Larkin, avec son bloc-notes, son stylo, son dictaphone et une légère gueule de bois, frappa à la porte du Centre de traitement des addictions de Coldwell. Une femme aux cheveux teints en rouge vif, t-shirt noir, pantalon Carhartt très large et baskets, lui ouvrit. Un peu plus de la vingtaine, estima Larkin.
« Salut, je suis Stephen Larkin. Je viens voir Tony Woodhouse. »
La fille grimaça avant que son regard ne s’éclaire.
« Le journaliste ?
– C’est ça. »
Elle sourit un peu, dévoilant des rides aux coins de sa bouche et autour de ses yeux. Soit elle avait beaucoup ri, dans sa vie, soit elle avait beaucoup pleuré. Larkin ne put décider, mais révisa son estimation à la hausse.
« Entrez », dit-elle.
Larkin la suivit dans les escaliers.
« Vous avez déjà visité le Centre ?
– Pas encore. »
Elle sourit à nouveau.
« Je vais m’en charger, alors. »
La femme, qui dit s’appeler Claire Duffy, joua au guide, puis le fit asseoir dans son bureau avec une tasse de café.
« Ça ne vous gêne pas si je me remets au boulot ? Tony ne va pas tarder.
Pas de problème. » Larkin but son café, regarda autour de lui. « Le Centre est bien mieux équipé que ce à quoi je m’attendais. »
Claire sourit.
C’est un des avantages d’avoir une ex-star du football comme patron.
Ah ?
Ça ouvre des portes qui ne s’ouvriraient pas pour le commun des mortels, comme vous et moi. » Il y avait une petite pointe de sarcasme dans sa voix.
Larkin acquiesça. Une star du football ? Une poignée d’apparitions sous le maillot de Newcastle, même pas un titulaire régulier, une blessure qui avait mis un terme à sa carrière, ça faisait de lui une star ? Larkin ne dit rien. Mais il archiva l’information.
Il se mit debout, alla jusqu’à la fenêtre, regarda en bas. La petite ville avait un réveil difficile : les bus charriaient des tas de gens vers Whitley Bay et Newcastle, de modestes boutiques ouvraient, des clients et des laissés-pour-compte traînaient sur les trottoirs. Un homme solitaire à l’âge indéfinissable était assis sur le muret qui longeait les toilettes publiques, une bouteille de cidre bon marché à côté de lui. Il regardait droit devant lui, dans le vide, à moins qu’il y eût quelque chose que lui seul pouvait voir. Un lève-tôt ou un couche-tard, pensa Larkin. Il se demandait si le type était encore capable de faire la différence. Un des derniers survivants dont s’occupait Tony Woodhouse. L’homme se mit à s’agiter, à parler à un public invisible. Peut-être se croyait-il suivi par une foule de gens de sa connaissance.
Son œil fut attiré par une voiture rouge qui venait de tourner au coin de la rue. Une Puma rutilante avec un autocollant « handicapé » sur le pare-brise. Elle se gara juste devant le bâtiment. Larkin regarda Tony Woodhouse sortir péniblement de sa voiture, grimaçant légèrement à chaque pas.
Le voilà », dit Larkin.
Tony Woodhouse verrouilla la portière, se redressa. Sa jambe gauche lui faisait plus mal que d’ordinaire, un élancement lancinant qui allait en augmentant jusqu’à la douleur, comme autant de coups de poignard. Il savait, sans regarder le ciel, qu’il allait bientôt pleuvoir.
Tony Woodhouse et son étonnante jambe extralucide. Monsieur météo magique.
Il regarda l’homme assis à côté des toilettes.
Salut, Jerry. »
L’homme le regarda à son tour, et un sourire fendit sa gueule brisée.
Bonjour, monsieur Woodhouse. »
Tony hocha la tête, puis leva les yeux vers les fenêtres du Centre et vit un visage inhabituel qui le regardait. Puis il se souvint. Le journaliste. Le frère de Louise.
Tony fit un vague mouvement de la main, pensa : comment est-ce que je vais la jouer ? Répondit : l’histoire classique, avec les bons mots prêts à être cités. Lui donner ça, et le renvoyer chez lui satisfait.
Et voir s’il n’avait pas d’arrière-pensées.
Bien dans son rôle, Tony marcha péniblement jusqu’à la porte.
Alors, dit Tony avec un sourire avenant, qu’est-ce que vous voulez faire, aujourd’hui ? »
Il y avait maintenant pas mal de monde dans le Centre. Larkin commençait à comprendre pourquoi ils avaient besoin de cet endroit. Des gens étaient entrés et sortis toute la matinée, certains s’arrêtaient pour parler, d’autres cherchaient simplement un endroit où aller.
Larkin était dans le même fauteuil inconfortable que celui qu’il occupait lors de sa visite précédente. Il avait interrogé Tony sur sa vie et son boulot, pris des notes, avait tout enregistré. Rien qu’il n’avait déjà entendu auparavant. L’histoire d’une vie, esquissée à grands traits.
Il était évident pour Larkin, même s’il n’avait pas passé beaucoup de temps sur place, que Tony Woodhouse était très apprécié aussi bien des employés du Centre que de ses clients. Il avait un charisme accessible et aimable auquel les gens étaient sensibles.
Larkin haussa les épaules.
