1. C'est le titre retenu par Porphyre dans sa liste chronologique des traités de Plotin (Vie de Plotin 5, 8-9). La tradition manuscrite des Ennéades et la liste systématique de Porphyre (Vie de Plotin 25, 13-14) présentent un titre légèrement différent : Sur la raison pour laquelle l'être, un et identique, est partout entier à la fois. Celui-ci s'inspire du Parménide de Platon, 144c8-d1 : « Est-ce donc que, en étant un, il est entier en plusieurs endroits à la fois ? » ; puis 131b3-4 : « […] à la manière du jour qui, étant un et identique, est en plusieurs endroit à la fois […] ». Ce serait le premier traité que Plotin aurait composé après l'arrivée de Porphyre à ses côtés (Vie de Plotin 5, 5-9). Il aurait donc été écrit vers 263.
2. Les traités 4, 8 et 10 ont soutenu que l'âme s'étend à tout, même à l'univers, tout en restant une et entière (4 (IV, 2), 1, 57-59 ; 8 (IV, 9), 1, 7-8 et 10 (V, 1), 2, 28-38).
3. Allusion au Timée 35a1-6, où Platon entame la description de la fabrication de l'âme du monde par le Démiurge. Une partie de l'âme est alors qualifiée de « ce qui est divisible dans les corps ». Cette expression revient à plusieurs reprises dans les traités plotiniens (4 (IV, 2), 2, 49-52 ; 8 (IV, 9), 2, 26-28 ; 13 (III, 9), 1, 34-37 ; 15 (III, 4), 6, 34-35 ; 21 (IV, 1), 10-15 ; 27 (IV, 3), 4, 13 ; 19, 1-8 ; 28-31 ; 38 (VI, 7), 13, 20-21 ; 45 (III, 7), 6, 28 ; 53 (I, 1), 8, 10-12). Le court traité 21 (IV, 1) est consacré à cette question : Comment l'on dit que l'âme est intermédiaire entre la substance indivisible et la substance divisible.
4. Le traité 2 (IV, 7) a déjà établi que l'âme existe avant les corps (85, 42-43). L'intelligible en son ensemble existe avant les choses qui se trouvent dans le lieu (23 (VI, 5), 9, 41).
5. Le Timée affirme que l'âme du monde est produite avant le corps du monde (34b-c), et que c'est donc le corps qui est placé dans l'âme (36d-e). Ainsi, après avoir suggéré que l'âme est posée dans le corps (l. 1-3), Plotin propose maintenant que ce soit le corps qui soit posé dans l'âme. Telle sera la solution que retiendra le traité 22 (voir en particulier chap. 4, 30).
6. L'incorporéité de l'âme est défendue dès le traité 2, aux chap. 1 à 83 : l'âme ne possède ni grandeur ni parties (2 (IV, 7), 8, 21-26). Ce thème revient fréquemment dans les traités plotiniens, par exemple en 4 (IV, 2), 1 et en 8 (IV, 9), 4, 9-26.
7. Unique occurrence du verbe sunekteínein (« s'étirer ») dans l'œuvre de Plotin.
8. Cette dernière remarque rappelle celle de 4 (IV, 2), 1, 47-59, dans laquelle Plotin dit de l'âme qu'elle ne se trouve pas en plusieurs endroits à la façon d'une qualité ou d'une couleur. En effet, la qualité ou la couleur d'une masse corporelle est totalement séparée de celle qui est présente dans une autre masse. Quand bien même une qualité appartient à une seule et unique grandeur, ses parties n'ont pas de communauté. C'est qu'il s'agit là d'une similitude d'affection et non pas d'une communauté de substance. L'âme, qui est une réalité, est donc présente aux corps en conservant son unité, même si elle gouverne le corps le plus grand, celui de l'univers.
9. Les affections ne peuvent exister que dans les corps. Étant, pour Plotin, une réalité intelligible qui possède une existence au-delà des corps, l'âme ne peut donc être une affection au même titre que la couleur ou la qualité.
10. Plotin considère l'unité de l'âme comme une condition nécessaire à l'existence de toute sensation. Il faut que l'âme soit partout la même dans le corps, aussi bien dans le doigt que dans le pied (voir 4 (IV, 2), 2, 1-11). L'unité par le nombre est un concept aristotélicien (Métaphysique ∆ 6, 1016b31-32 et ∆ 9, 1018a13). Le Stagirite énumère quatre types d'unité : par le nombre, par l'espèce, par le genre et par analogie. L'unité par le nombre désigne l'unité de matière qui caractérise un individu, alors que l'unité par l'espèce réunit plusieurs individus distincts sous la même définition. Ainsi, lorsqu'il soutient que l'âme doit être partout dans le corps tout en restant une par le nombre, Plotin veut dire que les parties du corps possèdent la même âme individuelle, et non pas plusieurs âmes individuelles qui peuvent être subsumées sous le même genre « âme ». Plotin en fait de nouveau la remarque au chap. 4, 2.
11. On trouve la même explication en 4 (IV, 2), 1, 65 et 21 (IV, 1), 1, 22-23 : l'âme est divisible au sens où elle se trouve en chaque partie du corps.
12. Unique apparition de l'adjectif euparádektos (« acceptable ») chez Plotin.
13. Plotin établit clairement le but du traité : comment l'âme peut-elle s'étendre à tout l'univers, elle qui est incorporelle et sans grandeur ? Il précise également que la question de savoir si l'âme vient avant ou après le corps n'a pas encore été tranchée. Remarquons au passage que le contexte des traités 22 et 23 est celui du Timée (34b-36e), dans lequel le Démiurge fabrique l'âme de l'univers et l'étend sur l'ensemble du monde sensible (voir E.K. Emilsson, « L'ontologie de Plotin dans l'Ennéade VI, 4-5 », p. 173 ; puis C. Tornau, Plotin Enneaden VI 4-5 [22-23], Ein Kommentar, p. 21, n. 22). À notre avis, l'influence du Timée dépasse ici celle du Parménide. Voir A. Sumi, « The omnipresence of Being, The Intellect-Intelligible identity and the undescending part of the Soul », p. 49-50, qui soutient que les traités 22-23 n'ont pas pour but de répondre au dilemme posé par le Parménide.
14. Sur la notion d'imitation et sur sa relation avec la participation, voir J.-F. Pradeau, L'Imitation du principe, Plotin et la participation.
15. Plotin déclare à maintes reprises que le monde sensible est une imitation du monde intelligible (voir par exemple 12 (II, 4), 4, 8 ; 33 (II, 9), 8, 16-29 et 43 (VI, 2), 22, 37-38). Il faut parfois entendre cette expression au sens strict : on retrouverait aussi là-bas le ciel, les étoiles, la terre, l'air, la mer, les plantes, les animaux, les hommes, etc. (31 (V, 8), 4, 32-34 et 38 (VI, 7), 12, 1-19). Mais le contenu exact du monde intelligible reste une question litigieuse, comme l'explique clairement 5 (V, 9), 10-13. Si Platon parle bien dans le Timée de l'intelligible et du sensible, comme aussi du rapport entre le modèle et son image, le concept d'un « monde intelligible » lui reste étranger et résulte d'une longue tradition d'exégèse des dialogues platoniciens. Plotin le reçoit du médioplatonisme (voir, par exemple, La Création du monde de Philon d'Alexandrie).
