« Voi-voilà notre homme. »
La BMW était garée en face des portes du terrain d’entraînement du Newcastle United, à Chester-le-Street. Les joueurs accomplissaient leurs exercices. En crampons et survêtement, ils slalomaient entre les cônes, sprintaient, joggaient et s’étiraient.
Nev grogna.
Quelle bande de tapettes ! Regarde un peu leurs cheveux.
T’es pas un fan, Nev ? »
Nev haussa les épaules.
C’est plus un sport d’hommes. »
Tommy sourit.
Quand on au-aura fini, notre ho-homme ne jouera plus à aucun jeu. »
Nev grogna, haussa les épaules.
Donne-lui une bo-bonne leçon. »
Tony finit de s’entraîner, prit une douche. Il se sentait bien, heureux. Et son euphorie ne venait pas seulement de l’exercice physique. Il ne s’entraînait plus avec la réserve. Big Jack l’avait mis avec l’équipe première. Cela le faisait se sentir tout joyeux et irradiait de la chaleur en lui. L’équipe première. Son avenir : ici et maintenant. C’était en train d’arriver.
Il s’habilla, jeta son équipement dans son sac de sport, prit la direction du parking.
Il déverrouilla sa portière, balança le sac sur la banquette arrière, leva les yeux.
Merde. »
La joie et la chaleur disparurent, remplacées par quelque chose de plus amer et frissonnant.
Tommy Jobson et Nev traversaient le parking, venaient dans sa direction. Tommy arborait son sourire de requin, Nev était égal à lui-même, colossal, aussi dangereux et inquiétant qu’un supertanker hors de contrôle.
Sa-salut, Tony. Comment ça-ça, va ? »
Tony les dévisagea, fit bonne figure. Espéra que le tremblement soudain de ses jambes ne se voyait pas.
Salut, les gars », dit-il. Sa voix sonnait un peu aiguë, serrée et étranglée, à ses propres oreilles. « Qu’est-ce qui vous amène ? Vous chassez les autographes ?
On-on s’intéresse pas aux autres. Ju-juste à toi. »
L’estomac de Tony fit une pirouette. Il essaya de sourire.
Je ne peux pas vous avoir d’abonnements, si c’est ce que vous voulez. »
Tommy rigola. C’était un rire forcé et dur, arraché à ses entrailles comme de la morve toxique.
Non, c’est toi que nous-nous voulons. On a une pro-proposition pour toi. C’est M. Fairbairn qui nous envoie. »
Tony trembla intérieurement.
Non, dit-il. Quoi que ce soit, la réponse est non.
Écoute d’abord, et dis non après. »
Tony aurait voulu être ailleurs.
On a trouvé un moyen pour que tu puisses continuer à jouer au football tout en travaillant pour nous.
Pas intéressé. Désolé. »
Tony secoua la tête, essaya de monter dans sa voiture. Nev mit sa grosse patte sur le montant de la portière, l’en empêcha. On aurait dit qu’il aurait pu arracher la portière d’une seule main.
Écoute-nous. »
La voix de Tommy était tranchante et pleine de confiance en lui.
Il y a un tas de nouveaux marchés qui s’ouvrent. Des tas de fric à se faire pour un jeune type intelligent, ambitieux et entreprenant, exactement comme toi. Prends ton équipe, par exemple. Des hommes jeunes qui gagnent bien leur vie. Pourquoi ne pas leur donner de quoi passer du bon temps ?
Pas intéressé.
Pas besoin que ça gêne ta carrière. Ça pourrait être un petit à-côté très pro-profitable. »
Tony déglutit bruyamment.
Combien de fois faut-il que je vous le dise ? Ça ne m’intéresse pas.
Mais, Tony…
Écoute, Tommy. Je croyais qu’on avait un accord. Je croyais que ce que j’avais fait pour toi appartenait au passé. »
Tommy haussa les épaules, sourit.
Pas du tout. »
Les mots mirent Tony en colère. Il eut une montée d’adrénaline, un sursaut de force. Se battre ou s’enfuir.
