ALFRED SISLEY

 

 

Alfred Sisley naquit à Paris le 30 octobre 1839 dans une famille anglaise. Son père, William Sisley, natif de Manchester, était dans les affaires : il exportait des fleurs artificielles vers l’Amérique latine. La mère d’Alfred, Felicia Sell, venait d’une vieille famille d’intellectuels londoniens. Elle éleva son fils dans l’amour des arts, notamment de la musique, et lui inculqua les bonnes manières. Cependant, à ce moment-là, il n’était pas encore question pour lui de choisir comme profession les beaux-arts. À dix-huit ans, ses parents l’envoyèrent en Angleterre : ils présumaient qu’il allait y étudier le commerce, les problèmes de la vente du café et du coton. Alfred, lui, usa de cette possibilité pour se plonger dans l’atmosphère culturelle anglaise. Il passa cinq ans en Angleterre, de 1857 à 1861. Dans le pays de Shakespeare, il se sentit, pour la première fois, Anglais. Il étudia la littérature anglaise, mais s’intéressa encore plus aux admirables maîtres de la peinture anglaise. À son retour à Paris, au printemps 1862, Sisley réussit à obtenir de ses parents l’autorisation de faire des études de peinture. Le destin amena Sisley, en octobre 1862, dans le même atelier libre de Charles Gleyre, où étaient venus étudier Claude Monet, Auguste Renoir et Frédéric Bazille. Très vite, ils devinrent inséparables. Malgré le rôle dirigeant incontestable de Monet, le modeste et timide Sisley demeurait ferme et indépendant dans ses convictions. Il dessinait patiemment et avec application, pleinement décidé à parvenir, à bref délai, à la perfection.

C’est Sisley qui avait incité ses amis à en finir avec l’apprentissage chez Gleyre et à partir peindre dans la nature. Il était indigné, beaucoup plus que ses amis, par l’attitude hautaine de Gleyre envers le paysage. Pour Sisley, le paysage fut, dès le début, non seulement un genre pictural essentiel, mais, en fait, le seul et unique auquel il travaillât toute sa vie.

Après avoir quitté Gleyre, Sisley peignit souvent en compagnie de Monet, Renoir et Bazille dans les environs de Paris. En 1865, sur l’invitation d’un ami de Renoir, Jules Le Cœur, Sisley et Renoir partirent peindre dans le petit village de Marlotte à l’orée de la forêt de Fontainebleau. Au même moment, Monet et Bazille travaillaient au fin fond de la forêt, à Chailly-en-Bière. Ces villages n’étaient pas très éloignés l’un de l’autre, et les amis se retrouvaient souvent, notamment dans la petite auberge de la mère Anthony que l’on voit dans le tableau de Renoir. Sisley et Renoir passèrent à Marlotte l’automne et l’hiver 1865. Un des paysages qu’ils y firent, Rue de village à Marlotte, (Buffalo, Albright-Knox Art Gallery) fut accepté au Salon de 1866. Sa composition scénographique et son coloris brun et foncé révélaient encore une forte influence de la peinture de l’école de Barbizon – l’endroit même y disposait.

À Paris, Sisley changea plusieurs fois d’adresse. L’un de ses appartements se trouvait à la Cité des Fleurs aux Batignolles. C’est là que fut peinte en 1869 la Vue de Montmartre prise de la Cité des Fleurs (Musée de Grenoble). Dans le tableau de Sisley, on voit Montmartre dans le lointain, derrière un champ vert foncé, et il n’a rien de romantique. Le coloris du tableau est encore sombre, mais y apparaît cette atmosphère triste et anxieuse, qui restera ensuite pour toujours dans la peinture de Sisley. À partir de 1870, dans la peinture de Sisley commencèrent à apparaître les premières caractéristiques de la manière qui sera plus tard celle de la peinture impressionniste. Les Péniches sur le canal Saint-Martin (1870, Winterthur, Fondation Oskar Reinhart) sont peintes par touches fragmentées de couleur pure ou mélangée à du blanc de céruse. Dès lors, le coloris des tableaux de Sisley devient nettement plus clair. Cette nouvelle technique crée une impression de vibration de l’eau, de moirures colorées à sa surface et de transparence de l’atmosphère. Ainsi, naquit la lumière dans la peinture de Sisley.

Sisley passa la période de la guerre et de la Commune dans les environs de Paris. En 1872, Pissarro et Monet le présentèrent à Paul Durand-Ruel dont ils avaient fait la connaissance à Londres. À partir de ce moment-là, les Durand-Ruel achetèrent des tableaux à Sisley jusqu’à la fin de sa vie, bien qu’il n’y eût pas encore, à cette époque, d’amateurs de sa peinture, et que vendre ses œuvres ne fût pas facile. Au cours des quatre années où il vécut à Louveciennes, Sisley peignit une quantité de paysages des bords de la Seine. Il découvrit Argenteuil et la petite ville de Villeneuve-la-Garenne, qui resta dans son œuvre comme l’image du silence et de la tranquillité, d’un monde que la civilisation et l’industrie n’avaient pas encore défiguré. Contrairement à Pissarro, il ne recherchait pas l’exactitude prosaïque. Ses paysages se colorent toujours de son attitude émotionnelle à leur égard. Comme chez Monet, les ponts chez Sisley se fondent dans le paysage d’une façon toute naturelle. Un ciel bleu serein se reflète sur la surface à peine frémissante du fleuve. En harmonie avec lui, des petites maisons claires et la fraîcheur de la verdure créent une impression de lumière solaire. À partir de ce moment-là, le regard de Sisley devint purement impressionniste ; il mit sens dessus dessous l’ancien système de la perspective aérienne.

En effet, quel que soit son motif, Sisley construit toujours sa perspective de façon à attirer le regard vers le fond du tableau. Un chemin qui s’en va au loin devient un de ses motifs favoris. Dans la coquette et sympathique petite ville d’Argenteuil (Place dArgenteuil, 1872, Paris, musée d’Orsay), le spectateur suit des yeux jusqu’au bout de la rue les petites silhouettes des passants. Le chemin de Sèvres (Louveciennes, le chemin de Sèvres, 1873, Paris, musée d’Orsay), bordé de jeunes arbres tout minces, invite à une triste promenade automnale, où on a envie d’aller lentement de plus en plus loin, là où le chemin descend, découvrant une vue sur les collines environnantes. Le fleuve, dans les paysages de Sisley, est aussi une route qui invite à partir au loin. Le fleuve et le ciel ne font qu’un dans ce pâle azur (La Seine à Bougival, 1872-1873, Paris, musée d’Orsay). C’est précisément dans ces endroits que Sisley fit la découverte des effets de changement de couleur sur la neige. Il peignit les rues enneigées de Louveciennes (p. 134 et p. 135), avec des ombres bleu clair et les petites taches vives des vêtements des passants.