16. La première définition du lieu se trouve dans la Physique d'Aristote, qui définit le lieu comme « la limite du corps qui contient » (IV 4, 212a6). La seconde serait celle des atomistes Démocrite et Épicure (selon Simplicus, voir SVF II, 508). Les deux mêmes définitions du lieu apparaissent chez Alexandre d'Aphrodise, De l'âme, 14.19-20.
17. Le raisonnement à l'œuvre depuis le début du second chapitre est donc le suivant : le monde intelligible est antérieur au monde sensible, qui n'en constitue qu'une image. S'il est postérieur et dépend de l'intelligible, le monde sensible se trouve alors « dans » le sensible, non pas au sens habituel du mot « dans », qui implique les notions de « lieu », de « limite », de « contenant » ou de « vide », mais au sens où le sensible tire son existence de l'intelligible et s'y rattache.
18. Par sa notion même, l'univers (tó pân, le « Tout ») est tout et il ne peut donc se faire défaut à lui-même ; il est rempli de lui-même, il reste égal à lui-même et il existe là où se trouve toutes choses. Ces caractéristiques reviendront constamment dans la suite du traité.
19. Ces thèmes seront approfondis plus loin. Étant postérieur au monde intelligible, l'univers sensible : 1) participe de lui, mais sans le diviser ; 2) découvre l'intelligible en lui, sans pour autant que l'intelligible sorte de lui-même. Voir 7 (V, 4), 2, 13.
20. Autrement dit, l'intelligible ne peut sortir de lui-même, car il contient en lui tous les êtres véritables et il ne peut admettre de non-être en son sein. S'il sortait de lui-même, l'univers véritable se répandrait dans le non-être, ce qui est absurde. Au sens strict, c'est l'Intellect qui contient toutes les formes intelligibles et qui constitue un monde intelligible (voir 10 (V, 1), 4).
21. Sur la question du non-être chez Plotin, voir par exemple 12 (II, 4), 14 et 16, et puis les études de J.-M. Narbonne, « Le non-être chez Plotin et dans la tradition grecque », et de D. O'Brien, « Le non-être dans la philosophie grecque : Parménide, Platon, Plotin ».
22. Nous interprétons ce passage difficile de la manière suivante : il est déjà acquis que l'intelligible ne se trouve en rien, mais qu'en revanche le sensible se trouve « dans » l'intelligible (chap. 2, 1-12). Par conséquent, se trouver en une chose ou se trouver partout équivaut à être dans l'intelligible ou dans l'être. Or, l'être ne pouvant sortir de lui-même, sous peine de s'adjoindre du non-être, l'être demeure dans l'être, c'est-à-dire en lui-même. Ainsi, par rapport à l'intelligible, « partout » signifie être dans l'être, qui demeure en lui-même. Le « partout » doit donc être compris relativement à l'intelligible et à l'être, et non pas relativement au lieu sensible, comme Plotin le précise dans les lignes qui suivent.
23. Ce grief revient plusieurs fois dans les traités 22-23 : nous confondons souvent l'intelligible avec le sensible, parce que nous tentons d'attribuer à l'intelligible des qualités qui n'appartiennent qu'au sensible (chap. 7, 4-9). C'est pourquoi l'idée qu'une seule et même chose se trouve en plusieurs nous semble inadmissible (sur l'embarras causé par une telle hypothèse, voir Philèbe 15b).
24. Sur la grandeur du monde intelligible et la petitesse du monde sensible, voir chap. 5.
25. Tendant vers l'intelligible mais ne pouvant l'atteindre, le monde sensible se met à tourner autour de l'intelligible. Le traité 14 (II, 2), consacré au mouvement circulaire du ciel, donne une description plus détaillée de ce phénomène. Le mouvement de l'univers, dit Plotin, imite celui de son âme, qui tourne elle-même autour de l'Un (chap. 2, 7-15 ; voir aussi chap. 1, 45-52).
26. Plotin insiste à nouveau sur le fait que l'intelligible reste en lui-même et que ce sont les corps qui viennent à lui, qui s'en approchent autant qu'ils le peuvent, et qui tentent de lui être présents. De même que l'intelligible ne sort jamais de lui-même (chap. 2, 21), aucun corps sensible ne peut non plus entrer en lui (chap. 2, 37). Le sensible peut seulement s'approcher de l'intelligible (chap. 2, 38).
27. L'idée selon laquelle chaque chose possède une capacité différente à recevoir l'intelligible reviendra à plusieurs reprises dans la suite du traité (voir 22 (VI, 4), 5, 11-12 ; 8, 40-41 ; 23 (VI, 5), 3, 13-15 ; 8, 20 ; 11, 29-30). Alors que les intelligibles sont tout entiers présents, chaque corps n'en reçoit que la part qui lui revient. Une telle précision permet d'expliquer pourquoi chaque chose ne participe pas de tout l'intelligible, qui se trouve pourtant partout tout entier. La signification de cette proposition est disputée, voir J.S. Lee, « The doctrine of reception according to the capacity of the recipient in Ennead VI, 4-5 », qui réfute D.J. O'Meara, Structures hiérarchiques dans la pensée de Plotin. Étude historique et interprétative, lequel répond à Lee dans « The problem of omnipresence in Plotinus, Ennead VI, 4-5. A reply ». La position de Lee est à son tour vivement critiquée par A. Sumi dans « The omnipresence of Being, The Intellect-Intelligible identity and the undescending part of the Soul », p. 49-53.
28. Que le dieu reste en lui-même, mais qu'il soit présent partout par l'intermédiaire de ses puissances, c'est ce qu'affirme par exemple le traité pseudo-aristotélicien Du Monde (VI, 397b32-398a6 ; 398b6-10), ou encore Philon d'Alexandrie (La Confusion des langues 135-136). Plotin discute en détail cette théorie au chap. 9, 8-45.
29. Il s'agit d'une thèse gnostique, qu'Hippolyte attribue à la secte des séthiens : les âmes partent du domaine de la lumière et s'étendent, tels des rayons de lumière, sur tout le domaine de l'obscurité (voir Hippolyte, Réfutations V, 19, 4 Cruice). Plotin lui-même compare souvent l'âme à une lumière (28 (IV, 3), 17, 12-21 ; 9 (VI, 9), 9, 1-7) ou à des rayons (10 (V, 1), 2, 18-22) ; il parle fréquemment de l'action de l'âme sur le corps en terme d'illumination (ibid.). La métaphore décrivant l'âme comme une lumière constitue, pour Plotin, un parfait exemple d'une unité qui se répartit sur plusieurs choses sans pour autant être divisée, telle la lumière du soleil qui s'étend sur plusieurs maisons tout en restant une (28 (IV, 3), 4, 19-21). Aussi utile soit-elle, précise Plotin, cette métaphore n'en demeure pas moins une simple approximation (23 (VI, 5), 8, 10-15).
