I

Diogène d’Oenoanda,
 ou le Philosophe de pierre

@ 1 – Dans l’Antiquité classique on donnait le nom de Lycie à une partie de la région sud-ouest de la Turquie, où la côte montagneuse plonge dans la mer en face de Rhodes. C’est une région principalement montagneuse, mais en ces temps anciens (« et ceci se passait en des temps très anciens », comme dit le poète), si proches encore de l’âge d’or, elle était bien boisée et peu infertile.

@ 2 – Les Lyciens originaux n’étaient pas grecs. Ils avaient leur propre alphabet qu’ils trouvaient très beau et ils s’en servaient pour noter leur propre langage, qu’ils ne trouvaient pas si mal non plus. Ils persistèrent dans ce particularisme obsolète jusqu’à l’époque d’Alexandre le Grand et, grâce à leur sentiment intime de l’indépendance lycienne joint à une organisation coopérative efficace en ligue de villes fédérées, ils parvinrent à repousser durant de longs siècles les tentatives grecques de colonisation et de marché commun. Ils avaient été soumis au sixième siècle à l’autorité relativement bénigne des rois de Perse mais sans que ceux-ci touchent un cheveu à leur autonomie et à l’autochtonité de leurs princes.

@ 3 – L’arrivée d’Alexandre apparut d’abord comme un simple échange de suzerains. A sa mort la Lycie fut attribuée à Antigonos mais peu après passa sous l’autorité des Égyptiens Ptolémée, et les Lyciens demeurèrent leurs vassaux durant une bonne partie du troisième siècle av. J.-C. Hélas, pendant toutes ces tribulations, la langue lycienne finit par s’affaiblir et disparaître au profit de l’anglais, je veux dire du grec ; les Lyciens commencèrent à se sentir grecs et à constituer une partie, modeste mais conséquente, du monde grec.

@ 4 – Ils réactivèrent la ligue lycienne, lui donnant une constitution originale qui semble avoir été fort différente de celles des cités grecques avant, pendant et depuis (Chilton, dont s’inspire ici Mr Goodman, écrivit pendant la dictature des colonels – J.R.). L’idée essentielle était celle de la représentation proportionnelle des cités au niveau fédéral. D’après Strabon, il y avait dans la ligue lycienne vingt-trois villes, la plus grande avait trois voix à l’assemblée fédérale, les villes moyennes deux, et les plus petites, une seule. L’assemblée élisait le Lyciarque (par un scrutin majoritaire à six tours, vraisemblablement, et à bulletins secrets (sur papyrus)); elle choisissait son conseil exécutif, légiférait sur toutes les questions de politique internationale et fixait les impôts dus par chaque cité.

@ 5 – Tout allait pour le mieux dans la meilleure des Lycies possibles.

 

@ 6 – Oenoanda.

Oenoanda ne faisait pas partie de la ligue au moment de sa fondation. Ses pères fondateurs n’étaient probablement même pas des Lyciens. Elle se dressait, orgueilleuse, toute petite et isolée à l’extrême bordure nord, escarpée, de la Lycie, dans la région appelée Cabalie.

@ 7 – Diogène d’Oenoanda.

Diogène d’Oenoanda appartenait à une des familles les plus distinguées de la cité, attestée dès les premières années de l’Empire (romain). Dix-huit Diogène apparaissent dans les inscriptions. L’un des dix-huit ou un autre est le héros de cette histoire. Appelons-le comme il y invite lui-même Diogène d’Oenoanda.

@ 8 – Aux alentours de l’année 120 apr. J.-C. Diogène d’Oenoanda décida de transmettre aux générations futures ce qu’il considérait le plus digne d’être préservé pour les nombreux siècles vraisemblablement à venir. Il était vieux.

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Il était brusquement parvenu aux portes de la mort à cause d’un sévère mal au ventre.

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@ 11 – Ce qu’il décida d’offrir aux générations futures fut le message du philosophe Épicure.

@ 12 – Toute sa vie il avait adhéré aux doctrines philosophiques épiKuriennes.

@ 13 – (Mr G. écrit « épikuriennes », vraisemblablement pour éviter la confusion avec la caricature chrétienne de cette doctrine, telle que les siècles nous l’ont imposée, jusque dans la langue de tous les jours – J.R.)

@ 14 – Mais comment s’y prendre ?

