9
Maintenant et avant
Dougie Howden voyait les choses comme ça :
L’appel avait été lancé et il avait été entendu, au-delà des collines et plus loin encore.
Ils venaient. Il le savait, il le sentait.
Ils venaient d’endroits comparables à Coldwell, de villages qui devaient leur existence à la mine, de villes bâties au-dessus des galeries. De foyers d’hommes qui avaient autrefois contribué avec fierté à l’essor du pays, dorénavant en colère, apeurés et amers. D’endroits sous couvre-feu, assiégés par la police afin de les contenir, de les empêcher de se battre contre une décision arbitraire qui aboutissait à détruire leurs existences.
Les mineurs étaient comme des fugitifs, qui cherchaient à échapper aux contrôles de police, aux fouilles et aux barrages routiers. Ils s’évaporaient avant que les cars blindés ne débarquent à l’aube chez eux et que les flics ne défoncent leurs portes, ne piétinent leur vie. Les flics ne trouvaient que des familles sans homme, se faisaient couvrir d’insultes par les femmes des mineurs, se prenaient des coups de poing dans le buffet, et repartaient en vitesse, laissant derrière eux des enfants en larmes qui à coup sûr grandiraient dans la haine des flics.
Les mineurs venaient en dépit des intimidations, de leurs difficultés personnelles, de leur épuisement et des menaces physiques qui pesaient sur eux et sur leurs familles. Ils venaient, parce que c’était leur devoir.
Le Miners’ Welfare Park, à l’aube. De l’herbe et des arbres entouraient un lac, des balançoires et des toboggans sur un côté. Une aire de pique-nique. Des terrains offerts aux mineurs pour qu’ils puissent profiter en famille de grands espaces et du bon air.
À l’heure dite, à l’endroit convenu. La relève de la journée.
Ils étaient arrivés.
Des vans, des voitures, des minibus s’étaient vidés. Les hommes s’étaient souhaité la bienvenue, des vétérans de grèves passées qui savaient à quoi s’attendre, des novices. Ils souriaient, s’efforçaient d’avoir l’air courageux : les rires de l’obscurité de la mine étaient remplacés par l’humour cinglant de la lutte contre l’autorité.
Ils portaient leurs vêtements de travail : d’épaisses chemises de flanelle, des jeans, des salopettes, des bottes, des vestes matelassées.
Les banderoles furent déroulées, étalées par terre, leurs supports vissés, les ceintures à outils en cuir bouclées. Les lettres et les dessins avaient été peints et brodés avec un soin évident, les représentations des mines et des héros du syndicalisme ouvrier avaient été faites avec amour et fierté. Dougie lut les noms et les provenances : Yorkshire. Nottinghamshire. Derbyshire. Northumberland. Il y en avait même du pays de Galles. Il avait l’impression que son cœur gonflait dans sa poitrine.
On changea les piles des mégaphones, on les essaya en criant des slogans. On mit des pierres et des demi-briques dans de gros sacs, au cas où.
L’émotion submergea Dougie. Il sourit.
Il leva les yeux, vit le ciel bleu limpide.
Oui, pensa-t-il, ça allait être une belle journée.
C’était comme ça qu’il voyait les choses.
Mick Hutton les voyait différemment :
C’était un combat, une lutte. Tout était lutte. Qu’il y ait confrontation ou qu’on l’évite.
Il se déplaçait dans la maison en silence, comme si le moindre bruit ou le moindre contact pouvait en menacer les fondations, l’ébranler tout entière. Il se faufila de pièce en pièce comme un fantôme, trouva ses vêtements, prépara son petit déjeuner, fit la vaisselle, se brossa les dents. Tout faisait trop de bruit : les corn-flakes, l’eau qui coulait, la brosse à dents. Il s’insulta lui-même et essaya d’être plus silencieux encore, raidit sa volonté, se fit léger, invisible, absent.
Angela dormait. Ou semblait dormir. Elle avait passé une mauvaise nuit, le bébé dans son ventre s’était agité, lui avait donné des insomnies désagréables. Mick essayait de la laisser dormir, se reposer. Il ne voulait pas qu’elle se réveille et qu’elle se souvienne de là où il allait. Il ne voulait pas qu’elle se réveille et qu’ils se disputent.
Il prépara un bol de corn-flakes, le mit sur un plateau, ajouta un pot de lait et une cuiller et le déposa sur la table de chevet. Il sortit précautionneusement de la chambre et descendit les escaliers. Il mit son blouson, fit de son mieux pour que la porte d’entrée fasse le moins de bruit possible.
Lorsqu’elle l’entendit, Angela ouvrit les yeux. Elle regarda le réveil sur sa table de chevet, vit les corn-flakes.
Elle se mit sur le côté, soupira.
Elle referma les yeux. Comme si elle pouvait effacer cette journée.
Écoutez, les gars. » Dougie regarda la vaste pièce, tapa sur la table deux ou trois fois, attendit que les hommes soient attentifs. Mick Hutton était debout à côté de lui, nerveux, plein d’anxiété rentrée. « Merci. »
Ils étaient au Miners’ Welfare Hall, qui avait été, se rappelait toujours Dougie, le centre névralgique de l’activité sociale et socialiste, à l’époque où la ville n’était encore qu’un village. Il était maintenant le quartier général des grévistes, l’endroit où on distribuait de la nourriture et des vêtements. Tous les comités étaient là, ainsi que les groupes de soutien aux mineurs et leurs épouses. Dougie regarda leurs visages, y vit de l’optimisme – usé par la réalité et le désespoir, mais enfin, pas complètement anéanti.
Aujourd’hui serait une belle journée. Il en était certain.
Merci d’être ici. Je sais que plusieurs d’entre vous viennent de très loin et ont rencontré pas mal de problèmes. Mais s’il n’y en avait pas, de problèmes, vous n’auriez pas eu besoin de venir ici du tout. Bon, je vais tâcher d’être bref.
Ça nous changera », marmonna quelqu’un assez fort.
Les têtes se tournèrent vers la voix. Dougie regarda aussi. Dean Plessey.
Merci, Dean. » Dougie regarda sa montre. « Comme vous le savez, les élus locaux ne veulent pas que cette manifestation ait lieu. Ils veulent négocier. On a vu ce qui arrivait quand ils négocient, pas vrai ? Rien du tout. On ne peut pas négocier avec ces gens-là. Il faut leur rentrer dedans. Alors c’est ce qu’on va faire. On va leur montrer. » Il regarda de nouveau sa montre. « Bon. Ils ne vont pas tarder à arriver. Alors allons-y. Empêchons-les d’entrer. Si on reste bien ensemble, on peut les battre. » Il haussa la voix. « Et on peut les battre la tête haute. Allons-y ! »
Il marcha vers la porte, les hommes derrière lui.
Les nuages gris avaient jeté l’ancre.
La bruine avait commencé de tomber lorsque Larkin avait quitté le rond-point en direction de Coldwell, dernière portion de son voyage. Son équipement de football dans un sac de sport sur le siège avant, un mal aux os persistant depuis l’entraînement, une migraine à cause de l’alcool, Wilco1 sur la sono.
Quand tu te lèves et que tu te sens vieux2.
M’en parle pas, pensa-t-il.
La nuit d’avant, ça avait été nostalgie à pleins tubes, chapitre deux. Il avait allumé son ordinateur portable dans l’idée de travailler sur son livre.
La grève des mineurs et ses conséquences : l’héritage d’une communauté.
Titre provisoire.
Il avait ouvert une bouteille de rioja espagnol, pour se tenir compagnie pendant qu’il écrivait. Mais une fois débouchée, le génie en était sorti en dansant, avait semé la pagaille dans ses idées, le chaos dans ses souvenirs. Les développements journalistiques étaient devenus des points de vue personnels. Il perdit la bataille, alla directement aux conséquences. La bataille de Coldwell était devenue la bataille pour Charlotte. Et plus encore. Il y était de nouveau, mot pour mot, coup pour coup. L’alcool aiguisait plutôt qu’il n’atténuait sa mémoire. Il avait mimé les paroles, paré les coups de poing. Sans espoir : les trajectoires individuelles étaient complètement mélangées, emmêlées, inextricablement liées les unes aux autres.
Il parcourait les rues au volant de sa voiture, les trottoirs se remplissaient de la foule du samedi, des gens qui sortaient déjeuner. Tout semblait irréel, le pare-brise se transformait en écran de télévision, en noir et blanc, mal réglé, les immeubles gris foncé et flous, les gens des silhouettes indistinctes. Des fantômes. Des créatures spectrales sous la pluie. Les réminiscences de la nuit dernière lui semblaient plus réelles que tout ce qui l’environnait.
Il secoua la tête, essaya de revenir au présent, se força à remettre la couleur. Il s’éloigna des magasins et du Miners’ Welfare Park, à la pelouse maintenant jaunie et râpée, les arbres marron et noirs tordus et sans feuilles, l’aire de jeux pour enfants décatie et négligée. Sa tête continuait de cogner. Il parcourut des rues résidentielles, aux maisons trop petites pour contenir les rêves de ceux qui y vivaient, mais juste assez grandes pour les tuer. Une maison semblable à celle dans laquelle il avait grandi. Il alla jusqu’à la limite de la ville.
La mine n’existait plus, le grand portail n’était plus là, la roue de l’excavateur et la tour avaient été rasées, les galeries rebouchées. Le démantèlement avait commencé le lendemain du jour de la fermeture, en 1986. À sa place, il y avait un centre de loisirs avec piscine, des courts de tennis et de squash, des équipements de gym, des terrains de football à cinq et un de foot à onze.
Il regarda le bâtiment, essaya de se souvenir du passé, de voir la tour se découper sur le ciel, de voir les contours de ce qui avait existé.
Et il y parvint.
Gris et flou, un peu comme les fantômes dans les rues, un peu plus tôt, mais il y parvint. Son ombre dominait la ville, la hantait toujours.
Larkin gara la Saab sur le parking, attrapa son sac et, sentant ses genoux craquer quand il marchait, partit à la recherche de Tony Woodhouse.
Il n’eut pas à aller très loin. En contournant le bâtiment principal, il vit une foule de gens regroupés près du terrain de football. Tony Woodhouse, Claire et ce qu’il supposait être l’équipe : le CAT de Coldwell, lui avait dit Tony, baptisée ainsi en hommage au Centre. Il y avait aussi une équipe de télévision, un homme en costume voyant, les employés du centre de loisirs, des spectateurs. Les familles, les amis. Personne n’avait l’air le moins du monde gêné par la pluie. Larkin, ramené d’un coup au présent, se fraya un chemin jusqu’à Tony Woodhouse.
Tony Woodhouse le vit, sourit.
Pas mal, comme affluence, non ?
Pas mal. Et contre qui on joue ?
La police.
Hein ?
L’équipe locale de lutte antidrogue. Police de proximité. Ça leur donne une bonne image et ça nous fournit des gens contre qui jouer. Ils font pas mal de choses de ce genre.
Ah bon.
Je sais comment les journalistes peuvent en faire leurs choux gras. L’ironie du truc. Jouer contre la police, à cet endroit. Là où était la mine, avant. »
Larkin acquiesça.
Quelque chose dans ce goût-là, oui.
C’est ce que le journal local a dit. Mais en fait, tout a changé, ici. Plus grand monde ne pense comme ça, maintenant. Plus grand monde ne se souvient de la grève.
Vous croyez ?
Oui. En tout cas… » Il sortit une feuille de papier. « Voilà celui qui va donner le coup d’envoi. Il va aussi diriger une petite vente aux enchères à la mi-temps. »
C’était un acteur de télévision très célèbre.
Larkin, qui n’était pas trop fan, était quand même impressionné.
Comment vous avez fait ça ? »
Tony haussa les épaules.
Il y a plein de célébrités qui aiment faire du caritatif. Ou qui aiment être vus en train d’en faire. Et puis, tout le monde doit quelque chose à quelqu’un. Venez boire une tasse de thé. »
Il accompagna Larkin jusqu’à une fontaine à thé portable près de laquelle Claire Duffy était occupée à boutonner son manteau. Elle sourit à Larkin.
Il vous a réquisitionné ? Très persuasif, décidément, notre Tony. » Elle regarda Tony Woodhouse en attendant une réponse. Qui n’arriva pas. « C’est sympa d’être venu.
Merci. C’est sympa d’être ici. »
Le thé à la main, Larkin observa l’équipe de la télévision locale interviewer un homme en costume extrêmement soigné. Il répondait aux questions d’une manière à la fois simple et pénétrée de son importance.
C’est qui ?
Dean Plessey, dit Tony. Notre député. En campagne. »
Larkin réfléchit. Le nom lui disait quelque chose. Dean Plessey. Il secoua la tête, il ne parvenait pas à mettre la main dessus.
Je connais ce nom. Il est du coin ?
Ouais. Il est d’ici. Il était mineur, au début. »
Ça lui revint.
Il était là pendant la grève. Ouais, Dean Plessey. C’était un dur, non ? »
Tony sourit.
Il l’est toujours. Venez, je vais vous présenter. »
Tony boitilla jusqu’à l’endroit où l’équipe de télévision était en train de terminer l’interview.
Dean, dit Tony lorsqu’ils se furent éloignés. Il y a quelqu’un que j’aimerais vous présenter. Stephen Larkin. Il est journaliste. »
Le politicien tendit la main.
Dean Plessey. Ravi de faire votre connaissance. »
Il avait l’allure du type qui passe son temps à serrer des mains.
Pas la peine d’essayer de trop l’impressionner, Dean, dit Tony. Il ne vit pas ici, donc il ne peut pas voter pour vous. »
Dean Plessey rigola comme si c’était la blague la plus drôle qu’il avait entendue depuis des années.
Larkin rit aussi, poliment, et l’observa. Les années l’avaient plutôt bien traité. Plessey était entièrement lisse : sa peau était lisse, ses cheveux étaient lisses, son costume était lisse, ses manières étaient lisses. Seuls ses yeux le trahissaient. Acérés, durs.
Alors comme ça vous êtes ici avec Tony ? Vous travaillez pour qui ?
En fait, je suis venu jouer. J’ai été réquisitionné.
Il est très fort pour motiver les gens, Tony. Regardez un peu tout ça. Il fait des merveilles pour Coldwell. Pour la collectivité. Des merveilles. On est avec lui à cent pour cent. Et on aurait bien besoin d’en avoir d’autres comme lui. »
Tony ne dit rien.
Eh bien, content d’avoir fait votre connaissance, dit Plessey en se tournant pour partir.
Ah, Dean… »
Le politicien s’arrêta, regarda Larkin.
J’écris un livre sur la grève des mineurs. Je base mon étude sur Coldwell. Vous étiez impliqué, à l’époque, non ? »
Quelque chose passa sur les yeux de Plessey, comme une brise qui ébourifferait les plumes d’un paon.
J’ai joué mon rôle.
Ouais, je me souviens. J’y étais aussi. »
Le sourire extrabright de Dean Plessey resta en place tandis que tout autour, le reste de son visage se transformait.
C’était une autre époque.
Pas si différente, je trouve. »
Dean Plessey eut un geste de la main.
Je ne suis pas d’accord. Et puis, c’est de l’avenir qu’il faut nous préoccuper.
N’est-ce pas toujours le cas ?
Eh bien, dit Dean Plessey, enchanté d’avoir fait votre connaissance. Encore une fois. »
Il lui serra la main. Il s’était mis à beaucoup transpirer en très peu de temps, nota Larkin.
Je viendrai peut-être vous rendre visite pour parler un peu de la grève, un de ces jours.
Quand vous voulez. »
Plessey dégaina son meilleur sourire à destination de Larkin, un hochement de tête pour Tony, et se hâta d’aller harceler un de ses futurs électeurs. Les deux hommes le regardèrent s’éloigner.
Eh ben, il a changé.
En mieux ou en pire ? demanda Tony.
Difficile à dire, en fait. »
Ils rirent.
Venez rencontrer vos coéquipiers. On va essayer de s’entraîner un peu. »
L’équipe du CAT était dans les vestiaires, les joueurs se changeaient, discutaient. Certains étaient assez âgés, avec des visages et des corps ravagés, les yeux comme des feux éteints qui attendaient d’être rallumés, les veines de leurs bras dures, sombres et saillantes, comme des lignes sur un plan de métro. D’autres étaient plus jeunes, des types comme on en voyait dans n’importe quel pub de n’importe quelle ville, n’importe quel samedi soir. Pas des camés typiques.
Voici Stephen Larkin, dit Tony Woodhouse. C’est le journaliste dont je vous ai parlé. Il est avec vous, les gars. Soyez sympas avec lui. »
Plusieurs hommes le regardèrent, le saluèrent d’un hochement de tête. Larkin fit pareil. Tout le monde continua de se préparer. Concentrés, tendus. Sérieux. Il se changea aussi.
