Alors que le XVIIe siècle était marqué par de nombreux conflits armés et par la répression, le XVIIIe voit naître un mouvement bien décidé à combattre l’ignorance, l’oppression et les ténèbres par le savoir, et à reconnaître à chacun des droits et une certaine liberté de penser : les Lumières. Ce terme désigne les nouveaux penseurs de l’époque, ceux qui ont pour mission de transmettre les connaissances. Le mouvement naît avec les avancées scientifiques de la fin du XVIIe siècle dont les auteurs reconnaissent la prégnance sur les croyances religieuses. Descartes (mathématicien et philosophe français, 1596-1650) s’impose rapidement comme un modèle grâce à sa méthode scientifique fondée sur la raison et l’expérience. Il en va de même pour les savants Newton et John Locke, dont les raisonnements inductifs influencent Voltaire durant son séjour en Angleterre. Il ne s’agit plus de croire, mais d’expérimenter et d’observer soi-même afin de se forger sa propre opinion. Ainsi, l’homme libéré des croyances véhiculées par l’Église peut enfin aspirer au bonheur. Les Lumières s’attaquent également à la politique, bien décidées à remodeler l’organisation sociale alors fondée sur des modèles médiévaux inégalitaires.
Avec la régence de Philippe d’Orléans (1715-1723) s’ouvre une période moins répressive pour les philosophes et l’on commence à croire au possible affaiblissement de la monarchie, mais bientôt Louis XV est couronné et avec lui la censure réactivée. Les auteurs dont les œuvres sont condamnées et qui souhaitent se faire publier sont souvent obligés de fuir le pays.
C’est ainsi qu’en 1759, l’Encyclopédie de Diderot (écrivain et philosophe français, 1713-1784) et D’Alembert (mathématicien et philosophe français, 1717-1783) est condamnée à ne plus être imprimée ni même diffusée en France. C’est un coup dur pour Voltaire qui souhaite agir dans la réhabilitation de l’ouvrage afin de continuer à diffuser clandestinement les idéaux des Lumières, depuis la Suisse. De là, il peut sans risques énoncer ses idées de réforme et les faire passer en France par des moyens clandestins.
Voltaire s’impose comme une figure majeure de ce mouvement. Dans ses travaux, il s’efforce en effet de transmettre ses savoirs et ses idées à propos des sciences, de la justice, de la tolérance religieuse et du système politique. Il œuvre en parallèle pour une plus grande justice sociale en s’engageant idéologiquement dans des conflits publics.
Plusieurs événements amènent Voltaire à rédiger Candide, une œuvre profondément ancrée dans la société européenne de son temps.
Le tremblement de terre de Lisbonne.
En 1755, une série de catastrophes naturelles s’abattent sur Lisbonne : un tremblement de terre, suivi d’incendies et d’un raz-de-marée, provoque la mort d’environ 30 000 personnes. L’Église considère qu’il s’agit là d’une punition divine, ce qui révolte les philosophes. Ceux-ci, à l’instar de Voltaire, s’emparent du sujet pour développer leurs théories et condamner le clergé, de plus en plus décrié.
L’année suivante, la guerre de Sept Ans (1756-1763) menée par Frédéric II de Prusse déchire l’Europe et cause, à son tour, des milliers de morts. Elle oppose la France à la Grande-Bretagne et la Prusse à l’Autriche et à la Hongrie. Voltaire, désespéré devant tant d’horreurs, ne peut plus croire en l’optimisme ni en l’homme. Il décide alors d’écrire pour la paix, espérant changer les mentalités de son siècle. Dans Candide, l’auteur poursuit cette ambition-là et fournit un véritable appel à la tolérance et à la raison.
L’esprit des Lumières est caractérisé par une propension aux débats d’idées, qu’ils aient lieu dans des salons ou au travers d’écrits. Le principal sujet de discussion est la possibilité d’un bonheur terrestre pour chaque homme – et non plus dans un paradis céleste pour certains après la mort. Les avancées scientifiques constituent elles aussi une large part des réflexions philosophiques, de même que la politique et les nouveaux systèmes de gouvernance qui fleurissent à l’époque en vue de remplacer les monarchies mourantes.
Voltaire s’attaque à tous ces sujets dans ses œuvres, au risque de se faire des ennemis dont certains sont parodiés dans Candide. Dans ce récit, Voltaire démontre par exemple les faiblesses des démonstrations de Leibniz (philosophe allemand, 1646-1716) sur l’optimisme, qui ont connu un certain retentissement depuis la montée de Louis XV sur le trône. Le philosophe expose dans ses Essais de théodicée (1710) sa théorie du « meilleur pour tous ». À travers celle-ci, il met en place l’image d’un Dieu forcément parfait qui aurait créé un monde à son image, un monde qui serait donc le meilleur possible ; les maux que l’on éprouverait sont considérés comme nécessaires à sa perfection et participent à son équilibre. Mais comment croire encore à cela alors que les guerres et les catastrophes naturelles déciment la société humaine ?
Voltaire, pour qui cette théorie ne tient pas, décide d’intervenir dans ce débat philosophique en rédigeant Candide. Il profite en outre de l’occasion pour se moquer, à travers son héros, de son ennemi Jean-Jacques Rousseau (écrivain et philosophe de langue française, 1712-1778), qu’il considère comme naïf puisque persuadé de la bonté originelle de l’homme. En effet, dans ce temps de crise, celui-ci privilégie le retour à l’état naturel des hommes et l’abolition des hiérarchies sociales, contrairement à Voltaire pour qui la culture est nécessaire à l’évolution des mentalités, de même que l’existence de classes sociales qu’il conviendrait toutefois de réformer. On peut voir en Candide une parodie du penseur détesté.
C’est ainsi que, nourri d’une vie d’exils et des événements terribles qui agitent l’Europe, Voltaire commence à rédiger son conte durant l’hiver 1757-1758 et le termine à Ferney en 1759. Le livre est publié simultanément dans plusieurs capitales européennes sous le pseudonyme du Docteur Ralph. Ce stratagème lui permet d’éviter les poursuites judiciaires et de cacher son goût pour un genre si peu noble qu’est le conte, alors même que celui-ci jouit d’une assez bonne réputation parmi les hommes de lettres.