Apparement, la compagnie conservait des costumes prêts à servir pour n’importe quelle urgence, car Cath et une autre femme enveloppèrent rapidement Jenny dans une robe rouge qui ajoutait plusieurs livres à sa silhouette et un voile épais qui dissimulait son visage. Entre-temps, Hugh continuait à argumenter avec les autres acteurs sur scène, augmentant considérablement le plaisir du public en incarnant son propre père et en discutant avec lui-même.
Quand Jenny fut prête, Pasquin la guida sur les planches, et l’acteur jouant le père de la mariée l’escorta jusqu’à l’autel apparu pendant qu’elle s’habillait.
Le prêtre était joué par un nouveau bouffon au visage blanc, avec chaperon et clochettes. Quand Jenny se tint devant lui, il se tourna vers le public et dit d’une voix de stentor :
— Regardez tous ces deux-là. Si quelqu’un parmi vous s’oppose au mariage pour un motif ou un obstacle valable, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais.
Silence.
— Oui, alors, dit le prêtre.
Se retournant vers Hugh, il lui dit :
— À présent, mon garçon, acceptez-vous de prendre cette jeune fille pour épouse, de l’aimer et de la chérir, dans la maladie comme dans la santé, pour…
Quand il eut fini de réciter les phrases familières, Hugh déclara bruyamment :
— Je l’veux !
À Jenny, le bouffon et prêtre dit :
— Jeune fille, prenez-vous cet homme pour époux, afin de lui être fidèle et obéissante au lit et dans la maison à partir d’aujourd’hui et jusqu’à ce que la mort vous sépare et si l’ordonne la sainte Église ?
— Je l’veux, murmura-t-elle.
— Plus fort, jeune fille, dit-il d’une voix de stentor. Ils ne vous entendent point, à l’arrière.
— Oui, je l’veux ; je vais l’accepter tout entier, cria Jenny en réponse, essayant d’imiter l’accent et la manière de Gerdra.
Le public réagit admirativement.
Elle pouvait à peine voir à travers son voile épais, mais elle aperçut le rapide froncement de sourcils de Hugh et comprit qu’il venait seulement de s’apercevoir qu’elle n’était pas Gerda. S’il savait qu’elle avait usurpé la place de Gerda ou pensait qu’il s’agissait d’une autre personne, elle l’ignorait.
Quand ils eurent terminé de réciter les vœux, le prêtre dit :
— Je vous prononce maintenant mari et femme. Auriez-vous l’amabilité de signer l’acte du mariage déclarant cette union, monsieur ?
— Oui, certes, j’veux bien, dit Hugh.
Prenant la plume que lui tendait l’homme, il signa avec un geste grandiloquent.
— Voilà, dit le prêtre. Si vous pouviez gentiment vous retourner face à la congrégation, je vais vous présenter à elle en tant que mari et femme. Il est approprié à ce stade, madame, murmura-t-il sotto voce, de relever votre voile.
Reconnaissante de ce signal, Jenny se tourna en face du public et, avec un geste exagéré digne de Gerda elle-même, souleva le voile d’un coup de poignet pour exposer son visage.
La réaction fut un mélange de cris d’encouragement tapageurs et de rires, qui augmentèrent grandement quand Gerda courut au bord de l’aire dégagée, prise de panique et totalement remise de sa maladie, tentant apparemment de s’arracher les cheveux de sur la tête.
Pasquin s’avança avec deux luths, en remit un à Jenny et l’autre à Hugh.
Tandis que Jenny commençait à pincer les notes de la chanson d’amour, Hugh comprit vite le signal. Le public réagit comme Pasquin l’avait prédit et, pendant que Jenny et Hugh s’inclinaient plus tard devant le public, les bouffons, les jongleurs et les acrobates coururent autour, remplissant leurs paniers de collecte et leurs chapeaux de généreuses offrandes de la foule admirative.
Alors que Jenny et Hugh quittaient enfin la clairière, le bouffon-prêtre marcha jusqu’à Hugh, lui attrapa la main et la serra avec ferveur.
— C’était un grand plaisir, monsieur, dit-il. Le mariage le plus amusant que j’aie jamais célébré, je le jure. Je veux vous remercier de m’avoir permis de prendre part à cet événement inhabituel et inspirant.
Jenny dévisagea Hugh, qui fixait, sous le choc, l’homme au visage blanc.