Tony distribua les maillots et les positions – Larkin était le quatorze, sur le banc – puis ils sortirent pour s’entraîner et s’échauffer : étirements, courses fractionnées, jeux avec le ballon.
Tony revivait : expansif, encourageant, indifférent à sa jambe.
La fragilité apparente de l’équipe du CAT fut bientôt remplacée par une détermination féroce. Les joueurs jouaient ensemble, se comprenaient. Devenaient une vraie équipe.
Larkin essaya de s’y fondre. Il courut, dribbla, remua. Sentit la sueur alcoolisée sur sa peau, regretta d’avoir autant bu la nuit précédente. Il n’était pas synchrone, il ne parvenait pas à anticiper. Ils ne lui en voulaient pas, en rigolaient plutôt.
Puis retour au vestiaire.
Jolie paire de jambes, dit Claire Duffy lorsque Larkin passa devant elle. » Elle riait. « Vous restez dans les parages après le match ?
Ouais.
Je vous verrai, alors. »
Elle fit durer le moment un peu plus que nécessaire, puis s’éloigna.
Larkin, agréablement surpris, alla rejoindre les autres.
Ce n’est qu’une question de mise en condition, en réalité. Montrer aux gens que oui, ils ont le choix. Que oui, ils peuvent changer les choses. Ça (il montra le terrain de football) ce n’est qu’une manière d’en faire la preuve. »
Il leur disait ce qu’ils avaient envie d’entendre.
L’interviewer sourit. Sincérité feinte. Complicité consciente.
Et le score ?
Je ne sais pas.
Vous croyez que vous allez gagner ? »
Tony prit un air modeste, comme la caméra aime.
J’espère. »
L’interviewer le remercia, la caméra cessa d’enregistrer.
Il était content de l’interview, de la façon qu’il s’était exprimé. Fort, convaincu, compétent. Et au sujet du Centre : agréable et confiant dans ce qu’il faisait. Le seul accroc avait été au sujet de sa carrière footballistique.
Ça ne vous manque pas ? »
Tous les jours, nom de Dieu !
Vous n’auriez pas aimé que ça dure plus longtemps ?
Pas vraiment. Il y a des joueurs dont le destin est de mar­quer l’histoire du sport, il y en a d’autres dont c’est de ne ­marquer qu’un seul but.
Mais quel but !
Ouais, c’est vrai. Mais c’était il y a longtemps. » Le sourire. Le masque. « Et je ne crois pas que ce soit aussi gratifiant que ce travail-ci. »
Son hésitation l’avait trahi. C’était visible pour quiconque avait envie de bien regarder.
Un homme s’approcha de lui : la trentaine, propre et bien rasé, en pantalon de survêtement, sweat-shirt et baskets, avec un gros sac de sport.
Salut Dave. »
Ils se serrèrent la main. Dave Wilkinson : le responsable de la section de la lutte antidrogue pour le Northumbria. Il avait l’air tellement propret, pensa Tony, que même sans uniforme, il avait l’air d’en porter un.
Ils bavardèrent. Des choses sans grande importance, du boulot. Ils travaillaient souvent ensemble et, malgré leurs différences, ils avaient du respect l’un pour l’autre.
Tes gars sont là ?
Tous, oui, dit Tony. Prêts à vous hacher menu. »
Wilkinson sourit, ils se serrèrent la main encore une fois, et il retourna à l’intérieur.
Tony regarda en direction du portail où une voiture de luxe, un bolide, était en train d’entrer.
La célébrité qui allait présider la vente aux enchères était arrivée.
Lorsque les gens virent à qui appartenait la voiture, qui la conduisait, elle fut submergée. Le bouche-à-oreille se répandit et en un rien de temps il y eut un attroupement de badauds qui criaient, qui appelaient, qui voulaient qu’on leur signe quelque chose, n’importe quoi. L’acteur descendit de voiture. La foule fit des remarques étonnées sur sa petite taille. Le sourire bien en place, il fit comme s’il n’entendait rien et signa patiemment des autographes, en discutant.
Tony se faufila pour lui souhaiter la bienvenue, lui aussi le sourire bien en place.
L’acteur n’avait rien de spécial, pensa Tony. C’était juste un type avec un masque, un de plus.
Tout le monde portait des masques, tous les jours. Le masque de quelqu’un de célèbre était une image, soigneusement choisie, contrôlée et filtrée, puis présentée comme vraie. Un rôle joué simultanément en public et en privé, qui permettait de se montrer sans rien révéler.
C’était une chose pour laquelle Tony pouvait ressentir de l’empathie.
Il éloigna l’acteur de la foule.
Un peu compressé, là-dedans. »
L’acteur haussa les épaules.
On s’y fait. C’est mieux que de passer inaperçu, je suppose. »
Tony acquiesça.
Il l’accompagna à l’intérieur, le laissa avec Claire, puis alla voir son équipe dans le vestiaire.
Récapitulons. Quatre quatre deux, d’accord ? »
Tony parlait tactique et composition. Les hommes l’écoutaient, captivés. Mais il était question de bien davantage que seulement de football.
Tony était allé voir chacun d’eux, un par un, leur avait expliqué en quoi consistait leur rôle, comment leurs qualités individuelles s’accordaient à ce rôle, l’importance de leur contribution à l’équipe. Il leur gonflait le moral. Direction d’équipe et thérapie pour renforcer l’estime de soi : d’une pierre deux coups.
Bon, vous savez contre qui on joue. Et je sais ce que beaucoup d’entre vous pensez d’eux. Alors si quelqu’un veut prouver quelque chose, la meilleure façon de le faire, c’est de gagner. Montrez ce que vous avez dans le ventre. De la passion. Du sérieux. Du cœur. Allons-y et montrons-leur. »
Les hommes se mirent debout, se dirigèrent vers la porte. Tony leva la main, les arrêta.
Mais rappelez-vous, les gars, ce n’est qu’un jeu. Amusez-vous. Allez, on y va. »
Les hommes sortirent en file indienne du vestiaire et allèrent sur le terrain. Larkin et Mick s’assirent sur le banc des remplaçants.
Les adversaires arrivèrent, prirent position.
L’acteur de télévision dit quelques mots, la foule applaudit. Il prit le sifflet de l’arbitre, siffla, le lui rendit et courut en dehors des limites du terrain. C’était parti.
Le défilé parcourait la ville, Dougie au premier rang, Mick à ses côtés. Les hommes s’étaient mis derrière leurs bannières, marchaient la tête haute. Les mégaphones scandaient les slogans, les appels et les réponses, avec simplicité, franchise et familiarité :
Maggie, Maggie, Maggie.
Dehors, dehors, dehors.
Maggie, Maggie, Maggie.
Dehors, dehors, dehors.
Que voulons-nous ?
Du travail, pas la charité.
Quand le voulons-nous ?
Maintenant.
La familiarité n’enlevait rien à la conviction. La simplicité n’enlevait rien la sincérité.
Les gens étaient venus les voir, ils avaient ouvert leurs portes, s’étaient mis dans leurs jardins. Ils criaient, applaudissaient, chantaient. Les enfants couraient autour d’eux. Dougie remarqua quelques personnes qui se détournaient d’eux et grommelaient, mais c’était une minorité. La majorité les soutenait.
Dougie sourit. Il ne pouvait pas s’en empêcher.
Ça va être une belle journée, Mick. Je le sens. »
Mick hocha la tête mais ne dit rien.
Ils entamèrent la dernière portion de leur parcours, celle qui devait les mener devant le portail de la mine, où les attendait un petit groupe de grévistes. Les yeux rouges, l’air épuisé, ils avaient passé presque toute la nuit sur place. Les trois-huit continuaient même en surface. Les jours et les nuits se mesuraient aux joues mal rasées et aux yeux injectés de sang. Ils se mirent à applaudir lorsqu’ils virent le cortège.
La police était là aussi. Un petit contingent, en uniforme, sans leurs protections. Ils regardaient.
Ils observaient.
Dougie était surpris : il pensait qu’ils seraient plus nombreux.
Les caméras de télévision pivotèrent, allèrent vers les manifestants, enregistrèrent leur approche. Les voix des hommes se firent plus fortes, les slogans plus scandés, le rythme plus rapide.
Une journaliste s’approcha de Dougie, le micro à la main, la caméra sur ses talons.
Ça ne vous embête pas si je vous pose quelques questions, Dougie ? » demanda-t-elle.
Dougie sourit. Il la reconnaissait, des actualités régionales.
Bien sûr que non. Allez-y, mon petit ! »
Elle se retourna pour vérifier que la caméra était bien sur elle, vit le pouce levé du cameraman, et dit :
Alors, qu’espérez-vous accomplir ici aujourd’hui, Dougie ?
Eh bien, Wendy, ce que nous voulons obtenir aujourd’hui, c’est de nous faire entendre. Cette grève, c’est pour notre avenir. Souvenez-vous : tout a commencé parce qu’ils voulaient fermer Cortonwood, dans le Yorkshire, bien qu’ils avaient dit qu’ils ne le feraient pas. La NCB avait dit que c’était anti­économique. Ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de charbon, ça ne voulait pas dire qu’elle n’était pas rentable. Simplement antiéconomique. Pour qui ? Pas pour les mineurs. Vous comprenez, aujourd’hui, nous voulons démontrer que le travail, ce n’est pas seulement quelques patrons qui gagnent de l’argent. Il en va de la vie de familles, de communautés entières, auxquelles on enlève leur activité, sur un caprice de la NCB ou de celui ou celle qui gère les endroits où on travaille. Il faut que nous nous opposions à ça. Parce qu’on ne sait pas à qui ce sera le tour, après.
Et comment répondez-vous à ceux qui vous accusent d’intimider les non-grévistes ? De les empêcher d’aller à la mine en les menaçant d’utiliser la violence ou en y ayant recours ?
Wendy, regardez autour de vous. Vous voyez qui que ce soit de violent ? Non. Et vous n’en verrez pas aujourd’hui. C’est un mensonge. Une légende créée par les médias. C’est ce que le gouvernement veut que les gens croient. Et je vous l’assure, ce n’est pas vrai.
Dougie Howden, merci. »
Il la remercia, continua de marcher.
Ils arrivèrent au portail, rejoignirent les hommes qui se trouvaient déjà là. Les salutations se multiplièrent, les présentations furent faites, les amitiés anciennes consolidées. Ils parlaient et se comportaient comme des soldats, des vétérans liés par l’adversité et l’expérience.
Ils attendirent. Dougie regarda autour de lui, compta à la louche.
Je crois qu’il y a environ cinq cents grévistes, ici, Mick.
Ouais, je crois bien.
Salut, Dougie. »
Il regarda en direction de la voix. Le petit journaliste, Stephen Larkin. Il y avait un type blond, avec lui, qui tenait un appareil photo.
Salut, Stephen. Content de te voir.
Pareil. » Larkin regarda autour de lui. « Il y a du monde.
Ouais. Ça fait plaisir. Ça donne espoir.
C’est vrai. Ah ! Voici Dave. Dave Bolland. »
Le jeune homme blond serra la main de Dougie et Mick.
Il est photographe. Il vient couvrir l’événement.
Vous avez raté le défilé.
Pas du tout. On a tout vu, on l’a suivi. Et on a de bons clichés, en plus, dit Bolland.
Bien. »
Ils bavardèrent encore un peu, puis le murmure commença. Un bus approchait. Un bus local privé.
Ils tendirent l’oreille. L’entendirent. Regardèrent. Le virent. La boîte de vitesses criait, le diesel fumait. Le moteur grondait et renâclait, comme s’il hésitait.
Le bruit se répandit parmi les grévistes. Ils se raidirent, resserrèrent les rangs. Les mégaphones se levèrent, les slogans furent criés plus fort.
Maggie, Maggie, Maggie.
Du travail, pas la charité.
Le bus approchait.
Les policiers sentirent la tension qui montait mais ne bougèrent pas.
Maggie, Maggie –
Du travail, pas –
Maggie –
Du travail –
Dehors, dehors, dehors –
Larkin et Bolland se mirent à l’écart, l’appareil photo prêt.
Les grévistes ne bougèrent pas, restèrent devant le portail fermé, sur quatre ou cinq rangs. La voix forte, les poings serrés, les mains le long du corps.
Le bus approchait, lentement.
Les grévistes ne bougeaient pas.
Le bus s’approcha d’eux, les freins sifflèrent comme s’ils explosaient, jusqu’à l’arrêt complet.
Personne ne bougea.
Derrière son volant, le chauffeur haussa les épaules.
Dougie regarda autour de lui et constata que personne ne l’arrêterait, alla jusqu’à la porte du bus, toqua. Elle s’ouvrit avec un autre sifflement.
Bon, dit Dougie dans le bus, c’est une grève officielle. La mine est fermée. Nous ne bougerons pas de là où nous sommes, mais s’il y en a qui veulent continuer le voyage à pied, nous ne les en empêcherons pas.
Vous entendez, les gars ? cria le chauffeur vers l’arrière. Moi, je ne vais pas plus loin. C’est comme vous voulez. »
Dougie regarda dans le bus. Les jaunes étaient regroupés. Des écharpes, des capuches, des passe-montagnes leur cachaient le visage, dissimulaient leurs identités, mais pas la peur qui se lisait dans leurs yeux.
Personne ne bougea. Personne ne parla. Le chauffeur regarda Dougie.
Je crois que vous avez votre réponse. »
Dougie redescendit.
Entendu. »
Les portes se fermèrent et le bus commença à faire marche arrière dans la rue.
Une clameur s’éleva de la foule des grévistes tandis que le bus reculait. Dougie regarda Mick. Il criait avec les autres. Dougie ne l’avait jamais vu aussi heureux.
On a gagné, on a gagné… »
Dougie avait eu raison. Jusque-là, cela avait été une belle journée.
Les adversaires avaient été pris par surprise.
Ils s’étaient attendus à une partie amicale, festive ; une opération de communication qui contribuerait à leur donner une image positive, en s’associant à une bonne cause et, par extension, qui leur faciliterait la vie dans leur boulot. En fait, c’était un vrai match.
Un combat.
Le CAT avait commencé très fort, avait porté les coups, attaqué, passé, tiré pour marquer. Leurs intentions avaient été claires, dès le début. Ils voulaient gagner.
Les visiteurs avaient été acculés, ils pliaient mais ne rompaient pas. Ils avaient tous l’air en bonne forme, ou relativement en forme : des années de bière et de régime au curry, de pauses fast-food grignotées en patrouille et de coups descendus au bar après le boulot, tout ça avait fini par entamer leur tonus musculaire. Une partie comme celle-là était une tentative pour rester en forme aussi bien qu’un prétexte pour ne rien changer à leurs habitudes alimentaires et leur picole. Transpirer pour s’exonérer de la culpabilité liée à leur embonpoint.
Les athlètes professionnels essayaient de tenir l’équipe, ceux qui avaient aspiré à le devenir redécouvraient leurs ambitions, ceux qui n’étaient là que pour suer leur bière étaient noyés.
Le CAT jouait dur. Ils ne couraient pas seulement après le ballon. De tous les gabarits et de toutes les tailles, tous dans des états de forme différents, tous donnant leur maximum, comme s’ils fuyaient quelque chose, comme s’ils couraient après autre chose, de mieux.
Tony Woodhouse regardait depuis le banc. À l’extérieur du terrain mais quand même toujours en mouvement. Le regard précis, les lèvres agitées, le match se reflétait sur son visage en direct.
Il ne parvenait pas à rester assis trop longtemps.
Ged, va là-bas ! »
Il allait jusqu’à la ligne de touche et agitait les bras comme un moulin à vent, une main à plat, l’autre le poing fermé. Il mimait des mots. Le langage des signes du football.
Marque-le ! »
Larkin le regardait. Tony Woodhouse était plus vivant qu’il ne l’avait jamais vu. Il était dedans à fond, il jouait le match à travers son équipe.
Larkin regarda les adversaires. Un homme très lisse en survêtement était assis, impavide, bras croisés, et regardait le match. L’exact opposé de Tony Woodhouse. Il croisa le regard de Larkin, secoua la tête, retourna au jeu.
À côté de Larkin, il y avait un autre joueur du CAT.
L’homme ne cessait pas de dévisager Larkin. Larkin l’ignorait.
Je vous connais, non ? » finit par demander l’homme.
Larkin le regarda. Les cheveux gris et clairsemés, le visage bouffi et tavelé, des marques rouges, des veines éclatées violet foncé. Maigre, la peau translucide comme celle d’une oie.
