TELEN
Quinze minutes. 1 heure du matin. Il n’y a rien de caché dans l’appartement. Elle prépare une petite théière, se remplit une tasse, se rassied. Elle attend d’entendre le grondement de sa moto. Elle a superficiellement fouillé les deux pièces, sans rien trouver. Maintenant elle recommence, méthodiquement. Elle palpe le fond de son placard, tapant doucement du poing à la recherche de compartiments secrets, sentant l’odeur des chemises de Peter. Il n’y a pas de lumière, la petite lampe torche argentée qui était posée sur la table de chevet a disparu. Pourquoi a-t-il emporté sa lampe torche ?
Elle connaît ses vêtements, elle devine à leur absence lesquels il porte en ce moment. Son blouson de cuir noir. Son jean noir. Noir sur noir. Elle ne trouve pas son casque. D’habitude il ne porte pas son blouson quand il fait de la moto, surtout par une telle chaleur, mais ce soir il l’a emporté.
Le miroir ovale au-dessus de la commode date d’une autre époque. La dorure autour du verre est trop brillante, comme si elle n’était censée être vue qu’au bec de gaz. Elle palpe le mur derrière, décroche le miroir. Il est décrépi, à moitié pourri, la vitre est trouble, comme si elle servait de miroir depuis trop longtemps et avait été usée par les reflets. Elle l’examine. Des lamelles de bois inégales derrière le verre noir. Il n’y a rien là-dedans, rien de caché, pas de papiers. Elle écoute les bruits de la rue, s’apprête à raccrocher le miroir.
Soudain, dans le mur derrière le miroir, elle aperçoit quelque chose. Une tête de clou brillante. Au-dessus se trouve une latte qui peut être tournée. Derrière la latte elle découvre un espace haut et étroit, sombre, de dix centimètres de profondeur. Quelque chose est coincé entre les larges planches, quelque chose de neuf entre les vieux bouts de bois pelucheux. C’est une boîte beige. Elle la sort. Un petit ordinateur.
Elle le pose sur la commode, tel un pantin qui attendrait d’être réveillé, qui attendrait qu’on lui demande de parler. Sa gorge se serre. Elle a découvert quelque chose. Peut-être est-ce ce qu’elle cherchait sans vouloir le trouver. Telen le regarde fixement. L’ordinateur est aussi petit que son sac à main. Elle sent sa puissance invisible, devine que son apparence anodine est mensongère. Elle sait que tout est là devant elle. Quelque chose de vital qu’elle ne veut pas découvrir.
Il fait trop chaud. Les ventilateurs gesticulent en vain ce soir. Elle branche l’ordinateur à la prise murale. Elle ôte ses chaussures, quitte sa jupe, passe son T-shirt par-dessus sa tête, se détache les cheveux, et s’assied en sous-vêtements face au minuscule ordinateur, genoux écartés, pieds en arrière, chevauchant sa chaise tel un jockey.
Si elle entend sa moto dans l’allée, elle devra éteindre l’ordinateur, le replacer dans le mur, raccrocher le miroir, sauter dans le lit, faire semblant de dormir. Elle disposera d’une minute entière. Quand il arrivera, il sera surpris de la voir, puis ravi. Ils se pardonneront mutuellement. En dépit de tout, elle lui dira qu’elle l’aime. C’est la vérité. Elle se lève, retrousse les draps du lit. Il lui fera l’amour.
Le CD de Vocalise est terminé, elle l’a passé trois fois. Elle se rassied, ouvre l’ordinateur, clic, comme un poudrier, fait glisser l’interrupteur latéralement. Il se réveille en produisant des petits bruits de grenouille. Elle comprend les ordinateurs et ne met que quelques secondes à naviguer jusqu’au répertoire qui contient les fichiers. Les balises vertes clignotantes l’attirent comme les lumières d’un port.