J’ai 21 ans et je suis étudiante. J’ai débuté une relation avec un dénommé Brian, je n’aime pas son prénom mais le pauvre n’y est pour rien. Brian est étudiant en gestion. Il se débrouille bien, paraît-il, moi je n’y comprends pas grand-chose. C’est un garçon entreprenant, sûr de lui et je le vois bien devenir chef d’entreprise. Il a tout d’un entrepreneur. Il est curieux, enfin surtout de ce qui peut rapporter. Brian n’est pas un féru de sport, sauf celui diffusé à la télévision. Il a quelques kilos en trop et un début de calvitie. Je rêve de lui dire qu’il commence à ressembler à Tony Soprano mais je ne veux pas le vexer. Il a beaucoup d’humour mais je sais qu’il a tendance à le perdre quand on aborde le sujet de son physique et de sa corpulence. J’en suis amoureuse, du moins je le crois. Nous nous laissons à contrecœur à la fin de l’année universitaire. Je sais que nous allons beaucoup nous manquer… Il s’en va travailler dans sa ville natale, quant à moi, j’ai dégotté un boulot dans une colonie de vacances. Je vais passer tout l’été dans les montagnes entourée de mômes entre 11 et 15 ans, dont la plupart sont plus grands que moi. Ça promet !
L’été se passe formidablement bien. Nous travaillons tous dur mais l’ambiance est bonne. Tous les soirs, une fois que les jeunes sont couchés (et prétendument endormis), c’est barbecue et bière avec les collègues. On rit de bon cœur, on prépare la journée du lendemain, on se couche à pas d’heure, certains plus saouls que d’autres, certains dans une tente qui n’est pas la leur… Les joies de la colonie de vacances. Sans m’en rendre compte, je prends quelques kilos. Deux mois sans faire attention, à enchaîner les repas caloriques, avec des journées de travail interminables, il n’en fallait pas plus. Mais, lorsque je revois les photos prises cet été, je me trouve belle, souriante, heureuse d’être là. Je suis bien et je repars avec des souvenirs plein la tête. Lorsque je retrouve le chemin de la faculté, je me sens en pleine forme. Brian m’a beaucoup manquée, j’ai hâte de le voir, je commençais à en avoir marre des conversations par textos. Comme à notre habitude, nous nous retrouvons avec notre groupe d’amis dans un café proche de la faculté avant d’aller en cours. Brian est silencieux. Lui qui est d’habitude si bavard, il se montre distant, renfermé sur lui-même. Peut-être ne veut-il pas se montrer affectueux en public, mais je n’ai pas souvenir que cela le dérangeait de m’embrasser devant ses amis. Je ne comprends pas son comportement, mais nous n’avons pas le temps d’en discuter, chacun doit retourner à ses études. La semaine passe, le rythme universitaire nous enveloppe tous à nouveau. Je vois bien que quelque chose dérange Brian mais pas moyen de lui tirer les vers du nez. À chaque fois que j’essaie d’en savoir plus, il m’esquive et m’évite. Quand il ne m’évite pas, il n’est pas aussi attentionné qu’avant. Il prétend avoir du travail, mais je sais bien qu’il y a autre chose. Arrive le samedi soir. Une amie commune organise une petite fête chez elle. Nous sommes chacun de notre côté et nous n’avons pas encore passé un seul instant ensemble. Vers minuit, je parviens enfin à le coincer dans la cuisine tandis qu’il farfouille dans le frigo. Il refuse de me regarder. Je le supplie de me dire ce qu’il y a. Il se retourne, j’ai les larmes aux yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il ne m’aime plus. Il a l’air con dans son polo trop serré. Il se tient les épaules basses et les bras ballants. Il me fait penser à un grand singe. Il n’arrête pas de se toucher le nez, je connais ce geste, je sais qu’il a quelque chose sur la conscience. C’est alors qu’il me dit : « tu as pris du poids, non ? ».
Brian m’a quitté ce soir-là. Il m’a avoué qu’il n’acceptait pas ma récente prise de poids. Monsieur, avec ses petits nichons qui pointent sous ses polos trop courts, ne pouvait tolérer le fait que, durant l’été, j’ai pu prendre quelques kilos. Monsieur n’avait aucune envie de sortir avec une nana un peu ronde. J’étais abasourdie. J’avais connu au lycée la discrimination des gens bien foutus, des sportifs et des mannequins, mais je n’avais jamais connu celle des rondouillards. Je ne savais pas qu’un mec qui a plus de seins que moi n’était pas en mesure de supporter mes rondeurs.
J’ai été très affectée par cette rupture mais je crois qu’en fin de compte, Brian fut le plus gêné dans l’histoire. Si le motif de notre rupture ne passait pas pour moi, il ne passait pas non plus pour beaucoup d’autres personnes qui voyaient dans la décision de Brian un acte misogyne. C’était l’hôpital qui se moque de la charité ! Certains de ses amis toutefois approuvaient et le défendaient. Brian avait toujours été un peu rond, je l’avais choisi, connu et aimé comme tel dès le début. Brian m’avait aimée et choisie quand j’étais plus mince. Il n’a pas souhaité que je change, il ne m’a pas promis de continuer à m’aimer si je changeais. Donc, j’étais en grande partie, selon ses amis, responsable de notre rupture. Moi qui avais toujours été si à l’aise avec mon corps, je me trouvais confrontée de plein fouet au regard des autres, et notamment celui des hommes. Être bien dans sa peau et dans sa tête ne suffisait pas, il fallait avant tout être conforme aux attentes d’une société dirigée et contrôlée par ces messieurs. La plus mauvaise réaction aurait été de courir d’urgence à la salle de sport et de ne manger que de la salade afin d’avoir le corps correspondant aux désirs de Brian et de tant d’autres hommes. Qu’ils aillent se faire voir.
Je n’ai jamais raconté à ses amis que Brian était loin d’être le gars confiant qu’il prétendait être dans les couloirs de la fac une fois au lit. Brian était complexé par son corps et préférait faire l’amour en gardant son t-shirt. J’ai essayé maintes fois de le rassurer en lui disant que j’étais amoureuse de son corps et que je le trouvais beau, mais rien n’y faisait. Brian fait partie de ses adeptes de la levrette pour la raison (notamment) que leur partenaire leur tourne le dos. Cela ne me gênait pas mais j’en voulais plus. La levrette, c’est bien, mais il n’y a pas que ça. Or, il faut reconnaître que faire un missionnaire avec un gars qui garde son t-shirt trempé de sueur, ce n’est pas très agréable. J’avais bien conscience que j’étais plus à l’aise que lui avec mon corps et que cela créait un déséquilibre au sein de notre couple. Que ce soit lorsque j’étais athlétique dans mes années lycée ou plus ronde à la fac, j’ai toujours assumé ma sexualité. J’ai vite compris que j’avais plus d’appétit que certaines filles et que cela pouvait effrayer les garçons. Une fille qui se masturbe, une fille qui regarde du porno, qui aime son corps, qui s’aime, qui aime prendre les devants et qui a envie d’explorer ses désirs et ses fantasmes, cela peut faire peur. Les garçons ne sont pas habitués à cela.
Une fois de plus, j’étais cordialement invitée à continuer ma route seule. Dès que les choses devenaient un peu sérieuses avec mon petit ami du moment, nous nous dirigions droit vers la rupture. Une amie m’a dit qu’un garçon n’était pas en mesure d’accepter et de supporter que sa copine soit plus entreprenante que lui. En résumé me dit-elle, « tu as plus de couilles que lui ».
Brian avait plus de poitrine que moi mais j’avais plus de couilles que lui. Cela pouvait poser problème.