« Tels ils marchaient dans les avoines folles »

 

Ils ont pris le café dehors, sur la terrasse. Le soleil s’est couché mais le ciel est très clair encore et la mer s’attarde, clapote gentiment autour d’eux. Un premier feu d’artifice a décollé là-bas, sur leur gauche, un peu raté. Ce n’est qu’un essai, une mise en jambes. Très vite ils se sont égaillés dans le jardin, après s’être donné rendez-vous le lendemain. C’est convenu, ils iront tous les cinq rue de la Délivrance : Janet, Bernard, Déjanire, Lili et Mikaël. À dix heures, devant le numéro 80. Mais ce soir ils ont autre chose à faire, quatre d’entre eux du moins.

Tandis que Madame Audoire propose à Perrotin et à Pernet-Bréguinville une dégustation de calvados de contrebande, que Madame Perrotin monte se coucher, Janet demande à Mikaël la permission de voir sa chambre, elle veut examiner les tableaux. Il lui indique le chemin mais ne l’accompagne pas. Il va se baigner, dit-il. Et il prend Lili par la main. Elle n’ose pas dire qu’elle n’a pas son maillot. Lui non plus, probablement, à moins qu’il n’en porte un sous son jean. Ce n’est pas une baignade à maillot. C’est un bain de minuit, et un bain de minuit amoureux. Même s’il n’est que dix heures et demie et qu’ils ne se sont pas encore embrassés. Ils contournent la piscine, traversent l’herbe rare, vite envahie par le sable, sautillent l’un derrière l’autre sur les rochers. La nuit tombe avant qu’ils aient fini de se déshabiller.

Dans la cour du manoir, du côté de la jetée, Déjanire et Bernard, eux, s’embrassent. Ils ont raccompagné Marc-Antoine Dupré jusqu’à sa voiture, ont tenté d’un commun et tacite accord de le consoler des moqueries de Janet. Sans y faire allusion bien sûr. Ils ont juste déployé beaucoup de gentillesse et de gratitude. Mais il est tard, et Marc-Antoine a encore plein de copies à corriger pour lundi. Non, non, il ne pourra pas venir demain (rien qu’une minute encore avec l’Américaine, il n’y survivrait pas). Puis ils ont regardé la voiture de l’angliciste franchir la jetée encore trempée mais hors d’eau et Déjanire a passé la main, presque sans faire exprès, dans le dos de Bernard. Comme s’ils étaient un vieux couple, au seuil de leur demeure, agitant les bras comme Ann et Joseph devaient le faire, il y a cent ans. Bernard s’est tourné vers elle et l’a prise dans ses bras, comme s’il l’avait déjà fait, pendant des années, comme s’ils étaient chez eux. Et maintenant ils s’embrassent, et c’est agréable.