3h06, rue Saint-Romain
La police avait retenu Maline une petite heure, puis l’avait libérée. La légitime défense était évidente. Il était plus de trois heures du matin.
Elle rentra chez elle, enfin !
Maline sentait son crâne au bord de l’implosion, ses jambes se glacer ; elle avait failli vomir tout son rhum et son champagne en traversant à nouveau la rue des Chanoines, qui sentait plus l’urine encore la nuit que le matin. Maline monta les trois étages d’un pas las et pénétra dans son appartement. Elle fit glisser la robe rouge sur son corps fatigué, la lança en boule sur la pile de linge et se jeta sur le lit, nue.
Il faisait encore chaud sous les combles. Etouffant même. Elle avait bien fait de laisser la lucarne ouverte ce matin. Elle n’eut pas le courage de prendre une douche. Cela attendrait demain. Elle alluma la radio pour se bercer, les stations diffusaient de la musique en continu, sans publicité. Des vieux trucs.
Dormir !
Malgré elle, sa main glissa vers son sac et attrapa son portable. Quelle sale manie ! Il lui était devenu impossible de passer trois heures sans consulter ses messages, et plus encore de s’endormir sans le faire.
Ses doigts coururent sur les touches. Elle avait reçu trois messages depuis hier soir !
Le premier provenait une nouvelle fois de son père. Les cousins bourguignons, son anniversaire, son cadeau. Cela attendrait !
Le deuxième message la fit tressaillir. Il était bref. Deux mots, deux lettres : « Bonne nuit. O.L. »
Un délicieux frisson parcourut le corps nu de Maline.
O.L… Olivier Levasseur. Il avait pensé à elle !
Le mélange de fatigue, de tension qui tombe et de désir refoulé provoqua un frisson intense à l’intérieur de son bas ventre. Le bel Olivier avait pensé à elle ! A combien d’autres femmes envoyait-il un tel message avant de s’endormir ?
Peu importait, elle était sur sa liste !
Elle essaya de calmer son excitation naissante. Il fallait qu’elle dorme ! Elle se concentra sur le troisième message.
Sarah Berneval, la secrétaire du commissaire Paturel, indiquait à Maline qu’un troisième SMS avait été envoyé sur le téléphone portable de Mungaray, un troisième message en espagnol.
« Es el oro de la noche. »
Tu es l’or de la nuit…
Quelque part, une amoureuse continuait d’envoyer des messages de tendresse à un joli garçon… mort depuis hier !
Maline regarda les étoiles à travers la lucarne.
Quelle ironie !
Pourtant, une nouvelle fois, comme pour les autres messages espagnols, Maline eut l’impression qu’un souvenir cherchait à percer la surface de ses pensées fatiguées, comme si ces messages étaient liés entre eux, comme s’ils n’en formaient qu’un, comme s’ils renvoyaient tous vers une direction unique, une direction qui n’avait rien à voir avec des mots de tendresse.
Maline ressassa les messages dans sa tête. C’était quelque part inscrit dans son cerveau, elle en était certaine.
« No puedo permanecer lejos ti más mucho tiempo. »
« Es el oro de la noche. »
Elle était trop fatiguée pour trouver la solution ce soir. Que cherchait-elle, de toutes les façons ? Ce Daniel Lovichi était sûrement le meurtrier. La police avait l’air assez sûre d’elle.
Maline sentit doucement ses pensées s’envoler, les images se brouiller, un demisommeil la gagner. Olivier Levasseur se tournait vers elle. Ils étaient ensemble, nus, dans le même lit, partiellement couverts de grands draps de soie.
Il lui murmurait tendrement à l’oreille : « Tu es l’or de ma nuit ».
Maline se retourna dans son lit, elle n’arrivait pas à trouver un vrai sommeil.
Elle avait déjà entendu ces paroles, toutes ces paroles en espagnol, il y avait très longtemps.
Elle torturait son pauvre cerveau fatigué. Elle avait cette sensation bizarre qu’il s’agissait d’un souvenir d’école primaire ! Quelque chose appris par cœur à l’école. Ça n’avait aucun sens.
Elle n’avait jamais entendu parler espagnol à l’école primaire.