XII

Dans la suite de cette étude de Wilson, nous nous contenterons d’attirer l’attention sur certaines des conséquences les plus évidentes de ses qualités et de ses défauts, dont nous croyons maintenant connaître les sources. Nous ne signalerons pas d’identifications, de sublimations ou de refoulements nouveaux, parce que l’observation de sa vie ultérieure n’en révèle pas. Il eut, certes, de nouveaux amis, de nouveaux ennemis, de nouvelles activités et une nouvelle femme. Mais ce furent, pour ainsi dire, des robinets neufs attachés à de vieux tuyaux, de nouvelles bouteilles pour du vieux vin. Wilson avait cinquante et un ans ; c’était un presbytérien laid, maladif, d’un sérieux exagéré, qui s’intéressait peu aux femmes et pas du tout à la nourriture, au vin, aux arts ou aux sports et énormément aux discours, à lui-même, à sa carrière et à Dieu. Wilson demeura ce qu’il était en 1908.

À la recherche de la santé morale et physique, il fit un voyage à bicyclette dans le sud de l’Écosse et la région des lacs anglais. À Rydal, en face de Wansfell qui se dresse comme un « vaste sein nourricier » et avec Yates, le meilleur remplaçant de Hibben, à ses côtés, il sentit bientôt qu’il « devenait chaque jour plus normal du point de vue des nerfs et des muscles, et par conséquent de l’esprit ». Vers le milieu d’août il fut suffisamment fort pour aller voir Andrew Carnegie à Skibo Castle, en Écosse. Il espérait obtenir de lui les millions nécessaires à l’établissement du système des « Quads » à Princeton, et placer ainsi West et le Conseil d’administration dans une situation telle qu’ils seraient forcés d’accepter son projet ou de refuser un don magnifique. Mais il n’obtint aucun fonds de Carnegie et trouva désagréable la façon désinvolte dont on le reçut au château.

Grover Cleveland, vingt-deuxième président des États-Unis, le plus remarquable des administrateurs de Princeton, mourut pendant que Wilson partait pour l’Écosse. Wilson avait admiré Cleveland jusqu’à l’obséquiosité, avant qu’il ne soutînt West. En apprenant sa mort, Wilson écrivit : « Je ne crois pas que la manière dont il nous a fait défaut et déçus pendant ces dernières années… obscurciront longtemps mon admiration pour ses belles qualités et sa carrière singulièrement réussie. » Le souvenir de l’opposition de Cleveland « obscurcit », cependant, son admiration pour le reste de sa vie. Dans l’allocution qu’il prononça devant l’université, en automne, il ne fit pas allusion à la mort de Cleveland et, contrairement à la tradition de Princeton, il n’ordonna aucun service commémoratif. Sa haine de West était assez vaste pour englober tous les alliés de son ennemi favori.

La mort de Cleveland priva West de son soutien le plus puissant au Conseil d’administration et, en février 1909, Wilson osa porter un coup direct au substitut de son père bien-aimé. Il persuada les administrateurs de retirer la direction des étudiants au Doyen pour la donner à un comité universitaire qu’il présiderait, mais dans la nomination duquel il n’aurait pas voix. West protesta et déclara que ce serait commettre une injustice envers lui. Wilson répondit : « Je voudrais exprimer au Doyen, quelque peu sévèrement, qu’il doit s’adapter au développement de l’université. » West rappela alors les engagements pris envers lui en 1906. Wilson répondit : « Nous ne devons pas attacher trop d’importance aux promesses. » Dieu le Père parlait.

West riposta par la manœuvre même que Wilson avait tentée. La donation que Wilson n’avait pu obtenir de Carnegie pour son projet, West l’obtint de William Cooper Procter pour le sien. Le 10 mai 1909, West tendit à Wilson une lettre de Procter offrant un demi-million de dollars pour la construction d’une faculté, à condition que le projet fût conduit selon les directives de West, que l’on trouvât un autre demi-million, et que Procter approuvât le site choisi. Presque aussitôt des amis de Princeton promirent de donner l’autre demi-million, de sorte que Wilson se trouva en face du dilemme suivant : être complètement vaincu par West ou s’opposer à un don d’un million de dollars pour la construction de cette même faculté qu’il avait approuvée dans la préface qu’il avait écrite pour l’opuscule de West.