30. Plotin contredit donc les gnostiques en affirmant que le dieu n'est pas présent au monde sensible en y envoyant seulement certaines puissances ici ou là. En fait, la puissance divine est présente tout entière dans l'univers, mais les choses sensibles ne peuvent en retenir qu'une partie, qui se manifeste alors sous les traits de puissances partielles et individuelles. C'est de nouveau le principe, central dans ce traité, selon lequel un corps ne participe de l'intelligible que dans la mesure où il en est capable.
31. Il faut ainsi concéder aux médioplatoniciens que le dieu est lui-même présent dans le sensible, mais à condition qu'il en reste séparé. Ce n'est certainement pas de cette manière que ces derniers se représentaient la présence divine. Mais Plotin insistera sur le fait que dieu est présent sans vraiment l'être, c'est-à-dire qu'il est ici-bas, mais sans jamais s'attacher à aucun corps.
32. L'intelligible et le sensible se rapprochent donc l'un de l'autre autant qu'il leur est possible de le faire sans s'interpénétrer. Il semble parfois difficile de savoir lequel des deux s'approche de l'autre, car tantôt l'intelligible s'approche du sensible (22 (VI, 4), 3, 15-16), tantôt le sensible s'approche de l'intelligible (chap. 14, 15-17), tantôt les deux sont simplement côte à côte (23 (VI, 5), 8, 18-21). Le thème du désir que ressent le sensible à l'égard de l'intelligible ou de l'Un est récurrent, voir 22 (VI, 4), 8, 15-16 puis 43-45 ; 23 (VI, 5), 1, 10-15 et 10, 1-3.
33. Ici comme dans la suite de ce chapitre, Plotin dénonce l'étonnement malvenu dans lequel nous plonge l'idée qu'une même chose puisse être partout la même. Voir les expressions similaires que Plotin utilise dans le traité 8, quand il affirme qu'une âme unique peut être présente en plusieurs corps (8 (IV, 9), 4, 15-26).
34. Il s'agit là du premier principe de l'omniprésence : c'est parce qu'il n'appartient à aucune chose que l'intelligible se trouve en toutes. Le second principe énoncera que l'intelligible se trouve en tout lieu pour cette raison qu'il n'en possède aucun (chap. 3, 23-27).
35. Plotin attaque la doctrine stoïcienne du mélange total. Même s'il est un corps, croient les stoïciens, dieu se mélange à l'ensemble de l'univers. C'est que pour eux deux corps peuvent se mélanger parfaitement et se trouver dans le même lieu (voir SVF II, 463-481). Plotin refuse ici une telle notion, prétendant que deux corps qui possèdent chacun un lieu ne peuvent être présents l'un à l'autre. Pour une réfutation de la thèse stoïcienne du mélange total, voir le traité 37 (II, 7), qui est consacré à cette question.
36. Plotin répétera dans ce traité que la divisibilité appartient toujours à un corps (chap. 8, 18-19 ; 23 (VI, 5), 4, 10). Le traité 4 (IV, 2) l'avait déjà établi (chap. 1, 11-12).
37. L'argument est redondant, puisque Plotin tient à l'identité de l'Intellect, de l'être et de la vie, voir 24 (V, 6), 6, 20-22 et 38 (VI, 7), 23, 18-24). Voir l'étude classique de P. Hadot, « Être, vie, pensée chez Plotin et avant Plotin ».
38. Sur l'unité par l'espèce, voir chap. 1, 24-26 et note 10. En disqualifiant l'unité par l'espèce, Plotin souligne que l'être, l'Intellect et l'Âme sont partout uns par le nombre.
39. Sur l'uni-multiplicité de l'Intellect, voir par exemple 5 (V, 9), 6, 3-6.
40. Plotin rappelle ici l'une de ses thèses novatrices, celle de l'unité de toutes les âmes (voir 8 (IV, 9) et 27 (IV, 3)). Les âmes individuelles ne sont pas selon lui réellement multiples, car elles ne constituent en fait qu'une seule et même âme. D'où la difficulté d'expliquer comment plusieurs âmes peuvent exister ici-bas, alors qu'elles n'en font qu'une. Plotin résout cette difficulté dans la suite du présent chap. et aussi aux chap. 6, 12 et 14.
41. Plotin reprend la position du Timée, qui admet l'existence d'une âme du monde en plus de celle de nos âmes individuelles.
42. Rappel de l'hypothèse gnostique selon laquelle dieu, ou l'intelligible, resterait en lui-même et enverrait les âmes dans le monde sensible (chap. 3, 3-6).
43. Il faut donc trouver une véritable explication au fait qu'une chose puisse être partout tout entière. On ne peut éviter la question en affirmant qu'une telle chose reste en elle-même, alors qu'elle envoie ses puissances à l'extérieur d'elle-même. Une telle solution nous mène en effet à une régression à l'infini, car les puissances qui viennent dans les choses sensibles doivent elles-mêmes être présentes en entier dans ces choses. Soit alors elles se divisent, soit, derechef, elles envoient leurs puissances, mais à nouveau ces puissances devront être présentes en entier, etc. La difficulté subsistera tant et aussi longtemps qu'on n'expliquera pas comment une chose est présente tout entière à une autre.
44. Plotin soutient en trois autres endroits que l'âme est un nombre (10 (V, 1), 5, 9 ; 23 (VI, 5), 9, 14 ; 34 (VI, 6), 16, 45). L'Intellect est lui aussi un nombre (7 (V, 4), 2, 8 ; 30 (III, 8), 9, 5 ; 34 (VI, 6), 8, 2 ; 9, 30). L'être et l'Intellect étant, selon Plotin, une seule et même chose, l'être devient lui aussi un nombre (voir par exemple 34 (VI, 6), 9, 25-30). L'assimilation de l'âme à un nombre vient de Pythagore (chez Stobée, Anthologie I, 49 Ia, 4) et de Xénocrate (Fr. 60 Heinze).
45. Parménide, fr. B 8, 25 DK. C'est ainsi que Parménide décrit la cohésion de l'être, sa plénitude et sa continuité. C'est en ce sens que Plotin l'entend lui aussi, voulant défendre l'unité de l'être en dépit de la multiplicité qui le caractérise.
46. Anaxagore, fr. B 1 DK. Plotin utilise souvent la formule anaxagoréenne homoû pánta pour décrire l'Intellect (voir par exemple 9 (VI, 9), 5, 21 ; 17 (II, 6), 1, 11). Dans ce traité, voir aussi chap. 14, 4 ; 6 ; 23 (VI, 5), 5, 3-4.
47. La multiplicité de l'être intelligible a été expliquée en 12 (II, 4), 5, 28-36. L'altérité qui vient après l'Un engendre la multiplicité, le nombre et la matière intelligible. En effet, la dyade indéfinie (c'est-à-dire la matière intelligible) émane de l'Un et, après s'être retournée vers son générateur, devient une dyade définie, à savoir un Intellect qui contient toutes les formes et tous les nombres. Voir également 7 (V, 4), 2, 7-9 ; 10 (V, 1), 5, 7-9 puis 13-18.
