INTRODUCTION

Brian Clegg

Jusqu’à Einstein, Isaac Newton était sans rival dans le monde scientifique. Quand, en 2013, The Observer publia la liste des dix physiciens les plus importants, il était inévitable que Newton soit cité en premier. Néanmoins, il est assez ironique que ses écrits aient pris force de loi au fil des siècles, car, de son vivant, il avait énergiquement combattu la soumission aveugle de ses contemporains à la conception aristotélicienne du monde. L’indépendance de Newton semble lui être venue à un âge précoce. Né au manoir de Woolsthorpe, une grosse ferme du Lincolnshire, le jour de Noël 1642 (c’est-à-dire le 4 janvier 1643, selon le calendrier grégorien), il vécut très tôt d’importants bouleversements familiaux. Son père mourut avant sa naissance, et sa mère se remaria quand il avait 3 ans, le laissant à la garde de ses grands-parents. Plus tard, après la mort de son second époux, elle revint à Woolsthorpe avec ses demi-frères et ses demi-sœurs, que le jeune Isaac détestait cordialement. Il trouva une échappatoire dans ses études, d’abord à l’école de Grantham, puis à Cambridge. Sa mère aurait voulu qu’il restât à Woolsthorpe pour s’occuper de la ferme, mais, à partir de son entrée à l’université, Newton ne regarda plus en arrière. Il allait marquer l’histoire des mathématiques en développant le calcul infinitésimal, et celle de la physique en analysant les propriétés de la lumière et de la couleur, et en formulant ses théories sur le mouvement et la gravitation.

Tout cela semble pourtant n’avoir été qu’un passe-temps pour Newton qui, durant la même période, travaillait aussi sur l’alchimie et la théologie, en particulier sur la datation biblique. Il effectua également deux mandats comme représentant au parlement de l’université de Cambridge – de 1689 à 1690 et de 1701 à 1702 – à une époque de troubles politiques engendrés par l’abdication du roi Jacques II. Enfin, à partir de 1696, il devint Gardien, puis Maître de la Monnaie royale, une fonction qui l’amena à superviser le remplacement de la monnaie anglaise et à lutter contre les trafiquants et les faussaires, tout en s’occupant par ailleurs de l’institution scientifique majeure du pays: la Royal Society.

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Certains scientifiques passent à la postérité après leur mort, mais Newton était assez célèbre pour que les légendes naissent de son vivant: la fameuse pomme, par exemple, ne lui est jamais tombée sur la tête, bien que sa chute soit réputée lui avoir inspiré la théorie de la gravitation. Newton lui-même ne rechignait pas à réécrire l’Histoire. Quand il fut nommé chevalier pour son œuvre politique et fiscale – et non, comme on pourrait s’y attendre, pour ses services rendus à la science –, il falsifia la date de mariage de ses parents afin d’éloigner tout soupçon de naissance hors mariage.

Quand il mourut à Londres le 20 mars 1727 (31 mars 1727), sa notoriété et son prestige étaient tels que son tombeau à Westminster Abbey éclipsa par ses proportions ceux de nombreux grands du royaume. Cet homme étrange et solitaire avait dévoilé tant de rouages de l’univers qu’il l’avait en quelque sorte recréé pour ses contemporains. Même sa théorie des particules, supplantée plus tard par la théorie ondulatoire de Huygens, réapparut au xxe siècle sous une autre forme.

Il ne faudrait pourtant pas en conclure, à l’instar des Victoriens, que les grands personnages du passé sont des exceptions intemporelles. Isaac Newton était bien un homme de son temps, même si, aujourd’hui encore, on salue ses exploits scientifiques.

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