Le besoin d’une faculté adéquate pour l’université avait été depuis si longtemps et si unanimement reconnu que l’idée de sa construction fut accueillie avec enthousiasme par tous. Il était évident qu’une telle faculté rehausserait le prestige de Princeton dans le milieu universitaire et il semblait inconcevable que l’on pût douter de la valeur de ce don. Wilson, sous l’emprise des forces qui l’y contraignaient, en douta. Il ne pouvait laisser West avoir le dessus, quoi qu’il en coûtât à Princeton. Il refusa, d’accepter le don de Procter. Et, une fois de plus, son inconscient poussa sa raison à trouver des excuses à son action.

Procter voulait que la faculté fût construite soit à Merwick, où habitaient les étudiants déjà diplômés, soit sur le terrain de golf, à huit cents mètres de là environ. La raison de Wilson, pour obéir à la formation réactionnelle contre sa passivité envers son père, s’appuya fermement sur le principe moral qu’une faculté construite sur le terrain de l’université serait une grande réussite qui amènerait les gens à la démocratie, tandis que si on la construisait à huit cents mètres vers l’est on courait à un échec total et au succès de la ploutocratie snob. Il se servit d’une profusion de mots pour expliquer comment cette légère différence géographique pouvait produire un changement moral aussi considérable. Cet argument n’augmenta pas sensiblement le nombre de ceux qui s’opposaient à ce que l’on acceptât le don de Procter, et la raison de Wilson dut trouver un autre prétexte moral élevé. Il prétendit qu’accepter des dons sous conditions, c’était plier le genou de la connaissance pure devant le veau d’or de la richesse. Mais comme il avait accepté avec joie pour la faculté le legs Swann, qui était soumis à beaucoup plus de restrictions que la donation Procter, cet argument, qui sonnait faux, ne convainquit personne. Il essaya ensuite de se transporter sur le terrain des chicanes légales et prétendit que s’il acceptait de construire sur le terrain de golf il perdrait le legs Swann qui spécifiait que la faculté devait s’élever sur les terrains de l’université, parce que le golf n’appartenait pas à celle-ci quand Mrs Swann avait fait son legs. Le 21 octobre 1909, le Conseil d’administration vota l’acceptation du don de Procter si ce point juridique pouvait être réglé d’une manière satisfaisante. Un comité de neuf avocats éminents, auquel la question fut soumise, prit parti contre Wilson, qui sembla battu.

Une compulsion est, cependant, exactement ce qu’implique son nom : elle pousse à agir. Wilson était forcé de continuer à vaincre West. Ses arguments moraux élevés et ses chicanes juridiques ne l’avaient mené à rien : en 1909, le jour de Noël, il essaya la menace. Il écrivit à M. Moïse Taylor Pyne pour le prévenir qu’il démissionnerait si la décision du Conseil d’administration du 21 octobre n’était pas annulée. La cause véritable de son opposition à l’acceptation du don de Procter, qu’il s’était efforcé de dissimuler par d’admirables arguments moraux, apparaît enfin dans cette lettre : « L’idée d’une faculté qui serait, dans tous les sens des termes, au centre des choses, appartient à West, et la modification de ses projets a fait beaucoup pour le priver de la confiance de ses collègues de l’université. Il l’a maintenant complètement perdue, et aucune de ses idées actuelles ne pourra réussir. En fait, rien qui vienne de lui n’a des chances de succès. » Wilson était fort peu disposé à révéler la source réelle de son opposition.

Une semaine après cette lettre à M. Pyne, il écrivit à un autre administrateur : « Placer l’affaire explicitement sur le terrain de notre désapprobation de West et de ce qu’il représente serait, me semble-t-il, en faire une affaire personnelle, que les amis de l’université interpréteraient, à tort, grandement contre nous… Nous savons, certes, que le don de Procter a été fait pour mettre West en selle, mais nous ne pouvons en discuter publiquement. »

Il sentait bien que si l’on savait qu’il préférait que Princeton perdit une faculté d’un million de dollars plutôt que d’étouffer sa haine de West, sa position vis-à-vis des « électeurs » de Princeton deviendrait intenable.