D’où est-ce que je vous connais ? Vous êtes du coin ?
Non, dit Larkin. Je ne suis pas revenu depuis la grève des mineurs. »
Le visage de l’homme s’assombrit.
Vous seriez pas le journaliste avec qui Dougie Howden travaillait ?
Mick Hutton ? »
L’homme acquiesça.
Dix-sept ans. Mick semblait avoir vieilli de deux fois ça. Au moins.
Désolé… » Je ne vous avais pas reconnu. Larkin s’empêcha de le dire.
On aurait dit que Mick l’avait quand même entendu.
On a tous changé. »
Larkin opina. Il sortit un petit appareil photo de son sac, fit le point, attendit que les joueurs s’approchent de lui.
Un tacle assassin sur un flic. Le flic qui proteste avec véhémence. Le joueur de Tony qui hausse les épaules.
Clic.
C’est pour le truc que tu écris ?
Ouais.
C’est quoi ? Quelque chose sur la grève ?
Ouais. Je me penche sur les suites, les conséquences sur la collectivité. Un truc du genre avant et après. »
Mick hocha la tête comme s’il se confirmait quelque chose à lui-même.
Bonne chance à toi », dit-il.
Un des anciens pros perdit le ballon sur un tacle d’un des joueurs du CAT. Il se remit debout et fit un croche-pied à son adversaire. L’arbitre le vit. Carton jaune.
Clic.
Larkin et Mick rigolèrent.
Je l’ai jamais beaucoup aimé de toute façon », dit Mick.
Ils continuèrent à regarder.
Tu as dû constater des changements, dans le coin, dit Mick après un moment.
Ouais. »
L’expression de Mick changea. Il voyait autre chose que le match de football.
Larkin ne chercha pas à en savoir plus.
Un tacle glissé sur un jeune flic envoya le ballon rebondir sur le banc.
Clic.
Larkin voulut ramasser la balle, mais Tony Woodhouse fut plus rapide que lui. Il l’attrapa et la renvoya en moins de temps qu’il n’avait fallu à Larkin pour se mettre debout.
Le match reprit.
Alors, où tu étais ? »
Larkin regarda Mick, étonné qu’il ait parlé.
Quand ça ?
Depuis… Tu sais…
Ah ! J’étais à Londres. »
Mick se racla la gorge et roula un glaviot.
Pas de bol pour toi. »
Larkin opina.
Et alors…
Pourquoi je suis là ? C’est quoi mon addiction ? »
Larkin se sentit rougir.
Ben… »
Mick secoua la tête.
Un problème avec la bouteille. Longue histoire.
Ah. »
Les yeux de Mick, tête basse, étaient invisibles.
Et là, tu es revenu pour de bon, alors ?
Ouais. »
Les joueurs de Tony attaquaient. Un contrôle, une passe. Un contrôle, une passe. Ils jouaient bien. Avec fluidité et confiance. Énergie et inventivité.
Larkin et Mick étaient comme fascinés. Le mouvement était magnétique, les adversaires rendus impuissants. Le résultat inévitable.
But.
1-0 pour le CAT.
Larkin et Mick étaient debout et criaient. Tony et Claire sautèrent spontanément dans les bras l’un de l’autre. Claire le serra plus fort que lui, un peu plus longtemps que lui.
Larkin le remarqua. Pas Tony.
Les deux remplaçants se rassirent.
C’est Ged qui a marqué, dit Mick. Un bon gars. Un peu branleur. C’était le crack, son problème. Mais lui… » (Mick montra Tony du doigt) c’est un type bien. Il a beaucoup fait pour cette ville. Il m’a beaucoup aidé. Je serais peut-être mort, sans lui. Et sans Angie. »
L’entraîneur des adversaires était debout, appelait ses joueurs, essayait de les réorganiser. Il secoua la tête, se rassit.
Tony Woodhouse, les mains poignardant le vide, la bouche ouverte, essayait d’attirer l’attention de ses joueurs, jetait les mots comme des pierres.
Clic.
Larkin dit à Mick :
Je suis sûr que tu aimerais bien que la mine soit toujours là, non ? »
Mick se racla de nouveau la gorge, grimaça comme s’il avait quelque chose d’amer à l’intérieur, cracha.
Naaan. Je détestais cet endroit.
Ah ouais ?
Ça t’étonne ? » Mick eut un rire dur. « Vivre dans le noir, sous la terre, à se casser le dos et à tousser à rendre ses tripes. C’est un boulot de merde, la mine. On aurait dû la fermer des années plus tôt.
Ah ouais ?
Ouais. Et toutes ces foutaises sur les camarades et le socialisme… » Il montra du doigt l’équipe adverse. « Et tout ce que ces enfoirés ont fait et tout ça… »
L’arbitre siffla.
Mi-temps.
Les équipes sortirent du terrain : les visiteurs pour un débriefing dans le vestiaire, la tête de leur entraîneur indiquant que ça n’allait pas être une partie de plaisir ; l’équipe du CAT pour aller savourer le halo de calme et de satisfaction, de confiance, de respect de soi, de fierté, qui l’entourait.
Larkin et Mick allèrent les y rejoindre.
Le Miners’ Welfare Hall n’avait pas connu pareille effervescence depuis des années.
Les bouteilles, offertes par une brasserie locale et mises de côté par les mineurs en attendant d’avoir quelque chose à fêter, furent débouchées. La nourriture avait été fournie par des partenariats avec des entreprises et des organisations caritatives, et confiées aux femmes des mineurs et aux groupes de soutien. Des orchestres de musiciens locaux, avec instruments traditionnels, les cornemuses du Northumberland, jouaient. On aurait dit que toute la ville – hommes, femmes, enfants, mineurs et autres – était là. Tous voulaient partager, participer, s’inscrire dans l’histoire de cette petite victoire. Être là le jour où Coldwell avait gagné.
La pièce sentait l’alcool et la cigarette, la musique et les rires résonnaient, le soulagement et la libération étaient palpables.
Mick sirotait un Coca près du bar, regardait. Des couples se démenaient sur la musique, le tempo était assuré par les gens en cercle autour d’eux qui tapaient dans leurs mains. Il y avait ceux à l’intérieur du cercle, et ceux qui faisaient le cercle, et lui ne faisait partie ni des uns, ni des autres.
Ça résume tout, pensa-t-il.
Mick n’avait jamais voulu être là, il n’avait jamais senti qu’il appartenait à cette communauté minière aux liens étroits, mais n’avait jamais eu le courage de partir. Jusqu’à récemment. Mais tout avait changé, maintenant.
Tu te joins pas à nous ? Viens, mec ! »
C’était Dougie.
Non, je suis un peu… fatigué. »
Dougie opina, puis vit le verre de Mick.
C’est quoi ?
Du Coca.
Prends une vraie boisson, mec. »
Dougie tendit le bras par-dessus le bar, trouva une cannette de bière, la décapsula.
Voilà. Descends-moi ça.
Je ne…
Je sais, mais on fait la fête. Une seule, ça peut pas te faire de mal. »
Mick regarda Dougie : il tanguait, les yeux injectés de sang, et souriait. Il était ivre. Autant faire ce qu’il disait. Il porta la cannette à ses lèvres, avala une gorgée. Les bulles le firent grimacer, le goût le fit hoqueter.
C’est déjà mieux, dit Dougie. Où est Angie ?
À la maison. Elle ne se sentait pas en forme. »
Mick but une autre gorgée. Cela avait déjà bien meilleur goût.
Écoute, dit Mick. Demain, je sais pas…
T’inquiète, mon pote. Ça va être super. Plein de gars vont dormir ici, et on pourra compter sur eux. Ouais, on va recommencer tout pareil, te fais pas de bile. »
Mick hocha la tête. Ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire. Mais ce n’était plus le bon moment. Il ne pouvait plus le dire, maintenant.
Il prit une autre cannette et se dit qu’elle avait vraiment bon goût, celle-là. Il regarda sa montre.
Je ferais mieux d’y aller. J’ai dit à Angie que je rentrerais tôt. »
Dougie sourit.
Ouais. Vous avez déjà trouvé le nom, pour le bébé ?
Ouais. Si c’est un garçon, David. Si c’est une fille, Tanya.
Magnifique. Rentre à la maison, alors, fils. » Dougie lui serra la main. « C’était une très bonne journée. Demain sera encore mieux. Les choses ont changé. Les choses ont changé. »
Mick acquiesça et partit. Mais pas avant d’avoir terminé sa cannette.
Dougie tituba un peu, passa la main par-dessus le bar, attrapa une autre cannette, la décapsula. Il parcourut la pièce du regard, heureux de voir les gens heureux. Sa famille, ses amis, tout le monde au même endroit. Dougie y puisait de nouvelles forces. La musique, la danse, même l’alcool et les rires. Ce n’était pas nouveau, mais ça marchait toujours, c’était toujours aussi excitant. Ça marchait parce qu’on avait toujours fait comme ça, et on avait toujours fait comme ça parce que c’était comme ça que ça marchait.
Il pouvait en voir certains, les plus jeunes, surtout, Dean Plessey et ses copains, y aller à fond, se soûler la gueule. Ça ne le gênait pas. Il avait fait pareil à leur âge, avant de se rendre compte que la tradition, ça avait du bon.
Il se voyait lui-même comme un traditionaliste et il n’en avait pas honte. Il y avait des choses qu’il défendait, en lesquelles il croyait, qu’il pensait importantes. La camaraderie. L’équité. La famille. La collectivité. L’honnêteté. Le respect. Tout ce pour quoi ils faisaient grève, tout ce contre quoi était selon lui le gouvernement. Il les défendrait jusqu’à son dernier souffle.
Il but une gorgée de bière. Il se sentait heureux pour la première fois depuis longtemps. Heureux de participer à un événement comme celui-là.
Il retourna à la fête.
Mick habitait dans un nouveau complexe résidentiel à la lisière du centre-ville. Construit un an plus tôt pour de jeunes couples actifs qui voulaient faire la navette à Newcastle par la route côtière, il était occupé au moins aux trois quarts. Mick et Angela avaient emménagé dans une maison de primo-accédant à la propriété l’automne précédent, pensant qu’eux-mêmes et leur logement satisferaient leurs aspirations mutuelles. Mick trouvait dorénavant que c’était un enchevêtrement de culs-de-sac et d’impasses, un labyrinthe conformiste de briques orange et rouges.
Mick marchait. Il était obligé. Il avait vendu la voiture pour rembourser les dettes contractées à cause de la grève. Pour continuer à vivre.
Il introduisit sa clef dans la porte et entra. Elle claqua derrière lui comme la pierre qui scelle hermétiquement un tombeau sans air.
Bonjour, ma chérie », dit-il.
Il entendit la télévision qui s’éteignait, les rires d’une émission de variété réduits au silence.
Il entra dans le salon. Il était modestement meublé, le budget décoration avait été coupé en même temps que la grève avait commencé. Mick embrassa Angela, qui était inconfortablement installée, un peu tordue, dans un fauteuil. Il s’assit sur le canapé. La maison était plutôt petite, mais on aurait dit qu’il y avait des hectares entre eux.
Comment vas-tu ? demanda-t-il.
Ça va.
Bon. » Mick s’assit, penché en avant, les mains jointes, les coudes sur les genoux. « Bon. Tu as vu les nouvelles ?
Oui. Tu y es passé. Mais ils ont dit des choses horribles. Vraiment cruelles. »
Mick ne dit rien.
Ils veulent que les gens vous détestent, tu sais. »
Mick opina de nouveau.
Je sais. »
Angela soupira, fit passer son poids d’une fesse à l’autre.
Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer comme ça. »
Mick la regarda. Son visage était rouge, ses yeux accablés. Il ne dit rien.
Tu as parlé à Dougie ? Tu lui as dit, pour demain ? »
Mick soupira.
J’ai essayé. J’ai commencé, mais…
Mais tu ne l’as pas fait. Donc il t’attendra demain matin. »
Mick eut un bref hochement de tête.
Angela soupira longuement. L’exaspération à l’état pur.
Pourquoi tu ne peux pas faire quelque chose d’aussi simple que ça ? Hein ? Mick, il se sert de toi. Il sait qu’il y en a beaucoup qui ne bougeront pas si tu n’es pas là. Il le sait très bien. Et toi tu le laisses faire. »
Mick ne dit rien. Il savait qu’elle avait raison. Mick n’était pas engagé politiquement. Il ne votait même pas. Lorsque la grève avait commencé, Dougie lui avait demandé d’y participer, parce qu’il savait qu’il représentait mieux que lui la majorité des mineurs. Il lui avait dit que c’était une question de bien et de mal. Mick avait accepté malgré les gros doutes qu’Angela avait exprimés.
Autre soupir exaspéré d’Angela.
Je regrette que tu ne sois pas parti quand tu pouvais. On se serait évité ça. »
Il ne répondit rien. C’était inutile. C’était une dispute récurrente. Ils l’avaient eue si souvent qu’ils savaient tous les deux très bien quels mots dire à quel moment.
Mick, poussé par Angela, avait formé le projet d’aller à l’université. Cours du soir de commerce, de comptabilité, d’informatique. C’est une évolution naturelle, avait-elle dit. La mine, ça ne pouvait pas durer éternellement, avait-elle dit. Elle fermera tôt ou tard. Il devait en partir avant que ça n’arrive. D’ailleurs, il n’était pas taillé pour. C’était trop dur. Il serait mieux dans un bureau, avait-elle dit. Pense à l’avenir. Nous sommes une famille, maintenant, avait-elle dit.
Mick l’avait écoutée et était d’accord. Angela avait raison. Et il avait prévu d’aller à la fac, avait économisé pour. Réservé une place.
Mais la grève avait commencé. Et l’argent qu’il avait mis de côté était parti dans les achats de tous les jours. Et il avait fallu se séparer de la voiture pour payer l’hypothèque. Et morceau par morceau, leur vie s’était rétrécie, clairsemée.
Jusqu’en septembre. Maintenant. Le mois où Mick aurait dû commencer l’université.
Mick soupira de nouveau.
Écoute, dit-il, j’irai avec Dougie, demain. Mais après c’est fini. Je te le jure.
N’y va pas, Mick, je t’en supplie. Je n’aime pas que tu fasses ça. » Les yeux d’Angela rougirent un peu plus et s’humidifièrent. « Je déteste allumer la télé et voir les mineurs. Entendre ce qu’ils disent de vous. Ouvrir un journal et lire des choses haineuses. Je ne le supporte pas. Je ne le supporte pas. » Elle inspira deux fois en frémissant. « Et qu’est-ce que ça te rapporte ? »
Elle eut un geste vague d’impuissance, essaya d’attraper le vide entre ses mains.
Mick ne dit rien.
Je t’en supplie, Mick, n’y va pas. Dis-leur que je suis malade. Dis-leur que tu ne peux pas y aller. Dis-leur n’importe quoi. Je t’en prie, Mick. »
Mick soupira, contrit.
Je suis désolé, Angela, mais j’ai promis… »
Angela s’extirpa maladroitement de son fauteuil, alla jusqu’à la porte avant que ses larmes ne se mettent à couler.
Mick tendit la main.
Angela… »
Elle la repoussa.
Laisse-moi tranquille. »
Il l’entendit monter à l’étage, il entendit la porte de la chambre claquer, puis plus rien, à part des sanglots étouffés.
Mick resta assis sur le canapé en silence, sans penser à rien, sans rien regarder. Puis il se mit debout, alla dans la cuisine, ouvrit le frigo. Il y avait quatre cannettes de Guinness. Achetées pour qu’Angela ne manque pas de fer, mais elle n’en avait pas aimé le goût, alors ils les avaient juste laissées là. Il en sortit une, la décapsula, but.
C’était froid et amer.
C’était bon.
Il emporta la cannette dans le salon, ralluma la télévision, se rassit sur le canapé.
Un comique à perruque et nœud papillon s’en prenait à des cibles faciles et égrenait des blagues insipides. Sur les chômeurs. Sur Arthur Scargill. Sur les mineurs.
Des rires préenregistrés ponctuaient ses bons mots, distordus et méchants.
Mick regardait.
Et buvait.
Tandis que Mick picolait seul, qu’Angela pleurait et que Dougie et le reste de la ville faisaient la fête, les policiers arrivaient.
Ils érigeaient des barricades, des points de contrôle, installaient des barrières et des cônes. Mettaient en place un dispositif bien conçu et souvent répété. Travaillaient de nuit, remodelaient Coldwell, lui donnaient une nouvelle apparence, en redessinaient le plan.
Leur plan.