En ce qui me concerne, c’est le cas. Je ne te dois rien. » Il regarda Nev, puis Tommy. « Dis à ton gorille domestiqué d’enlever ses pattes de ma voiture. Et dégagez tous les deux. J’ai un rencard. Et je n’ai pas envie de faire attendre la dame. »
Nev bougea le bras, vers l’arrière, prêt à frapper Tony. Mais Tommy leva la main, l’arrêta.
Laisse-le partir, Nev. »
Nev baissa le bras mais ne se détendit pas.
Tony monta dans sa voiture, démarra et conduisit aussi vite qu’il le put.
Nev se tourna vers Tommy, de la colère et de la violence dans les yeux.
Tu l’as laissé partir. »
Tommy acquiesça, sans quitter des yeux la voiture qui s’éloignait.
Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu te ramollis ? »
Tommy se tourna vers lui. La lame qu’il gardait toujours dans sa manche se matérialisa dans sa main.
Ne me redis jamais ça. Jamais. Tu piges ? »
Nev vit qu’il n’était qu’à quelques secondes de la mort. Il eut peur. En dépit de sa taille et de sa force, il lui manquait quelque chose que Tommy avait. Ou plus exactement, il avait quelque chose que Tommy n’avait pas.
Oui, Tommy. Excuse, Tommy. »
Le volcan à l’intérieur de Tommy se calma. La lame disparut.
Bon, dit-il. Bon. Je ne l’ai pas laissé partir, Nev. Je lui ai juste donné une dernière chance de se sauver lui-même. Ce qui arrive à partir de maintenant, c’est de sa faute.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
M. Fairbairn a dit qu’il voulait faire un ex-ex-exemple de quelqu’un. Envoyer un message. Pour que les autres se tiennent tranquilles.
On va le suivre, alors ?
Pas besoin, Nev. Je sais où il va ce soir.
Où ça ?
Il a dit qu’il avait un rencard. Ça doit être avec sa petite amie. Et il se trouve que je sais où elle habite. »
Nev le regarda. Tommy sourit.
Retournons à la voiture, Nev. On a une gro-grosse soirée devant nous. »
Louise était sortie de la douche, se séchait les cheveux avec une serviette, en écoutant une cassette de Bronski Beat qui lui disait de s’enfuir, de s’en aller, de s’enfuir
1.
Elle n’était pas maquillée, et ne portait qu’une serviette-éponge blanche. Elle se sentait détendue, à l’aise avec elle-même. Elle était seule. Rachel était sortie directement après la fac.
Elle n’attendait qu’une seule personne.
Tony.
Il était la raison pour laquelle elle se sentait si bien. Elle adorait sa vie, le présent. Et elle pouvait voir l’avenir, son avenir, avec lui.
Et elle ne l’en aimait que davantage.
Elle retira sa serviette, se tint face au miroir, chassa une bulle de shampooing.
La sonnette retentit.
Louise regarda sa montre. Il était en avance.
Elle se redressa, alla vers les escaliers, commença à descendre. La dernière fois qu’il était arrivé en avance et qu’elle n’était pas prête, ils avaient finalement été en retard pour sortir.
Elle sourit à ce souvenir, ouvrit la porte.
Eh bien, dit-elle, tu es encore arrivé avant que je ne m’habille. Alors… »
Elle s’arrêta net.
Ce n’était pas Tony. C’étaient deux hommes, un jeune avec un beau costume ajusté, un plus vieux et plus costaud, en blouson de cuir. Le plus jeune sourit.
Eff-effectivement. Lou-Louise Larkin ? »
Elle serra instinctivement sa robe de chambre contre sa poitrine.
Oui ?
Nous sommes des amis de Tony. Pouvons-nous entrer et l’attendre, s’il vous plaît ? »
Le plus jeune souriait, poli, mais il n’avait rien de chaleureux. Il était comme de la glace.
Elle sentit qu’il y avait un problème, essaya de refermer la porte, de les empêcher d’entrer. Ils l’ignorèrent. Le plus grand des deux l’attrapa par le bras, le lui tordit derrière le dos, lui fit remonter les marches. Le plus jeune entra, ferma la porte derrière lui.
Toute l’affaire, entre le moment où la porte s’était ouverte et fermée, n’avait duré que quelques secondes. Louise n’eut pas le temps de penser, de crier, ou de fermer la porte.