Les administrateurs furent quelque peu terrifiés par sa menace de démission. Ils avaient déjà eu un avant-goût des accusations qu’il pourrait lancer contre eux et contre Princeton, et ils craignaient que s’ils le laissaient démissionner en martyr il n’hésitât pas à donner une réputation hautement indésirable à l’université.

Ajoutons que ses perspectives politiques auraient été améliorées par sa démission. Le colonel Harvey était sûr de pouvoir persuader Smith, de New Jersey, de faire nommer Wilson gouverneur en septembre suivant.

Si Wilson avait pu se poser en martyr du snobisme ploutocrate, il aurait augmenté ses chances d’obtenir le soutien des radicaux démocrates pour sa nomination à la présidence. Sa défaite dans le domaine de la « politique secondaire » l’aurait aidé dans celui de la politique majeure. Wilson le sentait bien lorsqu’il menaça de démissionner. Sa situation personnelle était beaucoup plus solide que lors de l’échec de sa proposition des « Quads », en 1908. Non seulement ses perspectives politiques étaient excellentes, mais en outre on lui avait offert la présidence de l’université du Minnesota. Il ne courait pas le risque de reprendre la pratique du droit en Virginie. Autrement son narcissisme prudent ne lui aurait probablement pas laissé brandir sa menace de démission.

Les administrateurs, redoutant les discours possibles de Wilson, désireux de le garder à Princeton et, encore plus, d’accepter le million de dollars destiné à la faculté, essayèrent de proposer plusieurs compromis. Le comité des études supérieures se réunit avant la réunion du Conseil d’administration du 13 janvier 1910. Wilson l’informa qu’il avait offert un arrangement à Procter : sa donation servirait à construire une faculté sur le terrain de golf en même temps que le legs Swann serait utilisé pour édifier un second collège d’études supérieures sur le terrain de l’université. Il avait le regret de leur apprendre que Procter avait refusé cette proposition extraordinaire. Sur quoi M. Pyne lut une lettre de Procter où celui-ci se disait prêt à accepter la proposition de Wilson de construire deux édifices plutôt que de laisser le projet tomber à l’eau. Wilson fut frappé de stupeur. Après quelques instants de trouble il déclara que, comme M. Procter avait décliné son offre, l’affaire ne pouvait plus être remise en question, révélant ainsi l’hypocrisie de ses manœuvres ; puis, avec un changement marqué d’attitude, il expliqua que la discussion avait manqué de franchise : « La question de site n’est pas essentielle. Dans de bonnes circonstances, mon université peut conduire cette faculté au succès dans n’importe quelle partie du comté de Mercer. Tout le mal vient de ce que les idéaux et les idées du Doyen West ne sont pas ceux de Princeton. » Étant donné son habitude de déguiser ses désirs en idéaux, il aurait difficilement pu dire plus clairement : « Tout le mal vient de ce que je déteste West. »

Comprenant cela, quelques-uns des administrateurs eurent alors la cruauté de dépouiller la haine de Wilson de l’idéal sous lequel elle se dissimulait. Ils attirèrent son attention sur les approbations qu’il avait données publiquement au projet du Doyen West, aux « idées et aux idéaux » qu’il impliquait, et surtout sur la préface qu’il avait écrite pour son « mémoire ». Wilson répondit qu’il n’avait pas encore vu celui-ci lorsqu’il l’avait écrite. Ses souvenirs lui servirent de nouveau à déformer un fait. Sa préface, en réalité, était surtout faite d’un paragraphe emprunté à son rapport du 21 octobre 1902 au Conseil d’administration avant la rédaction complète du mémoire de West. Mais Wilson avait transformé ce paragraphe pour en faire une préface après avoir lu le prospectus de West.