Comme vous voulez. »
Tony réfléchit un instant.
Allons faire un tour en voiture », dit-il.
Larkin se mit aussitôt debout, essaya de ne pas montrer son soulagement d’être libéré du fauteuil. Il attrapa le dictaphone et suivit Tony dehors.
C’est d’ici que viennent la plupart de nos clients. »
Dès que Tony et Larkin étaient montés dans la Puma, le ciel s’était ouvert et avait nettoyé les trottoirs de leurs passants et les bâtiments de leur crasse. Tony dit quelque chose au sujet de ses jambes, qui étaient capables de prédire le temps, puis conduisit jusqu’au T. Dan Smith. Ils se garèrent et observèrent.
Là, la pluie ne nettoyait pas les immeubles ; elle ne faisait que donner au ciment et aux briques décolorés une patine sombre et huileuse.
T. Dan Smith ? demanda Larkin. C’est une blague d’un urbaniste, ou quoi ?
Apparemment pas. Ils ont décidé que ce complexe – et tous les bâtiments et toutes les rues qui en font partie – devaient porter les noms de personnalités marquantes de la région. » Il eut un geste : « Là, c’est l’immeuble Catherine Cookson
1, bien entendu, et ces bungalows à côté, c’est la promenade Jimmy Nail
2. Il y a aussi le Jackie Milburn
3, le Paul Gascoigne
4…
Et le Tony Woodhouse ? »
L’expression de Tony changea, s’assombrit légèrement.
Non, dit-il, en regardant par la fenêtre de sa portière, au-delà de la pluie. Seulement les héros. Pas les ratés. »
Larkin hocha la tête.
Donc la plupart de vos clients…
Oui, dit Tony, se précipitant sur l’occasion de changer de sujet. La plupart d’entre eux viennent d’ici. Et la plupart des gens qui vivent ici se défoncent d’une manière ou d’une autre.
C’est quoi, le pire ? »
Tony eut un rire amer.
Il n’y a pas de pire. Il y a juste des différences. Des degrés. Alcool, héroïne, crack. Les goûts et les couleurs. Mais le résultat est le même au bout du compte.
Ils viennent tous vous rendre visite ?
Pas tous. Seulement ceux qui pensent qu’on peut les aider. Ou qui veulent être aidés.
Et vous les aidez ?
On a eu quelques réussites, mais en vérité, c’est plutôt comme mettre un pansement sur une jambe de bois. On ne peut pas non plus faire de miracles avec ce que nous avons. »
À travers la pluie qui blanchissait le pare-brise, le complexe avait l’air pour ainsi dire abandonné. Des clôtures cassées laissaient déborder les mauvaises herbes. Des meubles pourris, des appareils ménagers rouillés et des carcasses de voitures calcinées étaient éparpillés un peu partout comme autant de morceaux d’une barricade démolie. Des appartements et des maisons condamnés et incendiés, abandonnés et inhabitables, en jouxtaient d’autres, habités. Une obscurité qui n’était pas due qu’aux nuages chargés de pluie enveloppait l’endroit.
Ça a toujours été dur, par ici. Je le sais bien, parce que je viens d’ici, dit Tony. Mais ça n’a jamais été à ce point. Lorsque la mine a fermé, la ville est morte avec elle. » Il poussa un soupir plein de colère. L’air siffla entre ses dents. « Si vous supprimez le travail, que reste-t-il ? Ça.
Vous étiez ici au moment de la grève des mineurs ? »
Le visage de Tony s’assombrit, ses pensées devinrent soudain indéchiffrables.
Non… Pas vraiment. Mon père, oui, par contre. Et mon frère. C’est la mine qui a tué mon père. Les poumons.
Et votre frère ? »
Tony détourna le regard.
Il a déménagé. Il a trouvé du boulot à Chester. Il bosse dans les ordinateurs, maintenant. Je ne le vois plus trop. Je suppose qu’il a bien fait de se tirer tant qu’il le pouvait. La seule activité en expansion par ici, maintenant, c’est…
La drogue ? »
Tony acquiesça tristement.
En plein dans le mille, du premier coup. Et je vais vous dire un truc : certains de ces gamins savent vraiment s’y prendre. Ils sont vachement bons. Dans d’autres circonstances, ils auraient pu diriger une grosse boîte ou quelque chose comme ça. » Son accent du nord était de plus en plus prononcé.
Le silence retomba.
Vous les détestez ? finit par demander Larkin.
Je déteste ce qu’ils font, mais… » Il marqua une pause. « Comme je viens aussi d’ici, je comprends très bien pourquoi ils ont envie de s’évader d’ici. Les dealers et les drogués. » Il hocha la tête, plus pour lui-même que pour Larkin.
Vous ne voyez aucune amélioration ?
Pas vraiment. Au bout du compte, on ne fait que traiter les symptômes, pas les causes. Ça demanderait des efforts énormes, pour s’en débarrasser.
Comme quoi ?
Il faudrait que les gens ne s’ennuient pas. Qu’ils aient du boulot. Effacer précisément ce à quoi ils essaient d’échapper.
C’est beaucoup demander, ça.
C’est vrai. Il faudrait un investissement massif d’argent et un énorme programme de redéveloppement. Aucune chance que ça se produise. Mais il y a quand même une chose qui serait possible.