Les congés avaient été supprimés, les heures supplémentaires doublées. Des renforts avaient été appelés, échanges de bons procédés. Ils avaient amassé les casques, les protections, les boucliers et les matraques. S’étaient répartis les rôles. Distribué les consignes. Les chevaux avaient été harnachés et préparés.
Une invasion silencieuse et nocturne. Parés pour le matin.
Leurs ordres :
Ils vont s’attendre à un affrontement. Préparez-vous à la guerre. »
Du thé et des oranges : Tony prenait la mi-temps très au sérieux.
Allez. Mettez vos survêtements. » Tony frappa deux fois dans ses mains. « Que vos muscles ne se refroidissent pas. »
Larkin, qui n’avait pas encore enlevé le sien, se servit une tasse de thé.
L’humeur était à la joie, à l’optimisme : les hommes revivaient leur héroïque première mi-temps, donnaient à leurs contributions des allures de hauts faits de légende, peaufinaient leurs récits pour en faire des anecdotes qu’ils pourraient raconter plus tard. Larkin sourit aussi. Même s’il ne faisait pas vraiment partie du groupe, l’enthousiasme ambiant était contagieux.
Tony alla voir Larkin.
Bonne première mi-temps », dit Larkin.
Tony acquiesça.
Ça aurait pu être mieux, d’un point de vue strictement professionnel, mais les gars se sont bien battus. Transformer des hommes ordinaires en héros. Même dans leurs propres têtes. C’est de ça qu’il est question. » Tony sourit. « Voilà une citation pour vous. »
Larkin opina, regarda l’équipe. Le feu intérieur qui semblait leur faire défaut avant le match brûlait maintenant avec force. Ils étaient remontés comme des pendules et rien ne pourrait les entamer.
Votre homologue n’avait pas l’air content.
Dave Wilkinson ? Il prend ça très au sérieux. Ce type est un compétiteur. » Tony se pencha en avant, la voix basse : « Et je sais que lui et ses potes ne vont pas apprécier de se faire mener un zéro par une bande d’anciens camés. Pas apprécier du tout. » Il eut un sourire de conspirateur. De la fierté dans les yeux.
Bon. » Tony se tourna vers ses joueurs. « Écoutez-moi, les gars. Vous avez fait un supertruc, là. Du rythme, du sérieux, tout. Je suis très fier de vous. Maintenant, deux ou trois choses… »
Tony livra ses commentaires. Précis et documentés, il analysait la performance de chacun d’entre eux, chacun à son tour, les complimentant sur leurs points forts, revenant sur leurs erreurs. Il ne prenait pas de gants ; il leur parlait comme à des pros et ils l’acceptaient. Il leur montrait du respect. Ils le lui rendaient.
Bon. »
Il leur dit qu’il devait sortir un instant mais qu’il reviendrait avant la deuxième mi-temps et quitta le vestiaire.
Larkin regarda les hommes. Ils parlaient, échangeaient, heureux. Ils n’avaient pas besoin de lui. Il posa sa tasse en plastique. Le thé l’avait traversé de part en part.
Il partit à la recherche des toilettes. La voix de Dave Wilkinson transperçait la porte fermée du vestiaire de l’autre équipe et envahissait le couloir. Ce n’était pas vraiment une causerie de mi-temps, mais plutôt un massacre systématique de ses joueurs.
Larkin regardait partout, à la recherche d’une indication. Sur sa gauche, il vit Tony debout au bout du couloir. L’homme à qui Tony parlait avait une bonne trentaine d’années, les cheveux très courts, un costume coupé sur mesure qui mettait en valeur une musculature bien dessinée ainsi qu’une certaine autorité naturelle.
Il lui disait quelque chose. Larkin l’avait déjà vu quelque part. Il parcourut son trombinoscope mental. Il y avait quelque chose…
« Ça va ? »
Larkin se retourna. C’était Claire Duffy.
Ouais. Je cherche juste les toilettes. »
Elle lui donna des indications. C’était du côté opposé de celui où se trouvait Tony et son ami.
Merci. Ah, Claire ? »
Elle le regarda droit dans les yeux.
Oui ?
C’est qui le type, qui parle avec Tony, là-bas ? » Il fit un geste de la main vers le couloir.
Ah. » Elle avait l’air un peu déçue. On aurait dit que ce n’était pas la question à laquelle elle s’attendait. Elle suivit son regard.
Lui ? C’est Tommy Jobson. »
C’était ça.
Tommy Jobson ? C’est un ami de Tony ?
Ouais. C’est un homme d’affaires du coin. Il possède des casinos ou je ne sais plus quoi. Il donne beaucoup d’argent aux organisations caritatives. En tout cas à nous. »
Larkin opina. Cette description ne correspondait pas au Tommy Jobson qu’il connaissait.
Pourquoi cette question ? »
Larkin haussa les épaules.
C’est juste que… J’ai cru le reconnaître, c’est tout. Ça doit être quelqu’un d’autre. Bon, je ferai mieux d’aller au petit coin. »
Larkin se retourna pour s’éloigner.
J’espère que vous allez jouer en deuxième mi-temps, lui cria Claire.
Moi aussi », répondit-il sans se retourner.
Lorsque Larkin retourna au vestiaire, Tony y était. Il était en plein milieu de son discours.
Azincourt à Coldwell.
Henry V galvanisant ses troupes d’anciens camés.
Et ça marchait. Ils étaient prêts à y retourner en courant et à tout donner.
Larkin se joignit à eux.
Dougie n’avait jamais rien vu de semblable.
Il avait cinquante-deux ans et était trop jeune pour se souvenir à quoi ressemblait la France occupée pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il pouvait l’imaginer. Elle devait ressembler à Coldwell maintenant.
La ville se retrouvait sur la liste de celles qui étaient en état de siège, sous le coup de la loi martiale.
Le portail de la mine était verrouillé, entouré d’hommes casqués, avec visières fumées et tout leur équipement. Ils étaient debout, impassibles, attendaient. On aurait dit un poste-frontière entre deux pays en guerre. Pour séparer deux camps.
La rumeur s’était répandue tard dans la nuit, tôt le matin. Des fêtards qui rentraient chez eux en sortant du Miners’ Welfare Hall avaient vu les préparatifs des policiers mais étaient trop entamés physiquement pour s’y opposer. La nouvelle avait circulé, d’abord avec colère, puis avec une sorte de fatalisme : la victoire de la veille ne pouvait pas rester sans réponse, sans sanction.
Il n’y aurait pas de manifestation ce jour-là. La consigne avait été donnée : un maximum de gars devant les portes. Ceux qui restaient des piquets de grève de la veille étaient présents, tout comme les mineurs des villes voisines, et les autres acronymes : RCP3, SWP4, WRP5. Leur nombre était bien moins important que la veille, et l’organisation était très approximative. Les slogans manquaient de rythme, les cris partaient dans toutes les directions, comme des tirs de chevrotine. Les banderoles étaient absentes.
Les hommes avaient remis leurs vêtements de travail ; des bottes et des jeans, et ici et là des T-shirts qui disaient Frankie veut bosser, pas la charité.
La tension monta. La tension était suffocante. La tension raréfiait l’air entre les deux tribus.
Dougie n’avait pas beaucoup dormi. L’allégresse de la veille s’était complètement dissipée. Il avait regardé passer avec les yeux troubles et le crâne douloureux des convois de cars de flics, de vans et d’unités de soutien, avant de déverser des agents, dont les visages étaient cachés par les casques anti­émeutes, leurs identités aussi vides et indéfinissables que leurs innombrables épaulettes.
Quand les cars étaient passés, les flics avaient agité des billets par les fenêtres, de dix et de vingt, et crié combien ils allaient se faire en heures supplémentaires, les vacances à Majorque qu’ils allaient se prendre. Quelques-uns parmi les plus âgés avaient regardé ça d’un air gêné, avaient vu Dougie et avaient haussé les épaules en manière d’excuse : ce n’est pas ce que j’attendais de ce boulot. Dougie pouvait comprendre ce qu’ils ressentaient. Lui non plus, ce n’était pas ce qu’il avait attendu du sien.
Les rues et les trottoirs avaient été modifiés. Avec des bornes, des cônes et des barrières, de sorte que le seul parcours ­possible soit celui qu’avait décidé la police. Des hommes avaient été postés aux points de jonction, les itinéraires imposés, toute entrée scrutée. Quiconque voulait entrer dans la ville était arrêté, interrogé, et parfois fouillé. Manifestants et sympathisants ou ceux qui étaient soupçonnés d’être l’un ou l’autre étaient refoulés avec autant de force que chaque agent jugeait nécessaire d’utiliser. Ceux qui étaient autorisés à entrer étaient orientés vers un endroit précis où stationner. La police avait mis les gens exactement là où elle voulait qu’ils soient.
Dougie regarda les habitants de la ville, les locaux. Ils regardaient, impuissants, tandis qu’on leur arrachait leur ville, morceau par morceau. Et leur dignité, leur fierté, en même temps. Même ceux qui étaient neutres, les gens qui n’avaient aucun lien avec la mine ou la grève, étaient aspirés. Avec chaque décision, chaque section de Coldwell dont la police prenait le contrôle, des lignes de démarcation étaient tracées. Des divisions étaient créées. On prenait parti, inconsciemment, par nécessité.
Les visages reflétaient une colère qui durcissait et se muait en haine. La confiance en soi se transformait en détermination. Mais par-dessus tout, ils reflétaient de la peur. La peur de l’avenir. La peur du présent.
La peur de l’avenir immédiat.
La Mini allait vers Coldwell, une cassette des Redskins6 dans l’autoradio. Larkin marquait la mesure de la tête, chantait des bribes de paroles. Bolland, au volant, regardait l’heure inconsciemment. Larkin, transporté par les événements de la veille, laissait la musique l’emmener encore plus loin.
X. Moore a écrit ces chansons sur un piquet de grève, tu sais, dit Larkin.
C’est supposé les rendre meilleures ?
Ouais. Elles sont plus honnêtes et elles ont plus de cœur, grâce à ça. »
Bolland sourit.
De bons morceaux, ça aurait été encore mieux. »
Bolland était un copain de Larkin, étudiant en journalisme à Newcastle Poly. Il avait l’œil pour prendre des clichés révélateurs, ce qui laissait penser qu’il deviendrait dans le futur un excellent photoreporter. Ils avaient déjà travaillé ensemble par le passé et ils étaient amis, même si Larkin soupçonnait que la coupe à la George Michael de Bolland allait un peu plus loin que la racine des cheveux.
Larkin était sur le point de répondre lorsqu’ils le virent. Le barrage routier.
S’étirant sur toute la longueur de la route, occupé par plus d’une douzaine de policiers qui arrêtaient toutes les voitures, sans exception. Le parfum de testostérone était pour ainsi dire palpable.
Merde, dit Bolland. Ils étaient pas là, hier. Qu’est-ce qu’on fait ?
T’inquiète pas. Laisse-moi faire. Ça va aller. »
Un policier leur montra du doigt le bas-côté.
Bolland s’arrêta, attendit.
Éteins la musique », dit Larkin.
Bonjour, messieurs », dit le flic. Il sortait à peine de l’adolescence mais était déjà plein d’assurance, comme si l’autorité était fournie avec l’uniforme. « Vous me dites où vous allez ? »
Bolland déglutit.
Coldwell. »
Le policier se raidit, un sourire dur se développait sur ses lèvres à l’idée de ce qui allait suivre.
Et je peux vous demander pour quoi faire ?
Nous sommes journalistes, dit Larkin.
Vraiment ? » Le flic les observa : Levi’s, Doc Marten’s. Larkin portait son T-shirt Meat is murder7. « Et vous travaillez pour qui ?
Le Daily Mirror.
Ah ouais ? » Le flic regarda vers ses collègues, prêt à rigoler un bon coup.
Oui », dit Larkin. Il ouvrit son blouson, en sortit la carte que Pears lui avait donnée, la lui montra. « C’est notre patron. Appelez-le si vous ne me croyez pas. Mon nom, c’est Stephen Larkin. »
Le policier regarda la carte, indécis. Son assurance un peu entamée. Larkin soutint son regard.
Vous l’appelez ? demanda Larkin. Si vous voulez le faire, pouvez-vous vous dépêcher ? Je ne veux pas être malpoli, mais on doit aller travailler. On a des délais à tenir. »
Le policier hésita. Son instinct lui disait de ne pas les laisser passer, mais l’insistance de Larkin, son calme, son regard franc qui ne cillait pas, tout ça avait l’air réglo. Il décida de prendre le risque.
Allez-y. Passez.
Merci, monsieur l’agent », sourit Larkin.
Ils démarrèrent, Bolland écrasa l’accélérateur.
Bolland eut un grand soupir de soulagement. Larkin rigolait.
Salopard de facho ! » cria-t-il, regardant derrière lui le policier qui rétrécissait et qui les regardait s’éloigner.
Larkin remit la cassette.
C’est vraiment nécessaire ?
C’est quoi le choix ? Tes trucs à toi ? Wham8 ? » demanda Larkin. Bolland ne répondit rien.
Nous avons franchi la première étape. Les paroles devraient t’inspirer. » Larkin s’enfonça dans son siège, et mima les paroles. « C’est parti ! »
Dougie entra dans le Miners’ Welfare Hall.
La fête de la veille au soir était un souvenir déjà lointain. Les tables en formica avaient été poussées et regroupées, les journaux, les tasses et les calepins étaient éparpillés dessus. Mick était en train de raccrocher le téléphone.
Comment ça se passe ? »
Mick soupira.
Pas bien. Les groupes du Yorkshire sont passés. La plupart d’entre eux ont dormi ici. Mais les gars de Notts et du Lancashire non. Il y a des barrages partout sur l’A1. Il y a des bus et des vans qui bloquent les voies… C’est le chaos partout. »
Mick se frotta le visage pendant que Dougie digérait l’information.
Ah, merde… dit Dougie.
Écoute », dit Mick, la voix hésitante.
Dougie le regarda.
Il faut que je rentre chez moi. » Sa voix était faible, distante. « Angie… Elle a besoin de moi… Elle est pas… »
Dougie soupira. Mick vit la tension et l’inquiétude se faufiler dans les rides de son visage.
C’est pas grave. Je vais rester.
Non, dit Dougie. Si elle a besoin de toi, elle a besoin de toi. Tu ferais mieux d’y aller. On se débrouillera, ici.
Tu es sûr ? »
Dougie acquiesça.
Merci. »
Mick se leva, se dirigea vers de la porte.
Dis-lui que j’ai demandé de ses nouvelles. »
Mick opina et partit. Dougie resta assis, seul, à réfléchir.
La vache, on se croirait en Europe de l’Est ! dit Larkin en voyant le portail de la mine.
Tu es déjà allé en Europe de l’Est, toi ? » demanda Bolland.
Larkin rougit légèrement.
Non, mais j’imagine que ça doit ressembler à ça. Pourquoi, toi oui ?
Une seule fois. Berlin-Est. Très glauque. Mais avec une sorte d’étrange… beauté chromatique.
Tu te la joues photographe à la con, maintenant ?
Va te faire voir. »
Ils avaient dû se garer là où la police leur avait dit. Même là, ils s’étaient fait contrôler, à la recherche de signes qui indiqueraient leur sympathie pour les mineurs, et ils n’avaient pas été autorisés à avancer jusqu’au cordon suivant tant qu’ils n’étaient pas parvenus à convaincre les policiers de leurs identités et de ce qu’ils étaient venus faire.
Ils regardaient autour d’eux, respiraient l’air saturé de tension comme s’il était chargé d’un tas de virus ultracontagieux.
Les grévistes faisaient face au portail et aux barrières reliées entre elles par des chaînes en acier, des bâtons, des couvercles de bennes à ordures et d’autres ustensiles improvisés pour faire du bruit. Les policiers étaient devant eux, en ligne, avec leurs boucliers, leurs matraques, et leurs casques à visière anonymes. Larkin trouvait qu’ils avaient l’air de sortir d’un film de science-fiction, qu’ils étaient des envahisseurs sans visages et sans pitié.
Les Storm Troopers9 de l’Empire », dit Bolland, faisant écho à ses pensées.
Les équipes de télévision étaient là, des reporters en vestes beiges et les yeux aux aguets, prêts à capturer l’information, espérant devancer les autres.
Cherchons Dougie », dit Larkin.
Ils le trouvèrent devant le Miners’ Welfare Hall, parlant à des grévistes qui avaient réussi à franchir les barrages routiers.
Salut, les gars, dit-il. Ça va être coton, aujourd’hui. Je crois que le mieux que vous puissiez faire, c’est prendre des photos qui montreront la vérité. C’est tout : juste dire la vérité. »
Larkin acquiesça.
