MAUDE

Peter s’est affalé sur la chaise en bois adossée au mur de la chambre. Il dévisage Maude tel un taureau hébété lardé de banderilles. Il essaie de lui lancer un regard noir, mais son visage s’affaisse.

Ma tête s’envole à travers le plafond. Il se lève, ses jambes se défilent de nouveau sous lui, il se rassied lourdement sur la chaise, maladroitement. Il tente de se lever une fois de plus en usant de toute sa force, en vain. Bon Dieu, qu’est-ce qui se passe ?

Maude se redresse aisément, s’étire, fait le dos rond comme Jimmy G, qui vient la rejoindre, sautant doucement sur le lit, s’approchant fièrement, queue dressée. Il pose les pattes sur ses cuisses.

Elle se lève d’un bond, emportant Jimmy G avec elle, ouvre le tiroir inférieur de la commode et en tire quelques écharpes de soie aux couleurs vives.

« Qu’est-ce que tu fais, Maude ? »

Il ne peut pas bouger.

Avec les écharpes, elle lui attache les poignets et les bras à la chaise en bois, lui ligote les chevilles ensemble. Elle passe une écharpe par-dessus son torse, sous ses bras, derrière le dossier de la chaise. Tous deux sont presque nus.

Elle se penche au-dessus de lui et lui soulève habilement une paupière avec un coton-tige. Peter se tortille sans force.

« Dis-moi ce que tu m’as fait. »

Maude sourit.

« Mille milligrammes de Mépéridine, répond-elle, avant d’ajouter gaiement : j’espère que tu ne vas pas mourir.

– En... moi ?

– Tu baignes dedans, chéri.

– Quand... ? »

Elle se rend à la cuisine, met la cafetière à réchauffer sur la cuisinière, rapporte sa petite trousse à pharmacie de la salle de bains, attache une serviette autour du cou de Peter comme si c’était un bavoir.

« Dis-moi une chose, Peter, regrettes-tu d’avoir écrit cette lettre ?

– Quoi ?...

– Cette première lettre à propos de Marla.

– Je devais l’envoyer.

– Je sais, tu avais peur de ce que les gens pouvaient croire, mais est-ce que tu le regrettes maintenant, en y repensant ?

– Tu veux dire... l’enchaînement des événements, je ne serais pas ici si je ne l’avais pas écrite ?

– C’est un fait, non ? »

Il sait que sans cette première lettre il n’aurait jamais tué Elaine, jamais vécu son histoire d’amour avec Telen, que Maude n’aurait jamais monté cette dernière contre lui. Il ressent une rage impuissante. Il peut à peine parler, s’affale un peu plus sur sa chaise.

« Est-ce que tu es en train de ressasser le passé ? demande-t-elle.

– Je suppose qu’on pourrait dire ça. »

Elle sauve le café juste avant qu’il ne se mette à bouillir, se verse une tasse parfaite. Le café l’envahit de la tête aux pieds tel un sérum miraculeux, elle se sent d’une humeur légère, est au comble du bonheur. Jimmy G lui donne un petit coup de tête dans la jambe, il apprécie le spectacle. Elle s’assied, le soulève, le pose sur ses cuisses, sent les vibrations de son ronronnement à travers son poitrail et son ventre.

« Chaque chose en entraîne une autre, Peter, jusqu’au moment présent. »

Elle repose Jimmy G, verse un peu de lait dans son bol. Elle insère un CD de Giacomo Puccini dans le lecteur.

« Qu’est-ce... que tu... fais ?

– J’écoute Madame Butterfly. »

Elle sourit, sourit, sourit.