Oswaldo Darío de Mortenssen, prince des écrivains publics barcelonais et désormais une vieille connaissance, était en train de jouir de sa pause d’après déjeuner dans sa baraque sise près du palais de la Vice-Reine. Il savourait un café arrosé et fumait un Faria, quand il me vit arriver et me salua de la main.
— Tiens, voilà le retour de l’enfant prodigue. Vous avez changé d’idée ? On la fait, cette lettre d’amour qui vous ménagera l’accès aux fermetures éclair et autres défenses de la jeune personne convoitée ?
Je lui montrai de nouveau mon alliance, et la mémoire lui revint.
— Excusez-moi. L’habitude. C’est vrai que vous êtes un homme préhistorique. Que puis-je faire pour vous ?
— L’autre jour, je me suis rappelé que votre nom ne m’était pas inconnu, monsieur Oswaldo. Je travaille dans une librairie et j’ai trouvé un roman de vous daté de 1933, Les Cavaliers du crépuscule.
Oswaldo laissa errer ses souvenirs et eut un sourire nostalgique.
— Le bon vieux temps. Cette paire de canailles de Barrido et Escobillas, mes éditeurs, m’a extorqué jusqu’à mon dernier centime. Que le diable les emporte et les garde soigneusement sous clef. Mais le plaisir que j’ai pris à écrire ce roman, personne ne pourra me l’ôter.
— Si je vous l’apporte un de ces jours, vous me le dédicacerez ?
— Oh oui ! Ce fut mon chant du cygne. Le monde n’était pas prêt pour un western situé dans le delta de l’Èbre avec des bandits en canoë au lieu de chevaux et des moustiques de la taille d’une pastèque géante.
— Vous êtes le Zane Grey de la côte catalane.
— J’aurais bien aimé. En quoi puis-je vous être utile, jeune homme ?
— Vous pouvez me prêter votre art et votre talent pour une entreprise tout aussi héroïque.
— Je suis tout ouïe.
— J’ai besoin qu’on m’aide à inventer un passé sur la base de documents qui permettront à un ami de convoler en justes noces sans entrave légale avec la femme qu’il aime.
— Un honnête homme ?
— Le meilleur que je connaisse.
— Dans ce cas, inutile d’en dire plus. J’ai toujours adoré les scènes de mariage et de baptême.
— Il faudrait des formulaires, des demandes de papiers, des certificats, enfin toute la panoplie.
— Ça ne sera pas un problème. J’en déléguerai une partie à Luisito, que vous connaissez déjà. On peut lui faire entièrement confiance et c’est un artiste capable d’emprunter douze écritures différentes.
Je sortis le billet de cent pesetas que le professeur avait décliné et le lui tendis. Oswaldo ouvrit des yeux grands comme des soucoupes et l’empocha en un clin d’œil.
— Et après ça, on prétend qu’en Espagne on ne peut pas vivre de sa plume !
— Est-ce que ça couvrira les frais de l’opération ?
— Largement. Quand j’aurai tout, je vous dirai à combien se monte la plaisanterie, mais j’oserais avancer qu’on devrait s’en tirer pour quinze douros.
— Je vous laisse juge, Oswaldo. Mon ami le professeur Alburquerque...
— Une plume remarquable, trancha Oswaldo.
— Et surtout le meilleur des hommes. Le professeur Alburquerque, donc, viendra vous voir et vous indiquera les documents nécessaires avec tous les détails. Pour tout ce dont vous pourriez avoir besoin, vous me trouverez à la libraire Sempere & Fils.
En entendant ce nom, son visage s’illumina.
— Le sanctuaire ! Quand j’étais jeune, j’y allais tous les samedis pour que M. Sempere m’ouvre les yeux.
— Mon grand-père.
— Aujourd’hui, ça fait des années que je n’y mets plus les pieds, mes finances étant au plus bas, et je dois me contenter de la bibliothèque de prêt.
— Alors faites-nous l’honneur de revenir à la librairie, monsieur Oswaldo, la maison vous est ouverte, et ne vous inquiétez pas pour les prix.
— Je n’y manquerai pas.
Il me tendit la main et je la serrai.
— C’est un honneur d’être en affaires avec les Sempere.
— Que cet honneur soit le premier de beaucoup d’autres.
— Et le boiteux que vous couviez des yeux l’autre jour, comme s’il valait son poids en or ?
— Il s’est avéré que tout ce qui brille n’est pas or.
— Un signe des temps.