On le fera. »
Il n’était plus temps de parler. Une rumeur se mit à parcourir la foule, une vague de peur et d’adrénaline.
Une voix cria :
Le bus arrive. Ça y est !
Allez, les gars ! cria Dougie dans son mégaphone aux mineurs regroupés. Tenez-vous prêts. »
Les hommes déferlèrent en direction du portail.
Mais rappelez-vous que les caméras de télévision sont là. Faites gaffe à ce que vous faites. Ne tombez pas dans leurs pièges… »
Les mots de Dougie se perdirent dans les mouvements des hommes autour de lui.
L’atmosphère était différente, pensa Larkin. Il y avait davantage de colère que la veille, on sentait qu’il y avait de la bagarre dans l’air.
Dougie se rendait compte qu’il avait le souffle court et tremblant, il pouvait entendre les battements de son propre cœur. Et c’était comme s’il pouvait aussi entendre battre les cœurs de tous les hommes qui l’entouraient.
Coldwell attendait.
Il n’y en eut pas pour longtemps. Le bus, le même que la veille, approcha de la mine, grognant et râlant pour négocier les nouveaux virages, sur l’itinéraire qui avait été tracé sur mesure pour lui.
Il tourna le coin, avança lentement, mais inexorablement. De chaque côté marchaient des rangs de flics en tenue antiémeute.
Les grévistes attendaient.
Allons-y, les gars ! » cria Dougie.
Comme un général qui donnerait un ordre inutile.
Les hommes avancèrent, chantant, criant, bâtons et couvercles de poubelles brandis devant eux, en rangs serrés. Ils entourèrent le bus, furent repoussés par les boucliers. Ils hurlaient, à pleins poumons, leur entraînement de supporters de football servant ici contre des adversaires d’un autre genre.
Le bus eut un à-coup, s’arrêta, un nuage gris s’en échappa, à l’arrière, enveloppant les policiers et les mineurs, indifféremment. Malgré l’escorte policière, le chauffeur et les jaunes, avec leurs écharpes et leurs cagoules, avaient l’air d’avoir davantage peur que la veille.
Les mineurs continuaient de pousser.
Jaunes ! Jaunes ! Jaunes !
Salauds !
Salauds de jaunes !
Les mots se chevauchaient, criés, coupants. Les bâtons et les couvercles se heurtaient aux boucliers. Le rythme était en chute libre, les pulsations féroces. La rage donnait aux grévistes de l’énergie, leur faisait oublier la fatigue de leurs bras, empêchait leurs voix de se briser.
Les mineurs poussaient, les policiers repoussaient. Le bus s’arrêta complètement.
Dean Plessey vit une ouverture dans les rangs de la police. Il sauta sur le bus, essaya d’ouvrir la porte avec ses mains. Des mots furent hurlés avec fureur, les yeux enflammés par la haine démultipliée de la foule, réduisant la distance entre colère légitime et légitimation de la violence.
Il fut repoussé et renvoyé dans la foule.
Le bus se remit en mouvement, avança, centimètre par centimètre.
Les mineurs ne bougèrent pas.
Le chauffeur appuya sur l’accélérateur, fit vrombir son moteur. Le bus avança et continua d’avancer.
Le portail de la mine fut ouvert, un mur compact de policiers le laissa passer, empêcha les mineurs d’entrer, les repoussant de leurs boucliers.
Les mineurs, en infériorité numérique, n’eurent d’autre choix que de laisser faire. Le bus entra, les portes se refermèrent. Les policiers se regroupèrent devant la mine.
Les grévistes reculèrent, vaincus. Les slogans s’éteignirent, remplacés par un silence amer.
Dougie Howden, vous venez d’assister à… »
On lui colla un micro sous le nez.
Dégagez de mon chemin ! »
Dougie écarta le micro de la main, continua de marcher.
Connards de journalistes… »
Les hommes étaient debout et se regardaient les uns les autres. Dougie, lui, regardait les policiers. Même sous leurs visières fumées, il pouvait les voir sourire.
Salauds… »
Les slogans fusèrent à nouveau, en même temps que les mineurs encerclaient les barrières.
Maggie, Maggie, Maggie.
Dehors, dehors, dehors.
Jaunes, jaunes, jaunes.
Dougie les rejoignit, cria aussi.
Si vous n’arrêtez pas de lancer des pierres, mes hommes vont charger. »
La voix, amplifiée par le mégaphone, s’abattit sur les grévistes. Graduellement, les slogans décrurent, moururent.
Les grévistes se consultaient du regard, perplexes. Aucun d’entre eux n’avait lancé de pierres.
La voix, encore.
Deuxième avertissement. Si vous ne cessez pas de lancer des pierres, mes hommes vont charger. »
La perplexité se mua en amusement. Les grévistes se mirent à rire.
Et encore :
Puisque vous n’obéissez pas aux ordres, vous ne me laissez pas le choix. »
Avant que les mots aient le temps de s’évanouir, la police antiémeute positionnée devant les portes se mit à courir vers les hommes. Boucliers levés, matraques brandies. C’était comme un mur qui leur avançait dessus.
Les hommes restèrent en position un moment, figés par le choc et l’incrédulité, puis se mirent à courir.
De l’autre côté de la rue, le bruit des sabots commença à déchirer l’air. La police montée. Qui chargeait.
Les grévistes regardèrent autour d’eux, stupéfaits. Ils se dispersèrent : courant de droite et de gauche, pêle-mêle, se cognant les uns aux autres, allant n’importe où, pour s’échapper. La police antiémeute continuait d’avancer.
Ils cherchaient partout quelque chose qui aurait pu leur servir d’arme.
Les pierres commencèrent à voler. Les matraques entrèrent en action.
La bataille de Coldwell avait commencé.
Ils prirent la fuite. Par les rues, par les jardins, derrière les maisons. Sans plan, sans stratégie, juste pour s’enfuir.
Les policiers avaient un plan. Ils avaient une stratégie. Des hommes avaient été déployés pour attraper les mineurs qui couraient, d’autres pour leur tomber dessus quand ils s’arrêtaient. Et la manière dont Coldwell avait été modifiée et réorganisée faisait qu’ils s’arrêtaient exactement là où les policiers voulaient qu’ils s’arrêtent.
Certains des hommes en uniforme ne ressentaient rien : cela faisait partie du boulot, une des manières de se faire des heures supplémentaires. Pour d’autres, qui avaient des membres de leurs familles ou des amis dans les mines, c’était difficile. Il y avait conflit d’allégeance. Pour la plupart d’entre eux, c’était la guerre des Malouines qu’ils n’avaient pas pu faire. C’était ce qu’il y avait de mieux, tout de suite après : la police qui faisait comme l’armée. Sauf que là, l’ennemi, ce n’étaient pas les Argentins, c’était les mineurs.
L’ennemi de l’intérieur.
Ils attendaient : harnachés, parés.
Les mineurs arrivaient.
Cachés et sanglés, tapis et retenant leur souffle.
Les mineurs –
Ils attendaient que l’ennemi soit sur eux.
Les –
Le bruit de courses, les halètements d’hommes peu habitués aux efforts physiques, obligés de se remuer. La peur. La confusion. Les cris, qui se chevauchaient.
Attendant le signal –
Et puis ils furent sur eux : criant, matraques levées, se précipitant, avec leurs armures, comme un tsunami bleu.
Les matraques montaient lentement, partaient en arrière, retombaient vite. Contact. Et encore. Contact. Et encore.
Des corps qui se tordaient, se pliaient, tombaient. Ou qui répliquaient : des coups de poing partaient, quelques-uns, chanceux, arrivaient à destination, des coups de pied désespérés faisaient mouche.
Sur les flics : quelques blessures mineures, grâce aux protections.
Sur les mineurs : plein de blessures. Aucune protection.
Les matraques montaient lentement, partaient en arrière, retombaient vite. Contact. Et encore. Contact. Et encore.
Contact avec la peau, et au-delà, avec les os, qui se brisaient. Recul après impact : des vibrations ressenties jusque dans les clavicules.
La douleur les inondait, déchirait la peau, atteignait les os, les organes.
Au corps, pas à la tête. Au corps, pas à la tête. Les paroles du chef. La politique officielle. Difficile à appliquer tout le temps. Parfois, la nécessité de gagner chaque bataille annulait l’ordre. Parfois, il fallait rendre coup pour coup. Et parfois, on avait besoin de voir, de sentir et d’entendre le crâne craquer comme un œuf, le sang couler.
Un par un, les ennemis s’écroulèrent. Une pile sanguinolente. Une masse brisée.
Quelques-uns s’enfuirent, s’échappèrent. Ils se feraient prendre par d’autres patrouilles, cachées ailleurs, qui s’occuperaient d’eux. Ils seraient abattus par un autre mur de matraques.
Les ennemis vaincus étaient traînés, enfermés dans des cars de police blindés, transportés dans des cellules. Les matraques et les chaussures des soldats du front avaient rempli leur rôle.
Maintenant, ils s’occupaient de leurs blessés, se réorganisaient et se préparaient à un nouvel assaut. Ils rigolaient, en rajoutaient sur leurs exploits avec leurs matraques, peaufinaient les légendes qu’ils raconteraient plus tard. Ils se moquaient de leurs victimes. Ils étaient tous ivres de testostérone et de sang, même ceux qui avaient des doutes, maintenant qu’ils y avaient goûté. Eux aussi, la haine les faisait bander.
Ils reprirent leurs positions, attendirent le signal.
Attendirent le nouvel assaut.
Dougie ne pouvait pas bouger. Il regardait, pétrifié par l’horreur.
C’était un vétéran des piquets de grève, et les confrontations, il connaissait ; mais il n’avait jamais rien vu d’approchant. Et il n’aurait jamais cru voir ça. Pas dans son pays. Pas dans sa ville. Pas dans sa rue.
Il se souvint de son service national. En Allemagne, dans les années 50. Envoyés en amis, pas en ennemis. Les Allemands étaient contents de les voir. Il se souvenait de conversations de bar avec d’anciens soldats allemands. Leur anglais était meilleur que son allemand. Un homme, Florian, avait essayé d’expliquer la folie qui s’était emparée de son pays, deux décennies plus tôt. L’avènement d’Hitler. Les nazis et les Allemands, avait-il expliqué, ce n’était pas la même chose. Les nationaux-socialistes avaient été élus sur la promesse de réunifier un pays divisé. Ils avaient gouverné par la propagande et la brutalité, en avaient récompensé quelques-uns, persécuté ceux qui ne partageaient pas leurs idées. Les gens, avait-il dit, avaient regardé les soldats nazis maltraiter et frapper d’autres gens dans la rue. Et personne ne les en avait empêchés. Non pas parce qu’ils pensaient que ce n’était pas horrible, mais parce qu’ils savaient que s’ils faisaient quelque chose, ce serait leur tour, après.
Et surtout, lui avait dit Florian, cela pouvait se produire n’importe où. N’importe quand.
Dougie ne l’avait pas cru, à l’époque, il avait pensé que ce n’était qu’une manière de s’excuser, de se justifier.
Mais maintenant, il comprenait.
La seule chose qui manquait aux policiers, pensa-t-il, c’était une croix gammée sur leurs bras.
Son cerveau ne parvenait pas à trouver un vocabulaire rationnel qui lui aurait permis d’appréhender ce que ses yeux voyaient.
Un mineur à genoux, bloqué par un policier à cheval, deux hommes à pied autour de lui, qui lui donnaient des coups de matraque, à tour de rôle, le cheval le maintenant en place, l’empêchant de s’enfuir.
Dougie le connaissait, avait travaillé avec lui pendant plusieurs années. C’était un type costaud, marié, trois enfants, il était venu au club un soir et avait bu avec ses amis. Ce n’était pas un lâche, pas un ange non plus, et il était capable de régler une dispute à coups de poing, ainsi qu’il l’avait montré en plusieurs occasions. Mais pas une brute. Pas un type qui cherchait les problèmes. Juste un type qui n’avait pas peur de se défendre tout seul.
Ce type maintenant pleurait, son bras droit pendait le long de son corps, inutile, son corps se tordait pour essayer, en vain, d’éviter les coups.
Les policiers le frappaient chacun à leur tour, leurs bras ne donnaient aucun signe de fatigue.
Les sanglots du type augmentèrent. Dougie vit une tache sombre s’étaler sur le devant de son jean, le sol s’humidifier à ses pieds. Il s’était pissé dessus.
Dougie entendit les deux policiers rire, et ils le frappèrent de plus belle, avec un enthousiasme renouvelé.
Le type poussa un dernier cri de rage, de peur, d’humiliation. Puis le silence. Il s’écroula par terre, brisé.
Les policiers l’emmenèrent.
Ce n’était pas un cas isolé. Partout autour de lui, Dougie voyait la même scène, qui se répétait. Avec des variations, mais le même résultat.
Les paroles de Florian, de nouveau.
Cela pouvait arriver n’importe où. N’importe quand.
Son corps se mit en mouvement. D’abord lentement, comme dans un rêve, ensuite de plus en plus vite, lorsque le danger de la situation dans laquelle il se trouvait devint évident.
Il faut que je continue de bouger, pensa-t-il. Je ne peux pas m’arrêter. Parce que si je m’arrête, ce sera mon tour.
Larkin, comme tout le monde autour de lui, prit ses jambes à son cou.
Il détalait dans les rues avec le reste des grévistes, on aurait dit un lâcher de taureaux de la feria de Pampelune : à la place des taureaux noirs, il y avait les flics en tenue antiémeute, et à la place des cornes menaçantes, il y avait les matraques.
Ils tournèrent à un coin de rue et tombèrent sur un autre escadron qui les attendait, en embuscade. Qui chargea, matraques en avant, hurlant.
Le chaos régna. Les mineurs s’enfuirent par les contre-allées, les porches, se rentrèrent dedans.
Les coups pleuvaient, enrayaient les fuites, brisaient les membres.
Larkin courait. Oublieux de ceux qui l’entouraient, ne prenant pas le risque de perdre du temps à regarder. Accélérant.
Bolland aussi courait, conscient du poids de l’appareil photo dans ses mains, conscient du travail qu’il devait accomplir.
Il s’arrêta de courir, trouva un porche et visa.
Il vit :
Un adolescent terrorisé qui courait, un policier en tenue antiémeute qui le tirait par le T-shirt, le lui arrachait, le rouait de coups sur le capot d’une Montego.
Clic.
Un homme à terre sous un cheval de la police qui tenait en l’air sa bannière en carton de travailleur socialiste, pour détourner les sabots.
Clic.
Un policier qui faisait une clef au cou à un mineur entre deux âges pendant qu’un autre lui donnait des coups de matraque dans le ventre.
Clic.
Clic. Encore et encore. Clic.
Les images étaient dures comme le diamant, précieuses et vraies.
Mais pas rares.
Lorsqu’il estima qu’il en avait assez, il se remit à courir. Cachant son appareil dans son blouson, le protégeant comme un petit oiseau fragile.
Larkin avait changé d’environnement. Les immeubles avaient laissé la place à des maisons plus anciennes et plus grandes. Les cages à lapins en béton et les contre-allées coupe-gorge étaient devenues de hautes haies bordant de vastes jardins et des façades en pierre édouardiennes au bord de trottoirs plantés d’arbres. Il était arrivé au bout de Coldwell, là où les gens n’avaient pas besoin de descendre à la mine.
Tout ce qu’il y voyait, c’était des endroits où s’abriter. Il était épuisé, tout son corps ne se réduisait plus qu’aux éléments fondamentaux et à des minéraux : ses jambes étaient du sable, ses pieds de l’eau, sa poitrine un vieux morceau de fer rouillé plus bon à rien. Bouleversé et tremblant à cause de la peur et de la fatigue, il ne pouvait plus avancer. Il sauta dans un jardin, s’écroula derrière une haie. Tout autour de lui, d’autres fuyards faisaient la même chose.
Ils s’aplatissaient, poitrines haletantes, visages écarlates, les muscles, inutilisés depuis longtemps, raides et saisis de crampes. Épuisés, submergés par l’euphorie : malgré la peur et le danger, plusieurs d’entre eux n’avaient rien vécu d’aussi excitant depuis très longtemps.
Larkin, qui reprenait son souffle, se hissa sur ses coudes, rouvrit les yeux. Il écrasait une plate-bande de fleurs, ses jambes reposaient sur un arrangement de pierres. Il y avait deux grévistes avec lui.
Puis un bruit de chute, lorsque quelqu’un d’autre les rejoignit : Dave Bolland.
Ça va ? demanda-t-il à Bolland.
À peu près », dit Bolland, hors de souffle. Il ouvrit son blouson, montrant l’appareil photo qui y était abrité. « J’ai pris de bons clichés, je crois. Si on les publie.
