II

 

Le piano mécanique, dernier cri de la technique musicale, résonnait merveilleusement. La flûte de la jeunesse d’Ilya Pétrovitch, la voix agréable de Mme Tchaïkovski, n’étaient plus que des souvenirs. Fanny ne savait pas ce qu’était la musique ; elle ne s’occupait que de la santé physique et morale des enfants. Comme dans chaque maison, il y avait à Votkinsk un piano à queue et, parfois, un visiteur aimable jouait quelque polka ou autre danse bruyante. Mais jamais le jeu humain n’avait touché Pierre comme cette musique mécanique. Il l’écoutait, plus conscient chaque jour. Et, tout à coup, il entendit l’air de Zerline, de Don Juan. Toute sa vie il se souviendra de cette impression, de ses larmes, de son bonheur, de son angoisse. Il n’avait pas encore cinq ans.

Les rouleaux étaient nombreux et variés : fragments d’opéras de Mozart, de Rossini, de Bellini, de Donizetti. Les sons seuls l’émouvaient, mais quand venait Vedrai carino, “l’extase sacrée” s’emparait de lui, cette même extase qu’il connaîtra vingt ans plus tard, lors de ses premiers essais créateurs. Son émotion était si violente que Fanny devait le prendre dans ses bras et l’emporter à l’entresol. Mais là, il écoutait encore cette musique qu’il ne pouvait plus entendre ; ses doigts jouaient dans l’air, et il ne voyait plus rien autour de lui.

C’est la mère qui, la première, lui approcha les mains du clavier et lui fit jouer les gammes. Il retrouva l’air de Zerline. Tout le monde vint l’écouter. On rit beaucoup, et en même temps on s’étonna. Pierre avait de l’oreille ! Fanny était la plus émue. C’était maintenant elle, et non la mère, qui se demandait : N’est-ce pas trop tôt ? Mais il était impossible d’éloigner l’enfant du piano et, si on le faisait, il continuait à tambouriner sur n’importe quoi, sur les tables, les divans, les carreaux. Un jour, en jouant un forte, il brisa la vitre, se blessa et fut puni.

Mais une idée germa dans l’esprit d’Ilya Pétrovitch, et on décida d’inviter une certaine Maria Markovna, professeur de piano à Votkinsk, à donner des leçons à Pierre. Ceci se passait un an après l’arrivée de Fanny.

Fille de serf, sans aucune instruction, Maria Markovna avait appris à jouer du piano tant bien que mal. Elle n’aimait pas jouer devant quelqu’un et, en société, perdait tous ses moyens. Pendant trois ans, elle donna des leçons à Pierre, qui, très vite, déchiffra mieux qu’elle. Ils devinrent amis. On ne sait pas très bien ce qu’elle lui jouait. Fanny surveillait jalousement ces leçons, et parfois le désespoir s’emparait d’elle. Serait-ce possible que son petit garçon, son préféré, devienne musicien et non maréchal ou ministre ? Elle le suppliait de moins penser à la musique. Les leçons, passe encore, puisque Maria Markovna venait ! Mais il y avait d’autres distractions pour les heures de loisir ; elle en connaissait, elle en inventait, depuis les déguisements jusqu’aux feux d’artifice ! S’il veut absolument être artiste, alors qu’il soit poète. Ah ! Peut-être serait-il quand même un nouveau Pouchkine !

Fanny parlait ainsi non seulement parce qu’elle était insensible à la musique, mais parce que Pierre subissait trop violemment son emprise, surtout après ses “improvisations”. La nuit, les crises de larmes revenaient, de plus en plus fréquentes. Dans ses insomnies, il criait : “Ah ! cette musique ! Cette musique !”

— Il n’y a pas de musique, on n’entend rien, lui disait Fanny en le serrant contre elle. Mais il ne pouvait plus supporter ces sons, qu’il était seul à entendre.

— Elle est là ! Là ! sanglotait-il en se tenant la tête. Elle ne me donne pas de répit.