— Écoutez, dit Hugh sèchement. Je ne vous connais même pas et cette plaisanterie a assez duré. Qui diable êtes-vous ?
L’homme reporta son regard sur Jenny avant de revenir à Hugh.
— Bien, qui serais-je d’autre que le père Donal de l’abbaye ? Vous m’avez vous-même envoyé chercher, non ?
Jenny oscilla comme si le sol s’était soulevé sous ses pieds. Sans la main ferme de Hugh qui lui attrapa le coude et la stabilisa, elle était certaine que ses genoux auraient cédé sous elle.
***
Pendant qu’ils continuaient d’avancer, Hugh tenta de discerner les traits du prêtre sous la couche de craie. Le visage maquillé de blanc n’affichait pas les détails que Gawkus et Gilly ajoutaient aux leurs, par exemple des larmes sous les yeux de Gilly et les minuscules cœurs sous ceux de Gawkus. De tels détails manquaient sur la face blanche de cet homme. Seuls ses yeux et sa bouche arboraient de la couleur.
— Je veux une explication, dit Hugh. Ce mariage ne peut point avoir été réel.
— Mais il l’était, lui assura le père Donal. Votre lettre décrivait vos désirs, monsieur. Et l’évêque de Glasgow, qui visitait par hasard l’abbaye Sweetheart quand votre demande de licence spéciale est arrivée, l’a approuvée lui-même.
— Alors, vous devez la désapprouver, dit Hugh.
Jetant un coup d’œil au visage de Jenny, qui était presque aussi blanc que celui du prêtre, il comprit que même s’il avait tous les droits d’être furieux, il voulait uniquement la protéger.
— Je crains que son Éminence ne soit rentrée à Glasgow hier, dit le prêtre. En tous les cas, je ne pense point qu’il puisse annuler votre mariage, Monsieur. Seul le Pape peut s’en charger, ou peut-être un légat papal quand il y en a un dans les parages. Mais pourquoi voudriez-vous une annulation après avoir déployé autant d’efforts pour vous unir si rapidement et si publiquement ?
— Parce que je n’ai point fait une telle chose, lui dit Hugh.
Alors qu’il prononçait ces mots, il se rappela que l’étrange rêve provoqué par la bière incluait une signature sur des documents. Néanmoins, il déclara fermement :
— Je ne vous ai envoyé aucune lettre ou demande, mon père. C’est vous, je le crains, qui avez été trompé. Ce mariage ne peut point être valide.
— J’ai apporté la demande et la licence spéciale, au cas où quelqu’un de la paroisse locale aurait voulu les voir, dit le prêtre, et ils s’arrêtèrent tous. J’ai aussi votre lettre d’instructions. En outre, plus tôt, lorsque je vous ai prié de signer l’acte du mariage, j’ai souligné spécifiquement que ce faisant, vous vous déclareriez mariés. Cette précaution s’avérait nécessaire, évidemment, car vous aviez exigé que vos noms ne soient point mentionnés pendant l’échange des vœux.
— Mais le mariage ne peut sûrement point être valide si nos noms n’ont point été utilisés.
— Au contraire, monsieur, vos vœux eux-mêmes suffisaient. D’ailleurs, la déclaration en soi satisfait à la loi écossaise sur le mariage. Vous et cette dame êtes légalement mariés, et vous pouvez à présent profiter des droits et privilèges du mariage.
Sentant Jenny trembler, Hugh l’agrippa fermement sous le coude pour la stabiliser encore une fois. Lorsqu’il le fit, une voix masculine cria :
— Attendez, sir Hugh ! Nous voulons vous féliciter, vous et votre jolie jeune mariée !
***
Jenny se raidit et regarda Hugh. Il grimaçait mais, en même temps, elle vit son expression faciale s’altérer pour prendre un air totalement incompatible avec Hugh. Tandis qu’il se tournait pour affronter la personne qui avait crié, elle s’arma de courage et se retourna avec lui.
Il cria :
— C’est-y moi qu’vous appeliez, m’sieur ?
Reconnaissant les deux hommes approchant, Jenny faillit pivoter pour s’enfuir.
Le shérif Maxwell tendait la main à Hugh.
— Thornhill, dit-il. On ne s’attendrait jamais à vous rencontrer dans de telles circonstances. En effet, monsieur, j’ai assisté deux fois maintenant à ces spectacles des plus amusants et je crois ne jamais vous avoir reconnu. Cependant, mon homme ici a su immédiatement qu’il s’agissait de vous.