Nev l’accompagna dans le salon, la poussa sur le canapé.
Elle s’assit, en frottant son bras douloureux, ses yeux allant nerveusement de l’un à l’autre. Elle avait peur. Son cœur essayait de s’échapper de son corps.
Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? »
Elle était au bord de l’hystérie.
Je vous l’ai déjà expliqué, dit Tommy. Nous sommes des amis de Tony. Des partenaires en affaires. Je m’appelle Tommy. Voici Nev. On veut juste lui parler. »
Louise regarda le plus costaud. Quelque chose dépassait de sa poche.
Qu’est-ce que c’est ? » dit-elle.
Nev sortit l’objet, le lui montra.
Un marteau », dit-il.
En voyant cela, elle se sentit comme si on l’avait entièrement désossée. Sa chair trembla comme une méduse électrocutée.
Ma colocataire est ici », dit-elle. Elle avait du mal à respirer.
Nous savons que ce n’est pas le cas, donc ne mentez pas.
Je vais crier.
Mais non. »
Elle jeta un regard désespéré sur le téléphone. Nev le vit, alla jusqu’au téléphone, l’arracha du mur.
Louise serra plus fort sa robe de chambre contre elle. Elle baissa la tête, les yeux fermés.
Je vous en supplie, faites ce que vous voulez, et partez. Je vous en supplie.
Je vou-vous ai dit. On doit attendre Tony.
Mais qu’est-ce que vous lui voulez ? Il est joueur de football.
Pas toujours. Il travaillait pour moi, dans le temps.
Il faisait quoi ? »
Tommy leva une main jusque sous son nez, renifla. Malgré la peur, Louise fut choquée.
Non.
Oh, si-si.
Je ne vous crois pas. »
Tommy haussa les épaules.
Je m’en-m’en fous. »
Louise regarda la pièce. Elle regarda les portes : si elle en était loin, les obstacles qu’il y avait sur le chemin, si elles étaient fermées à clef ou non.
Nev s’était assis ; Tommy était debout près de la cheminée. Si elle courait vers la porte d’entrée, il l’aurait avant. Sa seule chance était la porte à l’arrière de la maison. Elle pouvait tenter sa chance en espérant que Nev serait trop lent pour l’attraper. Il était très costaud. Il devait être lent.
Elle essaya de prendre l’air détendu, espéra que cela lui donnerait l’air un peu moins incontrôlable, plus obéissante. Son silence, se dit-elle, les ferait se détendre aussi.
Elle baissa les épaules, pensant que cela lui donnerait l’air résigné. Il sembla que les deux hommes se relaxèrent un peu en voyant cela. Elle pensa que c’était sa chance.
Elle sauta sur ses pieds, fit le tour du canapé, traversa la cuisine jusqu’à la porte. Mit sa main sur la poignée, tourna la clef. Tourna la poignée.
Une paire de bras massifs l’enserra, la broya, lui fit expulser tout l’air de son corps, comme un boa constrictor.
Elle se débattit, donna des coups de pied en arrière. Elle sentit sa robe de chambre s’ouvrir, dénudant son corps. Elle l’ignora. Bien que la porte fût déverrouillée, elle savait qu’elle n’aurait pas de seconde chance.
Nev la fit pivoter, l’obligea à rebrousser chemin jusqu’à Tommy. Qui était debout, amusé.
Ça, c’était idiot, non ? »
Elle ouvrit la bouche pour crier. Nev la lui ferma avec une de ses mains, de la taille d’une patte d’ours.
Tu crois qu’on rigole, là, hein ? »
Tommy trouva la chaîne stéréo, haussa le volume.
Ses yeux s’étaient aplatis. Ils étaient froids, plus durs que jamais.
Comme un lézard, dans
V2, pensa-t-elle.
On est sérieux, connasse. Je vais devoir te montrer à quel point. »
Un couteau apparut dans la main de Tommy.
Les yeux de Louise s’écarquillèrent de terreur. Elle se débattit, donna des coups, mais c’était en pure perte.
Tommy approcha le couteau.
Louise sentit l’urine qui lui coulait le long de la jambe. Elle se débattit de plus belle, désespérément, pour se dégager. Sa bouche s’approcha de la main de Nev. Elle la mordit, de toutes ses forces.