Quoi ?
Légaliser l’héroïne, pour commencer.
Quoi ?
La légaliser. Pas seulement la dépénaliser, la légaliser. Entièrement. Si on faisait ça, la petite criminalité disparaîtrait de nos rues immédiatement.
Comment ?
En brisant la chaîne. »
Larkin fixa Tony, fronça les sourcils. Tony se tourna vers lui, pédagogue.
D’accord. Réfléchissez-y. Est-ce que l’héroïne tue ?
Oui.
Non. L’héroïne n’a jamais tué personne. C’est un fait. C’est un analgésique. Très addictif, évidemment, mais un analgésique. Point à la ligne. Si vous faites une overdose d’héroïne, tout ce que vous aurez, c’est une grosse migraine. Une overdose de paracétamol vous fera plus de mal. Non. C’est ce avec quoi elle est coupée qui tue. Les dealers sont des truands. Pour eux, il n’y a que le profit qui compte. Alors ils coupent l’héro avec n’importe quoi. Du talc, de la poussière de brique, du ciment, de la poudre pour se maquiller ou faire du curry, du débouche-évier. N’importe quoi. Et parmi ces trucs-là, il y en a qui sont toxiques. Quand ça passe dans l’organisme, ça le bloque. Il y en a qui chopent la gangrène. Qui se font amputer. »
Tony commençait à s’échauffer.
C’est comme aux États-Unis pendant la Prohibition. Vous savez pourquoi tant de bluesmen des années 1920 étaient aveugles ? À cause de l’alcool de contrebande qu’ils buvaient. Du whisky d’alambic. Du gin distillé dans des baignoires. Par des truands. C’est pareil avec les drogues maintenant. On légalise, on demande aux drogués de se faire recenser par leurs médecins, on s’assure que ce qu’ils prennent n’est pas empoisonné. On enlève les truands de l’équation. » Il fit un geste vers les immeubles. « Comme ici. Les gens croient que les camés passent leur temps à traîner, à essayer d’émerger. C’est faux. Ils se démènent. Ils sont toujours à l’affût, à chercher du fric pour leur prochaine défonce, à voler, à dépouiller, à vendre leur corps, même. N’importe quoi. Si on arrête ça, ils pourraient se reprendre en main. Régler leurs problèmes. Ce n’est pas la drogue, le problème. Faites payer pour l’air ou l’eau, et vous vous ferez refiler des trucs frelatés par des truands. Non, l’héroïne ne vous détruit pas. Vous pouvez en prendre pendant des années, si c’est de la bonne, et votre meilleur ami ne s’en rendrait même pas compte. » Il sourit. « Sincèrement. »
Larkin sourit aussi.
Assez convaincante, comme démonstration.
Et entièrement vraie.
Vous croyez que ça va arriver ? »
Tony rigola.
Pas dans un futur proche. Surtout pas avec les élections qui arrivent. Ils ne voudront jamais rien dire qui irriterait le Daily Mail. Mais il faut que ça arrive. J’en suis persuadé. Et en attendant qu’ils le fassent… » Il regarda de nouveau alentour. « Ils continueront de venir me voir. Et je leur mettrai des pansements sur leurs jambes de bois et je les renverrai chez eux. Là où ils sont le plus en danger.
Pourquoi vous continuez, alors ? »
Tony ouvrit la bouche pour répondre, mais il s’en empêcha. Son visage s’assombrit puis s’éclaira.
Il faut bien que quelqu’un le fasse. Vous avez assez de citations, là ? »
Larkin arrêta la cassette.
Ouais.
Alors allons ailleurs. »
Ils partirent, laissant la pluie marteler le T. Dan Smith.
The Garden of Eden
5. S’il y avait eu un prix pour le nom de pub le moins approprié et le plus trompeur, pensa Larkin, celui-là aurait gagné haut la main.
Il était perché dans un coin particulièrement moche et reculé de la Blyth
6, à la lisière d’une cité résidentielle en briques rouges. En amont du fleuve sur la gauche, il y avait les hautes cheminées vomissantes de la centrale électrique de Cambois. En aval, sur la droite, il y avait ce qui restait des docks, avec les grandes éoliennes blanches au loin, qui tournaient lentement. Sur l’autre rive, entourées de terrains plats et déserts, il y avait six rangées de maisons bien alignées particulièrement sinistres et qui juraient avec le paysage.
Le pub, qui avait une verrière récente plutôt incongrue, accolée à une antique jetée en bois, ressemblait exactement à ce à quoi s’était attendu Larkin. Des tables et des chaises en bois scarifiées, de la moquette usée jusqu’à la corde, trop chère pour être changée. Le patron leur souhaita la bienvenue chaleureusement, ce qui surprit Larkin, mais comme Tony et lui étaient les seuls clients, il était probablement juste content de voir du monde. Larkin s’assit sous la verrière en attendant que Tony eût fini de parler avec le barman et apportât deux pintes de pression. Par chance, le bruit de la pluie sur le toit noyait Tina Turner.
Santé, dit Tony en s’asseyant.
Sympa, comme rade, dit Larkin, regardant alentour.
Ils font ce qu’ils peuvent. »
Ils avalèrent une gorgée.
Je travaillais ici, avant, dit Tony.
