MAUDE
Elles sont assises sur le divan. Sara Smith a apporté le dîner, du poulet vapeur à la sauce au soja avec du gingembre et des oignons. Elles boivent un excellent thé noir. Maude n’a pas bu un verre de toute la soirée. Elle lit ses notes à haute voix sans conviction.
« Vous êtes un psychopathe. Un sociopathe. Vous ne créez que de la douleur.
– Et vous faites chier, ajoute Sara.
– Je sens votre colère, Sara.
– Oh ? »
Elle éclate de rire. C’est la première fois qu’elle se laisse aller. Maude l’apprécie un peu plus à chaque fois qu’elle vient la voir.
« Peut-être avez-vous un sens moral ; vous prétendez ne pas pouvoir tuer. Ou peut-être avez-vous simplement peur de la condamnation à mort que le meurtre entraîne. »
Sara ne dit rien.
« Vous êtes un acteur, un imitateur. Vous utilisez votre talent comme un instrument de destruction. La proximité de la dualité est nécessaire, mais vous n’êtes qu’un joueur dans une ville de joueurs, le type de joueur que cette ville plus que toute autre s’efforce de créer et de rendre parfait. Vous ne souffrez pas. Vous vous en prenez aux autres pour apaiser votre douleur. Ça fonctionne peut-être, mais ça ne durera pas longtemps. Je vous plains. »
Elle repose la page.
« C’est un début, déclare Sara, tentant de se montrer diplomate.
– Vous croyez qu’il le lira ?
– Oui, Maude, je suis sûre qu’il essaiera d’aller jusqu’au bout. En revanche, je ne suis pas certaine pour ce qui est de nos autres lecteurs. Ça les endormira peut-être.
– Sérieusement ?
– Sérieusement, Jim ne va pas publier ça, c’est juste une description de son état. Continuez de travailler, vous trouverez votre voie. Concentrez-vous simplement sur ce qu’il a fait à vos patientes. Ou sur ce qu’il m’a fait à moi. Et essayez de changer sa vie, de faire en sorte qu’il se voie comme nous le voyons. Ne serait-ce pas formidable si grâce à vous il se contentait de dix victimes ? S’il arrêtait demain ?
– Ce serait un problème.
– Pourquoi ? Il serait guéri.
– Oui, et il disparaîtrait. Il irait s’enterrer au Mexique ou au Canada et nous n’entendrions plus jamais parler de lui.
– Et nous fêterions ça.
– Non.
– Vous voulez sa tête ?
– Ça m’a traversé l’esprit.
– Et ses couilles. »
Plus tard, après le départ de Sara, Maude se lève, débarrasse la table. Seule, elle s’assied devant la page blanche.
Comment puis-je traiter un patient qui n’est pas venu me demander de traitement ? Elias T me dira que c’est une pose, que je suis une diseuse de bonne aventure avec un rideau orné de perles. Dieu sait ce que pensera Toyer.
Jimmy G est éveillé, figé à la fenêtre, regardant dehors les petits fantômes de la nuit. Elle commence, d’une jolie écriture, au stylo-bille noir : « Cher Toyer ». Elle raye le « Cher ».
Quand arrive l’aube, alors que Jimmy G est doucement endormi sur ses pages, Maude pose son stylo et s’étire les doigts. Le rossignol est parti se coucher. Elle lit ses notes, les plie. Elle appelle Sara Smith chez elle, la réveillant une fois de plus. C’est dimanche.