Le Vieux Port

Entrer dans le Vieux Port de Marseille, l'antique Lacydon, par voie de mer, est une expérience mémorable quel que soit le bateau qui nous porte.

Au matin, on passe sous l'ombre de la falaise du Pharo, comme au temps de la Grande Grèce.

En face, les murailles ocre du fort Saint Jean nous verrouillent l'accès à la calanque. De l'exotique tour du fanal qui domine le fort, on attend l'appel du muezzin. Dans cet ouest méditerranéen, on se sent des rêves d'Orient. L'unité de la Mare Nostrum est restée une réalité.

A la gauche du fort, le Mucem, renforce cette union culturelle de la Méditerranée. Sa vêture en bas résille découpe la mer à la façon de Miro.

Voici la tour du Roi René. Comme elle rassure ! C'est une bonne vieille tour carrée de bon aloi, placée là où il faut pour marquer le seuil.

A regarder cette tour du seizième siècle et l'étendue du port qui s'ouvre, je convoque dans ma mémoire les récits et les images des temps héroïques.

Les navires hauturiers arrivaient là des antipodes, avec leurs cordages usés, leurs voiles rapiécées, leurs coques encroûtées. Je vois l'impatience des marins barbus exténués, leurs soutes gorgées de richesses et les rêves piaffant sur les quais, ceux des armateurs, ceux des Marius, ceux des jolies fiancées.

Parmi les marins, Brauquier, « le Mess Mar », revenait des îles lointaines, en écrivant dans un ennui émerveillé, un vers croisé par déca-mille.

Les vues de ce Marseille d’antan ornent les salons de la préfecture : les quais chargés de ballots et de filets, les forts à bras et les poissonnières.

Et on riait dans les nuits enfumées du Panier. Des rires gras et de furieux éclats, dans tous les idiomes du monde.

Toute cette vie !

Je cesse d'évoquer et me décide à avancer.

Il faut bien voir la réalité d'aujourd'hui : derrière la Tour du Roi, il ne reste qu'un grand garage où s’alignent de vilaines autos d'eau, si laides que l'on n’ose les appeler des bateaux. Sauf l'eau entre les rangs et les mats nus des voiliers, rien ne distingue le Vieux Port d'un parking de supermarché sauf d’être un de ces cadavres de l'Histoire dont se repaît le tourisme de masse.

Je rame lentement dans cette désespérance.

Et tous ces bateaux en parking dans le Vieux Port, les gros et les petits, quand sortent-ils ?

Au mieux dix fois l'an, tournent-ils dix milles dans la rade. C'est précisément là où parvient, et dans les moindres recoins, mon kayak, avec sa petite voile et sa pagaie. C'est aussi ce qui se faisait au temps des barquettes à voile.

Alors pourquoi avoir défiguré les côtes par des infrastructures monstrueuses juste pour accumuler tant de laideur immobile ?