Mais, à travers les insomnies, les leçons de chaque jour, les promenades, les jeux, se faisait de plus en plus forte la joie orgueilleuse d’avoir trouvé quelque chose qu’il cherchait depuis longtemps, qu’il cherchait au-delà du souvenir de soi-même. Sa mémoire d’enfant de six ans creusait l’obscurité du passé inconnu, et voilà que quelque chose se trouvait, s’éclairait. On l’écoutait. Il pouvait s’exprimer dans ce langage étrange et sonore ; il ne fallait plus se préoccuper ni d’une rime, ni d’une faute d’orthographe. Il sentait que ce langage était accessible à tout le monde, à son père, à Fanny. Mais ce qui était plus important encore c’est qu’il pouvait se dévoiler tout entier grâce à la musique.

Avec Nicolas et Lida, Pierre assista au réveillon. Tout Votkinsk était là. Les dames, pour la plupart jeunes et belles, avaient revêtu des toilettes commandées à Paris. Après les danses et les jeux, un officier polonais, de passage à Votkinsk, beau, brillant, musicien, s’assit au piano et joua les mazurkas de Chopin. Un tremblement s’empara de Pierre, ce même tremblement qui se répétera toute sa vie chaque fois qu’il entendra Mozart. Un délice, qu’il n’aurait même pas pu imaginer. Il connaissait un bonheur, une joie mystérieuse, qui était son bien et dont il ne fallait pas parler.

Six mois plus tard, l’officier polonais revint ; de nouveau, on le vit sourire aux dames, on entendit sonner ses éperons dans la maison. Pierre, qui portait encore des robes de lainage écossais, avec une jupe plissée et un col blanc, s’assit sur le tabouret et lui joua ses deux mazurkas. L’officier le prit dans ses bras, le souleva très haut, embrassa sa petite tête qui sentait le duvet.

A partir de ce jour, Fanny décida de conserver soigneusement les vieux cahiers de Pierre, ses brouillons, ses bouts de papier. Elle pressentait qu’un jour, peut-être dans cinquante ans, quand elle serait en France une très vieille dame, et lui – qui peut savoir – un vieux monsieur célèbre, tout cela pourrait servir. Et surtout, la séparation approchait.

Septembre 1848 marque la fin de la vie à Votkinsk. En février, Ilya Pétrovitch avait obtenu, avec pension, sa retraite de général-major. Il décida de prendre, à Alapaev, chez des particuliers, un poste de directeur d’usine. Mais, pour cela, il devait d’abord se rendre à Moscou et à Pétersbourg. Nicolas allait entrer au lycée, les petits avaient leur nounou, et Fanny comprenait qu’elle serait désormais inutile. Elle se plaça dans une famille noble de Votkinsk. Le jour du départ des Tchaïkovski, à l’aube, tandis que les enfants dormaient encore, elle quitta la maison. Elle ne voulait pas voir leur peine et, surtout, elle ne voulait pas pleurer. Elle emportait le “musée de Pierre”, qu’elle voulait conserver jusqu’à la fin de sa vie. Elle espérait fermement le revoir une fois encore.

Dans le brouhaha du départ, on n’eut guère le temps de s’apercevoir de son absence. Maria Markovna, la tante et la vieille parente, qui restaient à Votkinsk, versèrent beaucoup de larmes. A Sarapoule, première étape du voyage, Pierre voulut écrire à Fanny, mais les larmes et l’encre firent trop de taches.

L’épidémie de choléra les attendait à Moscou et la jeune bonne faillit en mourir. Les affaires ne marchaient pas aussi bien qu’on l’avait espéré. Toute la journée Mme Tchaïkovski faisait des courses ; Zinaïde surveillait les enfants.

En novembre, on arriva à Pétersbourg. On trouva un appartement. Les journées se passaient en visites rendues aux multiples parents qu’on n’avait pas vus depuis très longtemps. Les cousins Assière et Tchaïkovski admiraient les enfants, présentaient les leurs. Onze années de séparation avaient éveillé en chacun le sentiment de la famille, et particulièrement chez Ilya Pétrovitch qui, en vieillissant, devenait de plus en plus sentimental.

