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Maintenant
Davva et Skegs couraient aussi vite qu’ils le pouvaient, leur butin serré dans leurs bras et leurs blousons. Ils en perdirent un peu en s’enfuyant du magasin, à cause du proprio paki qui leur courait après en hurlant des insultes. Ils détalèrent sur le trottoir, heurtant des bras, des jambes, des sacs de courses, sautant par-dessus une poussette poussée par une ado qui leur cria d’aller se faire foutre. Ils traversèrent la rue en rigolant, obligèrent les conducteurs à piler en jurant, virent le Paki abandonner et, arrivés de l’autre côté, entrèrent dans le centre commercial, où ils savaient que le vieux vigile obèse ferait une crise cardiaque avant de les attraper. Ils évitèrent les clients en zig­zaguant, firent des doigts d’honneur et des gestes obscènes aux caméras de surveillance, franchirent les doubles portes vitrées en direction du parking, puis allèrent tout droit vers le coin le plus éloigné. Ils se faufilèrent entre deux voitures en stationnement dans l’angle mort des caméras, où il y avait un muret bordé de buissons qu’ils enjambèrent, derrière lequel ils s’affalèrent, sur l’herbe, hors d’haleine.
La poitrine en feu, les jambes douloureuses, la tête vide, des fourmillements, ils étaient tous les deux épuisés, mais ils ­rigolaient, à cause de l’adrénaline. Skegs sortit son butin de son blouson : deux paquets d’Embassy Regal, un de Silk Cut, trois Benson. Il pensait avoir fait mieux que Davva : deux grosses barres de Cadbury, quatre KitKat, mais lorsque Davva mit la main dans son blouson et en sortit la bouteille de Bacardi et le petit bidon de liquide pour briquet, Skegs comprit qu’il avait encore perdu.
Ça l’énervait un peu, parce que même en comptant l’alcool, ce qu’avait pris Davva avait été moins dur à chourer. Skegs, lui, avait montré plus de savoir-faire, pris plus de risques, il avait piqué son truc de l’autre côté de la caisse, en calculant bien son affaire pour ne pas se faire attraper et tordre le bras. Le Paki avait compris à qui il avait affaire dès l’instant où ils avaient mis les pieds dans sa boutique, mais il avait eu un doute, la très légère chance qu’ils puissent être des clients réglo, alors il avait fait comme si. Mais dès qu’il avait tourné le dos, ça avait commencé.
Davva coupa une barre de Cadbury en deux, en tendit la moitié à Skegs qui était en train de déballer un paquet de Benson. Celui-ci jeta le plastique par terre et déboucha le Bacardi. Ils reprenaient leur souffle, revivaient des extraits de leur galopade. Leur butin leur tiendrait un moment, leur permettrait de rester tranquilles.
Skegs, le plus petit des deux, et aussi le plus réfléchi et le plus nerveux, alluma deux clopes et en passa une à Davva. Ils avaient le même âge, mais Davva semblait faire partie intégrante de la rue. Ils fumèrent les cigarettes jusqu’au filtre, prenant entre les taffes une bouchée de chocolat ou une gorgée de Bacardi qui leur brûlait la gorge et leur donnait des renvois de bile, jusqu’à ce que la première sucrerie soit finie. Ils se regardèrent.
« Et maintenant ? » demanda Skegs.
Davva haussa les épaules.
« J’sais pas. »
Davva piocha une nouvelle barre chocolatée, la coupa en deux, Skegs alluma deux nouvelles cigarettes. Ils se passèrent la bouteille. Et c’est là que commença la descente. La vraie vie leur retomba dessus, ils glissèrent dans un silence plein de ­tension, fumant, mâchant, buvant. Juste pour passer la journée, pour tuer le temps.
La porte d’entrée se referma avec un bruit de cercueil et Louise regarda automatiquement la pendule de la cuisine. 18 h 35. Pile à l’heure.
Le rituel commença.
« Bonjour, chéri ! » cria-t-elle dans l’entrée. Un grognement lui répondit, puis le bruit que faisait son mari en se dirigeant vers le salon, s’affalant dans un fauteuil. La télévision s’alluma, le monde vu par Mike Neville1.
Louise alla jusqu’au pied de l’escalier et cria :
Le dîner est prêt ! Ben ! Suzy ! » Elle alla dans le salon, regarda son mari. Elle avait du mal à croire qu’il venait à peine de rentrer, tellement il semblait ne faire qu’un avec le fauteuil.
Qu’est-ce qu’on mange ? demanda-t-il, sans détourner les yeux de l’écran.
Du rôti.