Quoi, dans ce pub ?
Non, là-bas. » Tony montra les docks du doigt. « Quand j’ai quitté l’école. C’était ça ou la mine. Et vu ce qui était arrivé à mon père, je me suis dit que j’allais tenter ma chance à l’air libre.
Et le football ?
Dieu merci, c’est arrivé au bon moment. » Il regarda les docks. « Ouais…
Ça vous manque ? » demanda Larkin d’une voix douce.
Tony grimaça, soupira.
Ça s’est terminé avant de vraiment commencer, en fait. Peut-être que si j’avais joué un peu plus longtemps… Je ne sais pas. Les entraînements, en tout cas, ça ne me manque pas du tout, par contre.
Et les docks, ça vous manque, alors ?
Non, répondit vite Tony. C’est ce à quoi j’ai cherché à échapper avec le football.
Je vois ce que vous voulez dire », dit Larkin, mais Tony n’écoutait pas. « Clive Fairbairn », dit soudain Larkin.
Tony sortit de sa rêverie en sursaut.
Quoi ?
Clive Fairbairn. C’est là que j’en ai entendu parler. À son procès. Comme quoi les docks de Coldwell étaient un des principaux points d’entrée de drogues dures en Europe.
Ça, j’en sais rien, dit Tony. Mais ça ne m’étonnerait pas.
Oui, c’est bien ça. Il y a eu un certain nombre de descentes de police, il y a quelques années. Drogues dures et armes en provenance de Russie. Pour approvisionner l’IRA, croyait-on.
Ah oui, c’est vrai », dit Tony en faisant semblant de retrouver la mémoire. Il but une grande gorgée de bière. « Je suis content qu’ils aient empêché ça d’arriver dans la rue. Ça me facilite le boulot.
Rien de tout ça ne se produisait à l’époque où vous étiez ici ? demanda Larkin.
Je ne suis pas resté longtemps, dit Tony, en évitant de croiser le regard de Larkin. Et je ne faisais pas attention. »
Larkin chercha ses yeux, hocha la tête. Il y avait quelque chose, là, quelque chose dans les réponses de Tony qui ne sonnait pas tout à fait juste… Mais il n’allait pas creuser. Pas tout de suite. Il était temps de changer de sujet, pensa-t-il.
Bon, et donc, que s’est-il passé après le football ? »
Tony sourit, de nouveau maître de la conversation.
J’ai obtenu un diplôme de sociologie. »
Retour à la biographie officielle. Comment il avait atterri par hasard à la fac, après que sa carrière footballistique s’était brutalement arrêtée. Comment il avait fini par diriger le Centre – « juste de la chance. La bonne personne au bon endroit au bon moment ». Comment il obtenait des dons – « À la Bob Geldof
7. S’ils disent non, on menace de diffuser leurs noms et de leur mettre la honte. Ça marche à tous les coups. Ça fait toujours ouvrir le chéquier. » Il continua en parlant de la façon dont le Centre était structuré, les qualifications des membres de l’équipe, les belles histoires qu’ils y avaient vécues. Larkin les connaissait toutes. C’était un peu comme si Tony faisait un spectacle. Larkin acquiesçait régulièrement, son dictaphone sur la table enregistrait tout.
Tony arrêta de parler. Larkin ramassa son enregistreur.
Vous avez tout ce qu’il vous faut ? demanda Tony.
Pour le moment. »
Tony se leva, avala un bonbon à la menthe.
Ça ne collera pas si je donne des conseils à des alcooliques en sentant l’alcool. »
Ils rirent tous les deux.
Ils se dirigèrent vers la porte. Dehors, la pluie avait cessé, Coldwell pouvait scintiller quelques instants.
Larkin attendit que Tony ait la clef de sa voiture dans la main et dit :
Ah, au fait, je suis passé voir Louise, l’autre jour. »
Tony s’arrêta net, la clef immobilisée à mi-chemin de la portière.
Ah, ouais, dit-il, la voix un peu faible. Comment va-t-elle ?
Très bien. Elle a demandé de vos nouvelles.
C’est sympa, dit Tony, gentiment impassible. Eh bien, si vous la revoyez, dites-lui que je… (il marqua une pause) … l’embrasse.
Je n’y manquerai pas. »
Tony ouvrit la portière, balança sa jambe gauche avec peine. Larkin ne bougea pas.
Ça ne vous embête pas si je marche un peu ? Histoire de m’imprégner de l’ambiance locale.
Pas du tout. »
Ils convinrent que Larkin reviendrait le lendemain et Tony s’en alla, non sans lui avoir rappelé le match du dimanche. Larkin confirma à contrecœur qu’il viendrait. Tony accéléra, le laissant debout seul au milieu de la rue.
Il commença à marcher lentement vers le centre-ville, essayant de tout regarder. Cela avait beaucoup changé. Et pas en bien.