Salope ! »
Nev la lâcha. Elle essaya de courir encore, mais Nev l’attrapa par le bras, l’obligea à se retourner. Il lui donna un coup de poing en pleine figure. Sa tête partit en arrière, elle s’effondra. Sa tempe heurta la cheminée dans sa chute.
Tommy soupira, rangea son couteau.
Ah ! Merde ! dit-il.
Quoi ? dit Nev.
Pourquoi t’as fait ça ?
Cette salope m’a mordu la main. »
Tommy semblait en colère contre lui-même.
Je peux rien leur faire quand ils sont dans les pommes.
Elle s’est pissé dessus et tout, dit Nev.
File-moi un coup de main. »
Nev aida Tommy à allonger Louise sur le canapé. Nev l’observa. Ignora la tache ensanglantée sur le côté de sa tête, le gonflement de son visage. Se concentra sur la robe de chambre ouverte et ce qu’il y avait dessous. Beaux nichons. Jolie chatte. Sa queue commença de durcir.
Peut-être que toi, tu ne peux rien faire, mais moi, oui. »
Nev baissa sa braguette.
Arrête », dit Tommy.
Nev le regarda, perplexe.
C’est quoi ton problème, dis ? Tu allais la charcuter il y a pas plus tard qu’une minute. »
Tommy regarda le corps évanoui de Louise. Elle était tentante. Mais il avait raison de ne pas la toucher. De ne pas abuser de la situation. C’est ce que Frank aurait dit. Dino aussi. Et pour lui, c’était amplement suffisant.
Non, je n’allais pas la charcuter. J’allais juste lui fai-faire peur. Les vrais hommes ne font pas ça aux femmes. Et puis de toute façon, on est là pour lu-lui, pas pour elle. »
Nev eut une sorte de petit reniflement de dégoût dont il espéra que Tommy ne l’avait pas entendu, puis s’assit dans le fauteuil.
Tommy rajusta la robe de chambre de Louise. Elle avait un très beau corps, cela ne faisait aucun doute. Mais sans l’étincelle de la vie, sans cette animation, pensa Tommy, cela ne valait rien.
Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? » dit Nev.
Tommy s’assit à côté de Louise.
On attend. »
Keith tournait fiévreusement les pages de son livre, les arrachant presque, cherchant désespérément un précédent.
Il n’y en avait aucun.
Il n’avait jamais vu ces deux hommes auparavant. Il en était certain.
De la ruelle, il n’avait pu voir que l’arrière de leurs crânes, mais il savait qu’il ne les connaissait pas.
La façon dont ils étaient entrés était aussi très étrange. Peut-être pas pour un observateur lambda, pour qui il n’y aurait sûrement rien eu d’anormal, mais Keith était plus que cela. Il avait l’impression qu’ils avaient poussé Louise à l’intérieur, l’avaient forcée à rentrer chez elle. Il n’en était pas sûr à cent pour cent, mais c’était bien ce qui semblait.
Peut-être étaient-ils des cambrioleurs et était-elle en danger.
Ou des violeurs.
Ou peut-être Woodhouse avait-il parlé d’elle à ses copains et ils en voulaient tous leur part.
Oui, pensa-t-il, les joues en feu, ça devait être ça.
Il continua de feuilleter son livre, plus lentement maintenant, en sachant qu’il ne trouverait rien. Il soupira, le posa sur le siège passager.
Il observa.
Et s’interrogea.
Pianota une rythmique disco sur le volant.
Que se passait-il, là-bas ? Quelque chose dont il devait s’inquiéter ? À quoi il devrait participer ? Ou qu’il devrait mater ?
Mater.
Il commençait à faire nuit, mais pas assez pour qu’on ne le remarque pas. Il pouvait attendre. Prendre son temps. Voir comment ça allait tourner.
La voiture de Woodhouse se rangea le long du trottoir.
Keith gigota dans son siège, se pencha en avant.
Ça devenait intéressant.
Woodhouse verrouilla sa portière, sonna à la porte. Qui fut ouverte par le plus grand des deux hommes. Woodhouse eut l’air choqué de le voir, commença à crier.