Avec quoi ?
Des légumes. »
Son mari se tourna pour la regarder. Louise fut une nouvelle fois frappée par son air épuisé. Ses cheveux blonds avaient disparu de son crâne, ses yeux étaient enfoncés et cernés de noir, sa bouche, toujours pincée, qu’une moustache essayait en vain de dissimuler, trahissait la faiblesse de son caractère. Au lieu de s’être empâté en vieillissant, comme la plupart des hommes, il donnait l’impression de s’être racorni.
Quel genre ? demanda-t-il. Des panais ? »
Louise soupira, chassant quelque chose de ses yeux avec un doigt.
Oui, Keith, j’ai fait des panais.
Bien », dit-il, et il retourna à la télévision.
Ils s’assirent autour de la table. Louise, Keith et Ben. Il y avait une assiette pour Suzanne, mais elle n’était pas encore arrivée. Ça n’avait rien d’exceptionnel.
Le repas commença dans le silence.
J’ai reçu une visite, aujourd’hui », dit Louise entre deux bouchées.
Keith émit un bruit neutre.
Mon frère, Stephen. »
Keith releva la tête. Quelque chose de désagréable parcourut son visage avant de refluer et qu’il ne reprenne son air pincé naturel.
Qu’est-ce qu’il voulait ?
Il travaille dans la région. Il est passé me voir. »
Keith émit un bruit qui parvint à être à la fois un reniflement et un grognement.
C’est quoi, cette fois-ci ? Couiner sur tous ces parasites au chômage qui ne peuvent pas trouver de boulot parce qu’ils ont été maltraités quand ils étaient petits ? » Il eut un rire bref et dur.
Ben leva subrepticement les yeux de son assiette, comme une tortue qui jetterait un coup d’œil apeuré hors de sa carapace, prête à y rentrer à tout moment.
Louise se sentit rougir.
Il écrit un article sur Coldwell. »
Autre ricanement mauvais.
Eh ben, il ne va pas manquer de matière. Ils sont tous au chômage, là-bas. »
Louise prit une grande inspiration, cligna rapidement des yeux. Sa poitrine se mit subitement à palpiter.
Il était venu rendre visite à quelqu’un.
Encore un gauchiste à la con, certainement. »
Louise avala.
Tony Woodhouse. »
Une frayeur soudaine apparut dans les yeux de Keith. Il cessa de mastiquer, son couteau et sa fourchette immobiles dans ses mains molles.
Oui, dit Louise avec calme, un petit sourire triomphant tordait les coins de sa bouche. Tony Woodhouse ». Sa voix se fit plus forte, plus confiante. « Et Stephen va passer pas mal de temps avec lui, alors ça ne m’étonnerait pas qu’on le revoie. »
Ben, qui regardait d’un côté et de l’autre, rentra très vite la tête dans sa carapace, essayant de se rendre parfaitement invisible.
Keith regarda dans son assiette, sa respiration se fit plus rapide.
Pas dans cette maison, en tout cas.
Si. »
Lorsque Keith parla, la colère enflait dans sa voix.
Il n’est pas le bienvenu ici. »
Louise le toisa.
Il sera le bienvenu aussi longtemps que je vivrai ici, Keith. »
Keith essaya de soutenir son regard, mais ses yeux étaient remplis de peur, et sa bouche molle céda.
Eh ben, moi, je ne serai pas là, marmonna-t-il.
Parfait. »
Le silence retomba. Louise mangea, et son dîner avait le goût amer d’une victoire mesquine. Les mains et la bouche de Keith restaient immobiles. Ben, tête baissée, observait avec une intense fascination la façon dont son couteau coupait, et la façon dont sa fourchette transportait ensuite la nourriture jusqu’à sa bouche.
Finis ton dîner », dit Louise.
Keith sursauta, commença d’obéir, amenant sa fourchette jusqu’à sa bouche d’un geste mécanique, en fixant Louise, les yeux comme des torches de chasseurs de sorcières.
Soudain, de la rue, brisant le silence, retentit un vacarme assourdissant. En réponse, une porte claqua au premier étage, puis il y eut des bruits de pas qui dévalaient l’escalier.
Suzanne ! appela Louise, ton dîner refroidit ! »
Suzanne passa la tête par la porte de la salle à manger. Elle était habillée et maquillée comme une fille plus âgée qu’elle ne l’était.
Je sors.
Mange quand même, avant, dit Louise. Et où est-ce que tu vas dans cette tenue, de toute façon ? »
Mais elle s’adressait au vide. Suzanne était déjà en route vers la porte.