Il passa devant un bâtiment administratif, bas et triste. Des rues aux maisons alignées, en briques rouges, débarrassées de leur crasse par la pluie. Devant un ancien pub victorien transformé en centre social, dont un des murs était recouvert d’une peinture passée, effacée ou taguée dont la porte était cadenassée et les fenêtres grillagées. Devant un pub minuscule, antre sombre et inhospitalier, où des silhouettes humaines incertaines se découpaient à la lueur des machines électriques, penchées sur des tabourets. Une menace sourde planait, tapie dans l’ombre. Juste après, un magasin de meubles et d’appareils ménagers d’occasion qui proposait des taux de crédit « pas déraisonnables ». À travers la vitrine, Larkin vit un homme obèse vêtu d’un polo taché qui riait, au téléphone. Probablement à la quantité « pas déraisonnable » de saloperies qu’il était impatient de fourguer.
Il arriva dans la zone commerçante, traversa le parking. Il passa devant des filles avec des poussettes et des marmots qui se traînaient lamentablement derrière elles. Elles avaient dix-sept ou dix-huit ans. Elles aperçurent quelqu’un qu’elles connaissaient de l’autre côté de la rue. Une autre fille avec une poussette. Elles entamèrent une conversation en criant d’un bout de la rue à l’autre, la première hurlait :
Ah ! Tu sais, je suis mère célibataire, maintenant ! » Puis elle regarda autour d’elle en souriant, comme si elle s’attendait à ce qu’on l’applaudisse, comme s’il y avait de quoi être fière. Elle n’avait pas l’air très futé. Les deux gamins qui la suivaient essayèrent d’entrer dans un magasin.
Il arriva à la gare routière. Le pochard solitaire occupait toujours le muret en face des toilettes. Il avait l’air tout mouillé, comme s’il n’avait pas bougé d’un iota pendant l’averse. Son épaisse crête d’Iroquois et sa queue-de-cheval qui ressemblait plus à une queue de rat étaient humides mais portées avec fierté, comme si c’était la dernière mode. Aucun de ses amis ne l’avait rejoint. Il avait cessé de parler tout seul, se contentait de hocher la tête, comme s’il écoutait quelqu’un ou quelque chose.
Larkin prit la direction du parking, navigua parmi les piétons. Ils étaient tous mal habillés, avec des vêtements à bas prix, et la plupart avaient l’air trop gros, ou sous-alimentés, ou parfois les deux. Des problèmes de peau, des cheveux gras. Les nombreux fast-foods et les boulangeries qui offraient des tartes chaudes pas chères permettaient de tromper rapidement la faim. Les gens mangeaient en marchant, donnant à leurs corps l’illusion de la satiété, mais sans parvenir à combler le vide.
Sur le parking, il sortit ses clefs, regarda autour de lui. Soudain, l’air se remplit du vrombissement rythmé du drum’n’bass. Il se retourna, vit une voiture japonaise criarde, qui allait en direction de la résidence T. Dan Smith. Un pourvoyeur de clients pour Tony Woodhouse, pensa Larkin ironiquement. Puis une autre idée lui vint à l’esprit : la voiture qui avait déposé Suzanne chez Louise, l’autre soir.
Il soupira. Il devait y avoir des tas de garçons qui avaient des voitures gonflées et customisées, équipées de sono à faire claquer les tympans. Et alors ?
Il parcourut une dernière fois la ville du regard. Le soleil brillait, à présent, mais il était toujours froid. Il monta dans sa voiture. Ouais, pensa-t-il, je t’ai vraiment bien cernée, Coldwell. Ce que tu étais à l’époque, et ce que tu es devenue. Puis il pensa à Tony Woodhouse.
Mais toi, je ne t’ai pas du tout cerné.
Il démarra, s’en alla.
Karl conduisait de la même façon que tout ce qu’il faisait d’autre : avec arrogance. Il frôlait les voitures garées, ne prêtait pas grande attention aux feux de circulation et aux marquages au sol, montrait aux autres conducteurs que peu importait qui ils étaient et où ils allaient, c’était lui qui avait la priorité. Il passait avant tout le monde. Il n’avait jamais eu d’accident, et il n’en aurait jamais. Ça, c’était pour les autres. Les inférieurs. Sur la route, et dans tous les autres domaines de sa vie, Karl était immunisé. Immortel.
Il souriait en conduisant, sa tête se balançait inconsciemment au rythme de la musique, et il organisait sa journée : tournée de distribution au T. Dan, réception de l’argent récolté par ses garçons livreurs, peut-être se faire tailler quelques pipes gratos en passant. Plus tard, aller chercher Suzy, la ramener chez elle. Son sourire s’élargit lorsqu’il sentit les prémices d’une érection.
Il aurait une surprise pour elle, après. Elle allait adorer.
Pour Davva et Skegs, c’était la plus belle période de leurs vies. Davva pédalait sur son tout nouveau VTT à qui il faisait descendre la rampe du vieux skatepark au bout du T. Dan. Il accélérait, appuyant furieusement, avant de laisser l’élan l’emporter au sommet de la rampe d’en face. Il arriva au sommet, décolla et fit faire demi-tour à son vélo en l’air, se tordant comme les pros à la télé, avant de redescendre.
La roue avant atterrit sur la rampe comme il fallait, mais la roue arrière, mal alignée, dérapa. Davva essaya de maintenir son équilibre en appuyant sur le guidon, en pure perte. Le vélo glissa sous lui et Davva s’écrasa sur le béton, s’égratignant les membres, son jean et son sweat-shirt neufs en même temps. Le vélo dévala la pente, s’arrêta tout en bas.
Skegs ne pouvait pas s’arrêter de rire.
