EXTINCTION

Dans le rapport humain-animal, l’humain n’est plus une proie depuis longtemps. L’homme est en réalité un plus grand prédateur que le fauve. Rares (infiniment rares) sont les attaques de lions sur l’homme. Mais l’inverse est si vrai que l’animal va vers son extinction.

Espèce officiellement protégée, classée comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature, les lions disparaissent néanmoins peu à peu1. Confinée aujourd’hui dans les savanes d’Afrique subsaharienne et dans une réserve au nord-ouest de l’Inde, l’espèce a autrefois vécu sur plusieurs continents. Il y avait des lions en Europe, et pas dans des zoos.

Il y a encore cent ans, on trouvait des lions sur tout le continent africain (hormis dans les forêts équatoriales). Les lions existaient en Asie Mineure et en Arabie. Mais le défrichage accru des terres pour l’exploitation agricole, la construction de routes, la modification de tout l’écosystème dans lequel vit cet animal (et tant d’autres) ont peu à peu mené à la disparition du fauve. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, il a disparu du Cap, d’Iran et d’Algérie, où le dernier spécimen de l’Atlas (dit « lion de Barbarie », espèce réputée pour sa taille massive et sa crinière noire) a été tué en 1922. Le lion d’Asie fut exterminé par les colons anglais en Inde. Il n’en subsiste plus que dans la forêt de Gir, déclarée zone protégée par le nabab de Junagarh en 1900. Aujourd’hui, seules neuf sous-espèces de lions existent encore, dont sept en Afrique2.

L’homme est seul responsable de la disparition de cette espèce, comme de toutes celles qu’il a chassées et domestiquées. Les hommes nommèrent autrefois « roi des animaux » celui dont ils voulaient s’approprier la force et le courage. Les guerriers masaïs se devaient de tuer un lion pour passer de l’âge adolescent à celui d’homme adulte. Ils le chassaient en petit groupe, armés seulement d’une lance et d’un bouclier, parfois ils en mouraient ou portaient toute leur vie de profondes cicatrices. Les colons européens, eux, sont partis chasser en nombre, et armés de fusils, pour ramener les têtes des lions comme trophées, symbole de leur domination sur les territoires d’Afrique qu’ils avaient envahis et colonisés3. Les lions capturés vivants et leur descendance ont longtemps été des cadeaux diplomatiques envoyés aux quatre coins du monde, entre chefs d’État. Le roi des animaux ? Une simple monnaie d’échange virile entre puissants.

Aujourd’hui, dans les réserves dites naturelles, les buffles que chassent les lions sont contaminés par la tuberculose des bovins élevés par les humains, que les fauves contractent à leur tour. La réduction de leur habitat naturel, la sécheresse due au réchauffement climatique et à l’agriculture intensive, la proximité des animaux d’élevage, tous les dérèglements que l’humain inflige à la faune et la flore de ses territoires (sans parler des braconniers) met leur espèce en danger. Comme tant d’autres.

La lionne est plus présente dans les horoscopes des astrologues et les documentaires animaliers qu’elle ne l’est vraiment sur Terre. Elle est devenue un mythe, dont les signifiants se passent aujourd’hui presque entièrement de référent réel. Quant à ma lionne de Tiergarten, elle est morte depuis longtemps, sans savoir que son espèce entière risquait de ne pas survivre à sa propre légende.