Je dois y aller. Salut. »
La porte claqua, suivie de la portière de la voiture, puis les pulsations rythmiques de la musique garage décrurent au fur et à mesure que la voiture s’éloignait. Cela rendit le silence dans la salle à manger familiale encore plus lourd et plus assourdissant qu’auparavant.
Louise soupira.
Cette fille ! dit-elle comme si elle ne se rendait pas compte qu’elle pensait à voix haute, je ne sais vraiment pas comment m’y prendre avec elle. »
Un autre reniflement sec de l’autre côté de la table. Louise regarda. Keith se mordait la lèvre, les yeux brillants d’un triomphe malicieux. Il attendit d’avoir toute l’attention de sa femme avant de parler.
C’est bien ta fille, Louise », dit-il.
Il se carra dans son siège, content d’avoir eu le dernier mot.
Louise attrapa son verre de vin rouge, les phalanges serrées et blanches autour du pied, le porta à ses lèvres et, en tremblant, le vida d’un trait. Elle le remplit à nouveau, le vida, et parla.
Tu as fini ? »
Keith fit signe que oui.
Alors je vais chercher le pudding. »
Elle se leva, rassembla les assiettes et alla dans la cuisine. Là, seule, elle posa les assiettes, s’adossa contre le mur, la respiration rauque et saccadée, obligea les larmes qui s’accumulaient dans ses yeux à ne pas couler.
Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! » murmura-t-elle pour elle-même, en forme de supplique et de prière. Pour toute sa vie, pour le vide qu’elle ressentait, son amour. « Oh, mon Dieu ! »
Elle chassa les larmes de ses yeux, les turbulences de son cœur. Elle prit le plat avec le pudding, retourna dans la salle à manger en espérant, et ce n’était pas la première fois, que son mari était mort.
Davva et Skegs s’emmerdaient. Ils avaient fini le chocolat depuis longtemps, ils avaient fumé tout ce qu’ils avaient pu sans se mettre à vomir, la bouteille de Bacardi était vide. Même le liquide pour briquet qu’ils avaient gardé pour plus tard, comme friandise, était terminé. Ils avaient revécu leur course folle à travers Coldwell minute par minute sur le mode héroïque et comique, mais le moment qu’ils ne pouvaient repousser davantage avait fini par arriver : ils n’avaient plus rien à faire.
Le crépuscule s’installait, les gens qui travaillaient rentraient chez eux. Davva et Skegs les observaient, qui descendaient des bus, qui passaient dans leurs costumes ou leurs vêtements de travail, fatigués et impassibles. Certains jetaient des coups d’œil aux garçons assis contre le mur, entourés des reliefs de leur journée, et eux leur rendaient leurs regards avec agressivité, en plissant les yeux ; un échange fait d’incompréhension d’un côté, de peur de l’autre. Mais pas vraiment de haine. Pas tout à fait.
La tête embrumée, l’estomac baignant dans tout ce qu’ils avaient consommé, ils dressaient la liste des possibilités pour la soirée à venir. Ils pouvaient rentrer chez eux. Pour ­différentes raisons, aucun des deux n’avait envie de ça. Ils pouvaient traîner dans le coin, essayer de se choper de l’herbe ou du speed, voler une bagnole. Plus tard, peut-être. Ils pouvaient aller chez Tanya, la sœur de Davva.
Je crève de faim », dit Skegs. L’alcool, les clopes et le chocolat lui avaient ouvert l’appétit.
On va aller chez Tanya, alors », répondit Davva. Il se mit debout, s’étira et se rajusta. Le débat était clos.
Tandis qu’ils s’éloignaient, Davva ramassa la bouteille vide de Bacardi et la jeta de toutes ses forces contre un lampadaire. Elle atteignit son but et explosa, éparpillant sur le trottoir et la route maintenant déserts une multitude de fragments qui réfléchissaient la lumière des lampadaires et scintillaient comme autant de petits prismes, avant de rouler jusqu’au caniveau, dans un tintement. Dans l’esprit embrumé des deux garçons, tout était flou et au ralenti. Magnifique. Comme des diamants. Les lampadaires brillaient comme de l’or. Skegs sourit. Davva aurait voulu sourire aussi, mais ne s’y autorisa pas. Ils se retournèrent, s’éloignèrent.
Un peu plus loin après les maisons en briques rouges des services sociaux et des immeubles de trois étages, se trouvait la résidence T. Dan Smith2. L’entrée du complexe immobilier était marquée par le pub Magpie3 et une rangée de magasins aux devantures vermoulues. La police, les ambulances ou les livreurs de pizza s’y aventuraient rarement. À l’écart, affamé, le T. Dan Smith se mourait.
