L’EXPOSITION DES IMPRESSIONNISTES

 

 

En quittant l’atelier de Gleyre, les futurs impressionnistes étaient convaincus qu’ainsi ils rompaient définitivement avec l’école classique. Onze ans après, ils peignaient en plein air, tout en élaborant une nouvelle conception de la peinture. Enfin, arriva le moment de faire connaître tant cette conception que la distance qui les séparait de l’art officiel, et de montrer leurs œuvres dans le cadre de leur propre exposition.

Jusque-là, en France, il n’y avait qu’une seule exposition d’art contemporain : le Salon. Fondée au xviie siècle par Colbert, premier ministre de Louis XIV, cette exposition eut lieu pour la première fois au Salon carré du Louvre, d’où son nom. À partir de 1747, le Salon ouvrit régulièrement ses portes une fois tous les deux ans dans des locaux différents. Ainsi, à l’époque où les futurs impressionnistes firent leur apparition dans le domaine de l’art, le Salon avait déjà deux siècles d’existence. Évidemment, chaque peintre avait l’ambition d’exposer au Salon, car c’était l’unique moyen de se faire connaître et, par conséquent, de pouvoir vendre ses œuvres. Mais s’y faire admettre n’était pas simple. Un jury très sévère, composé de professeurs de l’École des beaux-arts, sélectionnait les œuvres pour l’exposition. Les membres de ce jury étaient également membres d’une des cinq académies de l’Institut de France – l’Académie des Beaux-Arts – et c’est justement cette académie qui les nommait. Ce qui était paradoxal, c’est que les professeurs chargés de la sélection des peintures et des sculptures pour le Salon, étaient ceux-là mêmes qui avaient ces artistes pour élèves. Il n’était pas rare que l’on vît les membres du jury marchander entre eux pour arriver à faire accepter leurs élèves au Salon. Les fondements de ce dernier étaient extraordinairement solides : il n’avait presque pas changé de caractère durant tout le temps de son existence. Les genres traditionnels régnaient sur cette exposition. Les scènes, tirées de la mythologie grecque ou des Saintes Écritures, étaient conformes aux sujets imposés au Salon depuis sa fondation ; seul leur choix variait avec la mode. Le portrait avait gardé son caractère apprêté habituel ; le paysage était « composé », c’est-à-dire conçu par l’artiste au gré de sa fantaisie. L’idéalisation de la nature, qu’il s’agît du nu féminin, du portrait ou de la peinture de paysages, restait une des conditions permanentes. La principale exigence du jury était un professionnalisme de très haut niveau aussi bien dans le domaine de la composition, du dessin, de l’anatomie ou de la perspective linéaire qu’en technique picturale. Une surface peinte irréprochablement lisse, réalisée à l’aide de touches minuscules, presque indiscernables à l’œil, donnait au tableau ce fini sans lequel il ne pouvait pas concourir avec les autres. Il n’y avait pas de place, à l’exposition du Salon, pour cette vie réelle au cœur de laquelle voulaient plonger les jeunes peintres. Il y avait encore autre chose, une exigence non formulée : il fallait contenter les acheteurs potentiels pour qui, pratiquement, ces tableaux étaient réalisés.