 

@ 15 – Saisi d’un vif désir d’apporter le message sauveur et consolateur à tous ceux qui passeraient pendant les siècles des siècles au centre même des choses locales, c’est-à-dire sur la place du marché d’Oenoanda, désireux de venir en aide philosophique (donc éthique) non seulement aux citoyens de sa cité mais aussi bien aux étrangers, tant ceux qui étaient alors vivants que ceux qui alors étaient encore à naître, il décida de présenter son message sous forme monumentaire et de graver (de faire graver sans doute) une immense et grecque inscription.

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@ 18 – Ainsi fut fait. Le message était long, se déroulant sur plus de quarante mètres et sur trois hauteurs de colonne.

@ 19 – Et là, pendant un siècle et demi environ, l’inscription demeura, visible à tous. En tant que document sur le monde gréco-romain, elle est unique. On ne connaît aucun autre exemple de vestiges d’une telle vaste chaire doctrinale en un lieu public, offrant aux yeux de tous son discours, son sermon immuable, jour après jour de marché, saison après saison, année après année. Il est vraisemblable qu’il n’en a jamais existé d’autre.

 

@ 20 – Le triomphe de la secte chrétienne (les Moons de l’Antiquité) amena la disparition (souvent par destruction violente) des communautés épikuriennes. Dès la fin du quatrième siècle, l’épikurisme avait pratiquement été éradiqué.

@ 21 – Le mur de Diogène d’Oenoanda fut abattu.

@ 22 – Peut-être sur ordre de quelque évêque, tel celui qui provoqua, à Alexandrie, le lynchage d’Hypatie, martyre de la philosophie. Le temps coula.

 

@ 23 – Le site archéologique d’Oenoanda fut découvert en 1841 par MM. Hoskyn et Forbes.

@ 24 – En 1884 MM. Holleaux et Cousin, membres de l’École française d’Athènes mirent au jour cinq fragments qui provenaient selon toute vraisemblance d’une inscription contenant des éléments de la doctrine épikurienne. Ils firent la chasse aux morceaux et en publièrent des transcriptions. Cette première récolte n’était pas considérable mais elle contenait déjà le fragment le plus vaste et intellectuellement le plus important (avec notamment le passage introductif où Diogène explique les raisons qui l’ont conduit à cette démarche insolite). Il était alors déjà très clair que l’inscription était l’œuvre d’un épikurien (d’identité inconnue) et il n’est pas étonnant que les savants français soient rapidement revenus continuer la recherche.

@ 25 – En 1962 Chilton, comme il l’indique dans son ouvrage, fut le premier, depuis 1895, à revenir sur place à la recherche du testament de Diogène. Il publia son bilan en 1967.

@ 26 – Dans sa splendeur pristine l’inscription oenoandienne de Diogène devait offrir une vision grandiose : au moins cent vingt colonnes de texte sur marbre s’étendant sur plus de quarante mètres, avec une rangée parallèle additionnelle au-dessus et peut-être encore du texte plus haut.

@ 27 – Ce fut un magnifique exemple de « land art » philosophique.

@ 28 – Chilton se demande quelle a bien pu être la réaction des concitoyens de Diogène, combien d’entre eux faisaient une pause pour lire, après achat et marchandage de figues, miel, fromages et huiles (nourritures des sobres épikuriens) et quelle pouvait être leur réaction, s’ils le faisaient.

 

@ 29 – En 1968, l’année après la publication chez Teubner de l’édition Chilton, Martin Ferguson Smith, un Écossais vraisemblablement, fit sa première visite à Oenoanda. Il y alla, explique-t-il dans sa grande édition de Naples 1993 dans la collection dirigée par le grand Marcello Gigante, « parce que je m’intéressais à la philosophie d’Épicure ». Excellente raison en effet.

@ 30 – Les recherches de Smith et de l’École écossaise (britannique, en fait ; le nationalisme écossais de Mr Goodman l’entraîne à des approximations regrettables – J.R.) ont non seulement plus que doublé le nombre des fragments de mur retrouvés, elles ont aussi beaucoup amélioré, et son interprétation et la reconstitution de sa disposition dans l’espace.

@ 31 – En 1983, dit toujours Smith,

Ce ne sont certainement pas les seuls.

@ 32 – L’emplacement exact du monument dans son état originel n’a pas encore été identifié ; aucune excavation n’a pu être entreprise en raison de la bonne volonté très relative des autorités turques. Le mur de Diogène a été détruit dans l’Antiquité, ses pierres dispersées et seule une partie de l’inscription a été mise au jour.

