Au détour de mes lectures et de quelques heures de recherche sur Internet, j’ai découvert de nombreux sites invitant les étudiants à s’approprier des techniques de mémorisation extraordinaires pour réaliser d’incroyables performances dans le domaine scolaire.
Certains expliquent par exemple comment mémoriser mille décimales du nombre Pi grâce au « grand système », comment intégrer le nom de tous les pays du monde et de leurs capitales à l’aide du « palais de mémoire » ou encore comment se souvenir de l’ordre des 54 cartes d’un jeu en moins de cinq minutes en utilisant le système « Personne-Action-Objet ».
J’ai immédiatement été séduite par ces prodiges et ai donc construit une intervention à destination de mes étudiants pour les aider à s’approprier progressivement ces méthodes « révolutionnaires ».
Mais je me suis rapidement heurtée à un problème de taille. Car si toutes ces méthodes sont effectivement très efficaces pour mémoriser beaucoup d’informations tout en s’amusant, elles ne permettent pas de mieux comprendre ce que l’on apprend, voire elles peuvent avoir l’effet pervers de donner l’illusion de « savoir » alors que l’on a mémorisé un nombre conséquent d’informations qui n’ont strictement aucun sens pour soi…
Lorsque j’étais étudiante, j’assurais des heures de soutien scolaire auprès d’une petite fille qui était alors à l’école primaire. Elle avait régulièrement des exercices de lecture à pratiquer, suivis de questions portant sur le sens du texte.
Je m’asseyais à côté d’elle, nos deux visages étaient penchés sur le livre à lire, et elle commençait à ânonner. Cela lui demandait beaucoup d’efforts, tant elle était concentrée sur le déchiffrage des sons de toutes ces lettres associées entre elles.
Rapidement, j’ai réalisé qu’affairée à décrypter, elle ne pouvait pas s’intéresser au sens de ce qu’elle lisait. Elle était en mesure de citer un mot ou deux de mémoire, mais elle ne faisait aucun lien entre les informations hachées qu’elle avait démêlées avec peine.
Oui, d’accord, me direz-vous. Mais on ne peut pas tout faire en même temps. Ce n’est qu’au fur et à mesure que l’on maîtrise le b.a.-ba de la lecture, que les mots sont reconnus avant même d’être lus intégralement et que les phrases révèlent leur sens au fil de la lecture, que l’on peut alors se concentrer sur leur signification. Le déchiffrage n’est plus un problème. Il devient implicite, comme lorsque l’on apprend à faire du vélo ou à conduire une voiture (si j’essaye de comprendre le fonctionnement de la boîte de vitesse, je ne peux pas en même temps me concentrer sur la route).
Et pourtant…
Je vous propose de vous soumettre à une expérience amusante. Vous n’avez aucune compétence dans le domaine des matières scientifiques ? Cela n’a strictement aucune importance. Laissez-vous guider…
Jetez tout d’abord un œil à la définition d’une « limite » en mathématiques. Peu importe si les signes vous sont familiers ou non.
f(x) tend vers l quand x tend vers a si :
∀ ε > 0, ∃ η > 0, ∀ χ ∈ Ω {(0 < |χ-a| < η) ==> (|ƒ(χ)-l| < ε)}
Voici maintenant mon histoire…
Une splendide jeune femme (« f »), grande et élancée, tient un petit chien nommé Xerox dans ses bras (« (x) »). Ils se baladent dans un magnifique parc. Sentez-vous la douce brise qui caresse son visage ? Imaginez-vous les allées qui entourent de grandes étendues d’herbe tendre ?
Mais quand la jeune femme, tenant son petit chien dans ses bras, se dirige vers la sortie, et donc vers la limite du parc (« f(x) tend vers l »), Xerox tend sa petite patte, comme s’il tentait désespérément de l’arrêter (« quand x tend vers a si »).
Un grand mariage a lieu dans le parc.
Un verre de champagne à la main («∀»), une grosse femme pose son arrière-train sur un banc («ε») : la lettre epsilon «ε» doit vous faire penser aux fesses d’une grosse femme de côté ; le signe « supérieur à 0 » est à mettre en regard de la phrase « au-dessus du sol, sur le banc ».
Je vais m’arrêter là.
Cette histoire applique à la lettre les trois grands principes de la mémoire qui ont été mis en évidence par les Grecs sous l’Antiquité : l’exploitation des lieux, des images et des associations.
