— Mais comment Whitlam est-il allé à la ferme des Hadler ? s’enquit Barnes en se penchant entre les sièges avant. On s’est crevé les yeux à visionner cette vidéo de l’école et, si ma mémoire est bonne, sa voiture n’a pas quitté le parking de tout l’après-midi.
Falk sortit de son dossier les photos du corps de Luke allongé sur la plate-forme de son pick-up, puis l’image en gros plan des quatre rayures horizontales retrouvées sur la paroi intérieure. Il passa le tout à Barnes, ainsi que son téléphone portable où l’on voyait les photos de l’intérieur de son propre coffre de voiture, prises la nuit précédente. Sur le revêtement en feutre du coffre, on distinguait deux longues griffures.
Barnes regarda tour à tour les photos.
— Les marques sont identiques, constata-t-il. C’est quoi ?
— Celles de mon coffre sont toutes récentes, dit Falk. Ce sont des traces de pneus. Pour aller chez les Hadler, il a pris sa maudite bicyclette.
Whitlam ne prévint aucun des membres du personnel de l’école qu’il partait. Il s’éclipsa par la sortie de secours en laissant sa veste sur son siège et son ordinateur allumé, ce qui, dans le monde entier, signifiait « Je ne suis pas loin, je reviens dans deux minutes ». Il courut jusqu’aux locaux de service, en évitant de se trouver dans le champ limité des deux caméras de surveillance, il se surprit d’abord à remercier le ciel du manque de moyens de l’école, avant de réprimer un éclat de rire devant l’ironie de la situation. En l’espace de quelques minutes, il avait déverrouillé la porte du local où se trouvaient les munitions et glissé dans ses poches une poignée de cartouches. L’école disposait d’un unique fusil, utilisé dans le cadre du contrôle des populations de lapins ; il fourra l’arme dans un grand sac de sport, et passa la bandoulière à son épaule. Il ne s’en servirait qu’en dernier recours. Pourvu que Luke Hadler ait bien apporté son propre fusil, pria-t-il en silence. Il était censé chasser avec Sullivan. Mais pour ce qui était des munitions ? Aucune idée.
Il fonça ensuite au garage à vélos. Tôt dans la matinée, il était arrivé en voiture et s’était garé dans une rue tranquille proche de l’école. Là, il avait sorti sa bicyclette du coffre et l’avait enfourchée pour parcourir le court trajet qu’il lui restait. Il avait rangé le vélo à un endroit où il savait qu’il passerait inaperçu au milieu des autres. Caché bien en évidence. Puis il était retourné à pied chercher sa voiture, qu’il avait garée sur le parking de l’école, choisissant un emplacement en plein dans le champ de vision de la caméra de surveillance.
Donc, arrivé au garage, il ôta l’antivol de son vélo et, quelques minutes plus tard, il roulait le long de petites routes désertes en direction de la ferme des Hadler. Celle-ci était toute proche et il était largement dans les temps. Il s’arrêta à un kilomètre de la ferme et choisit un endroit envahi par l’herbe sur le bord de la route, puis alla se cacher dans les buissons non loin. Là, il attendit, priant en silence mais avec ferveur pour qu’il ait convenablement chronométré toute l’opération.
Vingt-cinq minutes plus tard, il était en nage, persuadé d’avoir raté sa chance. Pas un seul véhicule n’était passé sur la route. Huit autres minutes s’écoulèrent, puis neuf. C’est au moment précis où Whitlam glissait son regard vers le canon de son fusil, en se demandant si finalement il n’y avait pas une autre issue pour lui, qu’il l’entendit…
Un bruit de moteur au loin, une camionnette ou un pick-up. Whitlam scruta la route depuis sa cachette. C’était le véhicule qu’il attendait. Rasséréné, il regagna le bord de la route, où il laissa tomber son vélo à ses pieds. Là, il fit au véhicule qui s’approchait de grands gestes de la main, comme l’homme au bord de la noyade qu’il était.
L’espace d’un instant terrifiant, il crut bien que le pick-up n’allait pas s’arrêter. Mais le véhicule finit par ralentir puis par se garer juste devant lui. La vitre côté conducteur s’abaissa.
Luke Hadler passa la tête à l’extérieur.
— On dirait que vous avez un problème…
Whitlam ressentit une vive douleur dans le coude lorsqu’il abattit de toutes ses forces la grosse chaussette bourrée de cailloux sur la nuque de Luke. Elle heurta sa cible avec un craquement sinistre, et Luke s’effondra de tout son long, face contre terre, immobile sur le sol desséché.
Après avoir enfilé des gants en caoutchouc pris au labo de sciences de l’école, Whitlam alla baisser la ridelle du pick-up. Puis, avec la force et la vitesse d’un athlète, il passa ses bras sous les aisselles de Luke et le hissa non sans mal à l’arrière du véhicule.
Il tendit l’oreille. Luke respirait encore, d’un souffle faible et irrégulier. Whitlam reprit alors la chaussette et l’abattit une fois, puis deux. Il sentit le crâne craquer. Il y avait maintenant du sang partout. Sans s’en préoccuper, Whitlam recouvrit le corps avec une toile goudronnée trouvée à l’arrière, et jeta sa bicyclette par-dessus. Les roues pleines de terre allèrent se caler contre la paroi latérale de la benne.
Le fusil de Luke était sur le siège passager. Étourdi tant il était soulagé, Whitlam posa son front contre le volant et attendit une bonne minute que son malaise passe. L’arme n’était pas chargée. Parfait. Whitlam sortit de sa poche les cartouches Remington prises à l’école, et chargea le fusil.
Les dés étaient jetés.