@ 33 – La pierre est généralement d’une couleur blanc crémeux, mais les intempéries lui ont donné souvent une teinte de surface gris-bleu.

@ 34 – L’inscription a été gravée en bandes horizontales de texte. Smith en identifie sept, distinctes par le contenu et la présentation.

@ 35 – L’arrangement était tel que toutes les parties pouvaient être lues avec un confort raisonnable par quelqu’un se tenant debout au pied du mur.

 

@ 36 – Les différentes parties de l’inscription, distinguées par leur contenu et leur position supposée à la surface du mur, ont fait l’objet d’une reconstitution minutieuse par Smith (parfois conjecturale). Il présente ses résultats ainsi.

@ 37 – Section de Physique : 23,365 m – l’Éthique : 21,97 m – la section FLC (fourteen-lines columns), comprenant la lettre à Antipater et la lettre à Dionysios : 7,995 m – les Maximes : 6,656 m – les Instructions à la famille et aux amis : 81 cm – les TLC (ten-lines columns), avec les écrits d’Épicure et de Diogène : 9,24 m – la section Vieillesse (en quatre chapitres) : 5,065 + 9,075 + 0,475 5 + 9,815 m – les fragments en petites lettres de position douteuse : 3,112 m – les autres fragments de situation incertaine : 0,09 m.

@ 38 – Le nombre total des mots de l’inscription était certainement supérieur à 25 000. Si cette estimation minimaliste est correcte, l’œuvre de Diogène était au moins le double de l’inscription en l’honneur de Opraomas à Rhodiapolis et donc certainement plus grande que toutes les inscriptions conservées de l’Antiquité grecque.

@ 39 – Chaque section se présentait comme un papyrus déroulé. L’intention d’imiter le « livre » apparaît clairement dans l’arrangement du texte en colonnes, dans la longueur des lignes, dans les règles de division des syllabes et les méthodes de ponctuation du texte. Il serait intéressant de savoir si Diogène avait « publié » ses écrits sous la forme habituelle avant la mise en œuvre de l’inscription.

@ 40 – Répartition dans les pages de pierre.

La Physique et l’Éthique se situaient sans aucun doute dans la partie inférieure, car ces sections sont toutes les deux gravées en petites lettres et se trouvaient certainement à la hauteur des yeux d’un lecteur. On admet généralement que l’Éthique était en bas et la Physique au-dessus ; cela aurait été, pour un épikurien l’ordre naturel de présentation : il faut connaître la physique pour comprendre la morale.

@ 41 – Les Instructions à la famille et aux amis vont avec la section Vieillesse.

@ 42 – Les FLC sont aussi en petites lettres ; elles devaient se trouver au-dessus de la Physique et de l’Éthique.

@ 43 – La totalité de l’inscription se trouvait sur un long mur unique continu.

@ 44 – Les Maximes se trouvaient au-dessus des doctrines principales et devaient être lues après.

@ 45 – Les TLC étaient plus haut encore, en lettres plus grosses. Mais Vieillesse est en lettres plus grosses encore, ce qui indique une place plus élevée (ou seulement que les yeux des vieillards sont moins bons ?).

@46 – La section Vieillesse était donc la plus en haut.

@47 – La hauteur totale était de 3,25 m.

@48 – Dans la marge inférieure de l’Éthique court une ligne continue de maximes morales. La plupart de ces maximes font partie des Doctrines principales de l’épikurisme, telles que nous les a rapportées Diogène Laërce. Notre Diogène en cite 13 sur 40.

 

@ 49 – Que savons-nous de Diogène ? (La numérotation des fragments cités est celle de Martin Ferguson Smith.)

@ 50 – Il aime parler de lui-même, de son âge et de sa santé.

@ 51 – Sa santé est précaire, il souffre de kardiakòn pathos, c’est-à-dire d’une maladie de cœur ou plus vraisemblablement d’un « mal de bide » (sic, dans le ms. de Goodman – J.R.).

@ 52 – On trouve une possible référence à une crise de colique.

@ 53 – Il prend du lait caillé pour des raisons thérapeutiques.

@ 54 – Il a été un jour malade à Rhodes et soigné par une femme que lui avaient recommandée ses amis Menneas, Caros et Dionysios.