Gros naze ! Si tu t’étais vu… »
Davva se releva et, tout rouge, marcha vers l’endroit où se trouvait Skegs, les bras autour du guidon de son vélo. Il le frappa en plein visage. Skegs s’arrêta aussitôt de rire. Il regarda Davva. Son expression révélait davantage que la simple douleur physique.
Pourquoi t’as fait ça, merde ? »
Skegs se frotta le visage.
Si tu crois que tu peux faire mieux, vas-y, putain. » Davva remit son vélo droit. Skegs rougit, lèvres tremblantes.
D’ac. »
Il empoigna son VTT, grimpa à pied en le poussant avec difficulté au sommet de la rampe, puis commença sa descente. Il pédala aussi fort qu’il le pouvait, la bouche tordue par l’effort. Il suivit la même trajectoire que Davva, mais lorsqu’il arriva au sommet, il se rendit compte qu’il n’allait pas assez vite pour décoller. Il essaya la même manœuvre que Davva, mais avec encore moins de réussite. Le vélo se mit dans une position telle qu’il allait lui retomber dessus. Ses jambes faiblirent sous le poids du vélo et il perdit l’équilibre. Il tomba, le vélo aussi, et les deux glissèrent, emmêlés, en bas de la rampe, où ils finirent par s’immobiliser en une sorte de tas informe.
Skegs s’extirpa de sa bicyclette et se remit debout, les joues brûlantes de honte. Il regarda Davva. Qui ne riait pas. Il souriait. C’était pire.
Skegs fit rouler son vélo tout neuf et cabossé vers Davva et reprit sa place, sans un mot, à côté de lui. Davva souriait toujours. Skegs était suffisamment proche de lui pour ressentir le mélange de satisfaction et de plaisir cruel.
Skegs fit distraitement tourner sa pédale avec son pied, sans rien dire. Il attendait.
Ils restèrent comme ça pendant un long moment. À la fin, Skegs sortit un joint mal en point de sa poche arrière, commença à fumer, avala la fumée, s’empêcha de tousser, le passa à Davva. Davva le regarda, hocha la tête, prit une taffe, et ils se détendirent un peu.
Bientôt, le joint fut terminé, et ils se demandèrent ce qu’ils allaient faire. La réponse leur fut apportée par le vacarme du drum’n’bass qui approchait. La voiture de Karl se rangea le long du trottoir. Les deux garçons coururent vers elle. Il baissa sa vitre, mais pas la musique.
Salut les gars, dit Karl, en se penchant par la portière. Vous avez rien pour moi ? »
Davva et Skegs avaient du mal à comprendre ce que leur disait Karl à cause des incessantes trépidations de la musique, mais ça ne les gênait pas. Pour eux, ça faisait partie du truc. Bling bling. Frime. De toute façon, ils savaient ce qu’il voulait. Ils fouillèrent leurs poches et donnèrent billets et pièces à Karl.
Karl compta et ronchonna.
Pas lourd pour une matinée de travail. » Quelque chose de dangereux et de brillant passa dans son regard. « Vous m’embrouillez pas, les gars, hein ? »
Les deux garçons secouèrent la tête, très vite, la peur dans les yeux. Karl sourit.
Bien, dit-il. Essayez pas. Vous avez de quoi tenir le reste de la journée ? »
Ils firent signe que oui.
Bon. Oubliez pas. Si vous vous faites serrer, c’est votre problème. Maintenant foutez-moi le camp. Vos vélos, c’est pas que pour vous amuser. Dégagez. »
Les deux garçons s’en allèrent en pédalant vite, sans oser regarder derrière eux.
Ils s’éloignèrent, puis Karl démarra.
Claire Duffy éteignit son ordinateur, vérifia le contenu de son sac à main et se dirigea vers la porte. Elle s’arrêta, se demanda si elle allait passer la tête par la porte du bureau de Tony. Elle le fit. Il était assis à son bureau, il jouait avec son stylo, les yeux perdus dans le vide. Elle fronça les sourcils, inquiète. Il était différent, depuis qu’il était revenu de son rendez-vous avec le journaliste. Elle toqua timidement.
Tony ? » Il releva la tête, étonné de la voir là. « J’y vais.
D’accord. Bonne soirée, Claire. » Il recommença à jouer avec son stylo.
Claire ne bougea pas.
Heu… » Il la regarda à nouveau. « Tout va bien ?
Ouais, très bien. »
Elle entra dans la pièce. Lorsqu’elle parla, sa voix était exagérément légère.
Écoute, je ne suis pas pressée, ce soir. Tu veux prendre un verre ou quelque chose ?
Pas ce soir. Désolé. Ce sera pour une autre fois. » Il ne croisa pas son regard.
D’accord », dit-elle, compréhensive. « À demain. »
Elle s’en alla.
Tony attendit que la porte se referme. Il était seul dans le Centre. Il décrocha son téléphone et composa un numéro de mémoire. Quelqu’un finit par répondre. Il dit à la personne à l’autre bout du fil qui il était et à qui il voulait parler.