À la grande surprise de Jenny et juste à côté d’elle, Hugh s’était transformé en un péquenaud aux yeux ronds en habit de noble. Il contempla avec stupéfaction la main tendue de Maxwell, puis celle de son homme de main, avant de déclarer avec son phrasé distinctement commun qu’il avait déjà utilisé :
— Dieu, mon seigneur, j’vous connais ni l’un ni l’autre. Je s’rais content d’vous serrer la main, mais c’est que j’pense que l’un d’ces bouffons vous ont trompés sur moi pour s’moquer d’vous.
Le shérif sembla abasourdi, mais son homme de main scruta plus attentivement Hugh et dit :
— J’comprends point la plaisanterie, monsieur, mais je vous reconnaîtrais n’importe où. Morbleu, j’ai perçu vos taxes l’an dernier. Vous êtes sir Hugh Douglas de Thornhill.
— Nenni, que j’vous dis, dit Hugh, se passant une main sur la bouche, puis souriant largement.
Jenny, sous le choc, vit que son sourire dévoilait un nombre de dents noircies, visiblement sur le point de pourrir.
— Attendez que j’dise à mes frères et tout qu’le député-shérif de Dumfries m’a confondu, moi, avec un laird ! s’exclama-t-il. Pauv’ moi, comment c’est-y qui vont s’marrer, tous les six. Ensuite, j’pense, vous allez m’supplier de payer les taxes du laird, pour sûr.
Le shérif Maxwell rigola et donna une claque dans le dos de son homme.
— Je t’ai dit que tu te trompais, mon garçon. Mais cet homme est presque le portrait craché de Thornhill.
Hugh se pencha plus près de lui.
— Si on y regardait d’plus près, m’sieur, on découvrirait qu’le laird et moi, c’est qu’on est parents. Voyez-vous, j’sais point qui était mon père. P’t-être que ce laird et moi, on est frères, comme qu’on pourrait dire. J’ressemblais point du tout à mon prop’ père. Et ma mère… Oui, ben, c’tait une jeune fille rare pour les hommes, celle-là. Elle savait à peine où c’est qu’est dormait de soir en soir. Et j’doute point qu’certains de ses bougres étaient des nobles et tout et tout.
— Viens, mon garçon, dit Maxwell. Cet homme n’est point Thornhill.
Le plus jeune hocha la tête.
— Oui, y dirait jamais une telle chose même pour rire. Fier comme un paon de ses propres origines fumeuses, ce laird, comme la plupart des Douglas. Désolé d’vous avoir dérangé, dit-il à Hugh. Remettez-vous à vos affaires, maintenant. J’pense que vous allez bientôt vous vanter que votre jeu d’acteur a impressionné le shérif de Dumfries.
— Oui, pour sûr qu’je l’ferai, m’sieur, lui assura Hugh.
Regardant les deux hommes pivoter et s’éloigner à grands pas tandis qu’elle luttait entre l’indignation et le rire, Jenny prit une grande respiration, prenant conscience de la main chaude de Hugh dans le creux de son dos quand elle expira. Elle leva les yeux vers lui, mais il observait le shérif et son acolyte comme s’il croyait que l’un d’eux pouvait se retourner. Aucun ne le fit.
— Comment avez-vous pu dire une chose aussi épouvantable sur votre propre mère, et avec un prêtre pour en être témoin ?
Ses yeux pétillaient quand son regard croisa le sien, mais il contempla le prêtre avec regret avant de dire :
— C’est la première chose à laquelle j’ai pensé pour les désarçonner.
— Par Dieu, monsieur, vous devriez être reconnaissant de ne point avoir été foudroyé !
Elle aurait aimé en dire plus, mais le prêtre se trouvait encore avec eux.
Tandis qu’ils suivaient les autres dans la compagnie, qui quittait la place avec le public, Hugh dit :
— Vous êtes resté très silencieux, là-bas, mon père.
Le contemplant avec perspicacité, le prêtre dit :
— Je ne crains point de dire, monsieur, que même si je vous ai observé en action plusieurs fois ce soir, pendant la pièce de théâtre et la chanson que vous avez interprétée avec votre dame, cela me stupéfait de voir à quel point vous pouvez modifier vos traits et votre voix apparemment sans effort. Vous vous transformez d’un homme en un autre devant nos yeux. Je me demande qui peut être la véritable personne sous votre peau.