Toujours pro. »
Bolland changea la pellicule, enleva celle qui était finie et la glissa dans la poche de son blouson, en mit une nouvelle. Larkin regarda les deux autres hommes.
Je crois que j’ai couru plus vite que Steve Cram10 », dit le plus âgé avec un petit rire. Il regarda l’appareil photo. « Vous êtes quoi, des journalistes ou quelque chose ?
Ouais. On essaie de rééquilibrer un peu les choses.
Bonne chance à vous, les gars », dit l’autre mineur. Il avait un gros accent du Yorkshire. « J’étais à Orgreave. J’ai vu des trucs qui sont jamais passés dans les journaux. Je crois bien que la grève serait déjà finie si c’était passé. Ça a été sanglant, avec ces gars-là. »
Larkin acquiesça.
On fera ce qu’on peut.
Non, mais, vous vous croyez où ? »
Les hommes se tournèrent vers la voix. La porte d’entrée s’était ouverte et la propriétaire était sur le seuil. Les hommes se remirent debout.
Regardez un peu ce que vous avez fait à mes fleurs.
On s’excuse, m’dame », dit l’homme plus âgé. Il se leva, non sans effort, et alla vers la femme.
Larkin estima qu’elle avait une petite cinquantaine. Elle portait une jupe sous le genou et un pull à manches longues au col rond sous lequel il y avait une blouse dont la collerette en dentelle dépassait. Ses cheveux étaient blond cendré, mais, au naturel, probablement gris. Elle n’avait pas l’air content.
Nous sommes vraiment désolés, répéta l’homme plus âgé, mais nous n’avions pas le choix.
On est pourchassés, dit Larkin.
Pourchassés ?
La police. »
La colère de la femme s’évanouit, remplacée par la peur d’être impliquée.
Écoutez…
Comme je disais, nous sommes vraiment désolés. Mais si vous pouviez nous laisser rester ici jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de problème, après on s’en ira. »
La femme réfléchit. Hocha la tête.
Merci, m’dame.
Vous êtes des mineurs, non ? »
Les deux hommes opinèrent.
Qu’est-ce qui se passe à la mine, en ce moment ? »
Le mineur le plus âgé le lui dit.
Oh, Seigneur, dit la femme, lorsqu’il eut fini de parler. Je dois dire que j’ai beaucoup de sympathie pour votre lutte, mais je n’aime pas la façon dont vous vous y prenez.
Que voulez-vous dire ? demanda le vétéran d’Orgreave.
Vous savez bien. Lancer des pierres. La violence. Beaucoup plus de gens seraient de votre côté si vous n’étiez pas si agressifs avec la police. »
Les quatre hommes échangèrent des regards dans lesquels se lisaient à la fois la lassitude et l’incrédulité. Ils avaient entendu la même chose si souvent qu’ils avaient une réponse toute prête.
On ne les attaque pas, on se défend, dit le vétéran. Si vous ou les vôtres étiez menacés, que feriez-vous ? Vous vous défendriez, non ?
Eh bien, oui.
C’est ce qu’on fait. On se bat pour ce qui est à nous.
Mais on voit tellement de policiers blessés dans les journaux.
Et combien de mineurs blessés voyez-vous ? demanda Larkin.
Pas beaucoup.
Exactement. Parce qu’ils ne les montrent jamais, dans les journaux. »
La femme les regarda.
Je dis juste que vous ne devriez pas être si violents, c’est tout. »
La conversation s’arrêta abruptement. Ils entendirent des bruits au bout de la rue. Des voix. De la violence. Et autre chose.
Le sol autour d’eux et la haie se mirent à trembler.
Ils se mirent à l’écart. Ils savaient ce que c’était.
Les chevaux de la police.
Qui galopaient à travers les alignements de jardins, leurs cavaliers les faisaient sauter par-dessus les haies et les clôtures comme si c’était le Grand National11, débusquant les mineurs ou les piétinant en passant.
Les hommes n’attendirent pas. Ils détalèrent avant que la haie de la dame ne soit réduite en miettes et que son jardin ne soit transformé en boue et en paille.
Larkin prit ses jambes à son cou.
Salauds ! Salauds de flics ! »
Il prit le risque de se retourner, pour voir qui criait.
La dame se tenait au milieu des ruines de son jardin, elle jetait des pierres qui venaient des ruines de son agencement aux cavaliers qui battaient en retraite.
Salauds ! Salauds de flics !
Une convertie de plus ! » cria le vieux mineur, en courant.
Larkin opina mais ne répondit pas. Il courut.
Et continua de courir.
Clic.
Mick avait fait la moitié du chemin. Il marchait vite, sûr d’avoir pris la bonne décision, heureux de rentrer chez lui pour retrouver Angela, impatient de voir la tête qu’elle ferait lorsqu’il franchirait la porte, qu’il lui dirait que c’était lui qui l’avait décidé, lui prouvant ainsi sa loyauté. Il se sentait un peu coupable d’avoir laissé Dougie, mais, comme l’avait dit Angela, il avait fait sa part. Que quelqu’un d’autre prenne le relais.
Et puis il l’avait entendue. Il l’avait entendue avant de la voir. Une cavalcade.
Derrière lui. Fondant sur lui.
Il se retourna, vit des grévistes qui couraient, poursuivis par des policiers en uniforme. Ils fuyaient le centre-ville, en direction des rues et des immeubles, leurs territoires. Le même chemin que lui.
De temps à autre, ils s’arrêtaient, se retournaient et lançaient des projectiles.
Parfois, ils faisaient mouche ; ils heurtaient les boucliers, l’onde de choc se répercutait dans les bras. Ils atteignaient des têtes. Ralentissaient leurs poursuivants.
La foule se rapprochait de Mick. Il se mit à courir, essaya de ne pas se faire rattraper.
Il accéléra. Tête baissée, courant aussi vite qu’il le pouvait vers chez lui.
Ils étaient sur ses talons, les mineurs et les policiers. Il força l’allure, essaya d’accroître la distance entre eux et lui, voulut éviter de se mêler à eux.
Mais c’était inévitable. Il fatiguait, et la foule des fuyards gagnait sur lui. Il n’était plus le régulateur, le leader. Il fut englouti, submergé. Aspiré par la foule, ravalé au rang de membre d’un groupe auquel il n’avait jamais vraiment eu le sentiment d’appartenir.
Il arriva au coin de la rue où il habitait. Il essaya d’obliquer vers chez lui, essaya de s’extraire de la masse des corps qui l’entouraient. Il heurta d’autres mineurs, se mit en travers de la route de ceux qui couraient, se fit éjecter de leur trajectoire, frapper, puis il rebondit jusqu’à son point de départ. Les corps serrés les uns contre les autres et la vitesse le maintinrent en place. Sa porte s’éloigna.
Il pensa à Angie, assise à la maison à l’attendre. Il vit l’entrée de sa maison disparaître derrière lui. Sentit une douleur dans sa poitrine qui n’était pas que de l’épuisement.
Il faisait partie de la masse, il lui était impossible de s’en extraire, ou de changer de direction.
Il continua de courir avec eux dans les rues. Les hommes commençaient à fatiguer, les rangs se relâchaient. Les policiers poursuiveurs ralentissaient. Un par un, les hommes s’arrêtaient, les mains sur les genoux, têtes baissées, haletants. Mick navigua vers la sortie.
Il atteignit le trottoir, marcha en sens inverse, revint sur ses pas, pour rentrer chez lui.
Il n’alla pas loin.
Des deux côtés de la rue, face à lui, de derrière les maisons, des contre-allées, des escadrons antiémeutes en embuscade chargèrent. Casqués, matraques brandies.
Les mineurs regardèrent autour d’eux, pris au dépourvu, essayèrent de trouver des échappatoires, des jambes pour courir, un second souffle. Ils attrapèrent des armes – des briques, n’importe quoi – mais ils manquaient de force et ils les jetaient avec des bras faiblards.
Les policiers leur tombèrent dessus.
Les matraques montaient lentement, partaient en arrière, retombaient vite. Contact. Et encore. Contact. Et encore.
Mick essaya de courir, de rebrousser chemin, de rentrer chez lui. Il y avait trop de gens autour de lui. Il poussait, donnait des coups de coude, des coups de pied. Essaya de forcer le passage, d’ouvrir une brèche par laquelle se faufiler. Une main l’attrapa par l’épaule, le fit pivoter. Il essaya de la décrocher, vit l’uniforme, essaya de se dégager. Mais la poigne d’acier ne se relâcha pas.
Il savait ce qui allait suivre, il leva un bras pour se protéger. Il essaya désespérément de se dégager, recula.
La matraque s’abattit sur son avant-bras, la douleur aussi soudaine qu’indescriptible. Instinctivement, il approcha sa main libre de son bras blessé.
Un autre coup de matraque sur l’épaule et Mick s’écroula. Il ne pensait plus du tout à s’enfuir, à présent, juste à se protéger.
Il essaya de se protéger la tête de ses bras, espérant que les coups atteindraient les phalanges plutôt que le crâne, mais ses bras ne répondaient plus. Ils pendaient, douloureux et inutiles, le long de son corps.
Il regarda, essaya de parler, de dire à son agresseur qu’il commettait une erreur. Qu’il ne devait pas se trouver là. Qu’il était en train de rentrer chez lui pour rejoindre sa femme. Sa femme enceinte.
Il aperçut un visage derrière la visière tachée de gouttes de salive, les yeux pleins de rage, la bouche déformée par la haine. Contre Mick. Un homme qu’il n’avait jamais vu de sa vie. Aucune communication, aucun raisonnement possible.
Il pensa encore à Angie, à la maison.
La matraque monta lentement, partit en arrière.
Il aurait aimé être avec elle, maintenant.
Retomba vite. Contact.
Elle avait raison, depuis le début.
Et encore. Contact.
Il aurait dû l’écouter.
Et encore.
Je n’aurais pas dû être ici.
La journée s’achevait. Les bagarres continuaient. Les policiers essayaient d’imposer un cadre, de prendre le contrôle, les grévistes les repoussaient, les écartaient.
Le territoire devint liquide : les conquêtes et les défaites étaient comme des marées, on gagnait du terrain et on en perdait, ça refluait et ça montait, les lignes bougeaient constamment, n’étaient jamais immobiles. Le plan était redessiné à chaque instant.
Les policiers étaient bien briefés, bien ordonnés. Les mineurs ripostaient avec tout et n’importe quoi, ce qui leur tombait sous la main. Briques, pierres, bouteilles. Les débris dans les rues. Des barricades improvisées étaient érigées en toute hâte, des missiles partaient de derrière elles. Une vraie résistance d’ouvriers, pensa Dougie. Le symbole incarné, comme ce petit journaliste aurait pu dire.
Mais il savait que les mineurs se fatigueraient. Ils n’étaient pas assez nombreux. La police pouvait appeler des renforts. Et elle n’allait pas s’en priver.
Dougie était derrière la fenêtre du Miners’ Welfare Hall, une tasse de thé à la main. Il ne savait pas si elle était chaude ou froide, pleine ou vide. Il s’en foutait. Il avait vu le carnage dans les rues. Maintenant, il regardait les conséquences. Les pancartes cassées. Les banderoles détruites. Un bidon qui avait servi à faire du feu pour réchauffer les grévistes, renversé. Il regarda la pièce, vit des hommes blessés. Brisés. Qui bougeaient encore, mais qui avaient renoncé. Abandonné.
Un peu plus tôt, par la fenêtre, il avait observé les policiers prendre le contrôle total du portail de la mine. Ils rigolaient entre eux, faisaient des blagues aux dépens des grévistes. Il les avait regardés parler aux équipes de télévision, leur chef avait serré la main des journalistes, avait blagué avec eux comme s’ils étaient de vieux copains, leur avait demandé quelles images ils avaient de la bataille, leur avait expliqué les tactiques, leur avait suggéré les meilleurs endroits où positionner leurs caméras pour capturer l’action. Il avait invité les équipes à venir derrière les lignes de policiers pour avoir de meilleurs angles de vue.
Salauds… »
Ce fut une révélation : le moment où Dougie réalisa ce contre quoi se battaient les mineurs. La raison pour laquelle ils ne gagneraient pas. Il avait laissé la victoire de la veille lui altérer le jugement, lui laisser croire qu’ils avaient une chance. Ils n’en avaient aucune. Ils allaient perdre.
Il s’assit, son espoir se brisant avec un bruit qui lui était quasiment audible.
Quelqu’un s’approcha de lui, lui posa une question. Il n’entendit pas les mots, n’en reconnut que quelques-unes. Changement d’équipe. Sortie du bus des jaunes. Piquet de grève.
De l’autre côté de la fenêtre, le chef de la police serrait les mains des équipes de télévision, marchait en direction du Miners’ Welfare Hall.
Qu’est-ce qu’on fait ? »
Dougie soupira.
Rien. »
Il leva la tête, vit un visage surpris.
On peut rien faire. Ils ont gagné. »
On frappa à la porte.
Les hommes perdaient la volonté de se battre. La horde sans visage en uniforme semblait infinie. Quand l’un d’entre eux s’écroulait, un autre prenait sa place. Si on les terrassait, ils revenaient. Ils voyaient qu’ils étaient de moins en moins nombreux, ils voyaient leurs amis et leurs compagnons de travail blessés se faire embarquer. Quelques hommes commencèrent à rentrer chez eux. D’autres allèrent dans les pubs et firent comme s’ils y avaient passé la journée.
Ceux qui restaient se regroupèrent sur un carré de pelouse du T. Dan Smith. Ils savaient l’heure qu’il était, ils savaient que les jaunes sortiraient bientôt. Dean Plessey était là. Il leur parla.
On va y retourner une dernière fois. On s’arme de ce qu’on trouve et on fonce sur le portail. On les prend par surprise. On sait de quoi ils sont capables. Montrons-leur qu’on sait se défendre. Ils vont nous attendre. Montrons-leur que nous aussi on peut leur en faire voir. Montrons-leur qu’on peut gagner. »
Les hommes se mirent à rassembler des armes. Des pierres, des briques, des bouteilles. Des pieds de chaise, des tringles à rideaux, des matraques abandonnées, des barres de fer. Des couvercles de poubelles convertis en boucliers. N’importe quoi. Il fallait qu’il y ait de la résistance. Que leur désapprobation soit tangible.
Ils marchèrent sur la mine. Ils étaient équipés, harnachés, hérissés. Ils chantaient. Toujours en colère, mais maintenant avec une nuance de haine, en plus.
Maggie, Maggie, Maggie.
Dehors, dehors, dehors.
Du travail, pas la charité. Du travail, pas la charité. Du travail, pas la charité.
Mort aux flics. Morts aux flics. Mort aux flics.
Défilant ensemble, chantant ensemble. Ils tiraient leur force les uns des autres, et la foule étouffait leurs peurs individuelles. La collectivité annihilait leur individualité, créait une nouvelle entité de masse. Qui transformait la terreur en haine.
Maggie.
Dehors.
À mort.
À mort.
Ils furent rejoints par d’autres. Des groupes d’hommes. Des bandes de frères.
Larkin et Bolland en faisaient partie.
Ils se donnèrent des nouvelles : qui était blessé, qui avait été arrêté. Cela renforça leur détermination. Ils se remirent en marche, encore plus résolus.
Ils atteignirent le portail et s’arrêtèrent.
Une rangée d’hommes casqués en tenue antiémeute. Devant eux, des hauts gradés. Et Dougie Howden, avec un mégaphone. Il le mit devant sa bouche.
Écoutez. J’ai parlé aux responsables locaux. Ils pensent qu’on peut négocier un arrangement. Ils m’ont demandé de vous demander de déposer ce que vous avez dans les mains et de rentrer chez vous. Le chef de la police m’a assuré que si vous obéissez, il n’y aurait plus d’arrestations. Si vous partez pacifiquement, ils partiront pacifiquement. »
Il abaissa le mégaphone. Il grimaça, comme s’il venait d’avaler quelque chose de désagréable.
Salopard de vendu ! »
C’était Dean Plessey.
Dougie leva le mégaphone de nouveau, parla sans conviction.
Je ne suis pas un vendu. » Il soupira. « C’est la seule solution. Quelle est votre réponse ? »
Les hommes regardèrent autour d’eux. Ils regardèrent les policiers, immobiles, en position. Les matraques prêtes. Ils se regardèrent les uns les autres. Virent des hommes fatigués, usés, vieillis prématurément. La soif de sang d’un peu plus tôt s’estompait, remplacée par une évaluation plus objective de la situation. Un par un, ils jetèrent leurs armes et rebroussèrent chemin, évitant de laisser leurs regards se croiser.