@ 55 – Il semble avoir été un visiteur assidu à Rhodes, en partie attiré dans cette île par son amour de la philosophie, en partie désireux d’échapper au climat rude d’Oenoanda en hiver. C’est de Rhodes qu’il écrit à Antipater, étant arrivé récemment au début de l’hiver.

@ 56 – Antipater est évidemment un converti à l’épikurisme, que Diogène a rencontré au moins une fois auparavant et dont il a reçu au moins une lettre. Diogène dit qu’il a très envie de le rencontrer de nouveau, ainsi que d’autres amis.

@ 57 – Antipater vit probablement à Athènes mais ce point n’est pas exprimé clairement.

@ 58 – Diogène espère le rencontrer dès la fin de l’hiver, quand il mettra la voile, d’abord soit vers Athènes, soit vers Chalcis ou la Béotie.

@ 59 – Mais la vie étant incertaine, spécialement à son âge…

@ 60 – Dionysios, que Diogène mentionne dans sa lettre à Menneas, est le destinataire d’une autre lettre. Dans un passage du fragment 70, qui y appartient vraisemblablement, il est fait mention d’un Niceratos et d’un autre homme dont le nom est Avitianos ou Avitos. Ce dernier est en train de recevoir une instruction philosophique de la part de Diogène. Quant à Niceratos, il lui est arrivé quelque chose de désagréable, mais quoi, ce n’est pas clair :

@ 61 – Bien que nous ayons quelques lueurs sur les liens de Diogène avec des personnages et des lieux éloignés, les fragments retrouvés ne permettent pas de dire exactement qui il était et quand il vivait. Il se nomme lui-même simplement Diogène l’Oenoandien (28.1-2 – sans doute aussi 1.1-2, 137.1-2 ; 62.I.1, 63.IV.10, 117.1, 154.I.2-3), mais il ne nous dit rien de sa famille ou de ses ancêtres. Dans le fragment 117 il donne des instructions à des amis et relations mais sans citer de noms.

@ 62 – Épikurien orthodoxe il ne recommande ni les richesses

ni le pouvoir (29.51), mais on peut le supposer riche et politiquement influent dans sa cité.

@ 63

@ 64 – En ce qui concerne la politique, il nous dit en 3.I.4-5 qu’il ne s’en occupe pas, mais le fait qu’il ait pu construire son monument dans un lieu public (3.V.12-VI.2) suggère qu’il possédait une certaine influence à Oenoanda.

 

@ 65 – Ses doctrines.

L’inscription de Diogène est exceptionnelle, peut-être même unique, non seulement en raison de ses dimensions extraordinaires mais aussi à cause de son contenu philosophique. Autant qu’on puisse en juger, il n’y a pas d’autre exemple de philosophe ayant fait graver ses théories dans la pierre.

@ 66 – La seule comparaison qu’on puisse invoquer est avec les paroles des Sept Sages de Grèce, à Delphes par exemple (voir dans le même chapitre le texte III – J.R.) ; il se peut que Diogène ait été influencé par cet exemple.

@ 67 – Bien qu’il ne nous explique pas ce qui lui a donné l’idée de l’inscription, il prend soin, ce qui est plus important, de nous en exposer l’intention. Son explication figure au commencement de la Physique, dans un passage qui sert également de prologue à l’ensemble de l’œuvre. Il veut venir en aide à ceux qui, étant dans l’ignorance de la doctrine d’Épicure, sont malades moralement. S’il n’y avait que quelques individus dans cet état, il pourrait s’occuper d’eux individuellement, mais le nombre de ceux qui sont atteints de ce mal est grand et il ne veut pas seulement venir en aide à ses contemporains, ses compatriotes ou les étrangers en visite à Oenoanda, il veut servir aussi les générations futures.