— Nous pouvons en discuter plus tard, si vous le voulez, dit Hugh. Cependant, je compte d’abord découvrir qui nous a joué ce tour stupide, et pourquoi.
Jenny avait pendant ce temps regardé autour d’eux pour savoir qui leur accordait de l’attention. La plupart des gens rentraient manifestement chez eux. À part le premier cri, elle doutait que quiconque sauf le prêtre ait entendu ce que le shérif et son homme avaient dit à Hugh.
Elle vit Pasquin les observer depuis le côté nord de la place, où il se tenait avec quelques personnes de la compagnie emballant encore le matériel de leur spectacle.
— Hugo, dit-elle doucement, il me faut penser que l’homme qui a organisé la pièce est le responsable le plus probable de toute l’affaire.
— Je suis d’accord, dit-il. Attendez ici, s’il vous plaît, mon père. Je crois que nous devrions d’abord lui parler en privé.
— Bien sûr, mon seigneur.
Hugh se retourna.
— Nous laisserons de côté les « mon seigneur », je vous prie. Et point de « milady » non plus. Nous restons Hugo et Jenny pendant que nous sommes avec les ménestrels.
— Comme vous le voulez, mon fils, dit le prêtre. Je recommande, par contre, que vous vous organisiez, tous les deux, pour vous confesser en bonne et due forme bientôt. Je les entendrai, si vous le souhaitez.
Hugh ne répondit pas à cela, touchant plutôt Jenny à l’épaule pour la pousser vers Pasquin. Le grand homme les observait toujours et, bien que ceux autour de lui commençaient à s’en aller, il attendit Jenny et Hugh. Au moment où ils le rejoignirent, il était seul.
Jenny aperçut Lucas Horne avec les autres marchands sur High Street en direction de la forêt et de leur campement juste au moment où il s’arrêta et regarda derrière lui. Elle ne vit pas Hugh lui faire un geste ni un signe, mais Lucas hocha légèrement la tête et poursuivit sa route.
— Je dois t’offrir mes félicitations, dit Pasquin avec un sourire pour Hugh. Tu t’es marié à une belle et charmante femme.
— Alors, vous savez que le prêtre était un vrai et la cérémonie, réelle, dit Hugh sombrement. Le père Donal me dit qu’il a célébré le mariage sous une licence spéciale pour laquelle j’ai apparemment présenté une demande. Peut-être pourriez-vous expliquer comment vous avez réussi cela. Un tour de passe-passe ? Était-ce quelque chose que vous avez versé dans ma bière l’autre soir ?
— J’avoue que c’est ainsi que j’ai obtenu ta signature sur la lettre, la demande, et que j’ai préparé une copie de l’acte du mariage, mais j’t’assure, nous avions d’bonnes intentions.
— Mais qu’est-ce qui vous a inspiré un numéro aussi scandaleux ? s’informa Hugh.
— Un sentiment de solidarité masculine, j’pense, dit Pasquin. La jeune fille ici m’a dit comment tu l’avais poursuivie, que tu l’avais même demandée en mariage, et qu’elle t’avait rejeté. On n’pouvait qu’admirer ta persévérance, mon garçon. Et, d’ailleurs, on était obligé de vite remarquer qu’elle avait besoin d’un protecteur fort et qu’elle te rejetait point aussi sévèrement qu’elle m’avait dit l’avoir fait, si même elle te rejetait. Comme elle n’a apparemment aucun parent pour s’occuper d’elle, et qu’tu semblais déterminé à la protéger, j’ai pensé que c’était juste que j’vous aide dans votre but.
En l’écoutant, Jenny eut l’impression qu’une force puissante l’avait clouée sur place dès le moment où il avait dit : « La jeune fille ici m’a dit… » Quand il marqua une pause, la laissant envahie par la culpabilité, elle ne put bouger ni trouver un mot à dire.
Elle n’avait pas besoin de regarder Hugh pour savoir qu’il était furieux. Sa colère irradia vers elle, l’enveloppant de telle sorte que son courage habituel la déserta.
— Vous aimeriez peut-être m’expliquer votre rôle dans cela, dit-il.
C’était la dernière chose qu’elle souhaitait.
***
Hugh observa Jenny encore plus rigoureusement qu’il n’avait regardé Pasquin. Il croyait l’homme, mais il ne pouvait pas imaginer ce qui inciterait une jeune fille franche comme Jenny à raconter de telles faussetés.