Salut Tommy, dit Tony. C’est moi. Il faut qu’on se voie. »
Tony écouta la réponse, nota le rendez-vous, raccrocha et soupira. Il parcourut des yeux son bureau sans voir les meubles, ni les dossiers, ni les posters. Il voyait les succès, les résultats. Les réussites du Centre, les échecs. Les gens qui en avaient franchi la porte, les vies qu’il avait partagées. Pour lui, c’était cela, le Centre. C’était cela qui comptait. C’était cela qui était vraiment important.
Dehors, le jour déclinait, l’obscurité prenait le relais. Il savait que c’était l’heure de partir, de rentrer chez lui. Il avait ce sentiment familier, cette envie qui le tenaillait, mais il ne se leva pas.
Il resta assis là, à fixer les murs, la porte.
Alors, je vais enfin voir où tu habites ? gloussa Suzy. Je suis flattée. »
Elle franchit l’entrée et alla directement dans le salon. Le Wills Building, l’ancienne usine de cigarettes, sur la route côtière, récemment transformée en appartements d’architecte, minimalistes et modernistes, pour jeunes actifs ambitieux. Karl trouvait qu’il correspondait trait pour trait à cette description.
On aurait dit un appartement témoin : canapés en cuir blanc, murs pâles, bois blond, des lignes épurées, sans ostentation, du métal brillant. Un gigantesque écran plat et un lecteur de DVD se trouvaient dans un coin, à côté d’une onéreuse chaîne hi-fi.
C’est mignon», dit Suzy, ébahie.
Karl ferma la porte derrière elle. Elle se verrouilla avec un clic amorti et rassurant à la fois.
C’est à moi », dit-il.
Elle se tourna vers lui.
Tu me fais visiter ? »
Karl mit ses mains sur les hanches de Suzy, ses pouces furetèrent doucement sous la ceinture de son jean.
Ouais, dit-il, la regardant dans les yeux. On va explorer. »
Ils se retrouvèrent dans la chambre où, sans qu’un mot ait été prononcé, Karl déshabilla Suzy et, délicatement mais fermement, la poussa sur le lit. Elle resta là, allongée sur le dos, les genoux serrés, en signe de nervosité et d’inquiétude, les bras croisés sur sa poitrine. Son cœur battait comme un morceau de jungle de boîte de nuit. Elle était persuadée qu’il pouvait l’entendre. Elle soupira, son souffle était saccadé. Allongée là, dans cette pièce, elle se sentit soudain encore plus nue.
Elle regarda Karl enlever ses vêtements, les plier soigneusement sur une table. Elle eut un hoquet lorsqu’elle vit sa queue dressée émerger de son jean. Ça l’excita et lui fit peur en même temps. C’était l’effet que Karl lui-même lui faisait.
Il resta debout, à l’observer. Il regarda ses seins fermes et hauts, sa taille fine, ses poils pubiens noirs et doux, ses longues jambes. Elle avait l’air propre, immaculée. Sa queue se durcit davantage à cette pensée.
Il s’agenouilla à côté d’elle et se mit à la caresser de bas en haut.
Elle sentit ses doigts remonter le long de ses mollets, ses cuisses… Elle se contracta lorsqu’il la toucha. Son cœur battait la chamade.
Karl. » Sa voix était hésitante, sa bouche subitement sèche. Il la regarda, ne répondit rien, continuait de bouger ses mains. « Je sais qu’on a fait des trucs… dit-elle, dans ta voiture et tout, mais je ne suis jamais allée jusqu’au bout avec personne. Tu es le premier.
Je sais. » Il n’y avait aucune hésitation dans la réponse de Karl, ni aucune appréhension. Simplement des mots dits calmement et avec autorité.
Je voulais que ce soit toi. »
Karl se mit sur elle, mit ses mains entre ses jambes. Elle haleta, sursauta.
Dis-moi ce que tu veux que je fasse », dit-il, en souriant.
Elle déglutit. Sa bouche était sèche.
Baise-moi, chuchota-t-elle. Baise-moi, Karl. »
Karl s’exécuta.
Larkin gravit les escaliers, jusque dans la pièce principale de l’appartement. C’était toujours le foutoir : des cartons pas encore vidés, simplement fouillés selon les besoins, des CD empilés autour. L’unique fauteuil. Il ne pouvait pas encore le considérer comme son appartement, il craignait de ne jamais pouvoir le faire. C’était juste l’endroit où il vivait. Il pensa que ça n’aurait jamais l’air vraiment habité.
Il alla jusqu’au frigo dans la cuisine, attrapa une Stella, la décapsula, s’écroula dans le fauteuil. Il regarda autour de lui. Soupira.
L’appartement. Sa vie. Le foutoir. Il ne voulait pas voir ça. Il ne voulait pas penser. Il était fatigué. Il n’alluma pas la lumière. Il but de longues gorgées au goulot.
Tony Woodhouse. Louise. La vie des autres gens. Une autre gorgée. C’était plus facile de s’immerger dans la vie des autres. De porter des jugements. De résoudre leurs problèmes. C’était plus facile que de régler les siens.
Une autre gorgée. Il regarda la pièce, vit les ombres. Tapies dans les ombres, les contours des fantômes. À la lisière. Dans ce monde et dans l’autre. Voûtés, noir sur noir. Qui le regardaient de leurs yeux aveugles. Qui réveillaient ses souvenirs.
Leurs noms : Sophie, Joe, Charlotte.
Morts.
Et les disparus : Andy, Henry, Faye.