Les adversaires de Wilson au Conseil d’administration, prévoyant que si les étudiants savaient ce qu’il avait déclaré le 13 janvier 1910 il n’aurait plus aucun prestige et craignant des attaques possibles de Wilson s’ils exigeaient sa démission, lui permirent de nommer une commission pour faire un rapport au Conseil sur toute l’affaire. Wilson nomma trois de ses partisans et deux de ses adversaires. La majorité et la minorité préparèrent des rapports, et la scène était prête pour la défaite finale de Wilson lors de la réunion du Conseil d’administration, fixée au 10 février 1910. Or, une semaine avant cette réunion, les « électeurs de Princeton » furent stupéfaits et furieux de lire, dans le New York Times, un éditorial attaquant l’université, dont la teneur montrait qu’il avait été inspiré par Wilson ou quelqu’un de son entourage. Ses amis nièrent avec indignation qu’il y fût pour quelque chose. En fait le professeur Root, l’un des amis de Wilson, avait suggéré cet éditorial à M. Herbert B. Brougham, rédacteur au Times ; celui-ci l’avait soumis à l’approbation de Wilson avant de le publier et Wilson « avait confirmé les faits ». M. Brougham y apporta de légères modifications suggérées par Wilson qui approuva cette publication qu’il aurait pu, d’un mot, empêcher. M. Brougham devint ensuite l’un des confidents intimes de Wilson. M. Procter lut l’éditorial, comprit qu’il était inspiré par Wilson et, totalement dégoûté, retira son offre le 6 février 1910, quatre jours avant la réunion où les administrateurs se proposaient de l’accepter.

Wilson fut au comble de la joie. Princeton avait perdu un institut d’Études supérieures d’un demi-million, mais lui-même avait vaincu West. Il se persuada qu’il avait gagné une grande victoire morale et sembla n’avoir eu aucun remords d’avoir failli à son devoir de président de l’université qui était de promouvoir son bien et non de trouver un débouché pour sa haine de West. En fait sa raison, obéissant à la libido qui chargeait sa formation réactionnelle contre sa passivité envers son père, réussit à le convaincre qu’il avait contribué au bien de l’université en privant Princeton d’un institut d’Études supérieures d’un million. Épuisé mais ravi il s’embarqua, le 14 février 1910, pour les Bermudes. Là, il eut un avant-goût des rêves qui devaient troubler ses nuits jusqu’à ce que la mort lui eût fermé les yeux pour toujours. Des Bermudes, il écrivit à sa femme : « Je n’avais pas compris, jusqu’à mon arrivée ici, à quel point mes nerfs ont été touchés par les événements de ces derniers mois. Les jours m’ont, presque immédiatement, réconforté mais les nuits ont été remplies d’angoisse. La détresse latente de mon esprit réapparaissait dans mes rêves. C’est hier soir seulement que cette détresse, faite de la lutte contre les ennemis de l’université, les réunions du conseil d’administration hostile, la guerre sourde des discussions et des insinuations, a pris fin. »

À son retour des Bermudes, au début de mars, Wilson découvrit que les étudiants savaient déjà que la haine personnelle qu’il éprouvait pour West leur avait fait perdre un institut d’Études supérieures et qu’une vague d’hostilité balayait la « circonscription » de Princeton. Par l’intermédiaire du colonel Harvey, il commença à négocier avec le chef démocrate du comté d’Essex pour être nommé gouverneur de New Jersey en septembre, mais sa nomination n’était pas certaine. Il décida de commencer une tournée de conférences dans le double dessein de justifier son refus des fonds pour l’institut d’Études supérieures et de développer sa réputation politique d’ennemi des ploutocrates. Plus les négociations de Harvey et de Smith progressaient, moins les discours de Wilson traitaient d’éducation et plus ils devenaient politiques. Après que son allocution du 7 avril aux anciens princetoniens de New York eut été accueillie dans un silence hostile au lieu des applaudissements auxquels il était habitué, il déclara : « Eh bien, rien ne m’oblige à continuer à faire ce travail. De vastes perspectives politiques s’ouvrent à moi. »

Le 14 avril 1910, à une réunion du Conseil d’administration, Wilson fut bien obligé de constater que sa victoire sur West avait été plus apparente que réelle. Une motion, dont il était l’instigateur, visant à transférer l’organisation et l’administration du collège à un comité de la faculté fut repoussée, et un projet visant à persuader Procter de renouveler sa donation fut fortement approuvé. Wilson quitta la réunion en proie à une fureur amère. Il comprit que son refus d’édifier un institut d’Études supérieures se retournait contre lui. Il avait cru West définitivement vaincu. Il était maintenant évident que West était plus fort que jamais à cause de la colère que la perte de l’institut avait soulevée parmi les étudiants. Il semblait probable que si Procter renouvelait son offre, elle serait acceptée malgré l’opposition de Wilson : West aurait le dessus.