Dean Plessey pointa un doigt accusateur en direction de Dougie.
Salopard ! Salopard ! Tu nous as vendus ! »
Les hommes bougeaient autour de lui, noyèrent ses paroles.
Le chef de la police tendit la main pour que Dougie la lui serre. Dougie se détourna et s’éloigna.
La bataille de Coldwell était officiellement terminée.
La paix, amère et difficile, avait commencé.
***
Larkin et Bolland rentrèrent chez eux en voiture.
Sans musique sur l’autoradio. Sans parler.
Ils étaient tous les deux épuisés, claqués, sales, dégueulasses.
Bolland avait caché son appareil photo sous son blouson, puis, une fois dans la voiture, l’avait posé sur la banquette arrière. Il avait réussi à prendre quatre rouleaux. Quatre-vingt-seize photos de flics infligeant coups et humiliations à des mineurs en grève.
Larkin avait plus d’images à traduire en mots qu’il n’en avait besoin.
Ils quittèrent Coldwell. Les rues étaient d’un calme inquiétant. Les quelques visages qu’ils voyaient étaient défaits et abattus.
En s’éloignant de la ville, ils virent le barrage de police.
Bolland soupira.
On leur fit signe de s’arrêter. Ils se rangèrent. Sept policiers se trouvaient au bord de la route. Larkin reconnut celui à qui ils avaient parlé, le matin. Il les reconnut aussi. Il échangea quelques mots avec l’agent qui leur avait demandé de s’arrêter. Prit le relais. Il fit signe à Bolland de baisser sa vitre.
Bolland obtempéra avec une docilité inquiète.
Le flic se pencha.
Bonsoir, les gars. C’est comment, la vie au Daily Mirror ?
Parfait, dit Larkin.
Intéressant. Parce que je les ai appelés et ils ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu parler de vous. Descriptions, noms : rien. Pouvez-vous descendre de voiture, s’il vous plaît ? »
Les yeux du flic avaient une lueur cruelle.
Écoutez, il est tard et nous…
Sortez de la voiture, enfoirés. » Le flic avait sa matraque à la main.
Bolland descendit. Larkin aussi.
Vous étiez avec eux, pas vrai ? Des putains de communistes, hein ? Vous avez eu ce que vous méritez.
Je vous ai dit, dit Larkin. Nous sommes journalistes. Je travaille pour…
Hé, regardez ça. »
Un autre flic avait ramassé l’appareil photo de Bolland sur la banquette arrière.
Reposez ça, s’il vous plaît. »
Le flic l’ignora.
J’ai toujours eu envie d’en avoir un comme ça. » Il ouvrit l’appareil, en sortit la pellicule. « Oh mon Dieu, des photos de vacances, sûrement ? »
Le visage de Bolland rougit.
Hé, il y en a d’autres. »
Le flic se pencha, prit les autres films, ouvrit leurs petites boîtes et les déroula.
Fils de pute ! » dit Bolland. Il commença à trembler.
Le premier flic s’approcha d’eux.
Qu’est-ce que tu as dit ? Comment tu m’as appelé ? »
Il était tout près de Bolland. Bolland pouvait sentir sa mauvaise haleine.
Vous avez entendu. »
Un geste rapide du flic, Bolland s’écroula.
C’est comme ça qu’on nous remercie de protéger les gens honnêtes des voyous, putain. »
Il lui donna un coup de pied. Bolland grogna.
Larkin attrapa le bras du flic.
J’en ai vraiment eu ma dose, de vous, aujourd’hui. »
Il lui envoya une gauche, le chopa à la pommette. Le flic alla au tapis. Ses collègues arrivèrent. L’un d’entre eux saisit Larkin, lui fit une clef au cou, lui bloqua les bras. Larkin se débattit mais ne parvint pas à se dégager. Le flic qu’il avait frappé se releva.
Tu vas voir, mon salaud. »
Il frappa Larkin au ventre. Une droite, puis une gauche. Une droite, puis une gauche.
Les jambes de Larkin se dérobèrent. S’ils ne l’avaient pas retenu, il se serait effondré.
Ça suffit, dit un autre flic, qui regardait. Sauf si vous voulez les inculper. »
Le premier flic était hors de souffle.
Nan, ça vaut pas le coup.
D’accord. »
Ils lâchèrent Larkin. Il tomba par terre, à côté de Bolland.
De là où ils étaient allongés, ils regardèrent les flics détruire méthodiquement la voiture de Bolland. Les phares en premier, puis les feux arrière. Puis les vitres latérales, et pour finir le pare-brise. Ils regardèrent, incapables d’intervenir, tandis que les flics sortaient les cassettes dans la boîte à gants, empochant celles qu’ils voulaient et écrabouillant les autres du talon de leurs chaussures, fouillaient le coffre et s’emparaient de l’appareil photo de Bolland. Lorsqu’ils eurent terminé, le premier flic alla vers eux, s’agenouilla.
Vous pouvez partir, maintenant, monsieur », dit-il. Il leur donna un dernier coup de pied à chacun et s’éloigna.
Larkin et Bolland, du verre brisé tout autour d’eux comme autant de petits diamants éparpillés sur l’asphalte, restèrent allongés là.
Mick était allongé sur son côté droit dans la cellule du commissariat, recroquevillé. Son épaule et son bras le lançaient. Un autre gréviste était près de lui, par terre, immobile. Mick ne lui avait pas parlé depuis qu’il était arrivé. L’homme n’avait pas bougé. Mick ne savait pas s’il était vivant ou mort.
Mick ferma les yeux, essaya de faire abstraction de l’ampoule nue, des murs couverts de graffitis, de l’énorme porte en métal clouté. De la douleur, du confinement.
Mais il ne pouvait pas faire abstraction des bruits. Des cris qu’il entendait dans les autres cellules. Ils avaient cessé, à présent, remplacés par un silence saturé de tension et de peur.
L’homme sur le sol grogna, se retourna.
Ça va ? » demanda Mick. Sa gorge était râpeuse et sèche. Les mots sortaient douloureusement.
L’homme grogna, puis répondit.
Ouais… »
Mick roula sur lui-même, le regarda.
Le type ressemblait à quelqu’un qu’on aurait fait tomber de très haut. Ses bras et ses jambes remuaient comme s’ils n’étaient pas correctement reliés à son torse. Il n’avait pas l’air trop contusionné, mais sa peau était tirée et brillante, comme un sac en plastique qui contiendrait des abats et du sang. Il se tint le ventre à deux mains, roula sur lui-même.
Est-ce que j’appuie sur le bouton ? J’appelle quelqu’un ? »
L’homme secoua la tête, continua de se tenir le ventre.
Mick soupira, se rallongea, ferma les yeux. Sa mémoire était un ciel nocturne : noir, avec de petites poches de lumière blanche et brillante. Il s’était écroulé dans la rue, fauché par un déluge de coups. Il avait brièvement repris connaissance à l’arrière d’un car de police, ou du moins c’est ce qu’il avait supposé : le contact des parois en métal dur, l’odeur du diesel, de la sueur et du sang, le bruit des insultes et des rires. Puis quelqu’un en uniforme, qui lui posait des questions : il ne se souvenait pas s’il avait répondu, mais il se souvenait que quelqu’un avait répondu à sa place. Il se souvenait d’un formulaire qu’on signait. Puis la cellule.
Il n’avait pas la moindre idée de l’heure qu’il pouvait être. Il ne savait pas depuis combien de temps il était là. Il savait seulement que ça faisait trop longtemps. Peu importait combien de temps, c’était toujours trop.
Et pendant tout ce temps, Angie était à la maison, à attendre, à se demander à quelle heure il rentrerait, et chaque minute qui passait était une brique de plus dans le mur qui s’élevait entre eux et les séparait.
La peur et la rage, les larmes et la bile commencèrent à s’accumuler en lui. Il se battit contre elles, parvint à les faire refluer.
Et puis : une clef dans la serrure.
La porte s’ouvrit.
Désolé pour le retard, les gars. Changement d’équipes. »
Mick entendit la matraque qui frappait la paume. Sentit la sueur, la cigarette, la mauvaise haleine. Le sang et la testostérone.
Il ferma les yeux, se recroquevilla en position fœtale.
Et ça commença.
Il pensa à Angie, à la maison, au mur autour d’elle. Il s’imagina avec elle, chez eux, qui allait vers elle, qui franchissait le mur, le refermait derrière lui.
Il restait à l’intérieur, et il laissait leur mur à tous les deux s’interposer entre eux et le reste du monde.
La vente aux enchères finie et l’argent récolté, le sifflet de l’arbitre donna le coup d’envoi de la seconde mi-temps.
L’équipe du CAT de Coldwell repartit comme en première mi-temps, pied au plancher.
Les adversaires étaient désemparés. L’engueulade de Wilkinson pendant la pause leur avait plus coupé les jambes que remonté le moral.
Larkin pensa à ce que Tony avait dit. Lui et les siens vont vraiment haïr le fait d’être menés un à zéro par une bande d’anciens camés. Larkin sourit. Cela permettait de comprendre absolument tout ce qu’ils faisaient.
Les joueurs du CAT formaient une bonne équipe, mais pas grâce à leur talent technique. Leurs adversaires étaient meilleurs, individuellement. Ils formaient une bonne équipe parce qu’ils jouaient ensemble, parce qu’ils se soutenaient les uns les autres. Parce qu’ils étaient solidaires.
Comme au début : Larkin et Mick sur le banc. Dave Wilkinson et ses remplaçants étaient assis de l’autre côté. Tony qui gesticulait le long de la ligne de touche. Claire qui regardait.
Un ancien professionnel tacla par-derrière un joueur du CAT, lui faucha la jambe, sans même essayer de toucher le ballon. Le joueur – Larkin remarqua que c’était le buteur de la première mi-temps, Ged – tomba en criant de douleur. Un tacle assassin. Une faute de professionnel. La foule répondit en criant des oh ! et des ah !
Clic.
L’ex-pro tendit la main pour aider le joueur à se relever. Ged l’écarta, se releva et marcha vers lui.
Oh, merde ! » dit Mick. Il se mit debout.
Larkin l’imita.
Qu’est-ce qu’il y a ?
Ged. Il a le sang chaud. »
Tony regarda les deux hommes.
Échauffe-toi.
Moi ? demanda Larkin.
Non. Mick. »
Mick enleva son survêtement, courut sur place. Tony siffla, avec les doigts dans la bouche, pour attirer l’attention de l’arbitre et faire le changement.
Ged sortit.
Mick regarda ses adversaires, se mit dans le rythme du match. Une ombre obscurcit son visage.
Bonne chance », dit Larkin.
Mick se tourna vers lui, l’ombre était partie. Il le remercia, respira un grand coup et entra sur le terrain en courant.
Le buteur de la première mi-temps rejoignit la touche. Il gueula après Tony.
Commence pas, répondit Tony, le doigt tendu. Tu t’es sorti tout seul. Qu’est-ce que j’avais dit, avant le match ?
Mais il…
Je m’en fous. Oui, il t’a descendu. Mais ça veut pas dire qu’il faut que tu réagisses, non ? On avait un accord. Et tu t’apprêtais à faire n’importe quoi. Je l’ai fait pour le protéger lui, et toi aussi. Maintenant, assieds-toi. Calme-toi. »
L’homme était prêt à riposter mais, au prix d’un effort visible, se contint et s’assit à côté de Larkin.
La tension faisait grésiller le corps de Ged comme de l’électricité. Larkin pouvait la sentir.
C’était un type costaud, avec les muscles qui couraient sous la peau. Les cheveux ras, le nez cassé. Il ressemblait plus à un videur de boîte de nuit qu’à un footballeur. Il secoua la tête.
Connard de merde », murmura-t-il dans sa barbe.
Larkin se tourna vers lui pour le regarder, se demandant s’il s’adressait à lui.
J’lui aurais rien fait. Juste montré un peu les crocs. Connard. »
Larkin ne dit rien.
Ged soupira.
Ils regardèrent le match.
Mick était un joueur très différent de Ged. Là où Ged était puissant et brutal, fonçant la tête la première sur l’autre équipe, Mick essayait de se faufiler, de danser autour d’eux. Comme s’il ne voulait pas trop s’approcher d’eux. Comme s’il voulait éviter tout contact.
Tacle-le ! Tacle-le ! » criait Tony Woodhouse.
Mais Mick ne voulait pas.
Il courait plutôt bien, ne se ménageait pas pour un homme en mauvaise condition physique, mais il ne voulait pas tacler. Pas de contact.
La dynamique du match changea lorsque les adversaires sentirent ses points faibles, se mirent à faire circuler la balle autour de lui.
Les joueurs du CAT le comprirent aussi et adaptèrent leur jeu. Ils compensèrent, lui permirent d’utiliser ce qu’il considérait être ses points forts, envoyèrent quelqu’un d’autre faire ce qu’il ne voulait pas faire.
Travaillant ensemble, se soutenant les uns les autres.
Solidaires.
Jouant en équipe.
C’est toi, le journaliste ? »
Larkin se tourna, étonné d’entendre la voix de Ged.
Ouais, ouais, c’est moi.
Je m’appelle Ged.
Stephen Larkin. »
Ils se serrèrent la main.
Ce con m’a sorti. Je lui aurais pas fait de mal, à l’autre. » Il secoua la tête. « Juste parce que c’est un flic. ’Croit qu’j’l’aurais défoncé.
C’est pas vrai ? »
Ged sourit.
Ça m’aurait pas déplu. Mais on a d’autres moyens de lui donner une bonne leçon.
Comme quoi ? »
Ged eut un geste vers le terrain. Lorsqu’il parla, il y avait de la fierté dans son ton.
Comme ça. En les battant. » Il s’adossa. « Ça leur apprendra. »
Les joueurs du CAT jouaient toujours bien, mais un peu de leur agressivité et de leur efficacité s’était évanoui. Larkin pensa que c’était parce que Ged était sorti, mais il y avait d’autres raisons ; quelles qu’aient pu être leur concentration, leur volonté de gagner, ils étaient quand même des hommes dans un sale état. La plus grosse partie du combat n’avait pas lieu sur le terrain, mais en eux-mêmes.
Larkin se surprit à être totalement captivé par le match. Il n’aurait pas cru cela possible, pas à ce point-là. Il voulait que le CAT gagne, de toutes ses forces. Il voyait le match avec les yeux de Tony et de Ged. Assis sur le banc, il faisait partie de l’équipe.
Le combat continua. Les deux équipes commençaient à fatiguer. La mauvaise condition physique des uns et des autres se voyait.
La police changea un joueur.
Larkin se mit debout, s’approcha de Tony.
Vous voulez des jambes fraîches ? »
Tony ne détacha pas son regard du terrain.
Non, merci.
J’entre quand, alors ?
Vous n’entrez pas.
Comment ça ? »
Tony se tourna pour lui faire face.
Désolé, Stephen, mais vous n’allez pas jouer.
Pourquoi pas ? »
Il eut un geste en direction du terrain et de l’équipe du CAT.
Parce que eux, ils ont besoin de jouer. Pas vous. »
Larkin ne comprenait pas bien, et il était un peu fâché.
Alors pourquoi vous m’avez fait venir ? Pourquoi m’avoir fait m’habiller et m’avoir mis sur le banc ? »
Tony perçut l’irritation de Larkin. Son visage s’adoucit, la gentillesse s’y lisait.
Parce que je voulais que vous viviez ce que les gars vivent, que vous voyiez les choses de leur point de vue. Je ne voulais pas que vous ne soyez qu’un spectateur. »
Larkin acquiesça, les lèvres serrées.
D’accord.
Je suis désolé si ça vous met en colère. Ce n’était pas mon but. Je voulais juste que ce match ait autant d’importance pour vous qu’il en a pour les gars.
Okay. »
Leur conversation fut brutalement interrompue. Une partie des spectateurs se mit à hurler de joie, l’autre à protester. Dave Wilkinson était debout, hurlant après l’arbitre.
Ils se retournèrent pour voir ce qui se passait. L’arbitre était en train d’ignorer les protestations de l’autre équipe, et montrait le point.
Pénalty.
Larkin et Tony n’étaient pas très sûrs de ce qui s’était passé, mais Mick était par terre, près du but adverse, il se faisait remettre sur pied et féliciter par ses coéquipiers.
Ged était aussi debout, à crier, à leur dire qui devait le tirer.
Un des jeunes joueurs déposa le ballon, prit son élan.
Larkin, Tony, Claire et Ged regardaient, sans oser parler, sans vraiment oser respirer.
Le jeune type resta debout, les yeux rivés sur le ballon. Il respira fort deux ou trois fois, se frotta les mains. Il regarda les buts, vit le gardien, calcula l’angle. Il courut vers la balle, tira.