Mais Pétersbourg, pour Pierre, n’était pas aussi amusant que Votkinsk. Avec Nicolas il préparait l’école préparatoire au lycée. Cela ne ressemblait pas du tout à ce dont il avait l’habitude. Il fallait changer, comme changeait la vie autour de lui. Il fallait se bagarrer avec les camarades, chahuter les professeurs. L’année scolaire était commencée : il fallait travailler beaucoup pour rattraper les autres élèves. De huit heures à cinq heures, il restait en “boîte”. Puis le soir, parfois jusqu’à minuit, Nicolas et lui faisaient leurs devoirs dans un appartement étroit et sombre. En un mois, ils maigrirent et grandirent énormément. Les leçons de musique avec un vrai professeur demandaient beaucoup d’efforts et fatiguaient. Certains jours, il lui semblait qu’il se réveillerait à Votkinsk, dans la neige, à côté de Fanny, sous l’icône allumée dans sa chambre d’enfant.

A Noël, on l’emmena au théâtre. Le choc fut trop violent. L’opéra et le ballet l’hallucinèrent. En marchant, il se tenait aux murs ; les insomnies revinrent. L’orchestre symphonique, entendu pour la première fois, l’ébranla si profondément que, pour quelques jours, il perdit la mémoire. Cette ivresse des sons, cet effarement, cette angoisse le broyaient, le transformaient, ne laissaient rien subsister du petit garçon étrange et tendre, le portaient au-delà de l’enfance. Certains jours, fiévreux, il ne pouvait rien faire ; il délirait, atteint d’un mal qu’on ne comprenait pas.

Et la rougeole vint, avec quarante de fièvre, mettant définitivement un trait entre l’enfance et l’adolescence, entre la vie inconsciente et la vie consciente. A la suite de cette maladie, il devait souffrir toute sa vie de crises nerveuses, de douleurs indéfinissables dans la colonne vertébrale, triste héritage, peut-être, du grand-père maternel.

Les études étaient défendues, la musique proscrite. Après le Nouvel An, Nicolas fut admis dans le corps des cadets des Mines, et la famille partit pour Alapaev, un coin perdu dans l’Oural. Une existence laborieuse et triste commença, sans rien de commun avec la vie belle et agréable de Votkinsk.

Il prenait des leçons avec Zinaïde, qu’il n’aimait pas beaucoup, devenait insupportable, méchant, têtu, hypocrite, doucereux, jaloux des lettres de Nicolas, dont les succès étaient brillants et la conduite irréprochable. Il s’épanchait dans des messages à Fanny ; mais il ne les lui envoyait pas ; il les déchirait, en envoyait d’autres que corrigeait Zinaïde et dans lesquels il avouait qu’il essayait de venir à bout de ses défauts, de sa paresse, de son entêtement, et aussi que Nicolas était le premier de sa classe.

C’est à Alapaev qu’il commença à jouer pour lui seul, lorsque la vie lui semblait décidément trop triste. Il n’essaya jamais d’expliquer les raisons de cette tristesse. La solitude trop tôt connue, les mauvaises notes, tout était prétexte. Et aussi Pétersbourg, avec la vraie musique, qui était si loin ! Et les grandes personnes, qui commençaient à craindre pour lui, pour son avenir, pour sa santé !

Il s’efforçait maintenant de ne pas trop parler de cette chose qu’il aimait tant, de la musique, de sa passion. Il avait des secrets ; il se vengeait de l’indifférence des gens. Il composait, mais ce n’étaient plus des poèmes, c’était de la musique et il n’aimait pas à en parler.

On ne faisait pas beaucoup attention à lui cette année-là. Zinaïde le préparait à l’examen d’entrée au corps des cadets des Mines. Mme Tchaïkovski mit au monde des jumeaux ; Sacha, sa sœur, et Hippolyte commençaient leurs études, et le nouvel emploi d’Ilya Pétrovitch lui donnait des soucis.

Le moment était venu d’emmener Pierre à Pétersbourg. Une veste sombre et un pantalon long avaient remplacé la robe de lainage écossais. Mme Tchaïkovski ne soupçonnait pas que Pierre avait déjà une certaine expérience de la souffrance et de la pensée. Elle était d’avis qu’il fallait, sans plus tarder, combattre sa nervosité, sa sensibilité.