48. Reprise de Timée 35a, dont il a été question au début du traité (chap. 1, 2-3). Voir note 3.
49. Nous ne traduisons pas le phúsis, voir la note 160, p. 280, du traité 12 dans le précédent volume.
50. L'Âme, dit Plotin, est « une et multiple » (4 (IV, 2), 2, 52). La relation de l'âme unique avec les multiples âmes individuelles peut se comprendre par le biais de deux analogies : 1) l'Âme agit vis-à-vis des âmes particulières comme un genre vis-à-vis de ses espèces (31 (IV, 8), 3, 11-13 ; 43 (VI, 2), 22, 28-29) ; 2) les âmes particulières appartiennent à l'Âme unique comme les théorèmes d'une science appartiennent à la science tout entière (27 (IV, 3), 2, 50-54). L'exemple de la science revient plus loin, dans le traité 22, au chap. 11, 10-12 et 23-25, puis en 23 (VI, 5), 10, 48-52. Sur la relation entre l'âme unique et la pluralité des âmes, voir avant tout le chap. 4 du traité 8, et le passage de 27 (IV, 3), 2, 13-57.
51. Sur l'illimitation de l'âme et, en général, de l'intelligible, voir chap. 14, 4-12 ; 23 (VI, 5), 4, 13, puis chap. 6, 2 ; chap. 9, 13 ; 36 ; chap. 11, 24 ; chap. 12,36.
52. Sur l'origine pythagoricienne du terme aénnaos (« éternel »), voir C. Tornau, Plotin, Enneaden VI, 4-5 (22-23), p. 117-118.
53. L'écoulement est étroitement lié aux corps et à leur corruption. Platon en parle souvent dans ses dialogues, décrivant par là le devenir incessant des choses sensibles (Théétète 156a, 177c, 181a, 182c ; Cratyle 411b-c, 439c ; Phédon 90c ; Philèbe 43a ; Sophiste 249b), et rapportant cette théorie à Héraclite (Cratyle 402a). Or, Plotin lui-même adopte une telle conception des corps sensibles (2 (IV, 7), 3, 20 ; chap. 8, 45-46 ; 10 (V, 1), 9, 3-5 ; 24 (V, 6), 6, 16 ; 27 (IV, 3), 8, 24-25 ; chap. 26, 53-54 ; 40 (II, 1), 1, 5-12 ; 51 (I, 8), 4, 5). Le corps ne persiste pas très longtemps, car il ne cesse de s'écouler (2 (IV, 7), 8, 45-46). Pérennité et corporéité ne vont pas de pair (2 (IV, 7), 1, 8-11 ; 5 (V, 9), 4, 15-17). C'est pourquoi Plotin associe maintenant l'éternité de la nature intelligible au fait qu'elle ne s'écoule pas comme le fait un corps.
54. C'est dans le Timée (33c-d) que Platon dit du monde qu'il contient tout et que rien ne peut y entrer ou en sortir. Aristote reprend cette doctrine (Du Ciel I 9), comme Plotin le fera à sa suite (23 (VI, 5), 10, 36-38 ; 33 (II, 9), 17, 52-54 ; 40 (II, 1), 1, 13-24 ; 3, 2-5). Puisqu'il n'existe rien à l'extérieur de l'univers, la nature éternelle, qui est elle-même l'univers, ne peut s'écouler nulle part. Elle reste donc en elle-même, c'est-à-dire partout dans l'univers.
55. Le traité 2 (IV, 7) a déjà montré que l'âme ne possède ni quantité ni masse (chap. 5, 50-53), et le traité 8 (IV, 9) que l'âme de l'univers se trouve partout tout entière, sans pour autant être divisée comme le serait une masse (chap. 1, 7-8). C'est qu'il n'existe pas de masse dans l'intelligible (chap. 1, 9). La notion de « masse » (ógkos), même si elle apparaît des centaines de fois dans les traités plotiniens, demeure assez obscure. Certains points semblent toutefois acquis à la lecture du traité 12 (II, 4) : 1) là où il n'y a pas de matière, il n'y a ni grandeur, ni masse (chap. 6, 16-17) ; 2) la masse implique nécessairement une grandeur (chap. 11, 3-4 ; 14-15). Plotin paraît donc admettre les équivalences suivantes : matière = grandeur = masse ; immatériel = sans grandeur = sans masse. L'âme, pour autant qu'elle est une réalité intelligible et immatérielle, ne peut donc avoir ni grandeur, ni masse. Voir L. Brisson, « Entre physique et métaphysique. Le terme ógkos chez Plotin, dans ses rapports avec la matière et le corps ».
56. Puisque l'âme peut être partout présente, qu'elle ne possède pas de limites relativement au lieu ou aux grandeurs, on peut en effet se demander pourquoi les âmes individuelles se borneront à gouverner un seul corps. Plotin répond que chaque âme appartient au corps qui s'en est emparé, c'est-à-dire qui s'est suffisamment approché d'elle pour en participer.
57. Une âme se différencie d'une autre, parce qu'elle s'ajoute à un corps différent. Mon âme est différente de la tienne dans la mesure où elle appartient à un corps différent. L'âme se particularise en gouvernant un corps individuel : d'une et identique qu'elle est dans l'intelligible, l'âme acquiert des différences selon qu'elle joint sa destinée à tel ou tel corps.
58. Plotin a déjà soutenu que l'âme est une par le nombre à la fois dans la main et dans le pied (chap. 1, 25-26). La sensation rend ce fait évident, dit-il, car l'unité de l'âme demeure une condition nécessaire à l'existence de toute sensation. Il faut alors que l'âme soit la même partout dans le corps (voir 2 (IV, 7), 6, 1-5 ; 4 (IV, 2), 2, 1-11). Plotin défend à nouveau cette position dans les lignes suivantes, en affirmant que les affections sont multiples, mais que l'âme qui les juge reste une.
59. La suite du texte montre que l'argument implique ici que les affections soient identifiées à des âmes : si l'âme et l'affection ne font qu'une, et que nous ressentons des sensations et des affections différentes, nous possédons plusieurs âmes différentes.
60. Il semble même qu'une sensation ne peut non plus percevoir l'affection d'une autre sensation : dans un même corps, une main ne perçoit pas l'affection de l'autre main. Il n'y a que l'âme répandue dans tout le corps qui peut percevoir ces deux affections (8 (IV, 9), 2, 9-10). Voilà sans doute ce que Plotin veut souligner, dans la phrase suivante, lorsqu'il rappelle que l'œil ne transmet pas son jugement à l'ouïe, mais que l'âme seule perçoit les deux.
61. Les affections perçues par les yeux et par les oreilles se rapportent à une seule et même réalité (2 (IV, 7), 6, 9-15). Toutes les perceptions se rejoignent dans la même entité, que l'on peut comparer au centre d'un cercle vers lequel convergent tous les rayons. Seul ce centre peut alors faire la distinction entre les différentes perceptions (comparer avec De l'âme III 2, 426b13-23). De sorte que la faculté de raisonner, dans l'âme, formule son jugement à partir des images qu'elle perçoit à travers les diverses perceptions sensibles (49 (V, 3), 2, 8-11).