Lucarne gauche, droit dedans, avec le gardien qui plongeait à droite.
2-0 pour le CAT.
Cris et embrassades sur la ligne de touche. Dave Wilkinson cracha sur la pelouse, se rassit, bras croisés.
Vous comprenez, maintenant ? Vous voyez ?
Oui. »
Tony hocha la tête, sourit.
Bien. »
Larkin se rassit sur le banc pour regarder la fin du match.
Le but lui faisait vraiment plaisir, autant qu’au reste de l’équipe. Le succès était aussi le sien.
Lorsque la joie était retombée, il avait repensé aux paroles de Tony. Il y réfléchit plus profondément, les appliqua à d’autres sujets.
Je crois qu’il a raison. Je crois que c’est ce que je suis, pensa-t-il. Un observateur. Quelqu’un qui regarde. Quelqu’un qui est impliqué mais qui ne participe pas directement. Quelqu’un qui enregistre. Un chroniqueur. Comme un acteur qui regarderait la performance d’un ami d’un fauteuil d’orchestre gratuit. Parmi les spectateurs, mais pas tout à fait un spectateur. Pas passif, mais pas vraiment actif non plus.
Avant, j’étais un participant actif. Je n’ai pas toujours été comme ça, mais c’est ce que je suis devenu.
Peut-être que c’est mieux comme ça.
Peut-être que c’est plus sûr.
Il sortit l’appareil photo de son sac, visa, fit le point.
Il ne se passait rien devant lui, alors il le mit sur ses genoux, attendit.
Attendit que l’action revienne devant lui, qu’il y ait quelque chose à immortaliser.
Clic.
Eh bien, merci d’être venus. » Tony but un peu de son Coca, sourit. « À vous tous. Vous nous avez aidés à passer un bel après-midi. »
Il parcourut la pièce des yeux. Le bar du centre de loisirs de Coldwell : néons, meubles à structures tubulaires, murs beiges, tapis gris. Il y avait tellement peu d’atmosphère qu’ils auraient dû fournir des scaphandres d’astronautes, pensa-t-il.
Un buffet longeait un des murs. La nourriture était typique de la classe ouvrière : tourtes à la viande de porc, saucisses, sandwiches au pain de mie. Des sodas. Pas d’alcool.
Les invités : les membres de l’équipe du CAT, leurs amis et leurs familles, les adversaires et les leurs, le personnel du Centre, l’acteur célèbre, Stephen Larkin, Dean Plessey et d’autres conseillers municipaux. Des collègues à féliciter, des clients à encourager, des amis à remercier, des conseillers à caresser dans le sens du poil. Une fête où s’amuser, une foule à conquérir.
Il parlait, les remerciait chacun à son tour pour leur contribution, sortant de mauvaises blagues, acceptant de faibles rires en retour. Il regarda sa montre subrepticement.
Larkin but son Coca, écoutant à moitié. Claire capta son regard. Ils se sourirent.
Coup de sifflet final : 2-0 pour le CAT de Coldwell. Les joueurs, extatiques, avaient crié, exulté, étaient tombés dans les bras les uns des autres. C’était leur finale de la Coupe, leur Ligue des champions à eux. Et d’avoir battu la police rendait leur victoire encore plus belle.
Les adversaires s’étaient montrés beaux joueurs. Ils avaient échangé leurs maillots, leur avaient serré la main, avaient applaudi les spectateurs, applaudi les vainqueurs. La dernière fois qu’ils avaient vu ces gens-là, c’était quand ils les avaient arrêtés. Maintenant, ils s’étaient montrés supérieurs à eux. Le respect était un peu forcé, à contrecœur, mais il était apparent.
Puis retour aux vestiaires, les douches, et après, le bar, pour la réception. Larkin avait manqué le discours de félicitations d’après-match de Tony. Il ne pensait pas que sa modeste contribution l’autorisait à y assister.
Il était arrivé le premier et avait observé la pièce se remplir petit à petit. Dean Plessey et ses conseillers municipaux, qui allèrent droit vers le buffet, avec leurs bavardages sans intérêt, espérant qu’ils seraient sur la photo, dans le journal. Plessey évitait de croiser le regard de Larkin. Ils avaient entouré l’acteur, l’avaient encerclé en haut des marches, lui disaient à quel point il était bon dans ses téléfilms, espéraient qu’un peu de son charisme déteindrait sur eux. Il parvint à s’en dépatouiller, à s’en éloigner. Il était maintenant debout, à regarder la ville humide par la fenêtre. Il avait l’air perdu, sans public. Larkin s’approcha de lui.
Vous vous amusez bien ? » demanda Larkin, montrant les conseillers d’un coup de menton.
L’acteur sourit diplomatiquement.
Ça fait partie du boulot. »
Il scintillait quand il parlait. Larkin comprenait pourquoi il était devenu une vedette.
Larkin se présenta, expliqua ce qu’il faisait là.
Vous en faites beaucoup, des trucs comme ça ? demanda-t-il.
Pas mal, dit l’acteur. Quand c’est pour une bonne cause, comme celle-là. En plus, j’ai de la famille, par ici. Ça me rappelle mon enfance. »
Plus il parlait, et plus son accent de Geordie réapparaissait.
Et ces gars, sur le terrain, vous savez ? Je veux dire, moi, je suis allé directement de l’école aux docks. Et après ils ont fermé. Et si je n’avais pas eu du talent pour la comédie et un peu de chance en plus, j’aurais pu finir comme eux. Sauf qu’il y a eu une sorte de miracle, vous comprenez ? »
Larkin acquiesça.
La pièce avait commencé à se remplir. L’acteur alla parler à Tony. Larkin prit la direction du buffet, vit Mick debout avec une femme. Il emplissait son assiette à ras bord. Peu importait la quantité de bouffe que Mick pouvait engloutir, pensa Larkin, il ne pourrait jamais être rassasié, il ne serait jamais comblé. Les années l’avaient trop entamé, lui avaient enlevé des tranches de lui-même, comme un couteau d’une poire trop mûre, ne laissant que le trognon et les pépins.
La femme à ses côtés, cependant, compensait. Ce que Mick avait perdu, elle l’avait pris. Elle était grosse, mais dans un style inconfortable : son corps était volumineux, ses mains, poignets, pieds et chevilles étaient petits. Elle empilait la nourriture dans sa propre assiette. Visiblement plus par obligation que par plaisir.
Bien joué, Mick. Bravo. »
Mick sourit. Ses joues se creusèrent comme du papier.
Merci. » Il se tourna vers la femme à côté de lui. « Voici Angela. Mon épouse. Je te présente Stephen Larkin. Il est journaliste. Il travaillait avec Dougie Howden pendant la grève des mineurs. Maintenant il écrit un livre là-dessus. »
Angela, le visage dénué de toute expression, dit :
Bonjour.
Vous avez vu le match ? » demanda Larkin.
Elle se contenta de hocher la tête, en s’empiffrant.
Ouais, dit Larkin, se tournant vers Mick. Qu’est devenu Dougie Howden ? Est-ce que je pourrais l’interviewer ?
Seulement avec une voyante, dit Angela la bouche pleine.
Ah ! Je suis désolé, dit Larkin. C’est arrivé récemment ? Il n’était pas si vieux que ça.
Neuf mois après la fin de la grève. Cancer des poumons, ils ont dit. Ils ont dit que c’était la faute de la mine. Mais moi je crois que c’est la grève qui l’a tué. On aurait dit qu’il n’avait plus envie, après, vous voyez ? »
Angela opina, prit une bouchée de sa tourte à la viande de porc.
Mick soupira.
Dans tous les cas, c’est la mine qui l’a tué. Je vous ai bien dit que ça allait mieux sans la mine, non ? »
Il y avait quelque chose de sec et de dépourvu de toute joie de vivre chez ce couple, pensa Larkin. Mick, gris et sans ­substance, comme un fantôme ; Angela, enfournant mécaniquement la nourriture dans sa bouche, sans aucun plaisir. L’un essayait de disparaître du monde, l’autre cherchait à y occuper le plus de place possible.
Tony termina son discours. Applaudissements, puis de nouveau, conversations.
La fête battait son plein. L’équipe du CAT avait amené sa propre ambiance dans la pièce, avait remplacé la stérile tranquillité du début par une chaleur et une bonhomie temporaires. Temporaire parce que le bar retournerait à la normale lorsqu’ils partiraient, temporaire parce qu’il leur faudrait se lever le lendemain matin et reprendre le cours normal de leur vie. Plus des héros.
Mais le moment n’était pas encore venu.
La soirée n’était pas terminée. Partout dans la pièce, les frontières tribales s’estompaient. Les joueurs du CAT discutaient avec des policiers et, dans certains cas, avec des conseillers municipaux. Tony parlait avec Dean Plessey. Claire, entre eux deux, hochait la tête. Tony regardait subrepticement sa montre.
Aucun signe de Tommy Jobson.
Larkin, qui se retrouva à remplir son verre de Coca à côté de Dave Wilkinson, se présenta. Ils parlèrent. Le match. De choses et d’autres. Pour faire connaissance.
Alors vous faites quoi, ici, au juste ? demanda Wilkinson. Je sais que vous n’êtes pas d’ici.
J’écris un livre. Sur Coldwell. La grève, les mineurs et après. »
Wilkinson acquiesça.
À vrai dire, dit Larkin, Je me demandais si je pourrais venir vous parler un de ces jours ? »
Les yeux de Wilkinson s’étrécirent.
Pourquoi ?
Pour parler du rôle que joue la police maintenant. Comment les choses ont changé depuis la grève.
Je n’étais pas ici pendant la grève.
Non, mais vous êtes ici maintenant. »
Wilkinson ne dit rien.
Je ne vais pas vous piéger.
Pourquoi est-ce que je deviens méfiant quand un journaliste me dit ça ?
Posez la question à Tony, si vous voulez.
D’accord. »
Ils allèrent retrouver Tony. Plessey les vit arriver et s’éclipsa.
Tony, dit Wilkinson, ce journaliste me dit que je peux lui faire confiance. C’est vrai ? »
Ils parlèrent et plaisantèrent. Wilkinson donna sa carte de visite à Larkin, puis s’en alla.
Tony regarda de nouveau sa montre.
Bon, je crois que je ferais mieux d’y aller.
Tu ne viens pas boire un coup ? demanda Claire. Je pensais qu’on aurait pu aller prendre un verre tous ensemble après ça.
Désolé, dit Tony. Il faut que je rentre. J’attends un coup de fil important. »
Claire eut l’air déçu.
D’accord ». Elle se tourna vers Larkin. « Et vous ? »
Larkin la regarda. Un verre à la main, les épaules en arrière, les seins dressés sous son chemisier, une jambe tendue, l’autre pliée.
Ouverture, pensa-t-il, et sentit quelque chose remuer en lui. Le signal avait été reçu. Il appelait une réponse.
Ça marche pour moi. Je suis partant.
Bien. »
Tony alla dire au revoir à tout le monde et s’éclipsa.
Larkin regarda autour de lui. La fête tirait à sa fin. Les tribus se recomposaient, leur nombre déclinait.
Claire enfila son manteau.
Vous voulez aller où, alors ? »
Larkin haussa les épaules.
Je ne suis pas difficile.
À quel point ? »
Leurs yeux se croisèrent. Ceux de Claire étaient si grands qu’il aurait pu y tomber.
Allons-y. »
Tony était chez lui. Rideaux tirés, lumières éteintes. Assis dans un fauteuil, dans son salon.
Près du téléphone. Prêt, s’il sonnait.
Sa maison était ancienne, édouardienne. Dans la banlieue de Coldwell. Pas de femme, personne. Personne à retrouver, vers qui rentrer.
Il ne sentait pas la douleur dans sa jambe. Il avait pris quelque chose. L’effet s’atténuait, il se sentait agréablement engourdi. Il avait des picotements pas déplaisants.
Il regarda sa montre.
C’était l’heure.
Le téléphone sonna.
Il décrocha le combiné sans fil, laissa sonner trois fois, appuya sur le bouton.
La ligne s’établit, il était connecté.
Il n’entendait que le sifflement de la ligne. La respiration à l’autre bout.
Il ne dit rien. Il écouta, simplement, les yeux fermés.
Je suis là », finit par dire une voix.
Il ne dit rien.
Je sais que tu es là. Je t’entends respirer. Je me sens proche de toi, quand j’entends ça. Comme si tu étais avec moi. À côté de moi. »
Il ne dit rien.
Un soupir.
La dernière fois que nous étions ensemble, j’aurais voulu que ça ne s’arrête jamais. Je sais que toi aussi. Quand je suis avec toi, je me sens bien. Le temps passe tellement vite. Quand tu n’es pas là et que moi je suis ici… C’est comme si je n’étais jamais partie. Ça dure si peu longtemps, quand je me sens bien. » Un rire. « Je suis comme un de tes clients. J’ai besoin de ma dose. De plus en plus souvent.
Mais c’est de plus en plus difficile. En fait, je crois que ça s’aggrave. Les jours s’accumulent. Et ils n’ont aucun sens. Ils prennent de la place dans la mémoire, c’est tout. Ils prennent la place des bons moments. Et moi, j’ai besoin des bons moments. J’ai besoin de m’en souvenir. J’ai besoin de savoir qu’il y en aura d’autres. Qu’ils reviendront. Ils reviendront, n’est-ce pas ? »
Il ne dit rien.
Désolée. Je sais. Pas de questions. C’est mieux comme ça. Je sais. Mais ce n’est pas facile. Ce n’est pas pour toujours. Je n’arrête pas de me dire que ce n’est pas pour toujours. Quelques mois, au pire. Après, on sera vraiment ensemble. Peut-être tous ensemble. »
Un hoquet.
Désolée. Je ne peux pas m’en empêcher. Je le regarde et je pense… Ça devrait être toi, ici. J’aimerais qu’il soit mort. »
Silence sur la ligne. Seulement la respiration.
Parfois, je n’arrive pas à croire que ça se passe comme ça. Qu’on en est arrivés là. Je me demande comment c’est possible. Les erreurs qu’on commet, les chemins qu’on est obligés de prendre.
Je peux te parler. J’ai toujours pu. Je pouvais te parler des choses de tous les jours. Avant, je les mettais de côté dans ma tête pour te les raconter, je pensais à ce que j’allais te dire. Mais je n’ai plus besoin de faire ça, maintenant. Je n’ai pas envie de parler des choses sans importance. J’ai besoin de parler des choses importantes. De l’amour. Du vide. C’est un cœur brisé. Deux cœurs brisés. Mais c’est marrant, tu ne crois pas ? Quelque chose de brisé peut être en même temps ­complet. Comme ça. Il y a l’éloignement, la distance physique, entre nous. Mais en même temps, je me sens proche de toi. Je me sens comme ça quand on est ensemble. On est là, mais on n’est pas là. C’est un paradoxe, tu ne crois pas ? Je ne sais pas. »
Il ne dit rien.
Je suppose que c’est l’heure d’y aller. Tu m’appelles, la prochaine fois. Tu sais quand. »
Un autre soupir.
J’ai hâte d’entendre ta voix. Mon cœur est toujours à toi. Tu me plais toujours.
Je t’aime.
Appelle-moi bientôt. Bonne nuit. Je serai avec toi. »
Le téléphone mourut dans sa main.
Bonne nuit, dit-il. Je t’aime aussi, Louise. »
1Wilco : groupe de rock américain.
2« When You Wake Up Feeling Old » : chanson du groupe Wilco.
3RCP : Revolutionnary Communist Party (Parti communiste révolutionnaire).
4SWP : Socialist Workers Party (Parti socialiste des travailleurs).
5WRP : Workers Revolutionnary Party (Parti révolutionnaire des travailleurs).
6The Redskins : groupe de punks anglais, musicalement assez effro­yable, associé à la mouvance des « redskins », ou skinheads « rouges », c’est-à-dire sympathisants anarchistes et communistes. Plusieurs membres du groupe appartenaient d’ailleurs au SWP. Ils prenaient violemment position contre les skinheads néonazis ainsi que contre la politique économique de Margaret Thatcher.
7« Meat is Murder » : viande = meurtre, titre d’un morceau de The Smiths.
8Wham : groupe de pop anglaise légère, populaire dans le monde entier pendant les années 1980, qui a rendu célèbre George Michael.
9Storm Troopers : soldats aux armures blanches de l’Empire dans La Guerre des étoiles.
10Steve Cram (né en 1960) : athlète britannique, coureur de demi-fond, champion d’Europe et champion du monde du 1 500 mètres.
11Grand National : célèbre course hippique, qui a lieu depuis 1836.