Lorsque Tanya s’était rendu compte qu’elle était enceinte, sa mère n’avait plus rien voulu savoir d’elle. Elle ne voulait même plus entendre prononcer son nom. Seule et abandonnée, Tanya était allée voir les services sociaux et on lui avait trouvé un logement en moins de deux. Une fois installée dans son nouvel appartement, elle avait compris pourquoi. Le Wyn Davies4 était un haut immeuble en similibéton. Les murs étaient tachés d’humidité et moisis, l’ascenseur puait la pisse, les escaliers la merde, les couloirs étaient jonchés de seringues qui crissaient sous les pieds. Ce n’était pas un endroit pour une fille de dix-sept ans, avec ou sans enfant. Tanya logeait au sixième étage. Au début, elle avait vraiment haï cet endroit. Au bout d’un moment, elle l’avait accepté. Maintenant, elle ne remarquait plus rien. Parfois, elle contribuait au désastre.
Tanya était assise dans un fauteuil d’occasion et regardait Coronation Street5, Carly endormie dans son couffin, lorsqu’on toqua à la porte. Elle sursauta, impatiente de répondre. Elle savait qui c’était. Elle l’attendait.
Elle ouvrit la porte. Elle vit son petit frère Davva et son copain bizarre Skegs. Elle essaya de cacher sa déception.
Qu’est-ce que vous voulez, merde ?
Salut, Tanya, tu nous laisses entrer ? »
Elle soupira, ôta sa main de la porte et retourna dans le salon. Davva et Skegs entrèrent, Skegs ferma la porte derrière lui. Elle se laissa retomber dans le fauteuil et essaya d’avoir l’air intéressé par Ken et Deirdre qui vaquaient à leurs ­occupations chez eux sans grande conviction. Davva et Skegs restèrent debout.
T’as à bouffer ?
Y a une baraque à frites en bas. Vas-y. » Tanya essaya de ne pas sourire à sa blague.
Arrête, Tanya, on crève la dalle. »
Tanya se tourna pour regarder les deux garçons, leurs yeux vides et troubles.
Vous avez pris quelque chose ?
Ouais. On est défoncés, ricana Skegs.
Ouais, dit Davva, en se rengorgeant un peu. On a braqué le Paki. On a piqué plein de trucs, pas vrai ? » Skegs hocha la tête. Davva mit la main dans sa poche, en sortit les Silk Cut, les jeta sur le fauteuil. « Je t’ai pris ça. »
Tanya regarda les cigarettes et sourit.
T’es pas un mauvais bougre, Davva, finalement.
Alors on peut avoir quelque chose à croûter, maintenant ? demanda Davva.
Y a des haricots dans la cuisine. Servez-vous. » Tanya arracha la cellophane du paquet de cigarettes, l’ouvrit, s’en alluma une.
On frappa de nouveau à la porte, mais d’une manière différente, sèche, professionnelle. Tanya bondit pour aller répondre.
Elle ouvrit la porte et il était là. Grand, beau, les vêtements de marque dernier cri. Il portait l’arrogance en guise d’aftershave.
Salut, Karl, dit Tanya. Entre. »
Karl était déjà entré. Il passa dans la pièce et s’arrêta net quand il vit les deux garçons défoncés debout là, qui mangeaient des haricots froids dans une boîte de conserve à la cuiller.
C’est qui, ça ? demanda-t-il.
Mon frangin et son pote. T’en fais pas pour eux. » Elle alla vers la chambre. « Viens par ici, c’est privé. » Karl lui emboîta le pas. La chambre sentait le moisi, la sueur, la crasse et la culpabilité, le sexe triste. Dans un coin, le bébé, Carly, dormait dans son couffin. Tanya marcha jusqu’à la commode, ouvrit un tiroir, en sortit un rouleau de billets de banque et les compta. Elle les tendit à Karl. Il vérifia et les mit dans sa poche.
Karl s’assit au bord du lit, regarda sa montre.
Dépêche, je suis pressé. »
Elle prit une dernière longue taffe de sa cigarette, l’éteignit dans le cendrier sur la commode. Elle s’assit près de lui, ouvrit sa fermeture éclair, glissa sa main à l’intérieur et commença à serrer sa queue jusqu’à ce qu’il bande. Lorsqu’elle atteignit une taille suffisante, elle se mit à genoux face à lui, la prit dans sa bouche et commença à la sucer.
Il ne mit pas longtemps à jouir, Tanya restant en position, drainant les dernières gouttes, réprimant la bile qui montait dans sa gorge, se forçant à avaler. Elle le regarda, sourit. Il lui rendit son sourire, à ceci près que le sien était cruel et méprisant.