Keith se concentra, plissa les yeux. Mais il ne pouvait rien entendre de ce qu’ils disaient.
Le costaud fit signe à Tony d’entrer. Woodhouse entra, la porte se referma derrière lui.
Keith respirait bruyamment.
Tout cela réduisait à néant la logique accumulée au fil de son livre.
Keith observa.
En attendant de voir ce qui allait se produire.
Salut, Teu-Tony.
Qu’est-ce que vous lui avez fait, putain ? »
Tony essaya de courir à l’autre bout de la pièce, vers le corps inconscient de Louise, sur le canapé. Nev l’attrapa, l’enserra dans une étreinte d’ours, l’empêcha de bouger.
Lâche-moi, connard ! »
Tommy se mit debout.
Arrête de gueuler, Teu-teu-Tony. On veut pas que les voi-voi-voisins entendent. »
La lame apparut dans la main de Tommy. Il la tint près du visage de Louise, sourit.
Ar-ar-arrête de gueuler, Tony. »
Tony se tut, cessa de se débattre.
C’est mieux.
Salaud. » La voix de Tony était sourde, pleine de colère. « Tu t’attaques aux femmes, maintenant ? Espèce de merdeux. Un dur comme toi, s’en prendre à une fille…
Elle s’est évanouie, Tony. On lui a pas fait de mal. » Tommy joua avec son couteau. « Pour l’instant. »
Tony respirait fort. S’il l’avait pu, il les aurait tués tous les deux. Ou aurait essayé.
Tommy s’assit, tapota la jambe de Louise.
Ce qui se passe après, Tony, dépend entièrement de toi. Je voudrais te poser quelques qu-qu-questions. Tu écoutes ? »
Tony ne dit rien.
On va dire que c’est oui. Boh-bon. Alors, je t’offre l’opportunité de gagner beaucoup d’argent. Cocaïne. La prochaine mode. Alors… » Il regarda son reflet dans la lame. « Tu marches ou tu marches pas ?
Je marche pas.
Prends ton te-temps. Ré-ré-réfléchis bien.
C’est fait. Je marche pas. Maintenant va te faire foutre.
Désolé, Teu-Tony. Ça ne marche pas comme ça. Oui, nous allons partir. Mais, tu vois, M. Fairbairn veut que je fasse un exemple. Avec quiconque ne veut pas rejoindre notre empire. Envoyer un message clair. Tu comprends ? »
Tommy fit un geste avec son couteau vers Louise.
Ta jolie copine ? » Il pointa son couteau vers Tony. « Ou toi ? »
Tony le fixa. Ses yeux brûlaient de haine. Son cœur éclatait de peur.
Espèce de salopard. Espèce de malade de salopard. »
Les yeux de Tommy s’étrécirent. Sa voix se durcit.
Je t’offre une chance, connard. C’est plus que ce que je donne à la plupart des gens. »
Tony ne dit rien.
Je vais te dire, Tony, dit Tommy, mettant la main dans sa poche. On va tirer ça au sort. » Il sortit une pièce de dix pence, la fit tournoyer en l’air, la plaqua, cachée, sur le dos de sa main qui tenait le couteau. « Pile ou face ? »
Tony le fixa.
J’ai dit pile ou face, connard. »
Tony grogna de douleur quand les bras de Nev compressèrent ses côtes plus fort. Un tout petit peu plus et elles craquaient.
Pile ou face ?
Pile. »
Tommy regarda la pièce, soupira.
Ah, bah », dit-il, et la remit dans sa poche.
Il fit un signe de tête à Nev.
Tony sentit que l’étreinte se desserrait d’un côté de son corps. Un bras de Nev s’était dégagé. Puis il sentit une douleur pénétrante, aiguë, dans son rein droit. Nev l’avait frappé. Il s’arc-bouta sous l’effet de la douleur. Nev enleva son autre bras et il tomba par terre. Il ne pouvait pas bouger. La douleur était indescriptible. Nev lui balança un bon coup de pied pour être sûr.
Puis il sentit une boule de tissu qu’on lui enfonçait de force dans la bouche. Il ne pouvait pas parler, il ne pouvait pas respirer.
