Le Mistral s'est installé depuis ma sortie de la semaine passée. Il chasse de la ville les miasmes des ordures éventrées, des diesels trafiqués et des pétrolettes italo-chinoises. N'en reste que le bruit. Des grands fantômes de plastique croisent dans le ciel marseillais. Les micocouliers de l'avenue du Prado se décorent de sachets qui disputent leurs branches aux feuilles nouvelles.
Je pédale sur mon vélo vers la plage. Plus question de sortir en mer avec mon engin par grand vent mais le spectacle de la baie ébouriffée et des kite surfeurs s’annonce grandiose.
Sous les vols planés des mouettes enthousiastes, je déploie plus modestement mon cerf-volant. Il décolle en trombe sur la plage déserte, rase la mer avec une amplitude d'angle magnifique. Il résiste admirablement à la folle pression du vent.
C'est là un régal de sensations spatiales pour trois sous et qui réserve de belles émotions sans risque immodéré.
J'en connais pourtant à qui j'ai fait goûter ces envolées et qui se sont retrouvées étalées, tandis que je cavalais pour rattraper l'engin, furieusement échappé.
Moi, je ne tombe pas. Le surpoids offre parfois quelques privilèges.
A quelques pas de moi, un homme aux cheveux rares et blancs joue avec un cerf-volant rouge qu'il partage avec deux enfants.
Je prête mon cerf-volant bleu pour que les deux enfants jouent en même temps.
L'homme me parle de lui. Il est menuisier et ferronnier, il est d'ici, mais fait des constructions compliquées dans les Emirats. Voici ses petits-fils, les fils de ses deux filles.
- Celui-ci est un cérébral me dit-il, mais il est empoté, alors je dois l'aider.
L’autre pilote mon cerf-volant comme jamais je n'ai su, enchaînant les loopings, tranquillement.
-C'est la deuxième fois, que j'en fais, me dit l'enfant.
Je suis impressionné. Ne peut-on en faire un métier ? Il y en de plus sots !
D'un coup sec, l'enfant exploite les amplitudes, l'engin monte, culmine, puis plonge en tranchant net par inadvertance, les cordes du cerf-volant de son cousin qui, désarçonné, fait quelques soubresauts navrés, décroche et tombe.
On se croirait à la fête de Kaboul.
Le grand père, en bon artisan tranquille, répare dans les bourrasques et je m'en vais regarder la mer surexcitée.
A quand un tour de cerf-volant kayak ? Cela s'est déjà fait. Il faut être deux. Je cherche un volontaire. Je sens peu d'enthousiasme alentour.
Pourquoi ?