Il se rhabilla, se remit debout. Il mit la main dans la poche de sa veste, en sortit un petit paquet en plastique et le lui tendit. Tanya le prit, mourant d’envie d’en prendre immédiatement.
C’est peut-être la dernière fois que je viens ici avant un certain temps, dit-il.
Pourquoi ? » demanda Tanya, brève et coupante.
Karl haussa les épaules.
Ça devient trop dangereux, dans le coin »
Tanya parla comme si son amant lui avait annoncé qu’il la quittait.
Mais tu ne peux pas ne plus venir. Qu’est-ce que je vais devenir ? »
Le bébé s’étira, grogna dans son sommeil. Karl l’ignora.
Trouve quelqu’un d’autre. »
Elle courut vers lui, l’attrapa par sa veste.
Je t’en supplie, Karl. Trouve quelqu’un d’autre pour le faire si tu veux plus.
Qui ? »
Soudain, le bruit d’une dispute monta du salon. Davva et Skegs se chamaillaient, apparemment pour savoir qui allait finir la boîte de haricots.
Et eux ? » demanda Tanya. Karl sourit. « Allez, Karl, ils le feront. Ce sont de braves gars. »
Karl eut l’air d’y réfléchir, puis alla dans le salon.
Davva et Skegs cessèrent leurs enfantillages lorsqu’il entra.
Hé, les gars, dit Karl, en mettant la main dans sa poche. J’ai un cadeau pour vous. Et si ça vous plaît, j’ai aussi du boulot. Qu’est-ce que vous en dites ? »
Tanya se tenait derrière lui, le visage plein d’espoir, soulagée et amusée.
Suzy attendait. Ça gelait dans la voiture, et il avait dit qu’il n’en avait que pour une minute. Cela faisait plus de vingt depuis qu’il était parti et elle était toujours là, vraiment fâchée. Tout à coup, elle le vit sortir de la tour et s’approcher de la voiture. Il entra, ferma la portière.
T’as pris ton temps, dit-elle pleine de colère.
Les affaires, bébé. Ça a pris plus longtemps que prévu. » Il mit la clef dans le contact. « Encore un arrêt, et après on peut aller s’amuser.
Qu’est-ce qu’on va faire ? » demanda Suzy, la langue dardant entre ses lèvres.
Il lui sortit son sourire spécial, celui grâce auquel elle ne pouvait jamais lui en vouloir trop longtemps.
Ce que tu veux. »
Il démarra, la musique à fond.
Il était presque 1 heure lorsque Louise entendit le vacarme. Comme une grenade à main qu’on aurait balancée, la voiture parcourut la rue, le drum & bass à fond, s’arrêta devant la maison de Louise pour déposer sa passagère.
Elle était éveillée. Elle avait essayé de dormir, mais n’y était pas arrivée.
La porte s’ouvrit et se referma doucement. Les pas dans l’escalier, très légers. Suzanne ne le faisait pas par égard pour le reste de la maisonnée – Louise le savait d’expérience – mais simplement pour s’éviter une engueulade.
Louise entendit la voiture repartir, le petit clic de la porte de la chambre de Suzanne, puis le silence. Elle resta allongée dans l’obscurité, sur le dos, fixant le plafond. À côté d’elle, Keith ronflait légèrement, le dos tourné.
Il allait falloir faire quelque chose, pensa-t-elle. Ça ne pouvait plus continuer comme ça.
Louise soupira, continua de fixer le plafond. La nuit allait être longue, encore une fois.
1Mike Neville (né en 1936) : présentateur de télévision anglais, qui officiait dans le nord-est de l’Angleterre, aux actualités régionales.
2Thomas Daniel Smith (1915-1993) : fils d’un mineur communiste, politicien, membre éminent du parti Travailliste, chef du Newcastle City Council de 1960 à 1965, surnommé « Monsieur Newcastle ». Il a voulu débarrasser Newcastle de ses bidonvilles et s’est intéressé à l’urbanisme. Il a noué des relations d’affaires avec l’architecte John Poulson, qui ont abouti à sa condamnation en 1974 à six ans de prison pour corruption.
3Magpie : surnom donné aux joueurs de l’équipe de football de Newcastle, à cause de leur maillot rayé noir et blanc, qui rappelle la robe de la pie.
4Wyn Davies (né en 1942) : joueur de football du Newcastle United, de 1966 à 1971.
5Feuilleton télévisé très populaire en Angleterre, qui existe depuis 1960.