Au début d’août, Mme Tchaïkovski, Pierre et Sacha arrivèrent à Pétersbourg. Pierre n’avait pas dix ans. Nicolas, le favori de la famille, était l’orgueil du corps des cadets ; c’est là qu’on avait décidé de faire entrer Pierre. Mais, dès son arrivée, Mme Tchaïkovski eut les oreilles rebattues de la renommée d’un lycée, très moderne, où un ami de la famille, Platon Wakar, un jeune homme brillant et doué, avait terminé ses études. Platon et son frère Modeste la décidèrent à envoyer Pierre à l’Ecole de droit.

Bien préparé, il fut admis, parmi les premiers, à suivre la classe préparatoire à cette école. Il porta un uniforme à boutons dorés ; il n’avait pas encore droit au col brodé d’or des élèves de l’établissement ; les petits portaient un col mou. C’est ainsi qu’il vint en classe. La première semaine fut assez impressionnante : quelques dizaines de camarades, M. Bérard, le surveillant au pouvoir illimité, le voisinage des “grands”, le directeur, qui ne plaisantait jamais ! Il avait honte de comparer cette école à la “boîte” où on le menait en jupe plissée. Il passait les dimanches chez sa mère ; en semaine elle venait le voir. Elle lui disait, en le prenant sur ses genoux : “Regarde Nicolas, il y a longtemps qu’il est habitué ; et toi aussi, tu feras comme lui, Pétroucha.” Mais elle pressentait qu’il serait difficile de le préparer à l’idée de leur séparation et que son départ pour Alapaev serait pour lui une chose terrible. “Regarde Nicolas, répétait-elle, c’est un garçon sage. Il apprend bien, il fait la joie de son père.”

Elle fixa son départ à la mi-octobre. Depuis deux semaines il gelait mais les routes n’étaient pas encore enneigées et on partit en char à bancs. La mère, Sacha, les deux garçons et ceux qui voulaient reconduire Mme Tchaïkovski y prirent place. C’était l’usage d’accompagner jusqu’aux portes de Pétersbourg les voyageurs qui prenaient la route de Moscou.

Pierre faisait des efforts pour ne pas pleurer afin que les larmes ne l’empêchent pas de bien voir sa mère. Longtemps après, il se rappelait qu’il ne l’avait jamais autant aimée que par ce jour fatigant d’automne. Cet amour, fait de pureté et d’un sentiment de plénitude, plus jamais il n’en connut de pareil. La tête sur les genoux d’un voyageur, il gémissait et ne perdait pas des yeux Mme Tchaïkovski. Il ne voulait pas penser au but du voyage ni à ce qui arriverait quand le char à bancs emmènerait sa mère. Il faisait froid, il bruinait. Son manteau d’uniforme, ouatiné, lui semblait trop long et trop lourd. Il n’était pas tard, mais déjà le jour baissait.

On s’arrêta près d’une borne ; tout le monde descendit dans la boue. Le ciel était bas ; un convoi de chariots passait en sens inverse. Au loin, on voyait des usines, des montagnes de briques, des murs.

Pierre, des deux mains, agrippait la jupe de sa mère. Il voulait se coller à elle, faire corps avec elle. La mère, Nicolas et Sacha commencèrent à dégager les volants de la jupe des poings de l’enfant. Les cochers attendaient, indifférents. D’une main, il avait attrapé le bord du caraco de velours, arrachant un petit gland. Quelqu’un réussit à le retenir. Il hurla de toutes ses forces. Les chevaux se mirent en route. Mme Tchaïkovski et Sacha partaient ! Il se dégagea, se jeta derrière les roues ; il voulait attraper le marchepied, mais il tomba en hurlant de plus belle. Déjà, le char à bancs était loin ; on ne voyait plus que le mouchoir blanc agité par Sacha.

Il rentra et décida d’attendre. Toute sa vie ne sera plus qu’attente ; il attendra des jours, des mois. Ce qui s’était passé sur la route de Moscou était trop grave ; jamais il ne pourrait l’oublier.

