie qui connaît, dans la mesure où elle connaît des parties qui lui sont identiques, se connaît aussi elle-même ; il s’agirait alors d’une connaissance « transitive » de soi, parce que le simple fait de connaître une partie de soi, si toutes les parties sont identiques, implique qu’on les connaisse toutes, et cette connaissance totale serait la connaissance de soi. Plotin oppose à cet argument deux difficultés. D’abord (lignes 7-9), « il est absurde de se diviser soi-même », car en quoi consisterait cette division ? Et s’il s’agit d’une distinction entre une partie de soi qui connaît et une partie de soi qui est connue, laquelle de ces deux parties sera responsable de la distinction ? En deuxième lieu et surtout (lignes 10-15), cette forme de connaissance « transitive » de soi n’est pas possible, car, même si toutes les parties en question étaient identiques, la distinction pertinente est celle entre la partie qui joue le rôle du sujet connaissant et celles qui jouent le rôle de l’objet connu : ce qui connaît ne peut pas se connaître dans ce qui est connu car, même s’il lui était identique, (1) l’acte de connaître se trouverait dans ce qui connaît et non pas dans ce qui est connu, et (2) ce qui connaît, se connaissant comme objet connu, se connaîtrait comme un autre et non pas comme lui-même qui connaît. Dans ce cas, aucune connaissance de soi n’est possible pour un sujet composé de parties distinctes, « ni comme un tout ni en entier » (ou pánta oudè hólon, ligne 13) : il ne peut se connaître ni par rapport à la totalité de ses parties ni par rapport à chacune d’elles et à l’ensemble qu’elles constituent. Plotin passe souvent, dans ce passage et par la suite, d’un sujet au neutre (désignant la partie de soi qui devrait connaître les autres parties, par exemple à la ligne 1, ou la distinction entre « ce qui voit » et « ce qui est vu » dans celui qui devrait se connaître lui-même, par exemple à la ligne 2) à un sujet au masculin (désignant l’Intellect, par exemple aux lignes 5-6). Voir sur ce passage l’article de W. Kühn, « Comment il ne faut pas expliquer la connaissance de soi-même (Ennéade V, 3 [49], 5.1-17) », qui l’examine notamment du point de vue du rapport avec le passage parallèle de Sextus (voir la note précédente).

34. Aristote, Métaphysique Λ 7, 1072b21-22. Il faut cependant signaler que, pour Aristote, l’intellect qui se pense lui-même est le Premier Moteur, alors que pour Plotin l’Intellect n’est pas premier, car il vient après l’Un dont il est le produit. En outre, l’Intellect d’Aristote se pense lui-même pour cette raison qu’il ne peut pas avoir un objet qui lui soit inférieur, tandis que Plotin, ici et par la suite, rend compte de la connaissance de soi de l’Intellect en montrant que l’Intellect est identique à l’intelligible, et que sa nature consiste précisément dans l’acte de penser (et donc de se penser soi-même). Voir à ce propos les remarques de M. Ninci, Plotino, Il pensiero come diverso dall’Uno, p. 310-311, n. 41 et 43.

35. On pourrait encore défendre l’hypothèse d’une connaissance « transitive » de soi en soutenant que la partie qui connaît les autres parties, après les avoir connues, s’ajoute elle-même à cette connaissance, pour compléter et parfaire la connaissance de soi. Mais la réponse de Plotin est rigoureuse : si la partie qui connaît s’ajoute aux parties connues, il faut dire qu’elle y ajoute aussi ce qu’elle a connu dans l’acte même de cette connaissance, et deux possibilités sont alors offertes : soit on admet que la partie qui connaît n’a que des empreintes de ce qu’elle a connu, et elle ne possède donc pas les parties qu’elle a connues, qui seraient alors différentes de la partie qui les connaît, ce qui contredirait l’hypothèse de départ qui voulait que les parties de l’Intellect qui se connaît lui-même soient identiques ; soit on en conclut que la partie qui connaît possède les autres parties qu’elle a connues, et ces dernières ne font alors qu’un avec la partie qui les connaît, qui les connaît donc avant toute distinction ou partition, et dans ce cas aussi l’hypothèse de départ serait contredite, car on en viendrait à refuser la possibilité d’une partition de l’Intellect qui se connaît lui-même. La conclusion qu’il faut en tirer est que la connaissance de soi que peut avoir l’Intellect implique une coïncidence ou une identité, et certainement pas une partition ou une distinction entre ce qui connaît et ce qui est connu dans l’acte même de cette connaissance ; cela confirme ce que Plotin avait annoncé à la fin du chap. 4, lignes 29-31 (voir supra, note 31). Cette coïncidence ou identité entre ce qui connaît et ce qui est connu, que Plotin compare à la conception aristotélicienne de l’intellect qui se pense lui-même (voir la note précédente) et à l’identité de la pensée et l’être qu’il attribue à Parménide (voir la note suivante), permet en outre de formuler une définition de la vérité, car celle-ci se construit dans l’identité de ce qu’elle est avec ce qu’elle dit : est vrai ce qui ne fait qu’un avec ce dont il est vrai (qu’il s’agisse d’une proposition ou d’une pensée, voir W. Beierwaltes, Selbsterkenntnis und Erfahrung der Einheit, p. 195-197). Cette conception de la vérité représente une version plus radicale de celle que Platon expose dans le Sophiste (263b4-12), selon laquelle le discours vrai dit les choses qui sont comme elles sont, alors que le discours faux dit des choses qui sont, mais différentes de ce qu’elles sont. Plotin semble préciser que la vérité ne consiste pas seulement dans la correspondance entre ce qui est dit ou pensé et ce qui est comme il est (comme le faisait déjà Platon), car, plus encore, elle suppose la coïncidence ou l’identification entre le sujet qui dit ou pense, l’objet qui est dit ou pensé et l’acte même de dire ou de penser (voir également le traité 32 (V, 5), 2, 18-20, et, dans le volume Traités 30-37, p. 166, note 37).

36. Il s’agit d’une paraphrase du célèbre fragment de Parménide DK 28 B 3, que Plotin cite et utilise abondamment dans ses traités : voir par exemple 5 (V, 9) 5, 29-30 ; 10 (V, 1), 8, 17 ; 30 (III, 8), 8, 8 ; 38 (VI, 7), 41, 18 ; 46 (I, 4), 10, 6.