Quand elle hésita, Hugh lui dit sévèrement :
— Que lui avez-vous dit, exactement ?
Avalant visiblement, elle l’affronta alors et dit :
— Je lui ai dit que nous nous étions rencontrés à Annan House, que vous aviez exprimé votre intérêt pour moi et m’aviez suivie, mais que cela ne me plaisait point d’épouser quelque homme que ce soit et que j’avais essayé de vous le faire explicitement comprendre.
— Épouser ! Quel démon vous a possédée pour dire une telle chose ?
— C’était peut-être la première chose à laquelle j’avais pensé pour vous désarçonner.
Reconnaissant l’écho des propres paroles qu’il lui avait dites, à propos de ce qu’il avait raconté sur sa mère, il lui décocha un regard calculé pour indiquer clairement qu’il n’était pas amusé.
Des hommes arrosaient les torches sur la place, mais sa profonde rougeur était visible même dans la lumière du jour faiblissante. Elle promena son regard de lui à Pasquin et revint à lui avant de dire :
— Je vous en prie, Hugo, pouvons-nous discuter de cela en privé ? Je sais très bien que vous êtes en colère contre moi, mais je préférerais vous expliquer tout cela uniquement à vous.
Il hésita et se remémora instantanément quelques détails probables de son récit que lui aussi aimait mieux ne pas révéler aux autres. Il n’insista donc pas.
Se tournant plutôt vers Pasquin, il lui dit :
— J’aimerais aussi comprendre quel démon vous a possédé de la croire. Je l’ai vue seulement tenter d’user de faux-fuyants et échouer. On peut facilement lire ses pensées dans chacune de ses expressions.
— Oui, certes, acquiesça Pasquin. J’savais qu’elle mentait. Mais j’vois maintenant qu’je me suis trompé sur la partie mensongère. Vois-tu, j’croyais que c’était ce qu’elle disait de ses sentiments pour toi. Quiconque vous aurait aperçus ensemble tous les deux dernièrement aurait commis c’t’erreur, particulièrement en étant témoin de votre baiser comme je l’ai été.
— Donc, vous avez bien vu cela, dit Hugh avec un soupir.
— Certes, mais même dans l’cas contraire, tu gardes les yeux fixés sur elle de l’aube jusqu’au crépuscule, mon garçon, et tu gigotes dans tous les sens et te casses la tête en mille morceaux quand elle disparaît plus longtemps que tu l’crois acceptable. Et lorsqu’elle chante pour toi, elle donne l’impression de vouloir s’blottir carrément dans tes bras. Qu’est-ce qu’un homme sensé doit penser ?
Hugh regarda encore Jenny, qui contemplait Pasquin avec la culpabilité lui lacérant visiblement la conscience.
— Je… je… n’ai jamais voulu causer de tels ennuis, dit-elle. J’espère que vous pourrez me pardonner, monsieur.
Pasquin secoua la tête.
— Morbleu, jeune fille, c’est moi qui devrait t’le demander. J’imaginais, d’après ce que j’avais vu, qu’vous me remercieriez tous les deux. Malgré tout, si vous voulez défaire ce mariage, ça n’devrait point être une grosse affaire que de d’mander une annulation à l’Église. Ce n’est point tout à fait la chose à faire, voyez-vous, pour un prêtre de s’prêter au jeu des ménestrels.
— Vous semblez en savoir beaucoup à ce sujet, dit sèchement Hugh. Avez-vous déjà créé des alliances aussi épineuses que celle-ci auparavant ?
— Nenni, voyons. J’l’ai point fait. Mais un homme dans ma position apprend vraiment beaucoup. Y a-t-il autre chose qu’tu aimerais discuter avec moi mon garçon, ou dois-je vous souhaiter une bonne nuit ?
— Je n’ai plus rien à vous dire, lui dit Hugh. Cependant, j’ai encore beaucoup de choses à vous dire, ajouta-t-il, regardant Jenny.
— Je vous en prie, monsieur, Peg doit m’attendre. Et… et le prêtre patiente toujours et Lucas doit vous chercher. Nous devons rentrer au campement.
— Il y a une chose, dit Pasquin à Hugh. Les autres savent seulement qu’vous cherchiez à l’épouser et que quequ’chose vous a séparés. Y pensent tous qu’on vous rendait service à tous les deux. Voyez-vous, aucun d’nous dési-rait vous causer des embarras.