62. Renvoi probable à 8 (IV, 9), 3, 1-5 : l'unité de toutes les âmes se manifeste dans le pouvoir que nous avons de partager nos affections les uns avec les autres, engendrant ainsi peines et amours mutuelles.
63. C'est de nouveau la sensation qui nous induit en erreur : nous croyons que la division des corps entraîne celle de la forme qui appartient à ces corps. Voir chap. 2, 26-29 et la note 23.
64. Une coudée équivaut à 44,4 centimètres.
65. Plotin présente ici la première des nombreuses métaphores qui parsèment les traités 22-23. Voir la Notice. Le traité 31 (V, 8) nous invite également à imaginer le monde sensible et, ensuite, à lui retirer sa masse corporelle (chap. 9, 1-14).
66. Sur l'incorporéité de la lumière, voir 29 (IV, 5), 7, 41-43 et 40 (II, 1), 7, 26-28. Plotin développe en détail sa théorie sur la lumière en 29 (IV, 5), 6-7. Ici, Plotin invoque l'incorporéité de la lumière afin de souligner qu'un corps n'est pas lumineux en tant que corps, sinon tous les corps seraient lumineux. La lumière est au contraire une puissance et, sans doute, un acte (29 (IV, 5), 7, 13-17). C'est ce qui permet à Plotin, dans les lignes suivantes, de supprimer la masse corporelle, tout en conservant la puissance de la lumière.
67. Quand il tente d'expliquer à Parménide comment une forme, en restant identique, peut se trouver en toutes choses, Socrate choisit l'exemple du soleil : la forme est présente à la manière du jour, car celui-ci reste un et identique en plusieurs endroits en même temps, ne devenant pas, de ce fait, distinct de lui-même (Parménide 131b).
68. Il faut imaginer quelqu'un qui descendrait, par exemple, un morceau de carton dans un rayon de lumière. Si la lumière pouvait être divisée, le rayon continuerait à exister de l'autre côté du carton, celui qui est opposé à la source lumineuse. Plotin évoque de nouveau une expérience de ce genre en 54 (I, 7), 1, 25-28.
69. Dans le premier chapitre du traité, Plotin évoquait mais ne tranchait pas la question de savoir si l'âme vient avant le corps (chap. 1, 4-7 puis 32-34). Même si ces hésitations n'étaient sans doute que rhétoriques, Plotin affirme maintenant sans ambiguïté que tel est bien le cas. Nous ne traduisons pas le phúsis.
70. Nous adoptons la leçon memerisménon (« divisé », au cas accusatif) que donnent les manuscrit des familles w et z.
71. L'âme ne pourrait être divisible que si elle appartenait au corps, en étant une affection ou une forme du corps. Or, comme le marquent les lignes qui suivront, elle n'est ni l'une ni l'autre. En 2 (IV, 7), 82, 6-43, Plotin a déjà réfuté la définition aristotélicienne de l'âme comme « entéléchie première d'un corps naturel qui possède la vie en puissance » (De l'âme II 1, 412a27-b1). Cette définition, dit-il, rapproche trop l'âme du corps (chap. 85, 6-7), avec cette conséquence fâcheuse que l'âme semble ainsi devenir divisible dans le corps : l'âme serait coupée en même temps qu'une partie du corps le serait (chap. 85, 7-8). L'âme n'est donc pas la forme d'un corps, et elle ne tire pas son existence de son association avec le corps (chap. 85, 40-42). Il ne fait alors aucun doute que l'âme existe avant n'importe quel corps (chap. 85, 42-43).
72. La divisibilité a déjà été associée à la corporéité, voir chap. 3, 30-31 et la note 36.
73. Le corps n'est pas divisible en tant que corps, mais en tant qu'il possède une grandeur. L'âme n'est donc pas divisible, puisqu'elle ne possède aucune grandeur (chap. 1,12 ; chap. 3, 38-40). En 12 (II, 4), 9, 3-12, Plotin explique que l'intelligible est dépourvu de quantité, et que même la forme de la quantité est dépourvue de quantité (voir la note 69, p. 271, au traité 12 dans le précédent volume).
74. Nous tenons le eí de la ligne 29 pour elliptique : « et si le cas se présente », « le cas échéant ».
75. Sur l'absence de quantité dans l'intelligible, voir la note 73.
76. Nous lisons hoû avec Igal.
77. Le chap. précédent vient de rappeler que chaque chose participe de l'intelligible autant qu'elle le peut. Ce qui revient à dire que le corps qui participe de l'unité intelligible ne possède pas cette unité même, mais uniquement ce qu'il peut retenir d'elle. Plotin développe alors dans le chap. 9 les absurdités qui découleraient de l'hypothèse selon laquelle les unités d'ici-bas seraient des copies conformes de l'unité véritable.
78. Que l'unité véritable ne soit pas la forme d'un corps est acquis depuis longtemps, voir chap. 1, 15-20 et 8, 12-15.
79. Après avoir souligné l'impossibilité de retrouver dans le sensible des copies parfaites de l'unité véritable, Plotin examine maintenant et jusqu'à la fin du chap. comment cette unité peut néanmoins être présente, bien qu'imparfaitement, ici-bas. Il renoue alors avec le chap. 3, 1-3, où il se demandait si le dieu, ou l'intelligible, pouvait être présent au monde sensible par l'intermédiaire de ses puissances.
80. Plotin s'explique sur ce point aux l. 11-16 et 37-45.
81. De cette question, Plotin examinera d'abord la négative, c'est-à-dire que les puissances d'ici-bas ne se trouvent pas en même temps là-bas (l. 12-16), puis il développera la positive, c'est-à-dire que les puissances sont à la fois ici et là-bas (l. 16-45).
82. Plotin reviendra sur cette difficulté au chap. 10, 24-30, affirmant que les intelligibles ne s'écoulent pas et ne perdent aucune parcelle de leur puissance.
83. Reprise de la question posée à Socrate dans le Parménide : « Est-ce donc à la Forme en sa totalité ou à l'une des parties de cette Forme que participe chaque chose qui participe à cette Forme ? » (trad. L. Brisson).
84. Cette assertion sera réfutée au chap. 9, 38-45.
85. Plotin rejettera cette troisième possibilité (chap. 9, 23-28) au profit de la première (chap. 9, 37-45) et de la seconde (chap. 9, 29-36).
86. La troisième possibilité est donc aisément mise de côté : il ne saurait exister de substance sans puissance, ni de puissance sans substance. Les puissances et les substances d'ici-bas sont certes inférieures à celles dans l'intelligible, mais elles demeurent néanmoins intimement liées.
87. La seconde possibilité vient ultimement renforcer la première. Prenons par exemple la puissance qui accompagne la forme humaine, et qui est exactement la même dans chaque homme. À défaut de se trouver en toutes choses, cette forme s'avère cependant la même dans tous les hommes à la fois, sans pour autant avoir été divisée. Elle se trouve toute entière en chaque homme, de la même manière que l'âme est partout entière en un seul et même corps (chap. 1, 25-27 ; 27 (IV, 3), 8, 47-49). Puisque la même forme peut être entière en plusieurs corps sans être divisée, rien n'empêche donc une forme d'appartenir à tous les corps, c'est-à-dire à l'univers tout entier. Voir le même argument dans le traité 8 (IV, 9), 1, 8-9.