Mais cette vie qu’on lui a arrangée l’attend et il faut s’y adapter. Ce n’est guère amusant : aller en classe, se donner beaucoup de mal… C’est un garçon pâle, morne, au regard de travers, aux yeux effrayés, toujours prêt à pleurer. On dirait qu’il cherche s’il n’y a pas au monde quelqu’un à qui on pourrait se plaindre de la dureté de la vie, de cette solitude. Quelqu’un de qui on pourrait recevoir de la tendresse. On avait de la sympathie pour lui ; il était doux, il inspirait la pitié. M. Bérard, le surveillant français, s’étonnait de sa tristesse, de sa mélancolie et faisait des exceptions en sa faveur. Le professeur d’allemand l’invitait chez lui.

Il écrivait à Alapaev : “Mes chers et beaux papa et maman ! Mes anges, je baise vos mains, j’implore votre bénédiction. Maman chérie, vous souvenez-vous, le jour de mon départ, j’ai planté un lierre. (Ici, le papier était mouillé de larmes.) Voulez-vous bien me dire comment il se porte… Je vois que Nicolas a plus de volonté que moi, il ne se plaint jamais. Ah ! Mes chers, mes adorés parents…”

Il apprenait bien et ne parlait jamais de musique. Il essayait d’être comme tous ses camarades. Parfois, pour leur faire plaisir, il s’asseyait au piano. Le Rossignol d’Alabiev le faisait penser à la maison familiale. A peine pouvait-il le jouer jusqu’au bout. Sa mère le chantonnait, en brodant, la porte du salon était grande ouverte, derrière les lourds doubles rideaux, la neige sibérienne, le calme du soir… Les élèves – parmi lesquels il ne distinguait encore personne – l’écoutaient et se moquaient un peu de lui. Alors il attaquait une polka et tous dansaient.

Modeste Wakar vivait avec sa femme et ses deux fils ; Pierre et Nicolas passaient les dimanches chez lui. Cet hiver-là, une épidémie de scarlatine se déclara à l’Ecole de droit et, pour ne pas laisser Pierre en quarantaine, Modeste, très bon, le logea chez lui. Pierre ne fut pas atteint, mais il amena la maladie avec lui. En une semaine, le fils cadet de Modeste mourut. Personne ne reprocha à Pierre cette mort, mais il sentait qu’il en était la cause. Le sort cruel le frappait durement. Pourquoi un autre et pas lui ? Lui, il avait déjà vécu ! (Il n’avait pas dix ans.) Il avait connu tant de belles choses ! Un ballet, la musique symphonique, La Vie pour le tsar1 ! C’était à lui de payer.

Derrière la porte, il priait. Il se souvenait des récits de Fanny : les âmes s’envolent au ciel en robes blanches, en chantant en chœur. Non, ce n’était pas cela. Pour la première fois il sentait la mort comme une force implacable qui venait de détruire quelque chose de cher. Il se sentait attiré par cette force ; c’était terrible et doux de savoir qu’à côté de la vie il y avait aussi la mort.

Il attendait ses parents pour février ; mais ils ne vinrent pas. Au printemps, Platon Wakar s’occupa de lui : personne n’arrivait d’Alapaev. En avril, on invita les élèves de l’école à un bal d’enfants et il vit Nicolas Ier, “aussi près que le divan de papa l’est de la table à écrire”. L’été, Platon l’installa chez des amis. Pierre attendait toujours. Personne n’aurait pu dire que ce n’était pas un élève modèle ; il aurait damé le pion à Nicolas. L’automne approchait. Dans ses lettres, il suppliait, il implorait qu’on vînt. En septembre, Ilya Pétrovitch arriva, lui acheta des bonbons, et, très soucieux, repartit pour Alapaev, promettant de revenir en janvier. Mais janvier passa, et on l’avait oublié. A Pâques, il écrivait que, cette année, il passerait peut-être moins bien ses examens.

C’est seulement en mai 1852 qu’Ilya Pétrovitch, avec toute sa famille, arriva à Pétersbourg. Il avait sa pension, de sérieuses économies. Une nouvelle époque commençait.


1 Opéra de Glinka.