Hugh hocha la tête, puis il regarda pendant que Pasquin s’éloignait à grands pas vers High Street. Le laissant prendre une bonne avance, il glissa un bras autour des épaules de Jenny, la poussant à le suivre.
— Maintenant, jeune fille, dit-il, vous avez des explications à donner.
Quand elle gesticula en direction du prêtre, attendant encore patiemment dans l’ombre à quelque distance de là, Hugh s’arrêta à côté de lui pour lui dire :
— Je pense que nous allons devoir démêler tout cela nous-mêmes, mon père, à moins que vous ne réussissiez à trouver une manière simple de défaire ce qui a été fait ce soir.
— Il n’y a rien de simple, mon fils. De cela, je suis sûr. Jusqu’à ce que vous puissiez organiser une annulation, vous êtes légalement mariés l’un à l’autre. Puis-je dire que vous semblez bien assortis comme couple, mieux que la plupart de ceux que j’ai unis.
— Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais nous allons vous souhaiter le bonsoir. Il me reste quelques choses à dire à mon épouse, qu’elle souhaite ou non les entendre. Et elle me dira quelques petites choses aussi. N’est-ce pas, ma mie ?
Jenny grimaça.
— Exactement, lui dit Hugh. Bonne nuit, mon père.
***
Tandis qu’ils quittaient la place et marchaient le long de High Street, Jenny s’arma de courage. Elle savait que Hugh était encore furieux et qu’il avait tous les droits de l’être.
Se rappelant les menaces proférées par Reid contre elle, et la façon dont il s’était brusquement éloigné d’elle quand il n’avait pas pu s’occuper d’elle comme il croyait devoir le faire, elle espéra que la colère de Hugh ne s’exprimerait pas d’une manière semblable.
— Nous sommes suffisamment en privé maintenant, dit-il. Dites-moi.
Elle pouvait voir des torches devant, s’approchant du sentier entrant dans la forêt. Toutefois, la plupart des citadins avaient disparu dans leurs propres foyers, de sorte qu’elle et Hugh étaient pratiquement seuls dans High Street. La lune commençait à peine à se montrer à l’ouest. Croissante, elle jetait une lumière argentée sur la rue.
— Alors ? dit-il avec une trace d’impatience. Me répondre que vous avez saisi la première idée qui vous était passée par l’esprit, comme moi avec le shérif, ne vous sera plus utile, jeune fille.
— Je sais, dit-elle. Je me suis servie de vos paroles parce que je ne pouvais point dire la vérité sans en révéler davantage à Pasquin que nous le voulions l’un et l’autre.
— Néanmoins, vous devez être franche avec moi.
— Vous allez être furieux.
— Morbleu, je suis déjà furieux !
Elle inspira, expira, puis elle lui dit :
— Je lui ai raconté que vous étiez un prétendant indésirable parce que je voulais qu’il vous soit plus difficile de me ramener. Je n’ai jamais imaginé qu’il déciderait de lui-même que je devais vous épouser. Bien, qui penserait cela ? C’était une chose scandaleuse à faire.
— Cela prouve, par contre, qu’il ne nous a point encore reconnus, dit Hugh. Je doute qu’il coure le risque de faire un tel coup, sauf s’il croit unir une jeune fille sans défense à un homme qui la protégera. Je trouve troublant, toutefois, qu’il n’ait point demandé pourquoi le shérif m’avait abordé. Il a dû voir cela.
— Pensez-vous qu’il vous ait entendu vous faire appeler sir Hugh ?
— Possible, admit-il. Même dans le cas contraire, il y avait d’autres personnes autour quand Maxwell m’a interpellé. Je crois que notre chance s’étiole.
Rapidement, elle lui dit :
— Nous ignorons toujours ce qui menace Archie le Terrible ou Threave, si le danger existe. Et nous n’avons point découvert quoi que ce soit sur les bijoux volés, mis à part que le shérif ne les a apparemment pas trouvés dans ce campement. Nous devons au moins continuer avec les ménestrels jusqu’à Threave, monsieur, pour prévenir Archie Douglas.
— Il y a amplement de temps avant l’anniversaire du couronnement du roi pour que je vous ramène à Annan House et chevauche ensuite jusqu’à Threave à temps pour avertir Archie.