88. La divisibilité n'appartenant qu'au corps, l'âme, si elle est divisée, le sera à la manière du corps (chap. 3, 30-31 ; 8, 18-19). Or, puisqu'il possède une grandeur, le corps est divisible à l'infini (2 (IV, 7), 6, 37 ; chap. 82, 17-19). La division de l'âme n'aura donc aucune limite et progressera à l'infini.
89. Si elle est divisée, l'âme subit le même sort que le corps que l'on divise : aucune des parties ainsi obtenues ne sont plus semblables au tout dont elles proviennent (voir 2 (IV, 7), 5, 25-26).
90. Sur la traduction de sunáisthēsis par « perception de soi », voir la note 35, p. 31, au traité 7 dans le précédent volume. Ce terme désigne ici l'unité à laquelle se ramènent toutes les sensations (voir chap. 1, 25-26 et la note 10). La perception de soi implique le rapprochement d'une multiplicité en une certaine unité, quoique celle-ci ne doive pas être parfaite, car l'unité absolue qu'est l'Un transcende toute sunaísthēsis (24 (V, 6), 5, 1-8 ; 38 (VI, 7), 41, 26-27). La sunaísthēsis appartient ainsi en propre à l'Âme (53 (I, 1), 9, 20-22) et à l'Intellect (7 (V, 4), 2, 15-20 ; 38 (VI, 7), 16, 19-22).
91. Plotin a déjà souligné l'importance, pour ce traité, de l'axiome d'origine platonicienne selon lequel l'univers sensible est l'image d'un modèle intelligible (chap. 2, 1-6).
92. Nous transférons au début de cette phrase le ei de la ligne précédente, que H.-S. ont éliminé en suivant l'avis de Kirchhoff.
93. C'est sur ce principe que Plotin refusera constamment de séparer le sensible de l'intelligible, car il conçoit la participation du second au premier sous le biais de la dépendance : le sensible n'a d'existence que s'il se rattache à l'intelligible. De manière générale, Plotin voit sous le même angle la procession entière de toute la réalité, car la production de chaque chose, de l'Un jusqu'à la matière sensible, se décrit comme la production d'une image qui ne peut survivre sans son modèle (voir 31 (V, 8), 12, 19-20 ; et R. Dufour, Plotin, Sur le ciel II, 1 [40], p. 122). D'où l'utilisation fréquente, particulièrement dans les traités 22-23, du verbe anartân (« se suspendre à », « dépendre de ») ; voir l'Index des notions en fin de volume.
94. Ces exemples viennent de Platon. Lorsqu'il tente de définir la nature d'une image, Théétète énumère les images que l'on voit dans les eaux ou les miroirs, les images peintes ou gravées, et les autres choses de cette sorte (Sophiste 239b). La République dresse une liste similaire : il faut appeler « images » les ombres, les reflets dans l'eau ou sur les corps opaques, polis et brillants, et toutes les représentations semblables (VI 510a). Les images dans les ombres renvoient à l'allégorie de la caverne, dans laquelle les prisonniers enchaînés à l'intérieur de la caverne ne voient, sur le mur qui leur fait face, que les ombres des réalités extérieures (VII 515a).
95. Nous adoptons la correction de Kirchhoff, ap’ autoû.
96. À l'encontre de ce qu'a soutenu F. García Bazán, « Sobre una aparente contradicción en los textos de Plotino (Enn. V 4 (7), 2, 30 y Enn. VI 4 (22), 10, 18) », cette remarque ne contredit pas celle de 7 (V, 4), 2, 30. Il ne faut pas traduire « il faut dire que la chaleur n'est pas une image du feu », comme le fait F. García Bazán, car la négation objective ouk porte sur l'adjectif verbal d'obligation lektéon : « il ne faut pas dire que la chaleur est une image du feu », et non pas sur l'infinitif eînai. S'il existe une contradiction, ce serait plutôt avec 12 (II, 4), 14, 13-14, où Plotin affirme que la chaleur est dans le feu, mais que le feu n'est pas dans la chaleur. Mais Plotin ne se contredit peut-être pas, car son intention dans le traité 22 est de montrer que la chaleur n'existe pas sans la présence d'un feu (voir aussi 7 (V, 4), 2, 30-33 ; 10 (V, 1), 6, 33-35). De sorte que jamais l'image du feu qu'est la chaleur ne saurait subsister sans la présence de son modèle. L'idée que le feu soit dans la chaleur ne doit pas être prise en un sens trop littéral, pour cette raison que Plotin s'en sert uniquement pour accuser la dépendance de l'image eu égard à son modèle. La suite du paragraphe confirme cette interprétation.
97. Il s'agit peut-être des gnostiques, qui, selon Plotin, introduisent la génération et la corruption dans les intelligibles : « […] et ils veulent contredire les anciens en introduisant dans l'intelligible toutes sortes de générations et de corruptions […] » (33 (II, 9) 6, 57-58).
98. La procession qui conduit de l'Un à l'Âme n'implique aucune diminution dans l'Un ou l'Intellect, car ils ne s'écoulent pas à la manière des choses sensibles (chap. 5, 5-6), et leurs produits sont éternels (5 (VI, 9), 9, 1-5 ; 10 (V, 1), 6, 27-39).
99. Le traité 40 (II, 1) aura pour but de montrer qu'aucun corps céleste ne subit un écoulement corporel (40 (II, 1), 6-8).
100. L'immortalité de l'âme est notamment défendue en 2 (IV, 7) 11-12 ; celle de tout intellect et de toute âme, en 10 (V, 1), 4, 1-12.
101. Plotin pense sans doute à la doctrine aristotélicienne, qui fait de la lumière l'acte du milieu transparent ; voir le traité De l'âme II 7, 418b3-419a9.
102. Platon emploie ce verbe tholoûn dans sa description du brouillard comme de l'air trouble (Timée 58d).
103. Référence aux trois rois de la Lettre II du Pseudo-Platon (312e). Considérant cette lettre comme authentique, Plotin y voit souvent une justification de sa doctrine des trois niveaux de réalité intelligible, voir la note 133, p. 199, au traité 10 dans le précédent volume.
104. L'une des plus belles descriptions de cette interpénétration des réalités intelligibles, de leur « transparence » les unes envers les autres, se trouve en 31 (V, 8), 4, 1-12. La présence simultanée de plusieurs sciences dans la même âme, sans qu'il en résulte de confusion, a été abordée au chap. 4, 43-45 et reviendra au chap. 11, 23-24.
105. L'uni-multiplicité de l'intelligible, comme aussi l'altérité qui le caractérise, ont été rappelées au chap. 4, 23-26 ; 39-46.