Jusque-là, on a été bien calmes. Ce serait do-do-dommage d’inquiéter les voisins maintenant. »
Tommy fit de nouveau signe de la tête à Nev qui sortit le marteau de son blouson.
Tony essaya de bouger, essaya de crier.
Il ne pouvait faire ni l’un ni l’autre.
Tu pe-pe-peux considérer que notre partenariat est rompu. Ton compte de tout solde t’est donné par le directeur général. »
Nev abattit le marteau sur le genou de Tony.
Feu d’artifice.
Puis un froid de glace.
Puis une douleur infernale.
Puis plus rien.
Keith observa les deux hommes qui partaient.
Ils montèrent dans leur BMW, s’en allèrent.
Keith avait besoin de savoir ce qui se passait. Il devait.
Woodhouse était toujours à l’intérieur. Avec Louise.
Keith avait besoin de voir.
Il sortit de sa voiture, la verrouilla, regarda alentour.
Soulagé d’être seul, il alla jusqu’à la porte de derrière, ce qu’il avait fait la veille était déjà devenu un rituel.
Il compta les portes.
Ouvrit le loquet avec sa main droite.
Posa d’abord son pied gauche sur le seuil.
Rituel. Reconstituant les mêmes conditions. Pour reproduire le même succès.
Il traversa la cour, priant pour rester invisible aux yeux des occupants du rez-de-chaussée.
Monter l’escalier en bois, les pas légers et furtifs.
À la porte, l’oreille collée contre la vitre, à l’affût.
Pas de conversation. Pas de mouvements. La stéréo à fond, avec les Smiths qui demandaient : quelle différence ça fait ?
Keith regarda vers les fenêtres de la chambre. Vit les rideaux tirés et le lit fait.
Son cœur battait plus vite, et ce n’était pas seulement dû à son voyeurisme habituel.
Il y avait quelque chose qui n’allait pas, à l’intérieur. La visite des deux hommes le confortait dans cette idée.
Sa respiration était saccadée, il essaya la poignée de la porte.
Elle tourna.
Les jambes tremblantes, la poitrine haletante, les mains moites, il ouvrit la porte, la poussa en grand, entra.
La cuisine avait l’air normal. Des assiettes sur le séchoir, des tasses et des bols dans l’évier. Exactement comme il l’avait vue la dernière fois.
Il alla dans le salon.
Et s’arrêta net.
La pièce avait été saccagée. Comme pour un cambriolage qui aurait mal tourné. Woodhouse était allongé par terre, une jambe tordue, du sang sur son jean, dans une pose bizarre au pied des escaliers. On aurait dit qu’il avait de la bave aux lèvres, jusqu’à ce que Keith se rende compte que c’était une sorte de bâillon.
Louise était allongée, la robe de chambre ouverte, les yeux fermés, sur le canapé. Immobile. Inconsciente. Ou morte.
Keith était debout au milieu de la pièce, essayait de répertorier les émotions qui le submergeaient.
Woodhouse, l’homme qui lui avait volé Louise, était maintenant allongé, sans défense ou mort, à ses pieds.
La robe de chambre ouverte. Les yeux fermés.
Il traversa la pièce et s’agenouilla à côté d’elle. Sa poitrine montait et descendait. Elle était vivante.
Keith sourit, vraiment content pour elle. Le soulagement l’envahit. Elle était là, magnifique et vivante.
Magnifique.
Il tendit la main, caressa la douce peau de sa joue du revers de la main.
Magnifique.
Il laissa sa main descendre le long de son cou jusque sur sa poitrine, ses doigts suivirent les courbes de ses seins. Ses tétons.
Magnifique.
Sa queue se tendit, réclama d’être libérée pour sa petite amie. Keith se caressa d’une main, tandis que son autre main se promenait sur le corps de Louise, son ventre, puis se reposa sur ses épais poils pubiens.
Il haletait, maintenant. Se branlait furieusement.
Derrière lui, Woodhouse poussa un grognement étouffé.
Keith se tourna, pétrifié. Les yeux de Woodhouse étaient toujours fermés, son front plissé à cause de la douleur. Keith ne voulait pas de cet homme, cet intrus, dans la même pièce que sa petite amie.