— Bien, je ne veux point argumenter avec vous, particulièrement quand vous êtes déjà fâché contre moi, mais vous m’avez bien demandé si j’étais lasse de mon aventure. Je n’aimerais point vivre ainsi toute ma vie, mais je ne suis point lasse des ménestrels. Je continuerais volontiers avec eux, plutôt que rentrer et attendre dans la disgrâce d’épouser Reid. En vérité, j’espère qu’attendre que le Pape annule nos épousailles signifie que je puisse repousser mon mariage avec lui indéfiniment.
— Il doit exister d’autres façons d’annuler ce mariage, dit-il.
— Même alors, cela prendra du temps, dit-elle. Il ne peut donc point y avoir de grande urgence pour nous de rentrer. Au fait, monsieur, qu’est-il arrivé à vos dents ?
***
Acceptant un bref changement de sujet, Hugh dit :
— Du charbon, et il se servit d’une manche pour essuyer les résidus sur ses dents. J’en avais conservé sur moi justement pour une telle situation.
Pendant qu’ils marchaient, il pouvait entendre les autres bavarder devant et il prit conscience que les ménestrels lui manqueraient presque autant qu’à elle.
Il avait fait de nombreuses choses, voyagé sur de grandes distances et rencontré des gens de toutes sortes. Cependant, bien qu’il ait joué auparavant le rôle d’un troubadour, il avait agi de la sorte uniquement pour glaner des informations et non en tant que membre d’une compagnie. Leur mode de vie différait de tout autre qu’il avait connu et, en vérité, il enviait assez leur liberté.
Elle garda le silence, amenant Hugh à s’interroger sur ses pensées et se demander si elle s’inquiétait de le savoir encore furieux. En vérité, il ignorait ce qu’il ressentait.
Il avait juré de ne jamais se remarier. La douleur de perdre Ella et son bébé avait été trop grande pour courir le risque de souffrir à nouveau ainsi un jour. La pensée que Jenny puisse subir le même type de mort était trop affreuse à contempler.
Alors que cette idée lui traversait l’esprit, une autre encore pire la chassa — que Jenny puisse endurer le même sort qu’Ella. Après tout, de nombreuses femmes mouraient en couches ou des complications qui s’ensuivaient. Mais à quel point cela pourrait être pire s’il n’était pas là pour prendre soin d’elle, si elle avait seulement Reid, occupé uniquement par ses propres intérêts, pour la protéger !
Il posa sa main libre sur celle de Jenny, au creux de son bras. Elle ne portait pas de gants, et sa main était petite et chaude sous la sienne. Sa peau était soyeuse ; ses doigts, minces et fragiles. Son envie de la protéger était plus forte que jamais.
Qu’il ressente de fortes envies en ce qui la concernait était aussi un fait.
Cela ne le dérangerait pas de tirer avantage des droits maritaux qui étaient à présent les siens, comme lui avait assuré le prêtre. Toutefois, obtenir une annulation serait alors plus difficile. Quand il soupira, elle leva les yeux.
— Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle. À propos de ce mariage, je veux dire.
— Nous devrions pouvoir le faire annuler assez facilement avec le temps. Le prêtre a dit que nous le pouvons et il n’est point au courant pour Reid. Je suis presque certain que des fiançailles précédentes sont toujours cause d’annulation.
— Alors, qu’en est-il de ces droits et privilèges dont il a parlé ?
— Morbleu, je ne vais point m’en prévaloir, si c’est ce que vous pensez, dit-il en souhaitant le pouvoir plus que jamais.
— Oh !
Était-ce son imagination ou y avait-il eu une pointe de déception dans cet unique mot ?
Se traitant de fou stupide, il redevint muet.
Le silence dura jusqu’à ce qu’ils entrent dans le campement, quand des applaudissements bruyants éclatèrent tout autour d’eux.
Pasquin esquissa un pas en avant en soulevant un pichet et deux chopes.
— Mon meilleur Bordeaux pour porter un toast à votre mariage, dit-il. Et vous verrez là-bas que les garçons ont réorganisé votre tente pour vous, Hugo, afin que vous puissiez dormir avec madame votre épouse ce soir.
— Oui, et nous promettons d’ignorer vos gémissements de passion, cria un petit plaisantin dans la foule d’une voix ressemblant beaucoup à celle de Gilly.
— Oh, non, murmura Jenny.
Hugh vit tristement que chaque membre de la compagnie attendait avec bonheur de célébrer avec eux.