106. Plotin affirme très clairement que l'un et l'être sont coextensifs, c'est-à-dire que partout où se trouve l'un, l'être se trouve lui aussi, et vice versa. Il reprend ainsi l'affirmation de Platon, dans le Parménide, qui déclare que l'un ne manque jamais à l'être, et que l'être ne manque jamais à l'un, mais que partout et en toutes circonstances, l'un et l'être font la paire (144e). Cette doctrine est reprise par Aristote en Métaphysique I, 2. Plotin a déjà soutenu, en 9 (VI, 9), 1, 1-17, que toutes choses existent dans la mesure où elles sont unes (voir la note 1, p. 97-98 à la traduction de ce traité dans le volume précédent).
107. Alors que les traités 22-23 s'intéressent à la présence de l'intelligible dans le sensible et à la coexistence des intelligibles entre eux, le traité 37 (II, 7) examinera la présence des corps aux corps par le biais d'une critique de la théorie stoïcienne du mélange total.
108. Cette analogie revient à l'identique dans le traité 30 (III, 8) : l'intelligible est présent à celui qui peut le recevoir, tel un homme qui prête l'oreille peut entendre la voix qui remplit un espace libre (30 (III, 8), 9, 22-29).
109. Plotin lui-même refuse que le milieu intermédiaire entre l'objet et l'œil puisse être affecté (29 (IV, 5), 2, 33-3, 26-27 ; puis chap. 6). Il vise peut-être les stoïciens qui prétendent, semble-t-il, que la vision donne à l'air une certaine tension, et que la vue atteint les objets comme avec un bâton (SVF II, 867 ; 871 ; Plotin fait allusion au bâton en 29 (IV, 5), 4, 39). C. Tornau soutient toutefois que les stoïciens ne sont pas en cause ici (p. 236, n. 257).
110. Plotin ne semble plus aussi sûr, en 30 (III, 8), 9, 27-28, que le son est reçu comme un tout par l'appareil auditif. Il affirme de manière ambiguë que l'on reçoit la totalité du son et, d'un autre côté, qu'on ne le reçoit pas en entier. Reste bien sûr la possibilité qu'il veuille accuser par là la différence qui existe entre la source et l'image que l'on en reçoit. Une telle interprétation cadrerait bien avec l'intention du traité 22.
111. Nouveau rejet de la position exprimée au chap. 9, 18-19, à savoir que l'âme se diviserait de telle manière qu'il y aurait une partie d'elle dans l'intelligible, et une autre ici-bas.
112. L'allusion renvoie au décret d'Adrastée dans le Phèdre 248c-249b, dont Plotin reparlera au début du Chapitre 16. Platon décrit dans ce mythe l'assignation à chaque âme du lot qui sera le sien lors de sa prochaine incarnation. Les âmes reviennent à leur point de départ au bout de mille ans, avant de repartir pour leur prochaine vie, certaines allant dans des corps de bêtes, d'autres dans les corps d'hommes, d'autres vers le lieu céleste, d'autres dans les prisons sous la terre. Plotin semble retenir de cette description l'aspect inévitablement local, à savoir que l'âme se déplace entre divers lieux selon l'excellence ou la médiocrité de la vie qu'elle a menée. Il refuse que l'âme s'avance ici ou là, s'éloigne d'un lieu ou s'approche d'un autre. L'âme, selon lui, se trouve continuellement en chaque chose.
113. Le monde de la vie désigne le monde intelligible. Là-bas se trouve la meilleur vie (25 (II, 5), 3, 38-39), l'Intellect étant la vie première et parfaite (26 (III, 6), 6, 15-17 ; 30 (III, 8), 9, 33-35, puis chap. 10, 2-3), alors que l'Âme et les âmes individuelles représentent respectivement des vies inférieures de deuxième et troisième rangs (30 (III, 8), 8, 16-20). L'Un transcende pour sa part toute vie ; il se trouve au-delà de la vie (38 (VI, 7), 17, 10-11 ; 39 (VI, 8), 16, 34).
114. Ne possédant ni grandeur, ni masse, l'intelligible ne peut être divisé ; voir chap. 5, 12-18, puis chap. 8, 15-23 et les notes 55 et 73.
115. Sur l'unité par le nombre, voir 1, 23-25 et la note 10.
116. Retour à la question initiale du traité (chap. 1, 30-31).
117. Cette précision rend impossible le célèbre argument dit du « troisième homme », qui s'attaque à la théorie platonicienne des Idées. Sur cet argument et la première réfutation que Plotin en fait, voir la note 69, p. 271, à la traduction du traité 12.
118. Plotin pense sans doute aux atomes, entités auxquelles il ne prête pas foi. Il considère en effet que le corps est divisible à l'infini et qu'aucune chose continue ne pourrait être fabriquée à partir d'atomes. Sur l'antiatomisme de Plotin, voir 3 (III, 1), 3 et 12 (II, 4), 7, 20-28.
119. Sur les problèmes soulevés par la croissance du corps si l'âme est matérielle, voir 2 (IV, 7), 11-14. Plotin refuse la doctrine stoïcienne selon laquelle l'âme s'accroît en même temps que le corps.
120. Le point est par définition indivisible (4 (IV, 2), 1, 28 ; 9 (VI, 9), 5, 42 ; 45 (III, 7), 3, 19). C'est un principe de la géométrie euclidienne : « Est un point, ce dont il n'y a aucune partie » (Euclide, Éléments de géométrie livre 1, définition 1). Le point est également une unité discrète, la continuité n'appartenant qu'à la ligne, à la surface et au solide (44 (VI, 3), 13, 9-10).
121. Cette question sera examinée au chap. 16.
122. Reprise du thème développé au chap. 4, 1-3 ; 19-26.
123. Sur l'importance de cette notion dans les traités 22-23, voir les notes 51 et 212.
124. La formule « toutes choses ensemble » (pánta homoû) s'inspire d'Anaxagore (fr. B1, DK). Voir la note 46.
125. Sur l'illimitation de l'âme, voir la note 51.
126. L'éternité du monde intelligible sera notamment défendue dans le traité 45 (III, 7), Sur l'éternité et le temps (voir plus précisément 45 (III, 7), 1, 1-3 ; chap. 3, 1 ; chap. 4, 33-34, puis 19-22).
127. Cette question de la véritable nature de l'homme revient plusieurs fois dans les traités plotiniens (voir, par exemple, 15 (III, 4), 2, 10-11 ; 28 (IV, 4), 18, 11-12 ; 40 (II, 1), 5, 20-21 et 53 (I, 1), 7, 16-18). Nous possédons, dit Plotin, deux types d'âme : d'abord celle « que nous appelons divine, par laquelle nous sommes nous-mêmes, et l'autre âme, celle qui vient de l'univers » (27 (IV, 3), 27, 1-3). Nous tirons de l'âme inférieure notre caractère, nos actions et nos passions (52 (II, 3), 9, 10-14), alors que le reste représente « ce que nous sommes véritablement nous-mêmes, ce à quoi la nature donne la capacité de dominer les passions » (ibid., chap. 9, 14-16).
