Oscar Domínguez, Le Chasseur, 1933.
Huile sur toile, 61 x 50 cm.
Museo de Bellas Artes, Bilbao.
Le surréalisme reçut son nom de manière presque aussi spontanée que Dada si ce n’est qu’à la différence de « Dada », le terme « surréalisme » a un sens bien défini. Le mot « surréalisme » signifie « au-delà du réalisme », « qui dépasse le réalisme ». Non seulement le terme mais aussi le concept de surréalisme apparurent beaucoup plus tôt que le courant artistique qui naquit sur les bases de Dada. L’inventeur de ce terme n’est autre que Guillaume Apollinaire, l’idole de l’avant-garde, auteur d’Alcools qualifié par Aragon de « seule personne encore capable de célébrer avec des alcools coûteux la France en guerre. »[40] Le 24 juin 1917 on monta au théâtre René Mobel, à Montmartre, la première de sa pièce Les Mamelles de Tirésias, pièce qui fut selon les dires d’Apollinaire écrite beaucoup plus tôt, dès 1903. Le sous-titre disait : Drame surréaliste en deux actes et un prologue. Dans l’introduction à la pièce, Apollinaire déclare qu’il l’avait écrite pour les Français, tout comme Aristophane avait écrit ses comédies pour les Athéniens. Même si le thème – la procréation – est un thème important, il ne voulut pas le traiter sur un ton moralisateur et appela sa fantaisie à l’aide. « Je les ai prévenus (les Français) du danger sérieux et connu de tous qui plane sur la nation lorsqu’elle prétend se développer et devenir plus puissante. Bientôt elle ne voudra plus faire d’enfants et je leur explique quelle détresse ce serait et ce qu’il convient de faire. »[41] Dans son article dans le journal Le Pays, le critique Victor Bach écrivit : « La pièce de Monsieur Guillaume Apollinaire est un drame surréaliste, c’est à dire, en français, symbolique. »[42] En réponse à la critique, Apollinaire écrivit dans l’introduction à sa pièce :
« J’ai utilisé pour définir mon drame un néologisme, et je m’en excuse tant cela m’arrive rarement. J’ai inventé l’adjectif ‘surréaliste’. Il ne renferme aucun symbolisme [...], mais il reflète de manière assez claire la tendance artistique qui, certes, n’est pas nouvelle mais qui, en tout cas, n’a jamais servi à la formulation d’un quelconque credo ou d’une hypothèse littéraire ou artistique. »[43]
Apollinaire expliqua qu’il voulait dépasser l’étude aveugle de la nature et ne voulait pas représenter la nature à la manière d’un photographe. Dans sa recherche de terme, il tenta d’être le plus précis possible.
« Tout bien examiné, écrivit-il dans une de ses lettres, je crois en effet qu’il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j’avais d’abord employé. Surréalisme n’existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé. »[44]
Le terme choisi par Apollinaire s’avéra être assez large. Il fut adopté par le théâtre et la littérature ainsi que par tous les autres types d’arts plastiques. Il pouvait s’appliquer à de nouvelles œuvres d’art aussi bien qu’à des œuvres du passé. Il pouvait englober les tendances de nombreux créateurs qui dépassèrent les limites du monde réel. N’est-il pas vrai que les poètes et peintres ont depuis longtemps voulu dépasser la réalité, utiliser la liberté de la fantaisie, ouvrir une fenêtre sur un monde inconnu, un monde secret ? Apollinaire utilisa dans l’introduction à sa pièce un exemple éloquent : lors de l’imitation de la marche, l’homme inventa la roue, qui ne ressemble pas du tout à une jambe, sans le savoir il avait déjà découvert le surréalisme. Apollinaire disparut le 9 novembre 1918 après avoir déjà tracé les contours du futur surréalisme et lui ayant déjà donné un nom. Ce n’est qu’en 1924 qu’André Breton utilisa ce terme de surréalisme pour une nouvelle tendance en littérature et en art figuratif : « En hommage à Guillaume Apollinaire, écrivit-il, [...] Soupault et moi désignâmes sous le nom de surréalisme le nouveau mode d’expression pure… »[45] Breton ne put cependant pas adhérer totalement à la théorie d’Apollinaire. Il pensait que, peut-être, le terme de « supernaturalisme », utilisé par Gérard de Nerval siérait mieux à la langue artistique. De Nerval n’utilisa pas seulement ce terme pour son art mais pour toute œuvre qui ne copiait pas la réalité mais plutôt la fantaisie, c’est-à-dire exactement ce que disait Apollinaire. Tous les peintres pour qui les rêves se transforment en réalité sur la toile créent « dans cet état de rêverie supernaturaliste ».[46]