Vivants, mais partis.
Et les autres. Tous les autres.
Il se mit debout, alluma la lumière. Les fantômes s’enfuirent, les ombres disparurent. L’ampoule nue les chassa, les jeta dehors. Il alla jusqu’à la TV, l’alluma, retourna s’asseoir, reprit sa bière.
Les images défilaient sur l’écran. Il ne savait même pas ce qu’il regardait.
Il était juste assis là, à réfléchir, à essayer de s’en empêcher.
Rien que des fantômes évanouis. Rien que des ombres. Rien que le passé.
Plus tard, ils étaient allongés l’un à côté de l’autre sur le lit. Karl s’était assoupi, mais Suzy était parfaitement éveillée. Elle était sur le côté, elle observait le petit mouvement régulier, de bas en haut, que faisait son épaule, au rythme de sa respiration. Elle sourit, pensa à quand ils avaient fait l’amour.
Parce que c’est ce qu’ils avaient fait, avait-elle décidé : l’amour. Au début, ça avait été douloureux pour elle ; elle n’était pas préparée à la profondeur à laquelle la queue de Karl s’était enfoncée, son corps s’était contracté, ses jambes s’étaient serrées. Mais Karl avait été patient. Il s’était gentiment introduit en elle, l’avait caressée et lui avait parlé. Petit à petit, elle s’était laissé aller au plaisir qui la gagnait et la submergeait, et auquel elle s’était finalement abandonnée, cédant le contrôle à Karl, ouvrant ses jambes autant qu’elle le pouvait, le laissant entrer en elle tout entier.
Il était sorti d’elle avant de jouir, et quand elle le vit s’agenouiller au-dessus d’elle, haletant et transpirant, elle lui dit qu’elle l’aimait. Et il lui dit qu’il l’aimait aussi, puis éjacula sur ses seins.
Elle était fascinée. Elle n’avait jamais vu un homme jouir. Elle toucha le truc blanc et collant. Karl la vit et lentement lui amena ses doigts à la bouche, jusqu’à ce qu’elle eut tout léché. Bien que le goût ne lui plût pas, elle tâcha de n’en rien montrer, pour ne pas le fâcher.
À ton tour, maintenant », dit-il, et il s’agenouilla entre ses jambes. Il la fit jouir avec sa langue. Elle n’avait jamais ressenti quoi que ce soit d’approchant. Lorsqu’elle eut repris son souffle, elle lui dit à nouveau qu’elle l’aimait.
Tout était parfait. Exactement comme elle avait imaginé que sa première fois serait.
Et maintenant elle regardait son amoureux dormir. Son amoureux. Cela faisait du bien de dire ça. Adulte, enfin.
Suzy était intelligente. Elle savait qui était Karl. Ce qu’il faisait. Oui, ça la tracassait, mais pas trop. C’était son boulot, sa façon de gagner de l’argent. Elle pouvait faire abstraction de cette partie de lui et avoir le reste. Il était bien plus intéressant que tous les garçons de l’école. Oui, elle était à la fois intelligente et belle, mais c’était une combinaison qui faisait fuir les garçons ou n’attirait que les vrais losers. Ce qu’elle voulait, c’était l’ivresse, le danger. N’importe quoi, mais pas sa vie ennuyeuse de lycéenne, ni sa déprimante famille. Et avec Karl, c’était ce qu’elle avait. Et elle lui en était reconnaissante.
Elle tendit la main, commença à le caresser tendrement. Ses doigts se promenèrent sur son corps jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent sur sa queue à moitié dégonflée. Elle commença de l’explorer, à éprouver la mollesse de ce qui était si dur peu de temps auparavant. Petit à petit, elle la sentit qui recommençait à se raidir.
Karl ouvrit les yeux et sursauta, se tourna rapidement pour faire face à Suzy, attrapa son poignet. Suzy s’écarta de lui, choquée par la brutalité de sa réaction, mais il la retint avec force.
Qu’est-ce que tu fous ? demanda Karl, la voix claire mais un peu mangée par le sommeil.
Aïe, tu me fais mal…
Qu’est-ce que tu fous ?
Juste… Je te touche juste…
Ne fais jamais ça, sauf si je te le demande, d’accord ? »
Suzy hocha la tête.
Excuse, Karl.
Bon. » Il vit la peur soudaine dans ses yeux. Lui sourit. « Désolé, dit-il. Je me suis réveillé trop vite. »
Suzy fut soulagée de retrouver le Karl qu’elle connaissait.
C’est pas grave. Tu veux que je continue ?
Pourquoi pas ? »
Elle se remit à le caresser avec un enthousiasme renouvelé.
Suzy… dit Karl au bout d’un moment.
Ouais ?
Sers-toi de ta bouche.
Ok », dit-elle, et fit comme il lui demandait.
Et plus elle le suçait, plus il se détendait, et plus il semblait sensible à ce qu’elle faisait, et plus elle prenait plaisir à lui faire plaisir.
Et quand son corps s’arc-bouta et qu’il lui maintint la bouche sur sa queue, elle ne se plaignit pas ni ne se retira.
Et bien qu’elle n’aimât pas le goût, elle avala son sperme, heureuse et comblée d’avoir un petit morceau de lui en elle.
Et elle ne l’en aima que davantage.