3.II.7-V.8 – J’ai voulu, avant de succomber à la mort, composer un bel hymne (pour célébrer) la plénitude (du plaisir) et ainsi venir en aide à ceux dont la constitution est saine. S’il n’y avait qu’une seule personne, ou deux ou trois, ou quatre ou cinq ou six ou plus encore, monsieur, madame, mademoiselle, pourvu que le nombre n’en soit pas très grand, qui se trouvaient en un mauvais cas, je m’adresserais à eux, un à un, personnellement, et je leur donnerais tous les conseils qu’il est en mon pouvoir de donner. Mais, comme je l’ai déjà dit, la plus grande partie des gens souffrent de la même maladie, qui est une sorte de peste : ils ont des idées fausses sur la nature des choses. Et le nombre de ceux qui sont atteints ne cesse d’augmenter, car en émulation mutuelle ils attrapent tous la même maladie comme s’ils n’étaient que des moutons (ils ne meurent (moralement) pas tous mais tous en sont frappés – G.). De plus, il est juste d’aider aussi les générations à venir, car ils appartiennent aussi à … bien qu’ils ne soient pas encore nés. Enfin, l’amour de l’humanité m’incite à aider aussi les étrangers qui ne sont pas d’ici mais y viennent. C’est pourquoi, comme les inscriptions touchent un grand nombre de gens, j’ai décidé d’utiliser cette stoa pour faire publiquement la réclame de ces remèdes qui nous apportent le salut. Ces remèdes, ils ont été éprouvés, et par eux nous (les épikuriens) avons dissipé les terreurs qui nous assaillent sans justification et, en ce qui concerne les douleurs, celles qui sont sans cause réelle nous les avons écartées, et celles qui sont naturelles nous les avons réduites à un minimum absolu, rendant leur grandeur minuscule…

@ 68 – Qu’un espace public ait été choisi pour l’exposé d’une œuvre résolument anti-stoïcienne (plus qu’anti-chrétienne, Diogène semble ignorer les chrétiens), ait été une stoa a certainement dû beaucoup amuser les contemporains (à l’exception sans doute des stoïciens oenoandiens, s’il en était), et on peut être certain que cet amusement était sans aucun doute voulu par l’auteur, qui fait fréquemment preuve d’un humour volontiers sarcastique.

@ 69 – L’inscription a dû rester intacte pendant un siècle ou un siècle et demi.

@ 70 – En dépit du fait qu’il annonce son intention de parler aux gens de l’avenir, il est vraisemblable qu’il serait surpris d’apprendre que ses mots peuvent encore être lus et appréciés dix-huit cents ans après sa mort.

@ 71 – Son exposé est bien équilibré. Il commence, en bonne doctrine épikurienne, par administrer à ses lecteurs une forte dose d’épistémologie et de physique ; c’est nécessaire à leur équilibre moral.

@ 72 – Il ne cite pas moins de dix-huit philosophes et écoles rivales : Anaxagore, Anaximène, Antiphon, Aristippe, Aristote, Démocrite, Diagoras, Diogène d’Apollonie, Empédocle, Héraclite, Laydes, Platon, Protagoras, Pythagore, Socrate, les stoïciens, Thalès, et Zénon de Citium.

@ 73 – Mais aucun auteur chrétien.

@ 74 – Il ne croit ni à la divination, ni aux rêves.

@ 75 – Il ne s’adresse pas qu’aux Oenoandiens, qu’aux Grecs et Romains de l’Empire, mais au monde entier.

@ 76 – Il ne croit pas que les dieux ont inventé le langage, ni les arts.

@ 77 – Il ne croit pas que les dieux, qu’un dieu a créé le monde.

@ 78 – Diogène avait une remarquable connaissance des présocratiques et il se pourrait que son erreur à propos d’Aristote dans le fragment 4 n’en soit en fin de compte pas une. Comme il écrivait au deuxième siècle After shave (I mean Christ – Goodman), une bonne partie de la partie polémique est consacrée à la réfutation des thèses stoïciennes et c’est une tâche qu’il remplit avec astuce et causticité.

@ 79 – Il nous laisse l’impression d’un vieil homme plutôt sympathique qui peut faire preuve à certains moments à la fois d’un sens aigu de l’argumentation et nous offrir des éclairs d’humour sardonique. Il est plein du cosmopolitisme de son âge, anxieux de venir en aide à ses concitoyens et à tous les visiteurs d’Oenoanda, et de montrer par la même occasion que la Lycie n’est pas une province attardée de l’Empire (ah mais !).

@ 80 – Il peut parfois se montrer répétitif et un peu bavard, mais ces défauts n’apparaissent que dans l’introduction et sont peut-être dus aux effets débilitants du grand âge compliqué du mal de bide. Presque partout son exposé est sérieusement argumenté, concis et composé en un grec clair et correct.

 

@ 81 – De ce qui reste de l’inscription de Diogène d’Oenoanda, de son corps philosophique fracassé et battu par l’océan des âges (où on ne saurait jeter l’ancre un seul jour), donnons pour terminer ce fragment 72, lacunaire, peut-être racontant le naufrage d’Épicure, qui se termine entre espoir et incertitude, comme il se doit :