La gaffe du kayakiste

Cela fait quelques années maintenant que je rame dans la rade. Par prudence, contre la brutalité des coups de vent d'ici, j'ai acquis un nouveau bateau vraiment marin, un Bélouga breton qui, de son nez de baleine, flaire la houle et m'a encouragé en se trémoussant de plaisir à oser franchir le cap Caveau, la pointe des îles du Frioul et à faire le tour de l'archipel.

Depuis, avec ce bon bateau un peu pataud, j'ai aussi exploré tous les recoins des Calanques et l'autre archipel de la rade, celui du Riou, où le récit nous mène.

A la calanque de Fontagne, la fontaine des Grecs de l'île du Riou, la plus grande et plus lointaine île de l'archipel, je rencontre un kayakiste solitaire. Ce taciturne pêcheur m'exhibe un barracuda qui de son museau pointu tropicalisé nous parle du réchauffement qui gagne nos côtes.

De l'autre côté de l'île, face au large, j'ai découvert la calanque secrète des contrebandiers, au fond de laquelle, le Parc National des Calanques, avec l'humour involontaire des fous de règlements, a installé un panneau pour interdire d'y débarquer.

Sur la seule plage de l'île, à Monasterio, j'ai rencontré des Bretons émus de voir un Bélouga si loin de Vannes.

Partout la foule de goélands et de cormorans acariâtres m'a signifiée sa désapprobation de la présence de l'humanité en ces derniers refuges isolés.

De tous côtés de l'île, passent, tout bruit toute allure, des zodiacs chargés d'hommes serrés, vêtus du même caoutchouc noir. Ambiance de guerre. D day. Des plongeurs. Si c'est pour voir les merveilles sous la mer, en allant si vite, vont elles avoir le temps de s'imprimer sur leurs rétines ?

Et puis, dès qu'il fait doux, s'il y a des voiliers lointains qui flottent comme des anges, les autos d'eau s'accumulent aux abris des criques, infligeant leur laideur partout où il ferait bon lézarder dans la beauté.

Mais ma plus grande contrariété en cette île, je la dois à ma propre méprise : Débarque sur la plage de Monasterio désertée, un jour de morte saison, un couple de jeunes kayakistes aux bateaux effilés.

Comme il est de coutume en ce lieu déjà bien engagé en mer pour des kayakistes, l'engagement faisant la rareté et la rareté la valeur, l'homme vient me saluer, puis la femme.

Voyant poindre son ventre rond, je rends un hommage de bienveillant grand père à ses efforts de presque mère pagayant si loin pour deux.

A quoi elle me répond, qu'il se trouve que non, elle n'est pas enceinte. Dommage, ajoute-t-elle, la conversation était bien engagée.

La voyant tourner les talons, il ne me reste plus qu'à mon tour à partir, bien mal à l'aise.

Dès lors, même la brise de Sud Est qui me porte idéalement sous voile au grand largue vers le Passage des Croisettes me laisse un goût amer tandis qu’au loin les deux kayaks effilés manœuvrent avec une grâce quasi surnaturelle.

Je sais pourtant que malgré cette apparente sérénité, la femme porte désormais en son sein un mal être que j'ai malencontreusement dispensé.

Il n'est pas facile d'apporter plus de bien que de mal en ce monde.