La colère monta en lui, il alla jusqu’au corps et le hissa dans l’escalier. Woodhouse était plus lourd que ce qu’il avait cru, et cela lui demanda un effort tel qu’il en perdit son érection.
Keith arriva en haut des marches. Il s’agenouilla et poussa.
Le corps de Woodhouse dégringola lentement, se coinça dans l’escalier avant d’arriver tout en bas.
Keith se redressa, sourit. Content de lui. Content d’être un homme capable d’affronter son ennemi. Fier de son succès, il se tourna vers Louise, dont la robe de chambre était toujours ouverte, les yeux toujours fermés.
Magnifique.
Sa petite amie. Sa femme. Avec son rival hors course, il n’y avait plus de concurrence.
Keith retourna près de Louise. Le cœur palpitant d’amour. La queue pleine de luxure.
Il sourit. Peu importait qui étaient ces deux hommes, il aurait voulu les remercier. Parce qu’ils les avaient réunis, Louise et lui.
Il déboutonna son pantalon, le baissa, sortit sa queue.
Il se pencha sur elle, lui écarta les jambes, la pénétra.
Elle était sèche, fermée. Il allait y remédier. Elle serait bientôt dans l’ambiance.
Il la besogna, fort. Les yeux fermés.
Tu m’appartiens…
En avant. Fort.
Tu devrais être avec moi. Pas avec lui.
Tout au fond. Et encore.
Je t’aime.
Et encore.
Je t’aime.
Et encore.
Il ouvrit les yeux. Et sursauta sous l’effet du choc.
Les yeux de Louise étaient ouverts, le fixaient.
Il sentit son visage rougir, essaya de sourire. Essaya de trouver des mots à dire.
Mais il n’en eut pas besoin. Ses yeux se refermèrent. Elle s’était évanouie à nouveau.
Le soulagement le parcourut.
Il recommença à la besogner, avec une vigueur renouvelée.
Fort.
Je t’aime.
Fort.
Je t’aime.
Fort.
Il jouit. Son corps se tordant et se crispant, perdant presque connaissance.
C’était le meilleur orgasme de toute sa vie.
Il ouvrit les yeux. Ceux de Louise étaient toujours fermés. Elle était toujours inconsciente.
Bien.
Il se dégagea d’elle, se rhabilla, regarda la pièce.
Regarda Louise.
Et fut submergé par une soudaine honte postcoïtale.
Il essaya de chasser ces idées-là de sa tête et de se concentrer sur d’autres, plus positives.
C’était de l’amour.
Ce qu’il venait de faire, c’était l’amour.
Il remit la robe de chambre sur le corps de Louise, la recouvrit.
Il regarda Tony Woodhouse, recroquevillé à mi-hauteur de l’escalier et sentit une pointe d’inquiétude. Peut-être l’avait-il tué.
Non pas que cela aurait dérangé Keith, mais il n’avait pas envie d’aller en prison pour cela.
Il alla dans les escaliers, regarda le corps. Il n’y avait aucune chance qu’il puisse le hisser à nouveau en haut des marches, mais il pouvait le mettre dans une position moins inconfortable.
Il enleva le bâillon de la bouche de Woodhouse et reposa délicatement la tête.
Il retourna en haut et regarda dans la pièce à la recherche du téléphone. En voyant que les fils en avaient été arrachés, il décida qu’il était temps de partir.
Il trouva une cabine téléphonique, composa le 999. Leur dit où et qui. Raccrocha quand on lui en demanda davantage.
La conscience tranquille, il retourna à sa voiture dans l’allée pour attendre et observer.
Il n’eut pas à attendre longtemps. Une ambulance arriva en moins de dix minutes, libérant des infirmiers galopant qui s’engouffrèrent dans l’appartement, en ressortirent en portant deux corps sur des brancards avec des masques à oxygène plaqués sur la figure.
Vivants. Tous les deux.
Keith soupira.
Les portes de l’ambulance se refermèrent. Elle démarra, sirène hurlante.
Keith démarra, prêt à suivre. Prêt à découvrir à quel hôpital Louise allait être conduite.
Il sourit.
Se demanda quel genre de fleurs apporter à sa petite amie lorsqu’il irait lui rendre visite le lendemain.