— Morbleu, jeune fille, marmonna-t-il. Nous allons devoir jouer le jeu, ou leur révéler la vérité et les décevoir. Qu’est-ce que ce sera ?
***
Bien que l’idée de passer la nuit seule dans une tente avec Hugh bouleversait Jenny, celle d’avoir à leur avouer à tous qu’elle avait menti l’horrifiait. Il était vrai que Pasquin avait arrangé leurs épousailles, mais elle nourrissait la crainte que son petit mensonge eût fait le tour du campement.
Même dans le cas contraire, les gens voudraient savoir, en détail, pourquoi leur chef avait cru qu’un mariage était une belle idée.
Peg et Bryan eux-mêmes, bien qu’ils connussent sa véritable identité et celle de Hugh, paraissaient totalement ravis.
— Je détesterais gâcher le plaisir de tous en refusant de dormir avec vous, murmura Jenny en réponse. Toutefois, si nous dormons ensemble, cela ne…
— C’est tout ce que nous ferons, je le jure, dit-il sur le même ton. Je vais demander à Lucas de préparer deux paillasses sous la tente. Il ne dira rien à personne.
— J’imagine que cela pourra servir, dit-elle.
Elle avait été sur le point de faire remarquer que s’ils dormaient ensemble, tout le monde supposerait qu’ils s’étaient accouplés. Toutefois, le choix restait le même. Et, en vérité, l’idée de dormir à côté de lui remuait de si nombreuses pensées et émotions qu’elle n’arrivait pas à réfléchir correctement.
Au cours de la demi-heure suivante, elle resta près de lui et but du Bordeaux dans sa chope. Elle savait qu’elle avait parlé à des gens, qu’elle les avait remerciés pour leur gentillesse, mais elle n’arrivait pas à se souvenir de ses paroles exactes. Et quand Hugh l’emmena enfin à sa tente, poussé par les encouragements et les commentaires bruyants, ses genoux tremblèrent et sa peau lui sembla engourdie.
— Je vais dormir avec ma tunique et ma robe, marmonna-t-elle.
— Oui, c’est une bonne idée, marmonna-t-il d’une voix rauque en réponse.
Attrapant une bougie en suif dans une assiette, il se détourna plutôt brusquement pour survoler du regard les dispositions prises pour leur sommeil comme pour voir si Lucas avait suivi ses instructions.
Bien qu’il y ait en effet deux paillasses individuelles avec chacune leurs couvertures, Jenny pensa qu’elles étaient trop près l’une de l’autre. À l’évidence, Hugh trouva cela aussi, car il tenta de les séparer davantage, mais il n’y avait pas suffisamment d’espace.
Peg apporta de l’eau, mais elle repartit aussitôt, laissant Jenny seule avec lui.
Hugh remit la bougie à Lucas en lui ordonnant :
— Veille à ce que personne ne se lève pour faire un mauvais coup ce soir. Je préférerais ne point devoir assommer des gens.
— Oui, bien sûr, dit Lucas.
Ses lèvres tressaillirent et il se détourna aussi rapidement que Hugh plus tôt. Quelques secondes plus tard, ils étaient seuls dans l’obscurité.
Après qu’ils se furent mis au lit, Jenny resta allongée avec raideur et sentit que Hugh faisait de même. Mais après un temps, l’épuisement s’empara d’elle et elle dormit.
Quand elle se réveilla, la lumière grise de l’aube filtrait à travers le rabat de la tente, et Hugh était allongé dans sa position exacte de la veille. La seule différence était qu’elle avait à l’évidence eu froid, car elle était confortablement blottie contre lui.
— Doux Jésus, je suis désolée ! murmura-t-elle en se tortillant pour retourner à sa propre place.
— Ne vous excusez point, dit-il. J’aurais passé la nuit à méditer sur certains droits et privilèges même si vous n’aviez point rendu impossible de telles réflexions. Cependant, bien que mes pensées se soient attardées sur les droits auxquels les maris songent le plus pendant leur nuit de noces, un droit s’est bien présenté à moi que, je le crains, vous n’aimerez point.
— Si vous pensez que je ne l’aimerai point, alors je sais que ce sera le cas, dit-elle en se redressant en position assise et l’affrontant, prête à lui livrer bataille. Quel est-il ?
— Le droit d’un mari à être obéi, répondit-il. Nous partirons pour Annan House aujourd’hui, Jenny, et je ne veux point entendre d’arguments.