Le trouble de l’esprit de Wilson à cette pensée se manifesta dans le discours qu’il fit, deux jours plus tard, au Princeton Club de Pittsburgh. Ce fut une violente tentative pour obtenir un soutien politique radical, qui semble être née de la perspective qu’il allait devoir se consoler, par une victoire dans le domaine de la politique, d’une défaite dans celui de l’enseignement. Il désirait depuis longtemps abandonner celui-ci pour la politique. S’il n’avait conservé cette haine insatisfaite de West, il aurait éprouvé une grande joie à échanger la présidence de Princeton pour le gouvernement de New Jersey. Mais il était toujours incapable de permettre à West d’avoir le dessus. Sa compulsion était toujours aussi active. Aucun triomphe, pour précieux qu’il fût, ne le consolerait pleinement d’être vaincu par West.

Le 18 mai 1910 mourut Isaac C. Wyman qui, par testament, léguait environ deux millions de dollars au collège de Princeton et nommait deux administrateurs dont l’un était le doyen West. Wilson fut anéanti. Il voulut refuser ce legs comme il avait refusé le don de Procter ; mais il comprit rapidement que les administrateurs ne le suivraient certainement pas dans cette voie.

Procter renouvela son offre ; Wilson devint profondément malheureux. La victoire l’attendait dans le domaine politique, mais West l’avait vaincu. Il se soumit.

Il n’abandonna pas aussitôt la présidence de Princeton. Il n’était pas tout à fait sûr d’être nommé gouverneur de New Jersey. Smith avait une antipathie personnelle envers Wilson qu’il appelait le « ministre presbytérien ». Il n’avait rien promis de précis et craignait que Wilson, une fois gouverneur ne se tournât contre lui et ne s’efforçât de lui nuire. Il exigea une assurance explicite qu’il ne le ferait pas. Wilson la donna ; il écrivit, le 23 juin 1910, à un agent de Smith : « Je consens volontiers à assurer M. Smith que si je suis élu gouverneur, je ne m’emploierai pas à « combattre et à supprimer l’organisation démocrate actuelle pour la remplacer par une autre qui me serait personnelle. » Smith accepta cet engagement qu’il jugea pleinement satisfaisant et, fort de cette assurance, accepta d’ordonner la nomination de Wilson comme gouverneur de Jersey, à l’automne suivant.

Wilson, luttant contre la douleur que lui causait la victoire de West, essaya de sauver la face lorsqu’il assista à l’ouverture de l’année universitaire ; mais lorsque le représentant de la promotion sortante fit son allocution, le Président de l’université ne put se contrôler et l’écouta debout, le visage inondé de larmes.

Il quitta Princeton à l’automne pour commencer la carrière politique qu’il avait tant désirée, depuis ce jour de son adolescence où il avait suspendu le portrait de Gladstone au-dessus de son bureau.

Mais le souvenir de Princeton et de West ne le quittait pas. Souvent, West apparaissait dans sa conversation et dans ses songes. Il ne pouvait s’empêcher d’en parler ni d’en rêver. À la Maison-Blanche, pendant la Première Guerre mondiale, il rêva qu’il luttait contre West à Princeton. À Washington, pendant son agonie, ce fut la même chose. À la fin de sa vie le nom de West le mettait encore en fureur. Son activité agressive envers son père et sa formation réactionnelle contre sa passivité envers celui-ci trouvèrent, au cours de son existence, beaucoup de nouveaux débouchés, mais une partie de ces courants de libido demeura fixée sur West. Malgré toutes ses luttes, le grand homme brun l’avait vaincu. Dans son cœur demeura une plaie toujours ouverte. Il la croyait due à West : elle était due, en fait, au révérend Joseph Ruggles Wilson.