Nous verrons en effet en quoi le fait de solliciter sa mémoire visuelle en créant des images, en ayant le souci de localiser les informations à des endroits précis tout en cherchant à créer des liens associatifs entre elles constitue le fondement de tous les procédés mnémotechniques quels qu’ils soient. Pourquoi et comment ? C’est ce que nous allons voir à partir du chapitre 3.
Pour l’heure, j’ai choisi de vous raconter cette histoire pour vous aider à mémoriser le début de la définition d’une limite en mathématiques.
Si vous redéroulez l’histoire dans votre tête, en revoyant la jeune femme tenant son petit chien dans les bras, la réaction de l’animal quand elle se dirige vers la sortie et cette femme énorme s’asseyant sur un banc, vous devriez normalement, en associant chacune des scènes visualisées au signe que je vous ai indiqué, être en mesure de retrouver le début de la formule.
Vous pouvez donc, en employant cette méthode, mémoriser facilement et en vous amusant de nombreuses informations, même les plus complexes. Car vous verrez qu’une histoire se retient facilement. Plus vous ferez intervenir des informations sensorielles merveilleuses et précises (des couleurs, des sensations, des odeurs…), plus l’histoire prendra corps dans votre esprit et, selon la suite logique des données que vous aurez associées, plus les connaissances afférentes s’inscriront profondément dans votre esprit… et dans votre mémoire.
Lorsque j’écris cependant que cette méthode est « facile », je vais tout de même un peu vite. Elle requiert une bonne dose d’imagination et de créativité, ce qui n’est pas « facile » pour tout le monde.
Mais revenons à notre définition de la limite en mathématiques.
Savez-vous ce que signifie cette formule ? Chaque signe mathématique a-t-il un sens pour vous ? Oui, me direz-vous, celui auquel je l’ai arbitrairement associé dans l’histoire (à moins que vous ayez appris le sens mathématique de cette formule avant de lire ce livre…).
On comprend aisément que cette gymnastique mentale peut donc se révéler efficace pour mémoriser, mais qu’elle ne vous permettra en aucun cas de comprendre ce que vous apprenez, ni d’utiliser vos connaissances pour résoudre des problèmes ou développer une réflexion.
Prenons un exemple bien réel. Une étudiante est venue un jour me trouver pour me demander conseil. Elle passait un temps très conséquent à mémoriser ses cours, mais elle se trouvait systématiquement démunie devant les exercices qui lui étaient soumis au moment des examens.
Je fais des fiches, me disait-elle. Je les relis tous les jours. Je les ai affichées partout dans mon appartement, même dans les toilettes. J’y passe tellement de temps que je finis par connaître toutes les formules par cœur. Pourtant, je n’arrive pas à obtenir de bonnes notes. Mais il faut me croire, je vous assure que je travaille !
Comment peut-on passer autant de temps à mémoriser des informations sans que cela ait d’impact sur ses résultats ?
Cette étudiante passait beaucoup de temps à travailler, mais ne mettait pas ses capacités à mémoriser au service de ses capacités à comprendre et à réfléchir.
Si les examens avaient consisté en un contrôle de connaissances (récitation de formules, copiage de démonstrations…), elle aurait très certainement obtenu d’excellentes notes. Mais ce qui lui était demandé était tout autre. Il s’agissait d’utiliser les connaissances acquises pour résoudre des problèmes concrets.
Dans le cadre d’une discipline littéraire ou de sciences humaines et sociales, l’examen peut également demander une restitution d’informations (l’apprentissage par cœur peut alors porter ses fruits), mais s’il vous est demandé de construire une dissertation et d’articuler vos connaissances en vue de proposer une réponse personnelle à une question inédite, vous pouvez rapidement vous retrouver perdu.
Alors, comment faire concrètement pour mettre votre mémoire au service de votre capacité à réfléchir ? C’est grâce à l’analyse des grands principes de la mémoire que nous allons répondre à cette question dans les chapitres suivants.
Si vous déconnectez la mémorisation des informations que vous apprenez de leur compréhension, vous ne serez pas en mesure de mettre vos connaissances au service de la résolution de problèmes, ni donc de réfléchir efficacement.
Mais que veut dire « comprendre » un contenu ? Quelles sont les stratégies à mettre en œuvre ?
C’est ce que nous allons voir ensemble maintenant au chapitre 2.