128. Notre âme ne descend jamais tout entière dans le sensible (6 (IV, 8), 8, 1-4 ; 27 (IV, 3), 12, 1-5).
129. Sur la comparaison de l'âme avec le son, voir chap. 12, 1-29.
130. Nous pouvons négliger la partie intellective de notre âme, c'est-à-dire la laisser inactive, lorsque notre corps domine et que nous lui prêtons trop d'attention (6 (IV, 8), 8, 4-23).
131. Cette phrase est omise dans la traduction d'Armstrong.
132. Sur la préférence de Plotin à l'égard de la métaphore de la chaleur, voir 27 (IV, 3), 22, 1-6.
133. Voir les passages parallèles de 28 (IV, 4), 18, 4-9 et 53 (I, 1), 8, 16-18.
134. Le vocabulaire employé ici rappelle fortement celui de Timée 42e5-6.
135. Kirchhoff a sans doute raison de considérer le tò sō̂ma comme une glose qui s'est introduite dans le texte afin d'expliquer le sens du tò dè.
136. Cette description s'inspire du Timée (43b-c), où Platon décrit le trouble que subissent les révolutions de l'âme quand celle-ci se trouve plongée dans le tumulte provoqué par le corps. L'âme est troublée par l'abondance des sensations qu'elle reçoit de l'extérieur : le feu, l'air, la terre et l'eau viennent frapper les organes des sens et provoquent des mouvements désordonnés dans l'âme. Voir aussi Phédon 66d. Livrée à elle-même, l'âme reste paisible et repose en sa propre manière d'être (10 (V, 1), 2, 14-16). Son union à un corps est l'unique source de son trouble (6 (IV, 8), 8, 6-9).
137. Plotin utilise la même métaphore en 28 (IV, 4), 17, 24-36. Il renvoie ici aux Lois III 689b1-c2.
138. Sur l'homme le plus vil, qui se complaît dans ses bas instincts, voir 1 (I, 6), 5, 26-32. Sur l'homme ordinaire, qui présente un mélange de bien et de mal, voir 46 (I, 4), 16, 1-10. Sur l'homme supérieur dont la raison domine les facultés sensibles, voir 19 (I, 2), 5, 21-31.
139. Plotin résume ici le mythe du décret d'Adrastée (Phèdre 248c-249b). Platon y décrit le lot que peuvent recevoir les âmes lors de leur réincarnation à tous les mille ans, les âmes venant dans un corps d'homme ou de bête, selon le jugement qui évalue l'excellence de la vie qu'elles ont menée.
140. Sur le monde sensible qui se trouve dans le monde intelligible, voir supra chap. 2, et aussi 13 (III, 9), 3, 1-4.
141. Nous ne traduisons pas le phúsis.
142. Le terme koinōnía (« communauté ») a une forte connotation stoïcienne. Il désigne le rapport très étroit qui relie tous les corps contenus dans l'univers. Voir les explications de R. Dufour, Plotin, Sur le ciel, II, 1 [40], p. 147-150.
143. Il est de la nature des réalités éternelles de descendre vers ce qui leur est inférieur (31 (IV, 8), 5, 10-13). Ainsi, l'Intellect descend vers l'Âme, et l'Âme descend vers le sensible (ibid., chap. 7, 17-23). Faisant le pont entre le monde intelligible et le monde sensible, l'âme se trouve à la limite inférieure du domaine intelligible (6 (IV, 8), 7, 6-9 ; 27 (IV, 3), 12, 32-35). C'est dire que le ciel est la partie de l'univers qui a une frontière commune avec l'intelligible et qu'il reçoit le premier son âme, qui est puissante, alors que la terre, qui repose au centre de l'univers, recevrait en dernier une âme faible (27 (IV, 3), 17, 1-12).
144. L'âme se trouve au mieux dans l'intelligible (6 (IV, 8), 7, 2). Reprenant les images pessimistes du Phédon (95d), Plotin considère que le séjour de l'âme dans le corps est à la source de tous ses maux (6 (IV, 8), 3, 1-5). Ce sera du reste le thème du traité 51 (I, 8), Quels sont les maux ?, dans lequel Plotin précise que l'âme n'est jamais entièrement mauvaise, mais que seules les âmes inférieures et irrationnelles peuvent être qualifiées de la sorte (chap. 4, 6-25). L'âme n'est donc mauvaise que pour autant qu'elle entre en contact avec la matière (l. 16-17), qu'elle est contaminée par le corps (6 (IV, 8), 2, 24-30). Sur la controverse à propos de cette « contamination », voir la note 29, p. 257-258 au traité 6 (cf. premier volume de la même collection, Traités 1-6).
145. Les âmes s'éloignent de l'Âme totale et descendent vers une partie afin d'être leurs propres maîtres (6 (IV, 8), 4, 10-12). Leur descente est inévitable et fait partie des lois de leur nature (27 (IV, 3), 13).
146. Contrairement à l'âme du monde ou à nos âmes individuelles, l'Âme ne gouverne aucun corps (27 (IV, 3), 2, 55-58). Sur la question de l'âme qui s'individualise en quittant l'Âme entière, et sur celle de l'âme qui tourne son regard vers le sensible, voir 6 (IV, 8), 4, 10-31.
147. Jeu de mot intraduisible entre haídēs (« Hadès ») et aïdḗs (« invisible »). Deux dialogues platoniciens associent l'Hadès à l'invisible. Dans le Phédon, l'Hadès désigne le domaine de l'invisible, par opposition au lieu visible dans lequel certaines âmes préfèrent errer (81c). Puis dans le Cratyle, Socrate affirme que le nom « Hadès » exprime l'invisible (403a).
148. Plotin s'étend sur le sujet en 53 (I, 1), 12 lorsqu'il considère les théories selon lesquelles l'âme pourrait être mauvaise et être envoyée dans l'Hadès. Même si l'âme projette une image d'elle-même dans le sensible, elle peut l'y abandonner pour remonter dans l'intelligible. C'est ainsi qu'Homère dit de l'ombre d'Héraclès qu'elle descend dans l'Hadès, tandis qu'Héraclès même reste en compagnie des dieux immortels (Odyssée 11, 601-603).
149. Reprise de Phédon 82e-83a. La partie intellective de l'âme s'échappe non seulement du corps mais aussi des parties inférieures, qui s'étaient ajoutées à l'âme lors de la génération (53 (I, 1), 12, 18-20). Seules les parties inférieures recevraient pour punition une descente dans l'Hadès, s'étant trop éprises du corps (chap. 12, 12-13 ; 1 (I, 6), 8, 12-16). La séparation de l'âme et du corps désigne bien évidemment la mort (1 (I, 6), 6, 9-10 ; reprise de Phédon 64c5-7). La philosophie a donc pour fonction de séparer l'âme intellective des autres parties de l'âme, de faire revenir ce qu'il y a de meilleur en nous vers l'intelligible, et de laisser nos parties inférieures gouverner le corps (53 (I, 1), 3, 17-26).
150. C'est-à-dire du côté de l'intelligible.
151. Lorsqu'elle retourne vers l'intelligible, l'âme n'existe plus en acte dans le monde sensible, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle périt. Elle vit simplement d'une vie plus pure au sein de l'intelligible.